On a tous droit à une deuxième chance

Un nouveau chef d’œuvre de
Bernard Malamud à redécouvrir

Après le Meilleur et l’homme de Kiev
qui ont connu un certain succès de
librairie, voici venir le Commis de
Bernard Malamud (1914-1986).
L’écrivain américain que beaucoup
considère comme l’un des plus
grands du 20e siècle se situe dans
la droite ligne des Saul Bellow,
Isaac Bashevis Singer et Philip
Roth. Ici, le récit américain se
colore d’humour juif souvent
sarcastique, toujours mordant et la réflexion sur la nature humaine
atteint assurément son plus haut degré littéraire en explorant l’âme
noire et blanche de chaque homme.

Alors direction la petite épicerie de Morris Bober, un nom «
irréconciliable avec la notion propriété ; comme si c’était dans votre sang
et votre histoire de n’avoir rien ».
Voilà le décor planté. Un épicier sur le
déclin qui a passé toutes ces années dans ce Brooklyn des années 50
à trimer pour rien, qui est toujours le loser de service et, qui plus est,
se retrouve cambriolé et séquestré par des voyous pas très fins et
pour une maigre recette – dix dollars à peine.

Après une période de convalescence, voilà que le destin frappe à sa
porte en la personne de Frank Alpine, jeune immigré italien qui se
trouve être l’un de ses ravisseurs. Pris de remords, Alpine a décidé
de racheter sa faute en aidant Morris à relancer son affaire, en
devenant son commis. Et cela marche.

Le lecteur pénètre immédiatement dans cet environnement que
Malamud connaît particulièrement bien, ces bas-fonds de Brooklyn
où le rêve américain n’est qu’une illusion et où le bien et le mal ne
sont que des chimères et coexistent bien souvent dans chaque être.

Dans son œuvre, Bernard Malamud questionne en permanence le
rôle du destin. Et le Commis ne fait pas exception, bien au contraire.
Pourquoi et comment les hommes en sont-ils le jouet ? Comment en
sortir ? Est-on condamné à n’être qu’un loser ? A n’être qu’un truand?
Peut-être pas car l’alliance entre Bober et Alpine va produire des
étincelles et va faire mentir la théorie selon laquelle zéro plus zéro
fait toujours zéro.

Bien entendu, on n’évitera pas le parallèle avec Crimes et Châtiment et sa dimension rédemptrice. Car au fond, le livre, outre sa
formidable construction narrative, avec ses dialogues piquants
parsemés d’expressions savoureuses en yiddish et son suspense qui
tient le lecteur en haleine jusqu’au bout, nous interroge tous : a-t-on
le droit à une deuxième chance ?

Classé par le magazine Time dans la liste des 100 plus grands
romans du 20e siècle, le Commis ne laissera personne indifférent.
Mais surtout, en plus d’être un formidable hymne à ces valeurs
d’honneur et de respect défendues par ces populations ruinées, ce
livre prouve une fois de plus que même l’être le plus nul peut
changer le cours du destin. Une belle leçon d’humanisme.

Laurent Pfaadt

Bernard Malamud,
le Commis,
Rivages, 2017