Sous la direction de John Nelson

Les mercredi 13 et jeudi 14 octobre, le public de l’OPS retrouvait
un chef fort apprécié à Strasbourg, l’américain John Nelson, pour
un concert entièrement consacré à Berlioz, dont il est l’un des
grands interprètes actuels. Il accompagnait le ténor Michael
Spyres, bien connu également dans notre ville, et le très jeune
altiste Timothy Ridout dont c’était la première collaboration avec l’orchestre.

Damnation Faust
© Gregory_Massat

Après une ouverture de Béatrice et Bénédict laissant entendre un
orchestre bien sonnant, le cycle de mélodies pour ténor et orchestre
composé sur six poèmes de Théophile Gauthier et intitulé Les Nuits
d’été faisait résonner dans la salle Érasme la voix veloutée et
puissante du bariténor Michael Spyres. L’étendue de son spectre
vocal, offrant des aigus de haute volée et un grave de belle tenue,
convient particulièrement à cette partition qui exige beaucoup du
chanteur. Ces dernières années, Michael Spyres s’est fait connaître à
Strasbourg lors des soirées et des enregistrements, mondialement
salués, des Troyens et de La Damnation de Faust, sous la direction du
même John Nelson à la tête d’un OPS des grands soirs. Son
appropriation musicale du personnage de Faust et la qualité de sa
diction avaient été particulièrement remarquées. Le soir du 14
octobre,  ténor et  chef s’accordent dans une belle prestation suave
et chantante du cycle des Nuits d’été. Dans le contexte d’un
enregistrement et d’une prochaine publication discographique chez
Warner, les protagonistes auront probablement encore travaillé
l’atmosphère musicale et la diction du texte, durant les séances de
retouche effectuées les deux jours suivants.

Avec Harold en Italie, symphonie pour grand orchestre et alto
principal, on quitte l’atmosphère chambriste pour une formation 
plus large. Même si les musiciens jouent maintenant sans masques,
la situation sanitaire limite encore le nombre de pupitres sur scène
nous privant ainsi, deux semaines plus tôt, de la seconde symphonie
de Mahler sous la direction de Claus Peter Flor. Dans Harold, on
commence quand même à retrouver un quatuor à cordes consistant,
du type 14  – 12 – 10  – 8 – 6. Il faut, en revanche, se réjouir du
maintien sur estrades des cuivres et percussions, qui apporte
beaucoup de douceur et d’aération à la sonorité globale de
l’orchestre sonnant très beau, comme lors du premier concert de
Shokhakimov  au mois de septembre, quoi qu’on ait pu lire ça ou là.

Avec Nelson et le jeune altiste londonien  Timothy Ridout, la partie montagnes, est une des plus belles qui se puisse concevoir, prenante,
colorée (jeu de l’altiste et celui des bois et cuivres !) et
magnifiquement chantante. Les soulèvements orchestraux qui
suivent, peu faciles à négocier, bénéficient d’une bonne mise en
place. Le caractère processionnel de la Marche des pèlerins, titre du
second mouvement, est bien restitué, avec une fois encore un jeu
d’alto qui force l’admiration. Dans le troisième mouvement, La
sérénade d’un montagnard des Abruzzes à sa maîtresse, Nelson adopte
un ton tour à tour endiablé et élégiaque, particulièrement
enthousiasmant. Privilégiant la profondeur du chant, son
tempérament ne le pousse évidemment pas du côté de la démesure
et de l’explosion sonore dans l’épisode final, l’Orgie des brigands, qui
n’en sonne pas moins de façon idiomatique, avec une couleur
générale bien berliozienne.

John Nelson a entrepris un enregistrement intégral de l’œuvre de
Berlioz, d’abord chez Erato et Virgin, aujourd’hui chez Warner.
Commencé il y a vingt ans à Paris avec Benvenuto Cellini et le Te
Deum, il s’est poursuivi à Strasbourg, sous forme d’enregistrement
de concert, avec Les Troyens et La Damnation de Faust, en même
temps qu’à Londres pour le Requiem. Interrompu entre temps pour
les raisons que l’on sait, il a donc repris ici même cet automne et
continuera en juin prochain avec Roméo et Juliette. Bien que d’origine
américaine, Nelson inscrit sa passion pour Berlioz dans la suite de
celle de grands chefs anglais du passé récent ou lointain (Colin Davis,
Thomas Beecham) ou contemporain (John Eliott Gardiner). Au plan
du style, c’est de celui de Gardiner que se rapproche le lyrisme et
l’éloquente clarté de Nelson plus que de la froide et un peu
mécanique précision de Colin Davis. Au demeurant, Nelson joue
avec un orchestre moderne quand Gardiner use d’instruments
d’époque, de sonorité plus perçante. Il n’empêche que l’un et l’autre emploient avec bonheur exactement le même effectif orchestral
dans Harold en Italie.

Michel Le Gris