Temps courbe à Krems

A l’instar d’un Hermann Hesse, Claudio Magris, figure majeure des lettres italiennes, s’aventure, à plus de 80 ans, sur le terrain instable de la vieillesse. Avec ces cinq nouvelles, il pose un regard plein de sagesse sur cette altération du temps et de l’âge et sur la perception que nous en avons. « Toute la vieillesse, du reste, se résume à cela : avancer pour reculer, s’engager en territoire inconnu pour se soustraire à la réalité qui presse de toutes parts, anguleuse et envahissante » écrit-il. Il y a dans ses mots cette enfance qui nous structure tous et redevient prépondérante en avançant dans l’âge, ces êtres chers que nous perdons au fur et à mesure, ce qu’il appelle les « éraflures sur la réalité », la futilité grandissante des choses y compris de l’argent, et cette lassitude des habitudes à laquelle on se résout tous car, comme le dirait l’écrivain portugais Antonio Lobo Antunes, il s’agit de l’ordre naturel des choses.

Le temps passe et jamais la qualité de la prose de Claudio Magris ne s’altère. Bien au contraire. Comme un métal poli et devenu courbe au contact de sa forge littéraire, son œuvre serpente, tel ce Danube qu’il magnifia, dans cette merveilleuse Mitteleuropa, de Trieste, berceau littéraire de l’auteur à la Pologne en passant par la Moravie ou la Moldavie, et emprunte les voix d’Italo Svevo ou de Luchino Visconti pour traverser les vicissitudes de l’histoire qui constellent telles des étoiles noires ou brillantes, l’ensemble de son monde. De la beauté à l’état pur.

Par Laurent Pfaadt

Claudio Magris, Temps courbe à Krems, traduit de l’italien par Jean et Marie-Noëlle Pastureau
Coll. L’arpenteur, Gallimard, 128 p.