Petits ennemis et grands alliés

Deux livres magnifiques remettent en lumière l’histoire des Amérindiens

Cheyennes, Comanches, Apaches, Sioux. Si ces noms vous disent vaguement quelque chose et renvoient plus vers John Wayne et Danse avec les loups, alors il est grand temps de vous plonger dans le nouvel opus des Mondes anciens consacré à l’Amérique du Nord. Cet ouvrage très riche et pédagogique qui court de l’installation des premiers hommes à Sitting Bull offre une vision éclairée et exhaustive de la civilisation amérindienne en Amérique du Nord, de la frontière mexicaine au Grand nord canadien. Ce livre constitue à n’en point douter une référence sur la question. Avec ses cartes, ses illustrations, ses photos, alternant portraits et grandes tendances de fond, il plonge le lecteur dans un océan d’érudition sans pour autant le noyer. Passant avec fluidité de l’ethnologie – la partie sur l’utilisation du cheval est fascinante – à la stratégie militaire et à la sociologie comme cette analyse pertinente des cadres politiques et juridiques des sociétés amérindiennes, Jean-Michel Sallmann réussit le pari de l’exhaustivité sans ennuyer.


Si la construction identitaire de la nation américaine tendit à minorer voire à effacer les périodes qui précédèrent cette dernière, cet ouvrage replace l’Amérique du Nord dans son histoire plus que millénaire. On y apprend quelques évènements oubliés ou caricaturés comme la pénétration des conquistadors espagnols dans le sud des Etats-Unis marquée par l’expédition d’Hernando de Soto qui découvrit en 1541 le fleuve Mississippi ou la véritable histoire de la princesse Pocahontas au XVIIe siècle.

Le siècle suivant fit de l’Amérique du Nord, notamment lors de la guerre de Sept Ans, cette première guerre mondiale, un théâtre d’opération majeur dans lequel les populations amérindiennes servirent bien souvent de supplétifs. Jean-Michel Sallmann expose avec pertinence les différentes conceptions que chaque puissance coloniale eût à l’égard des Indiens : si les Espagnols voyaient avant tout dans les Indiens des créatures à christianiser, les Anglais, eux, les considéraient comme des esclaves à exploiter. Quant aux Français, l’auteur rappelle que « la politique française n’était pas une politique de soumission, les Indiens n’étaient ni des esclaves, ni des soumis mais des alliés ». Pour autant, le traité de Paris (1783) qui mit fin à la guerre de Sept Ans et prépara l’indépendance américaine, n’incluait pas les Indiens qui se virent déposséder de leurs terres.

La jeune nation américaine saura s’engouffrer dans cette brèche. Dès 1840, la ruée vers l’Ouest et son or se fit au détriment des Indiens qui subirent de nombreux massacres cautionnés voire même organisés par le pouvoir comme en Californie entre 1851 et 1860 que l’auteur n’hésite pas à qualifier de « génocide » ou lorsque le président Ulysses Grant, le vainqueur de la guerre de Sécession devenu président des Etats-Unis, ordonna l’élimination des comanches. En 1862, le fameux Pacific Railroad Act permit alors à des hordes sans foi ni loi de déferler sur les territoires d’Indiens obligés de se structurer, de s’organiser pour faire face à ces nouveaux envahisseurs qui tuaient les bisons et s’appropriaient leurs terres. L’histoire vit alors le choc de deux empires, celui des Etats-Unis et celui des Sioux notamment dans ce qu’on appela les guerres indiennes. Le choc de deux volontés d’expansion territoriale contrecarrées, de deux façons d’appliquer l’art de la guerre : d’un côté la force brute appuyée sur une machine industrielle qui fabriqua les fameux fusils Springfield. De l’autre côté, la ruse, la guérilla, la diplomatie.

Les Sioux justement, il en est particulièrement question dans l’autre grand livre de cet automne 2022 consacré aux Amérindiens. Après un ouvrage remarqué sur l’empire comanche, Pekka Hämäläinen décortique l’Amérique des Sioux. Grâce à des archives indigènes inédites, il propose une histoire du point de vue des vaincus. Passionnant de bout en bout, il nous dépeint la construction de cet empire, sorte d’empire des Huns en Amérique du Nord, sur près de deux siècles. D’une plasticité redoutable, capable d’adaptations et de mutations incroyables, l’empire Sioux sut transformer des tribus de chasseurs-cueilleurs en une force contestant l’hégémonie de l’une des principales puissances du monde.

Little big horn

Comme chacun sait, la confrontation trouva son point d’orgue lors de la bataille de Little Big Horn, le 25 juin 1876, entre le général Custer et le chef Sioux Sitting Bull. Si Pekka Hämäläinen rappelle que « la bataille de Little Big Horn fut un moment d’accélération de l’histoire américaine, qui prit alors une tournure violente », cette bataille fut à la fois une victoire à la Pyrrhus qui marqua le début d’un effacement progressif et irréversible des Amérindiens de la société américaine et une opportunité pour entrer bien malgré eux les Amérindiens dans un imaginaire collectif aux côtés des John Wayne, Davy Crockett et Buffalo Bill. La bataille des mémoires fut pour les Amérindiens la plus terrible, la plus insidieuse, la plus meurtrière. Mais quelques poches de résistance subsistent encore aujourd’hui dont ces deux magnifiques livres.

Par Laurent Pfaadt

Jean-Michel Sallmann, L’Amérique du Nord, de Bluefish à Sitting Bull, 25 000 av. notre ère-XIXe siècle
coll. Mondes anciens, Belin

Pekka Hämäläinen, L’Amérique des Sioux, nouvelle histoire d’une puissance indigène
Chez Albin Michel, 608 p.