Qui a tué mon père

C’est un titre troublant, qui fait un peu peur ou qui du moins interroge : à quel genre appartiendra la pièce ? confession, accusation, roman policier ?

En fait, elle sera politique.

Tout à la fin une sorte de « j’accuse » fait jaillir avec force les noms  connus et célèbres, de certaines personnalités politiques, présidents, hommes d’état qui ont marqué la vie de notre société ces dernières années : Jacques Chirac et son ministre Xavier Bertrand préconisant le déremboursement de certains médicaments, Nicolas Sarkozy, vitupérant contre les « assistés », François Hollande, Myriam El Khomri, Manuel Vals et leur loi « Travail », Emmanuel Macron, pointant l’index sur les « fainéants ».

C’est un fils qui les accuse et on n’échappe pas à ce procureur impitoyable qui les a démasqués à travers ces mesures qu’ils ont prises sans le moindre égard pour ceux qui en sont les victimes.

Comme ce père, accidenté du travail, mis en demeure de reprendre  une activité qui achève de détruire son corps déjà  bien mal en point.

La pièce, mise en scène et interprétée par Stanislas Nordey, créée Au Théâtre de La Colline  à Paris  a connu un énorme succès avant de nous être présentée, ici au TNS. Rien d’étonnant à cela quand on découvre qu’elle tricote subtilement des faits concrets, ayant trait aux conditions de travail et de vie d’une famille ouvrière avec ce qu’il faut appeler des ressentis personnels qui s’appuient sur le regard d’un enfant, puis sur celui d’un adolescent et de l’adulte qu’il devient.

De plus, l’ouvrage « Qui a tué mon père », écrit par Edouard Louis, ce jeune auteur que nous avons  déjà rencontré avec son premier écrit « En finir avec Eddy Bellegueule » est ici porté en scène par Stanislas Nordey de façon très sensible. Il nous en offre une sorte de lecture-interprétation qui révèle de façon juste toute la complexité d’une relation père-fils.

C’est le fils qui parle, évoquant diverses anecdotes qui mettent en évidence certains traits de caractère  de ce père qui lui paraît, durant son enfance, être quelqu’un de mystérieux, hanté par la masculinité, cachant son goût pour la danse, sa sensibilité, qui a fait le choix de travailler en usine plutôt que d’étudier, qui aime rouler vite, dépenser de l’argent à la foire mais qui défend ses enfants  avec violence parfois et reste souvent mutique.

La prestation de Stanislas Nordey Sert le texte de façon remarquable, qu’il s’agisse d’arpenter le plateau, de donner un rythme à sa parole, entre silence et vitupération, d’enlever veste et sweat-shirt comme pour montrer que peu à peu on enlève ce qui nous protège pour révéler ce qui nous touche de plus près, d’aller vers le plus intime. Qu’il s’agisse d’approcher ces mannequins qui représentent le père, de tourner autour et à la fin  d’en saisir un dans ses bras et de le porter avec tendresse. Tout cela donne à cette mise en scène un grand élan de vérité humaine. Si les thématiques abordées font partie de ce que notre société a encore du mal à aborder, les voici mises en lumière, incarnées dans le vécu de l’auteur comme dans le jeu du comédien qui se les approprie et lui confère le statut de témoignage bouleversant.

C’était le 2 mai au TNS

Marie-Françoise Grislin