Philippe II, l’apogée du Siècle d’or espagnol

Nos connaissances sur Philippe II, fils de Charles Quint, roi des
Espagne et empereur d’un Nouveau Monde gigantesque
commençaient à dater. Nous en étions restés au livre d’Ivan Cloulas
(Fayard, 1992) présentant un Philippe II cruel et bigot.

Cette nouvelle biographie de Francis Dupau qui n’est pas issu du
monde universitaire – ce qui n’enlève rien au sérieux et à la qualité
de son propos – vient heureusement dépoussiérer tout cela où
plutôt dénouer « l’énigme Philippe II ». L’auteur y déconstruit les
mythes, notamment celui de cette fameuse légende noire dans un
chapitre fort brillant où il démonte ces opérations de
communication avant l’heure des ennemis de Philippe II pour
replacer ce dernier dans le contexte de son époque à travers une
narration assez subtile mêlant l’homme et le roi.

Comme le rappelle judicieusement l’auteur, Philippe II fut d’abord
un roi consort – époux de la reine Marie Tudor – conditionnant ainsi
son rapport à l’Angleterre, avant de monter, à près de trente ans, sur
le trône d’une Espagne devenue un empire mondialisé. C’est à
travers ce prisme, celui du basculement vers un autre monde, une
autre époque de l’histoire de l’humanité que doit s’analyser, selon
Francis Dupau, la personnalité et le mode de gouvernance de
Philippe II. Et ce dernier, héritier du Moyen-Age et de Thomas
d’Aquin, ne parvint jamais complétement à s’inscrire dans cette
nouvelle mondialisation symbolisée par les caravelles et la gestion
lointaine de territoires.

Alors que son père discuta avec Luther à Worms en 1521, initiant
un processus qui devait aboutir à la paix d’Augsbourg en 1552 et au
principe « Cujus regio, ejus religio », « Tel prince, tel religion »,
Philippe II se montra un catholique intransigeant. Mais là où la
légende noire, notamment celle fabriquée par les huguenots
hollandais et français – Francis Dupau montre bien à cet égard
l’ingérence du roi d’Espagne dans la crise de succession des Valois en
1589 – construisit un fanatique, l’auteur insiste sur le fait qu’il fut
avant tout animé par la raison d’Etat, voyant à tort le protestantisme
comme un facteur de troubles, de chaos.

Ce roi de l’écrit, misanthrope, aimant la nature et soucieux de ne pas
se laisser enfermer dans son palais de l’Escurial, instaura une
bureaucratie verticale et adopta un style autoritaire afin de réussir
le passage si difficile de la conquête à l’administration avec quelques
ratés dont le plus célèbre, celui de la défaite de l’Invincible Armada,
est relaté presque jour par jour.

La narration dépeint également Philippe II comme un politique où
malgré quelques postures idéologiques, le roi d’Espagne fut avant
tout guidé par une forme de cynisme. Il est ainsi paradoxal que ce
fut, pour cet « homme du passé » pour emprunter les mots d’un
ancien président de la République, sa seule modernité.

Par Laurent Pfaadt

Francis Dupau, Philippe II, l’apogée du Siècle d’or espagnol,
Chez Perrin, 480p.