#Rentrée littéraire essais

Le Brassard

Il fut l’un des hommes les plus adulés de France. Il devint l’un des plus haïs. Alexandre Villaplane, capitaine de l’équipe de France de football lors de la première coupe du monde en Uruguay (1930) devenu un officier nazi pourchassant les résistants a tout du personnage de roman, alliant gloire et infamie et passant des sommets aux ténèbres. C’est cette dérive criminelle et à vrai dire pathétique que nous relate Luc Briand, magistrat, dans ce livre passionnant de bout en bout.


Né en Algérie, Alexandre Villaplane devient très vite un petit prodige du ballon rond à une époque où le football, encore confiné dans les habitudes de l’amateurisme, avance lentement vers le professionnalisme. Il sera pour ce minot un ascenseur social. Villaplane est talentueux, invente des gestes techniques comme la tête plongeante. La moitié du livre est ainsi une belle photographie d’un sport à l’orée de sa métamorphose à travers l’un de ses plus illustres représentants français. La rivalité avec le voisin anglais, inventeur du sport, est magnifiée et les anecdotes cocasses pimentent un récit qui ne se contente pas d’aligner les résultats. En suivant son héros, le lecteur passe des pelouses uruguayennes au stade de Colombes, des vestiaires crasseux de province aux tribunes sétoises ou antiboises.

Des tribunes des stades de football à ceux des champs de courses et des matchs truqués aux coffres-forts des casinos, il n’y a qu’un pas que franchit aisément un Alexandre Villaplane qui, enivré par la célébrité et les femmes, glisse lentement dans les bas-fonds de cet entre-deux-guerres riche en escrocs et en voyous. Quelques fois, à travers son héros, l’auteur tend un miroir à notre époque et à son monde footballistique éclaboussé par d’autres affaires. Autre temps mais même dérives.

Puis vient la guerre. Et celle-ci est, c’est bien connu, un accélérateur de crimes. L’escroc devient délateur, le voyou criminel. Et les balles que manie Villaplane ne sont plus en cuir mais en métal. Elles ne visent plus les lucarnes mais les têtes, celles de ces résistants qu’il va pourchasser d’abord en compagnie du sinistre Lafont de la Gestapo française puis sous l’uniforme SS. Le récit de Briand quitte alors les méandres du football français pour entrer dans ceux, marécageux, de la collaboration. La clairière remplace la pelouse et le sang, la sueur. A la tête de cette nouvelle équipe, la brigade nord-africaine à la solde d’un Ttroisième Reich en déroute, Villaplane fait régner la terreur en Dordogne.

Arrêté lors de la libération de Paris, Alexandre Villaplane est fusillé avec ses compagnons de la rue Lauriston au fort de Montrouge, le 12 décembre 1944. Il rêvait de marquer l’Histoire de son empreinte. Celle-ci se chargea de lui adresser un carton rouge. Luc Briand nous permet ainsi, grâce à ce livre passionnant, d’en refaire le match.

Par Laurent Pfaadt

Luc Briand, Le Brassard, Alexandre Villaplane, capitaine des Bleus et officier nazi
Aux éditions Plein Jour, 271 p.