Rodin, ce monument

A l’occasion du
centenaire de sa
mort, une
exposition et un
ouvrage
magnifiques
reviennent sur
cette figure
majeure de la
sculpture.

Il n’appartient plus à la France mais à l’humanité. Auguste Rodin
est depuis longtemps devenu plus qu’un sculpteur, un véritable
mythe qui transcende les frontières, qu’elles soient artistiques ou
territoriales. A l’instar d’un Leonard de Vinci, d’un Michel-Ange
ou d’un Picasso, il a définitivement rejoint les génies immortels de
l’art. On ne compte plus les films, les expositions et les livres qui
reviennent sur cet sculpteur hors du commun qui a influencé tant
d’artistes. Mais s’il en est un qu’il faut avoir, c’est assurément le
livre du centenaire, catalogue raisonné de l’exposition qui se tient
en ce moment au Grand Palais.

Les plus grands spécialistes ainsi que de nombreux artistes qui
apportent des témoignages parfois fort éclairants ont été réunis
dans cet ouvrage découpé astucieusement en grandes
thématiques ce qui permet d’appréhender avec beaucoup de
facilité la complexité de l’oeuvre. Car ce qui frappe
immédiatement à la lecture de l’ouvrage, c’est le caractère
inclassable de l’artiste. « Rodin s’accommode mal des classements en
raison du caractère protéiforme de son oeuvre, ainsi que de ses modes
d’expressions et de sa constante capacité à réinventer la sculpture »

écrivent ainsi les commissaires de l’exposition, Catherine
Chevillot et Antoinette Le Normand-Romain. Son oeuvre
emprunte à des univers différents et en même temps – c’est
d’ailleurs ce qui constitua sa grande force – elle est en perpétuelle
évolution, allant au-delà de son temps, rompant avec les canons
établis (il brisa ainsi les codes du torse en vigueur depuis
l’Antiquité), et n’hésitant pas à évoluer à contre-courant, comme
par exemple dans l’utilisation que fait le sculpture du Baiser du
plâtre qui lui permet de capter si bien la lumière.

Tout en expliquant la carrière et la technique du sculpteur,
l’ouvrage offre de judicieuses respirations sous la forme de focus
permettant de digérer la somme d’informations délivrées. Celui
sur la Porte de l’Enfer est particulièrement instructif puisque la
sculpture est qualifiée à juste titre titre par François Blanchetière,
conservateur du patrimoine, de matrice de l’oeuvre de Rodin. Un
peu plus loin, l’Eve et Dos de Matisse traduit l’incroyable influence
qu’exerça Rodin sur les jeunes sculpteurs de son temps. On pense
immédiatement à Camille Claudel dont la relation au maître
constitua la traduction contemporaine du mythe de Pygmalion.
Rodin influença également d’autres grands peintres et sculpteurs
comme Picasso, Giacometti, Moore et même de Kooning dans son
rapport si généreux à la féminité. Si bien que le peintre Markus
Lupertz apportant son précieux témoignage et dont l’héritage
rodinien n’est plus à démontrer, estime qu’« il est la mesure de
toutes les choses et chaque sculpture d’aujourd’hui s’y mesure »
.

Aussi inconcevable que celui puisse paraître aujourd’hui, Rodin ne
fut pas prophète en son pays. Reconnu internationalement, il dut
cependant attendre les dix dernières années de sa vie pour
connaître cette gloire hexagonale qui se refusait à lui. Après sa
mort, son oeuvre passa par un purgatoire d’un demi-siècle (on
peine à imaginer qu’on pouvait trouver des moulages dans des
bennes à ordures !) avant d’être redécouverte notamment au
Japon et aux Etats-Unis. Le MOMA lui consacra ainsi une
importante exposition en 1963. A partir de cette date, le
sculpteur de la porte des Enfers avait définitivement rejoint le
Paradis.

Rodin, le livre du centenaire,
sous la direction de Catherine Chevillot et
Antoinette Le Normand-Romain,
éditions Réunion des musées nationaux-Grand Palais, 2017

Rodin, l’exposition du centenaire,
Musée Rodin, Grand Palais
jusqu’au 31 juillet 2017

Laurent Pfaadt