Treize jours

Plongée dans la crise de Cuba avec le livre passionnant
de Sheldon Stern

Il y a soixante ans, le monde évitait une troisième guerre mondiale, une guerre nucléaire qui, plus encore qu’aujourd’hui, n’a tenu qu’à un cheveu, à une seule erreur de jugement, à une seule décision mal interprétée. C’est ce que révèle le livre passionnant de Sheldon Stern.


Ce dernier, historien de la bibliothèque John Fitzgerald Kennedy, a été le premier à avoir accès aux enregistrements de la Maison-Blanche entre le président des Etats-Unis et ses divers conseillers. Comme il le rappelle lui-même, il a été « la petite souris » cachée dans le bureau ovale écoutant des heures d’enregistrement qui font de ce livre un récit historique plein de rythme et une sorte de série sur papier.

D’abord posons le décor. Arrivé en 1961 à la Maison-Blanche, le nouveau président des Etats-Unis, JFK, accompagné de son frère Bobby et d’une pléiade de conseillers que le journaliste David Halberstam surnomma « les meilleurs et les plus intelligents » décident de se débarrasser de Fidel Castro. Ils montent l’opération de la baie des Cochons qui s’acheva en fiasco. Fidel Castro, proche du Kremlin, décide alors de demander à Khrouchtchev l’installation de missiles sur son territoire, des missiles pouvant frapper les villes américaines et en premier lieu la Floride. Des missiles pouvant emporter des têtes nucléaires. Ainsi, si l’initiative de la crise de Cuba est soviétique, celle-ci, nous dit Stern, a été la conséquence de l’agression américaine de 1961.

C’est sur la base de ces éléments transmis en partie par des avions U2 que les différents protagonistes pénètrent dans le bureau ovale, en ce 16 octobre 1962 à 11h50. Le lecteur entre avec eux dans un huis clos haletant, celui du Comité Exécutif du Conseil de Sécurité Nationale dont il sort, treize jours plus tard, éreinté, lessivé de tant de pression. Sheldon Stern excelle à peindre cette pression insoutenable qui monte et forge les hommes qui se révèlent tantôt médiocres, tantôt à la hauteur de l’évènement. Il y a ceux qui s’effondrent, ceux qui s’enferment dans leur logique et ceux qui ont l’intelligence d’évoluer, de faire preuve de pragmatisme. « Certains, sous la pression, y perdirent leur équilibre » relata Bobby Kennedy (13 Jours, la crise des missiles de Cuba, Pluriel, 2018). Parmi ces hommes d’Etat figure Robert Mc Namara, secrétaire à la Défense qui, dès le premier jour, se questionne sur les conséquences des décisions à prendre : « je crois que nous n’avons pas envisagé de façon satisfaisante les conséquences d’aucune de nos décisions…Je ne suis pas sûr que nous prenions maintenant toutes les mesures nécessaires pour les minimiser. Je ne sais pas dans quel monde nous vivrons une fois que nous aurons commencé à frapper Cuba. »

Certains conseillers poussent le président à bombarder, à envahir l’île et à se débarrasser définitivement de Castro. JFK décrète le blocus de l’île mais ne cède pas et le livre montre parfaitement qu’il a su garder la tête froide face aux faucons emmenés le chef d’état-major, Maxwell Taylor. Le président privilégie une solution pacifique, conscient que l’œil de l’histoire est posé sur lui. « Je pense que vous allez trouver vraiment difficile d’expliquer pourquoi vous vous apprêtez à attaquer Cuba, à détruire ces sites…alors qu’il (Khrouchtchev) dit, « si vous retirez les vôtres de Turquie, nous retirerons les nôtres de Cuba. » Je pense que cela va être très dur » estime-t-il le 27 octobre. Il engage alors des négociations avec l’URSS où Robert Kennedy et l’ambassadeur soviétique, Anatoli Dobrynine, mettent au point l’accord final qui clôt la crise de Cuba. Stern relate ainsi parfaitement ces évènements périphériques qui contextualisent parfaitement les entretiens de la Maison-Blanche.

Finalement, Khrouchtchev accepte de retirer les missiles de Cuba en échange des missiles américains Jupiter en Turquie. Khrouchtchev y laissa son poste et Kennedy sa vie. Mais ils auront évité le pire à la planète. Grâce à ce livre palpitant, il est aujourd’hui possible de toucher du doigt l’un de ces moments où l’histoire a failli basculer.

Par Laurent Pfaadt

Sheldon M. Stern, Quand le monde s’arrêta. Les enregistrements de la crise de Cuba
Les Belles Lettres, 368 p.