Rien que pour ses yeux

Arturo Perez-Reverte
©XL Semanal

Le célèbre auteur du
capitaine Alatriste
signe le début d’une
nouvelle saga dans
l’Espagne de la
guerre civile.

Mondialement connu
pour sa célèbre saga
du capitaine Alatriste
ou ses romans ayant
pour décors l’Espagne napoléonienne ou la France des Lumières,
Arturo Perez-Reverte signe avec ce nouveau roman, le début d’une
nouvelle aventure dans la guerre civile espagnole et surtout la
naissance de son nouvel héros, Lorenzo Falcó, espion au service de
cette faction franquiste décidée à prendre le pouvoir dans le sillage
du général Franco, de son frère Nicolas et de l’Amiral, protecteur de
Falcó et nouvel épigone du George Smiley de John le Carré.

La guerre civile a remplacé la campagne des Flandres, le Browning
FN la rapière mais à bien des égards, Falcó ressemble à Alatriste :
pas d’idéologie particulière, réalisme assumé, mépris des puissants
dont ils sont souvent les jouets, affection des plus humbles et goût
des femmes. La mission de Lorenzo Falcó devait être simple :
coordonner l’équipe chargée de libérer José Antonio Primo de
Rivera, fils du fondateur de la Phalange, cette milice d’extrême
droite alliée à Franco, de sa prison d’Alicante. Mais si cette tâche
était aussi simple, on ne serait pas dans un roman de Perez-Reverte.

Si l’auteur a repris la recette littéraire qui a fait sa gloire – un sens
incomparable du rythme transformant son roman en page-turner
combiné au subtil jeu de l’auteur avec l’histoire – celle-ci n’en
demeure pas moins efficace. Dans cette Espagne où gravite
militaires, assassins et espions en tout genre, Arturo Perez-Reverte
décrit parfaitement ces deux Espagne – franquiste et républicaine –
qui s’affrontent sur les champs de bataille et en dehors. Avec son
atmosphère qu’il a voulue comme un film noir des années 1940 avec
chapeaux mous, gabardines et hôtels en forme de nids d’espions,
Perez-Reverte touche juste et plonge immédiatement le lecteur
dans ces temps troublés et incertains où l’Espagne devint le terrain
de jeu d’une Europe prête à s’embraser. De plus, il fallait du cran
pour choisir un héros à la solde des franquistes dans cette Espagne
encore en proie à ses vieux démons. Finalement Alatriste a peut-
être servi de caution littéraire à l’auteur pour créer Falcó,
personnage qui s’est glissé dans les interstices de cette période
historique voulue dichotomique, pour montrer qu’il y eut aussi des
hommes comme lui ou l’Amiral qui se situèrent à mi-chemin entre les
deux camps et dont les choix furent dictés non pas en fonction
d’idéaux mais selon les circonstances.

Perez-Reverte assume cette audace grâce à des personnages
toujours aussi bien construits. Ils sont à mi-chemin entre le bien et le
mal avec ce qu’il faut comme once d’humanité, notamment chez son
héros Falcó, salaud magnifique devenu le pion d’un échiquier trop
grand pour lui, les rendant ainsi attachants. Et puis il y a la
magnifique Eva Rengel, à la beauté froide et troublante dont
l’androgynéité psychologique très réussie en fait le double parfait
d’un Falcó séduit.

Falcó constitue le premier épisode de cette nouvelle saga qui
connait déjà en Espagne un incroyable succès et dont le prochain
épisode devrait se dérouler à Paris où notre héros rencontrera à
nouveau Eva et un certain…Picasso. De belles aventures en
perspective donc.

Par Laurent Pfaadt

Arturo Perez-Reverte, Falcó,
Chez Seuil, 304 p.