Souvenirs d’une occupation

© Deutsches literaturarchiv Marbach
© Deutsches literaturarchiv Marbach

L’occupation allemande racontée
par les soldats allemands

Le 10 mai 1940, la Wehrmacht
envahit la France. En un peu moins
de cinq semaines, les troupes du
Troisième Reich écrasent les
armées françaises dans ce qu’il
convient d’appeler aujourd’hui la
bataille de France. Le 14 juin, Paris
tombe. Le 22 juin, le maréchal
Pétain, nouveau chef du
gouvernement, signe l’armistice et
ouvre l’époque du gouvernement
Vichy. Pendant plus de quatre ans,
la France fut divisée entre une zone occupée au nord et une zone
libre au sud, qui fut elle-aussi occupée à partir de novembre 1942.
Des milliers de soldats allemands stationnent alors dans l’hexagone
tandis que les résistances intérieure et de Londres s’organisent.

De nombreux ouvrages ont relaté cette période tragique de notre
histoire y compris du point de vue allemand. Mais il demeure encore
quelques petits trésors épistolaires dénichés dans les archives
fédérales et locales allemandes qui permettent d’apprécier ce que
fut le quotidien des troupes d’occupation pendant ces quatre
années. L’ouvrage d’Aurélie Luneau, Jeanne Guérou et Stefan
Martens n’est cependant pas un livre de plus mais plutôt un album
illustré avec ses lettres magnifiques, pathétiques ou tragiques, ses
photos-souvenirs ou ses croquis. D’une lecture très plaisante, il
entre dans l’intimité de ces hommes, intellectuels, agriculteurs ou
employés, officiers ou simples soldats plongés dans ce conflit.
Durant quatre longues années, le lecteur mesure leur patriotisme,
leurs doutes mais également leur vision d’une France et d’une
guerre qui allaient les changer irrémédiablement. Ils y
rencontreront les joies de la vie française, quelques fois l’amour
mais également le dégoût et pour certains d’entre eux, la mort.

A leur arrivée en 1940, ils sont les héros du triomphe nazi en Europe
et les hérauts de cette nouvelle Europe vantée par le Führer. « Le
coeur de la France est entre nos mains ! Fantastique ! »
écrit ainsi
Arnold Binder, le 14 juin 1940. Jusqu’en 1943, la Wehrmacht vole
de victoires en victoires. Mais à partir de Stalingrad, l’espoir s’étiole
lentement même s’il demeure chez eux un nationalisme marqué par
la propagande. « Non, l’Allemagne ne mourra jamais, même si nous
perdons la guerre »
avoue Heinrich Böll, futur prix Nobel de
littérature, le 29 janvier 1943. Il y a également les rumeurs de
quelque chose d’horrible à l’Est mais les hommes ne disent rien,
certainement en raison de la censure qui surveille les courriers mais
autorise les photographies qui permettent aujourd’hui de mettre
des images sur leurs mots. Seul l’auteur d’Orages d’acier, Ernst
Jünger, critique à l’égard d’Hitler depuis 1933, ose manifester
ouvertement son dégoût concernant le traitement des juifs : « c’est
ainsi que je me suis senti immédiatement gêné de me trouver en
uniforme»
(7 juin 1942) dit-il en voyant des juifs parisiens porter
l’étoile jaune.

L’ouvrage montre également la perception qu’ils ont de Paris et de la
France. On est bien loin des nazis se vautrant dans la luxure
parisienne. Paris est tantôt la ville des arts, tantôt celle de la
débauche. Arrive bientôt la défaite, d’abord à Paris puis à Berlin. Les
uns rencontrèrent leur destin funeste sur le front russe, les autres
reprirent leur vie d’avant après un passage par un camp de
prisonnier.

Reste alors ces histoires singulières vécues par des hommes
ordinaires engagés dans cette guerre. Ces lettres laissent
également entrevoir ces histoires d’amour qui naquirent durant
cette époque de haine de l’autre et qui restent encore aujourd’hui
taboues. A la lecture de l’histoire de Christiane et de Fritz, cette
passion entre cette jeune Française et ce soldat allemand, on
imagine les retrouvailles à venir après le chaos. La lettre de Fritz est
datée du 29 août 1944, soit trois jours après le défilé du général de
Gaulle sur les Champs-Elysées. Mais l’ouvrage ne dit pas si les deux
amants se retrouvèrent comme pour nous signifier que cette lettre
est déjà passée de l’histoire à la littérature.

Laurent Pfaadt

Aurélie Luneau, Jeanne Guérout, Stefan Martens
Comme un Allemand en France,
lettres inédites sous l’occupation, 1940-1944
,
L’Iconoclaste, 2016