Pianistes de légende

SokolovSokolov et Lisiecki font briller le répertoire romantique

Il faut dire que l’on attendait avec impatience son nouveau disque. Après le récital d’anthologie à Salzburg, Grigori Sokolov revient avec un nouveau disque consacré à Schubert, Beethoven, Rameau et Brahms. Celui qui ne donne plus que des récitals est à nouveau époustouflant. Les Impromptus de Schubert sont ainsi hors du temps, d’une beauté incroyable en particulier le 3e où le pianiste, comme à son habitude, explore toutes les nuances de l’œuvre. Le 4e impromptu ressemble quant à lui à un rêve dans lequel Sokolov nous entraîne avec son toucher unique.

Dans la sonate n°29 dite Hammerklavier de Beethoven, Sokolov est d’une facilité déconcertante.  L’adagio, joué avec délicatesse et profondeur, nous raconte une histoire et nous emporte dans notre propre vie. Le génie de Sokolov y transparaît à chaque note surtout dans ce final si redouté des pianistes. Aucun sentiment n’est assez fort pour décrire le sentiment que l’on ressent à l’écoute de  cette sonate. Avec son interprétation toute personnelle de Rameau où
Sokolov chevauche l’œuvre pour y délivrer une vision proprement stupéfiante et très séduisante. Il achève ainsi de convaincre l’auditeur qu’il n’est pas un pianiste comme les autres.

Si Sokolov a déjà acquis de son vivant le statut de légende, Jan Lisiecki, malgré son âge, ne devrait pas tarder à l’acquérir. Comme son brillant aîné, le pianiste canadien sort lui aussi un nouveau disque, consacré à Robert Schumann. Passage obligé de tous les grands solistes, le concerto de Schumann, composé en 1845, a connu une multitude de versions. Avec son premier mouvement qui déploie immédiatement le brio de l’œuvre, le concerto dévoile très vite les intentions du soliste. Jan Lisiecki ne tombe pas dans le piège de la fougue et malgré son âge, fait preuve d’une incroyable maturité musicale qui est souvent le signe des très grands solistes, d’autant plus que le concerto permet différentes variations. Le piano de Lisiecki se fait parfois murmure dans le premier mouvement lorsqu’il dialogue avec les vents puis devient une caresse dans le second. L’élégance du jeu de Lisiecki se coule parfaitement dans la souplesse rythmique de l’œuvre détonnant ainsi avec tous ces jeunes pianistes qui maltraitent souvent l’instrument.

Il faut dire que le soliste a trouvé un partenaire de choix en la personne d’Antonio Pappano, à la tête de l’orchestre de l’Académie nationale de Sainte-Cécile et chef du Royal Opera House par ailleurs. L’osmose entre le soliste et l’orchestre est excellente et atteint même des sommets dans l’autre pièce concertante de Schumann présente sur le disque, l’introduction et allegro appassionato. L’énergie que Pappano insuffle à l’orchestre est proprement contagieuse et pousse Jan Lisiecki à s’insérer dans un rythme et à danser avec l’orchestre, donnant ainsi toute sa brillance à cette pièce de
Schumann.

Même s’il n’égale pas les versions Lupu/Prévin et surtout celle, indépassable de Lipatti et Ansermet, cette belle version permettra de découvrir ce jeune pianiste appelé, à n’en point douter, à régner sur les sommets du piano.

Grigory Sokolov, Schubert & Beethoven, Deutsche Grammophon, 2015

Jan Lisiecki, Schumann, Orchestra dell’Accademia Nazionale di
Santa Cecilia, dir. Antonio Pappano, Deutsche Grammophon, 2015

Laurent Pfaadt