Odessa, énième martyre

On se souvient de la scène de l’escalier dans le cuirassé Potemkine
de Serguei Eisenstein. Cet escalier est celui d’Odessa, cette ville d’or
et de sang, fascinante à tous points de vue, cette ville qui représente
à la seule évocation de son nom, un fantasme et aujourd’hui un
cauchemar à venir

Alors que l’armée russe s’apprête à assiéger la ville d’Odessa, il n’est
pas inutile de se replonger dans le livre de Charles King qui se lit
comme un roman et navigue dans les différentes époques d’Odessa,
depuis sa fondation en 1794 par la tsarine Catherine II jusqu’à nos
jours dans cette Little Odessa de New York.

Car aujourd’hui, c’est bel et bien un nouveau tsar, se voulant
l’héritier de ses ancêtres blancs et rouges qui s’apprête à lui faire
subir un nouveau martyre.

Dans son livre, Charles King fait ainsi revivre avec bonheur le
multiculturalisme qui a nourri cette ville pendant longtemps où l’on
croisait ukrainiens, russes, français, turcs, grecs, italiens, allemands
ou juifs mais également le grand Tolstoï, la poétesse Anna
Akhmatova, l’écrivain Isaac Babel ou le violoniste David Oïstrakh.
Les larmes aussi avec Holodomor, cette grande famine organisée par
Staline en 1932-1933 et le massacre par les fascistes roumains de la
population juive d’Odessa en 1941.

Ce voyage littéraire ne laissera en tout cas personne indifférent et
continuera à entretenir le mythe d’une cité aux multiples visages.
Mais surtout, il fera couler des larmes avec ces vers dédiés
aujourd’hui à Odessa et au peuple ukrainien :

Non, ce n’est pas sous un ciel étranger,
A l’abri des ailes étrangères que j’étais,
Mais au milieu de mon peuple,
Là où, pour son malheur, mon peuple était.

Par Laurent Pfaadt

Charles King, Odessa, splendeur et tragédie d’une cité de rêves, Payot, 341 p. 2017

Anna Akhmatova : Requiem : Poème sans héros et autres poèmes,
Poésie Gallimard, NRF, 2007