Soupirs et tremblements

Berlioz et Elgar étaient à l’honneur d’un magnifique concert de
l’orchestre philharmonique de Radio France sous la conduite du chef John Eliot Gardiner

© Christophe Abramowitz / Radio France

Il est de ces concerts qu’il fallait voir, un spectacle alliant un grand
chef, un incroyable soliste et un orchestre virevoltant. Certes, avec
une affiche réunissant John Eliot Gardiner, Antoine Tamestit et
Berlioz, le critique ne prenait pas de risques démesurés. Mais de là à
s’attendre à un tel spectacle !

Dès les premières notes, le ton fut donné par le chef. Ce Harold en
Italie était voué à traverser un sabbat dans cette symphonie pour
alto transformée en épopée fantastique. Cherchant son chemin dans
ces vallées italiennes comme dans cet orchestre qu’il arpenta,
l’Harold de Byron trouva en Antoine Tamestit, un interprète à la
mesure du lyrisme et de la poésie émanant des notes commandées à
un Hector Berlioz par un Paganini au seuil de sa mort. En lointain
successeur du génie italien, l’altiste français donna ainsi la pleine
mesure de son jeu si émouvant. Garçon timide avec la harpe, il
devint le soupirant d’un soir avec ces bois transcendés dans cette
sérénade du troisième mouvement qui ne porta jamais aussi bien
son nom grâce aux merveilleux piccolo et hautbois.  

Au sommet de cette avalanche de couleurs descendant des
Abruzzes avec des cuivres brillants comme des ruisseaux
translucides qu’il déclencha, se tenait un roi, à la fois pâtre et Pan.
Une fois de plus, John Eliot Gardiner nous montra que depuis
Charles Munch, jamais on n’avait dirigé le grand Berlioz de si belle
manière. Sa conduite alerte, bondissante, fit littéralement trembler
d’émotions, un public ensorcelé par l’alto de Tamestit lorsque dans le
dernier mouvement, isolant le quatuor et levant les musiciens,
Gardiner nous offrit un final éblouissant.

Parvenu dans la plaine, l’orchestre et son chef reprirent leurs
souffles divins et, se débarrassant peut-être à contre-cœur de leurs
oripeaux berlioziens, ils plongèrent dans la pompe d’un Elgar
envoûté lui-aussi par la Riviera italienne. Avec Alassio (In the South) et
surtout Sospiri, sorte de parenthèse enchantée canalisant un lyrisme
parfois exagéré, l’orchestre philharmonique de Radio France, son
chef et un soliste d’exception ont été, ce soir-là, sur le toit du monde
qui ressemblait, à n’en point douter, à un Olympe musical.

Par Laurent Pfaadt