Regarde-moi

Reclus dans son appartement de banlieue, un homme, raciste et
bourré de médicaments, rumine sa haine et sa frustration. Dans
l’une des pièces de l’appartement, il voue un culte à sa sœur, Eva,
morte prématurément. Il vomit les immigrés et n’aspire qu’à une
chose : se débarrasser d’eux. De sa fenêtre, il observe ses voisins et
notamment une famille de narco-trafiquants paraguayens dont la
fille, Irina, semble animée de cette « même tristesse absente ».

Auteur remarqué des Oreilles du Loup, Antonio Ungar débute ce
thriller comme un film d’Hitchcock, comme une sorte de Fenêtre sur
cour. Tandis qu’il murit sa vengeance à l’encontre de ces étrangers
qui l’entourent, le narrateur observe Irina, prisonnière de sa famille
et se prend d’affection pour elle. Il n’a pas réussi à sauver sa sœur, il
sauvera Irina, l’extirpera de ses brutes de père et frères. Le transfert
est ainsi parfaitement construit par l’auteur.

Le narrateur s’enfonce alors dans une obsession et une paranoïa
sans retour possible. La violence et le sexe qui traversent toutes les
pages finissent par se répandre dans l’encre de l’auteur pour ne
former qu’une seule et même matière. Alors qu’il rencontre, séduit
et possède Irina, le lecteur hésite : le pouvoir rédempteur de l’amour
ne pourrait-il pas inverser le cours funeste du récit et sauver le
narrateur de sa folie meurtrière ? Mais ce dernier est descendu trop
profondément dans ces ténèbres qui le recouvrent. Et lecteur, ne
distinguant plus le vrai du faux, la réalité de la folie, tente de
s’extirper du piège littéraire tendu magnifiquement par Antonio
Ungar. Il y parviendra, au terme d’une scène finale d’une incroyable
violence, non sans séquelles littéraires…

Par Laurent Pfaadt

Antonio Ungar, Regarde-moi, Collection Notabilia,
Aux éditions Noir sur Blanc, 288 p.