Résistances de bureau

L’historienne Valérie Portheret
raconte l’incroyable sauvetage
des enfants juifs de Vénissieux

Le 18 avril 1942, le retour imposé
par l’Allemagne de Pierre Laval à la
tête du gouvernement français
accéléra la traque et l’arrestation
des juifs de France. Cette politique
dont le paroxysme fut atteint avec
la rafle du Vel d’Hiv des 16 et 17
juillet 1942 concerna la zone
occupée mais également la zone
libre. En Rhône-Alpes, les services
de police procédèrent ainsi à de nombreuses arrestations, en
particulier des juifs étrangers.

Alors qu’une rafle de ces derniers se prépare pour la fin d’août
1942, une poignée d’hommes et de femmes pétris d’humanisme
se font une promesse : sauver un maximum de monde et en
particulier les enfants, promesse adressée en guise de menace aux
collaborateurs de Vichy : « Vous n’aurez pas les enfants ». Hommes
d’église, catholiques – notamment l’abbé Glasberg, juif converti et
polyglotte et le jésuite Pierre Chaillet sous l’autorité du primat
des Gaules, le cardinal Gerlier – et protestants regroupés dans
l’association interconfessionnelle de l’Amitié chrétienne, femmes
intrépides telles la jeune Lili Tager ou la secrétaire générale de la
Cimade, Madeleine Barot, médecins complaisants et espions
infiltrés au sein de l’appareil d’Etat comme Gilbert Lesage, chef du
service social des étrangers de Vichy, vont alors s’activer.

L’écho de cette promesse, de ces cris d’espoir ont traversé, tel un
souffle puissant, tout le vingtième siècle avant d’entrer, voilà près
de vingt-cinq ans, dans l’oreille d’une jeune étudiante en histoire,
Valérie Portheret après sa rencontre avec Serge Klarsfled qui
signe, en compagnie de Boris Cyrulnik, cet autre enfant juif tiré
des griffes de l’Holocauste, les préfaces de l’ouvrage. La quête
qu’elle mena durant toutes ces années pour retrouver ces enfants
et qui l’amena au-delà de la simple recherche historique « sans
savoir que cette histoire absorberait une grande partie de ma vie »

aboutit à une thèse et à ce livre magnifique.

Retraçant le parcours de quelques-uns de ces enfants dont la
magnifique Rachel, cette jeune fille au violon dont la ressemblance
avec Anne Frank est proprement troublante, et de leurs parents
qu’il fallut convaincre d’abandonner leur autorité parentale,
Valérie Portheret signe un livre qui se lit comme un thriller.
Pendant ces quatre jours – du 26 au 29 août 1942 – ceux que
l’auteur appelle « les sauveteurs », ces conspirateurs de
l’humanité, vont œuvrer à coup de procédures administratives –
cette résistance de bureau – de kidnappings ou d’arnaques en tout
genre, pour extirper ces enfants des trains de la mort. Dans le
huis-clos du camp de Vénissieux où ont été internés plus de mille
juifs, Valérie Portheret tend son récit lorsqu’il s’agit de sauver tel
enfant, sortir tel autre du camp, mettre tel autre dans le car qui
doit l’emmener dans ces familles d’accueil complices. Encore un,
puis un autre avant que les sbires de Vichy ne viennent siffler la fin
de la partie en envoyant les parents vers leur funeste destination
et en ordonnant la traque de ces enfants évadés. Au final, ces
hommes et ces femmes de bien sauvèrent 108 enfants que
l’auteur rencontra en grande majorité et dont les souvenirs
tissèrent la toile de fond de ce livre poignant.

A la lecture de cet ouvrage palpitant, on ne peut que souligner
l’incroyable travail de l’historienne qui a fait de cette quête
incroyable un livre admirable qui ne doit pas tomber dans l’oubli
mais bien au contraire, offrir aux jeunes générations, matière à
s’interroger sur ce devoir de solidarité aujourd’hui méprisé. Que
cette promesse littéraire devienne une promesse éthique.

Par Laurent Pfaadt

Valérie Portheret, Vous n’aurez pas les enfants,
XO Editions, 234 p.