Opéra pour la main gauche

levshaCréation du nouvel opéra de Rodion
Shchedrin.

On ressent toujours un sentiment mêlé d’excitation et d’inconnu lorsque l’on écoute une œuvre pour la première fois. On a l’impression d’assister, à la minuscule place qui est la nôtre, à l’histoire musicale en train de se construire, d’évoluer. On ne ressasse plus le passé, on regarde un peu ébahi, interrogatif, ce nouvel objet en se demandant quel sera sa place.

La création contemporaine étant parfois un peu hermétique – certains diront souvent – il nous faut réviser en permanence nos jugements, abandonner nos réflexes, nos habitudes et revoir nos codes pour aborder chaque nouvelle œuvre. Le théâtre Mariinsky, en plus d’être une impressionnante machine à concerts et à produire des disques, est également un lieu de création disposant des conditions les plus optimales pour mettre en valeur ces nouvelles œuvres.

Levsha (« le gaucher »), nouvel opéra du compositeur russe Rodion Shchedrin ne pouvait trouver meilleur berceau. L’homme, qui vient de perdre son épouse, la célèbre danseuse Maïa Plissetskaïa, est en Russie une légende vivante après avoir été glorifié par le régime soviétique, remportant notamment le prix Lénine en 1984. Son nouvel opus, Le Gaucher, opéra en deux actes, est tiré d’un roman de Nikolaï Leskov qui avait déjà été une source d’inspiration pour Shchedrin avec le Vagabond ensorcelé et surtout pour Chostakovitch avec son fameux opéra, Lady Macbeth du district de Mtsensk.

Aux commandes de ce brillant vaisseau musical, il fallait un capitaine chevronné. Et en la personne de Valéry Gergiev, cet opéra a trouvé l’homme idoine. Dans la fosse, le chef excelle une fois de plus à donner corps à cette musique. Sa parfaite connaissance du répertoire russe ainsi que de l’œuvre du compositeur lui permet d’osciller entre tragédie et comédie.

La musique reflète ainsi à merveille les changements de rythmes et de narration qui passent allégrement de l’épopée avec son lyrisme habituel à la bouffonnerie la plus grotesque.

En plus, les voix sont superbes, à commencer par celle d’Andrei Popov, formidable Toula, cet artisan analphabète et fameux gaucher.

Shchedrin, The Left-Hander, Théâtre Mariinsky, dir. Valéry Gergiev, LSO Live, Mariinsky Label, 2015

Laurent Pfaadt