Saison 2014-2015 de l’OPS

Stanislaw SkrowaczewskiCette fin d’hiver 2015 fut l’occasion de deux moments musicaux majeurs : d’une part, la venue du chef d’orchestre Stanislaw Skrowaczewski, sans doute l’actuel vétéran de sa profession, et d’autre part, le récital de l’encore jeune pianiste Cédric Tiberghien pour son troisième et avant-dernier concert de sa résidence strasbourgeoise.

Effet des vacances, conjugué à celui de l’épidémie de grippe? Toujours est-il que, compte tenu du programme,  non seulement fort bien conçu mais donné un soir seulement, et sans même parler de la personnalité de l’interprète, on aurait imaginé salle comble, ce qui fut loin d’être le cas. Ce nonobstant, le public présent aura gratifié Skrowaczewski et les musiciens de l’Orchestre symphonique de Bâle de très chaleureuses et méritées ovations. Dès les premiers accords de la belle et trop rarement jouée 34ème symphonie en ut majeur de Mozart, on reconnait de suite la vitalité mordante qu’en dépit de ses 92 ans, ce chef insuffle toujours à la musique. Il faut toutefois quelques minutes pour s’habituer à la nervosité un peu verte, quoi que vite prenante, de l’orchestre bâlois d’autant plus que maitre Skrowaczevski, dont on connait bien les nombreux disques, n’est pas chef à raboter le son et à arrondir les angles de la musique. Cette symphonie de Mozart, jouée pour le reste de façon plutôt traditionnelle avec un effectif d’une quarantaine de musiciens sur instrumentarium moderne, s’en trouve somme toute fort bien, avec un final d’une énergie très communicative.

Après l’entracte, l’orchestre s’élargit jusqu’à 80 musiciens, ce qui, pour une oeuvre comme la quatrième symphonie de Bruckner, n’a rien de pléthorique. L’exécution, fort correcte, du premier mouvement n’appelle pas de remarques particulières sinon que l’on y constate que Skrovaczewski n’a rien perdu dans l’art d’éclairer de l’intérieur les grandes masses orchestrales et d’y faire entendre toutes les lignes instrumentales. On se réjouit aussi que le chef ait opté pour la version Haas de la partition, la meilleure nous semble-t-il, rien que dans son emploi des percussions. Toujours est-il que, dès le second mouvement, s’installe une atmosphère narrative d’une intensité extraordinaire qui place cette musique dans la filiation du dernier Schubert ; climat à peine interrompu par le scherzo, très bien joué au demeurant mais qui reste le moment le plus anecdotique de cette grande oeuvre. Dans un esprit plus proche d’un Jochum que d’un Celibidache — pour prendre deux grandes références d’interprètes brucknériens –, Skrowaczewski installe le magnifique dernier mouvement dans une tension et une urgence extrêmes, mais assorties d’un cantabile constant et soutenues  par un orchestre qui s’enflamme littéralement dans la coda, laissant l’auditoire dans un silence admiratif avant que les applaudissements n’éclatent.

Une dizaine de jours plus tard, Cédric Tiberghien donnait, en l’auditorium de la cité de la musique, un récital bien médité dans sa composition et présenté avec éloquence par le pianiste lui-même. La première partie du programme nous fit passer de la tonalité de si mineur — celle de l’adagio K.540 de Mozart — à celle de si majeur — avec la sonate du jeune Schubert D.575 ; en conclusion de cette première partie, la sonate opus 1 d’Alban Berg, écrite dans une atmosphère brahmsienne et d’un seul mouvement, classique dans sa forme mais animé par un désir encore inassouvi de sortir d’un système de tonalité qui, dans ses années 1910, n’apparaissait plus nécessairement comme un monde nouveau et riche de promesses encore irréalisées mais telle une contrainte limitant le champ du possible : mouvement de remise en question qui donnera naissance à la musique dite atonale laquelle, entre autres effets, entérinera le divorce entre la musique savante et une musique populaire bientôt accaparée par l’industrie culturelle.

Quoi qu’il en soit, la seconde partie du programme demeure dans la musique la plus tonale qui soit, mais avec un passage de la note si à la note do dans deux très grandes oeuvres de la littérature pianistique : la sonate en ut mineur K.457 de Mozart et celle en ut majeur op.53 de Beethoven dite Waldstein ou encore Aurore, ce que son dernier mouvement peut en effet justifier. Pour demeurer dans l’ut majeur et rendre hommage à l’un des chefs d’oeuvre d’exploration du monde  tonal, le pianiste offre en bis le premier prélude du Clavier bien tempéré de J.S. Bach.

Parfait dans Schubert et dans Berg, voire exceptionnel pour son mélange de rigueur, de concentration et de libre inspiration dans Bach et Mozart, même pour nos oreilles  habituées au clavecin ou au pianoforte, Cédric Tiberghien nous a moins convaincu dans une Waldstein, impressionnante de virtuosité certes, mais manquant un peu de respiration. Infime réserve au demeurant pour ce concert, par ailleurs, très prenant.

Michel Le Gris