Grand Palais

Quoi de plus douloureux que de ne pas se sentir aimé, de perdre l’estime de soi et de ne pas savoir l’exprimer à celui qui prétend vous aimer.


La pièce « Grand Palais » écrite à deux mains par Julien Gaillard et Frédéric Vossier à l’initiative ce  dernier nous parle de cela dans une forme simple et originale.

Grand palais, un titre, un lieu, un emblème, celui du luxe, de la notoriété, de la classe, palais et royauté étant liés naturellement. Alors quid de ceux qui ne s’y sentent pas chez eux.

La pièce nous place devant ce problème de la différence, de cet abîme qui séparent deux hommes, par ailleurs unis dans une relation amoureuse née dans le contexte du travail d’artiste.

D’un côté, il s’agit du grand peintre anglais Francis Bacon à qui est réservée une rétrospective de ses œuvres au Grand Palais en 1971, de l’autre de George Dyer, son modèle, son amant qui l’attend dans leur chambre d’hôtel où il se sent esseulé, abandonné, conscient de sa condition d’homme peu instruit qui a du mal à exprimer ce qu’il ressent. Ce vide abyssal le pousse au suicide.

La mise en scène très élaborée de Pascal Kirsch met en évidence cette séparation. A l’avant-scène sur un chemin scintillant de petites pierres rouges, brillantes et crissantes sous les pas, déambule l’artiste qui vient d’apprendre le suicide de son amant. Garder sa dignité, ne pas pleurer sont les consignes qu’il se donne, ainsi poursuit-il son va et vient méditatif à la veille du vernissage de son exposition au Grand Palais. Des images le hantent, celles d’œuvres qui l’ont inspiré et que, très astucieusement, le metteur en scène fera apparaître en vidéo parfois flouté, parfois en très gros plan sur les parois de la scène (vidéo Thomas Guiral, lumière Nicolas Ameil)

Au second plan et dans l’ombre d’abord va apparaître la silhouette longiligne de George Dyer qui a été invité par Francis à l’accompagner à Paris. Sa solitude lui pèse, il erre dans sa chambre juste vêtu de sa robe de chambre, manifestement désemparé il attend le retour de Francis.

Chacun est dans son monde. L’un dans l’artistique, l’autre dans l’affectif. Cependant une certaine interpénétration se manifeste. Malgré l’intervention récurrente d’un personnage extérieur, le Sybillin, qui vient rappeler au peintre qu’il est l’heure d’y aller (on suppose de se rendre au vernissage) celui-ci exprime  la prémonition qu’il a eue du suicide de George  et ne cesse de revenir sur la lente montée de l’escalier à effectuer marche après marche  pour arriver à leur chambre. On le devine de plus en plus ému, malgré tout retenant ses larmes.

Quant à George, avant de passer à l’acte fatal il manifestera et de manière plutôt violente, par des gesticulations et des proférations sa désolation et sa rancœur vis-à-vis de ce maître qui ne  le considère plus , criant « je ne suis pas un chien » avant qu’on le retrouve effondré, mort sur les toilettes.

Deux univers dissemblables que ni l’art, ni l’amour n’ont réussi à réunir et cela pose évidemment le problème de la différence des classes sociales auquel nous sommes forcément sensibles.

Les comédiens, Arthur Nauzyciel et Vincent Dissez interprètent les rôles  de Francis Bacon et George Dyer avec une vraie sensibilité et une grande justesse accompagnés par la musique en live de Richard Comte  et la présence discrète de Guillaume Costanza  qui fait Sybillin. 

Ecrire et mettre en scène  un drame humain qui a réellement eut lieu est un défi  que les auteurs, le metteur en scène et les comédiens ont relevé avec brio.

Marie-Françoise Grislin

Représentation du 10 mars au TNS

En salle jusqu’au 16 mars