Passages de témoins

© Franca Pedrezetti, Festival de Lucerne
© Franca Pedrezetti, Festival de Lucerne

De jeunes orchestres
dirigés par des chefs
expérimentés :
les merveilleuses surprises de Lucerne

Le festival d’été de Lucerne est toujours le lieu d’incroyables rencontres musicales entre des répertoires, des interprétations, mais surtout entre ces générations de musiciens qui ont écrit l’histoire de la musique au XXe siècle et continueront de la façonner au XXIe siècle. Ainsi les concerts des 22 et 23 août 2015 ont permis à de jeunes musiciens d’apprendre de chefs de légende et pour ces derniers, de mesurer combien la musique évolue et se transforme.

Habitué à diriger le Chamber Orchestra of Europe, orchestre dont il est l’un des membres d’honneur, Bernard Haitink a construit depuis longtemps une relation de confiance faîte d’échanges réciproques avec les musiciens. Cette complicité fut immédiatement perceptible dans la symphonie inachevée de Franz Schubert où Bernard Haitink conduisit le Chamber Orchestra of Europe dans une profondeur inouïe portée notamment par des vents sublimes et des cordes très affutées.

Le chef, aidé de la magnifique Maria Joao Pires, a ensuite fait rayonner l’orchestre dans le 23e concerto de Mozart. Interprétant ce dernier comme personne, la pianiste portugaise au touché si velouté nous a transporté dans un rêve surtout dans cet adagio où l’osmose avec l’orchestre fut totale, la pianiste répondant avec douceur et émotion aux appels émis par ce dernier. Interprétée de cette manière, la musique de Maria Joao Pires vous touche au cœur et vous bouleverse. Et lorsqu’elle est accompagnée par le COE, cela créée des moments uniques. La soirée s’acheva avec la symphonie Jupiter où l’expérience et la fraîcheur ont été rendus possibles par les cordes électrisantes de l’orchestre. Cette interprétation rappelle que les symphonies de Mozart ne s’apprécient qu’en concert même si le COE a gravé avec Harnoncourt l’une des plus belles versions (1991).

Le lendemain, les jeunes musiciens de l’orchestre Gustav Mahler avaient rendez-vous avec Herbert Blomstedt, chef très apprécié des orchestres. A 88 ans, le chef suédois naturalisé américain n’a rien perdu de sa superbe, surtout lorsqu’il dirige Bruckner. Celui qui veilla à la destinée de l’orchestre symphonique de San Francisco et de la Staatskapelle de Dresde emmena cette jeune phalange dans cette grande cathédrale qu’est la 8e symphonie.

Blomstedt a su parfaitement canaliser la fougue de cette jeunesse qui ne demandait qu’à s’exprimer tout en les libérant du poids écrasant de sa stature de chef pour créer de magnifiques pages orchestrales tout en nuances. Transformant les cordes en un puissant vent dans le premier mouvement puis distillant avec intelligence le hautbois, les cuivres, la clarinette ou la harpe dans un dialogue harmonieux avec l’orchestre, Blomstedt donna une réelle épaisseur à cette symphonie.

L’architecture musicale d’une monumentalité rarement atteinte dans le répertoire symphonique a été parfaitement exploitée par Blomstedt qui, lorsqu’il dirige Bruckner, se transforme en conteur de ces vieilles légendes germaniques. Le chef fit l’orchestre un véritable être vivant que l’on sent respirer, haleter et nous emporta dans l’une des plus belles codas de la musique où le mysticisme brucknérien est porté à son paroxysme. L’émotion figea la salle qui, retenant son souffle, suivit la course de la baguette du chef avant de lui réserver une standing ovation méritée.

Laurent Pfaadt