Orphée et Eurydice au Sénégal

Dans La porte du voyage sans retour, David Diop construit, sur
fond d’esclavage, un roman où l’amour et la haine se côtoient en
permanence

Au début, il ne s’agit que de faune et de flore réunies dans une
Encyclopédie. A la fin du roman, il est question d’êtres humains et
d’environnement emprisonnés dans un manifeste. La porte du
voyage sans retour porte ainsi bien son nom. Le lecteur qui entre
dans le nouveau livre de l’auteur de Frère d’âme (Prix Goncourt des
lycéens, Prix international Man Booker), avance dans un voyage qui
ne comporte qu’un aller. En suivant le personnage principal du
roman, Michel Adanson, un botaniste du milieu du 18e siècle qui
mena de nombreuses recherches dans un Sénégal alors plaque
tournante du commerce des esclaves avec la fameuse île de Gorée
que l’on surnommait la porte du voyage sans retour, le lecteur
s’enfonce dans un marécage.

Tout commence à la mort de Michel Adanson en 1806. Ayant
héritée des affaires de ce dernier, sa fille Aglaé découvre dans la
cachette d’un meuble, des carnets racontant une autre version de
l’expérience sénégalaise de son père. A travers la voix d’outre-tombe
de Michel Adanson, Aglaé suit alors l’incroyable épopée de ce
dernier, en compagnie du jeune Ndiak, pour retrouver la
« revenante », Maram Seck, celle qui allait devenir l’Eurydice d’un
père remontant le Styx de l’esclavage. Dans ce récit qui avance avec
espièglerie et suspense sur les sentiers des légendes africaines où
l’on se raconte des histoires au coin du feu et où les animaux
côtoient les hommes à travers le rab – sorte d’esprit animal attaché à
chaque être humain – comme ce lion et cette hyène que croisent à
plusieurs reprises nos héros, David Diop lance un fervent plaidoyer
en faveur de la préservation de l’environnement et des coutumes
ancestrales de chaque pays, chaque continent.

Retrouver Maram ne fut pas sans risques. L’amour, la trahison, l’espionnage et le reniement mirent à l’épreuve la conscience de
notre héros. David Diop renoue alors avec sa verve de Frère d’âme
lorsqu’il construit cette nouvelle vengeance africaine qu’il met au
service d’une dénonciation du commerce triangulaire de l’esclavage.
Dans ces pages, l’homme apparaît à la fois comme le remède à sa
propre barbarie mais également, malheureusement, comme son
premier poison. A travers la quête d’un homme et d’une humanité,
David Diop pousse ainsi le lecteur à se retourner sur sa propre
histoire et à se départir de ses certitudes occidentales. « Que les
Nègres n’aient pas construit de bateaux pour venir nous réduire en
esclavage et s’approprier nos terres d’Europe ne me paraît pas non plus
être une preuve de leur infériorité, mais de leur sagesse » rappelle Michel
Adanson. Et à la différence d’Orphée, le lecteur a tout à gagner à
regarder derrière lui et à contempler son histoire.

Par Laurent Pfaadt


David Diop, La porte du voyage sans retour,
Chez Seuil, 256 p.