sur un plateau ardent

Love Cycle, Chapter 3: The Brutal Journey of the Heart

Trois femmes, trois hommes, des justaucorps chair décorés d’un
graphisme évoquant un délicat tatouage avec un gros cœur rouge
incendiant la poitrine (Maria Grazia Chiuri). Une musique de club
(Ori Lichtik), une grande partie des rencontres amoureuses se
faisant là. Une lumière sourde (Alon Cohen) qui sculpte ces corps
pâles, les bascule d’une atmosphère à l’autre.

© Stefan Dotter pour Dior

Des corps en tension enfiévrée, en déséquilibre – l’amour est si
fragile –, se déplacent sur des demi-pointes. Des codes s’expriment
dans la mécanique rythmée des rituels amoureux – celle des
conventions –, avec accroche, accord, désaccord transcendés,
amplifiés, détournés par le geste et, toujours, le frémissement, la
vibration du singulier. Chaque danseur affleure du groupe, creuse sa
marque avec ses manières de faune, un tic compulsif, son
tremblement du chef, des caresses d’autoérotisme… Des corps
privés de paroles, de ces mots qui masquent et tempèrent les élans.
Ici l’absence de l’autre est criante, le corps devient appel, quête et
trouve rarement ou si fugacement. Il s’éploie sur l’organisme – ce « il
faut bien que le corps exulte » de Brel – et s’offre des instants de grâce
où les êtres s’éprouvent, se frôlent, se joignent. Instants fragiles,
volés à la meute qui réingère bien vite ces individualités : prolonger
l’intime serait trahison.

Une grâce scandée, chahutée, barbare par moments, en radieuse
suspension plus rarement : l’amour est denrée rare comme les « pas
de deux ».

Chez Sharon Eyal et Gai Behar, les corps deviennent le cœur battant
d’une cartographie qui enfle et se contracte sur un plateau ardent
qui les éloigne, les rapproche en un entêtant ostinato. Un changement de lumière bouscule et relance la scansion d’une
violence contenue tel le flux, le reflux de ce corps collectif : une
meute silencieuse armée de son souffle, de ses membres, de ses
têtes, de son sang, de son énergie et qui dévore les individualités
pour exister. À la fin : rideau. Et un regret : que ça s’arrête !

La petite salle de la Filature magnifie cette explosive proximité des
danseurs et du public. Standing ovation ce soir-là et même
enthousiasme l’avant-veille pour Love Chapter 2 à en croire Benoît
André, directeur de la maison.

Par Luc Maechel

Clyde Emmanuel Archer, Darren Devaney, Guido Dutilh,
Alice Godfrey, Rebecca Hytting, Keren Lurie Pardes
Cie L-E-V
La Filature, Mulhouse
représentation du vendredi 1
er octobre à 20 h