#Rentrée littéraire

Palimpseste

Voilà un livre qui fait froid dans le dos. L’auteur de Niels et d’Opus 77 (publiés chez Vivianne Hamy), revient en cette rentrée littéraire avec ce roman dystopique situé dans une France gouvernée par une présidente d’extrême droite – il ne le dit pas clairement mais tout le laisse à penser – qui a remodelé la mémoire collective à grands coups d’historiens révisionnistes et a anesthésié la population grâce à une société du divertissement et de la violence.


Les livres sont devenus dangereux et ont été consignés dans une Grande Bibliothèque auprès de laquelle doit être construit le Conservatoire de la mémoire. Autant dire les tours jumelles de cette prison de la connaissance. « Conçue comme un lieu de persistance de la mémoire, la Grande Bibliothèque, entre les mains expertes du pouvoir, est aujourd’hui l’ultime moyen de s’assurer que toute vérité demeure enfouie à jamais » écrit Alexis Ragougneau.

Dans cette société que ses bâtisseurs veulent contrôler se niche cependant un petit grain de sable nommé Simon Kaas. Ses parents, tel Janus, ont à la fois servi le régime et tenté de le combattre. Simon, lui, est devenu l’un des agents du régime, chargé de fabriquer une réalité alternative et de combattre toute vélléité de rébellion contre l’ordre établi en utilisant l’arme atomique de cette révolution technologique : les réseaux sociaux. Pourtant, en secret, Simon, qui a accès à tous les livres, n’est obsédé que par l’un d’entre eux : celui que son père, Serge Vartanian, a écrit sur le camp de Saliers, non loin d’Arles en Camargue où durant la seconde guerre mondiale, plusieurs centaines de nomades (Tziganes, Bohémiens, Gitans…) ont été internés. Celui avec lequel son père tenta de ressusciter une vérité bannie, oubliée et qu’il paya au prix fort.

Il y a indubitablement du Guy Montag de Fahrenheit 451 dans Simon Kaas. Tous les deux représentent ces petits rouages d’un système qu’ils vont gripper, ces porteurs de minuscules flammes de la vérité qui finissent par se transformer en brasier géant ravageant tout sur leur passage. Dans le même temps, cette Grande Bibliothèque, personnage monumental, inquiétant du livre donne à ce dernier un air de Nom de la Rose des 21-22 siècles avec cette connaissance inaccessible, ces personnages énigmatiques ou l’encre rouge de l’Aurora qui n’est pas sans rappeler le poison du vénérable Jorge.

Le style de l’auteur alternant passages dans le temps, points de vue alternatifs et assertions de définitions transforme le récit en voyage à travers le temps et les pages d’une encyclopédie. Sans s’en rendre compte, le lecteur reste prisonnier de cette bibliothèque, cet univers-monde qui se referme lentement sur lui. Et avec une légère touche d’anticipation, Alexis Ragougneau parvient à distiller ce qu’il faut d’angoisse sans verser dans la science-fiction.

Palimpseste résonne enfin avec force dans cette actualité russe où un historien, Iouri Dmitriev, a été condamné à plusieurs peines de prison pour des motifs fallacieux alors qu’il ressuscitait, à Sandormokh en Carélie, les fosses des crimes de la grande terreur soviétique. En refermant ce livre qui devrait, à coup sûr, marquer cette rentrée littéraire, on ne peut que se demander où se niche la dystopie tant ce qu’Alexis Ragougneau nous raconte paraît si proche…

Par Laurent Pfaadt

Alexis Ragougneau, Palimpseste,
Viviane Hamy Editions, 320 p.