Trois mille ans à t’attendre

Un film de George Miller

Depuis plus de quarante années le génial metteur en scène australien nous embarque dans des voyages improbables. Révélé en 1979 avec le tonitruant et culte Mad Max, George Miller n’a cessé de balader les spectateurs dans des univers à part.


Parmi la dizaine de longs-métrages qu’il a mis en scène, presque tous sont restés gravés dans la mémoire des cinéphiles. De la saga Mad Max à celle de Babe, le cochon dans la ville, on a ensuite partagé celle de Happy Feet, croisant sur la route de singulières sorcières (cf. Les sorcières d’Eastwick). Aujourd’hui il nous invite à partager le destin d’une âme solitaire, alors qu’elle croise le chemin d’un génie libéré de sa bouteille. Voilà pour le synopsis, un peu sec, mais qui a le mérite d’éveiller la curiosité. Alithea Binnie est une universitaire britannique un peu cynique, désabusée, pour qui l’existence ressemble à un gigantesque cirque aux illusions. Elle en a fait son quotidien, l’accepte, et porte un regard critique sur le genre humain. Mais ce qu’elle apprécie le plus, ce sont les récits que les hommes se sont racontés au cours des siècles, et comment ils ont façonné les générations futures. Elle sera la narratrice de l’histoire, et entend nous conter une formidable histoire.

Alithea nous fait partager un moment clef de son existence. se définissant comme une personne heureuse et solitaire, elle est absorbé par son travail sur les contes, mythes et autres histoires à travers les âges et les continents. Elle a de bons rapports avec ses pairs, qu’elle retrouve chaque année à l’occasion de la grand-messe les rassemblant pour des conférences en un lieu différent. Cette année là, c’est à Istanbul qu’elle se rend. Son imagination débordante, que son travail de recherche nourrit pleinement, lui joue parfois des tours. Elle est confrontée à des hallucinations, de plus en plus fréquentes. Elle fera l’acquisition d’un petit flacon dans une des nombreuses échoppes de la capitale, sans se douter que ce geste changera à jamais sa vie. Alors qu’elle tentera de nettoyer le flacon, un génie s’en échappera.

Celui-ci lui demandera de faire trois vœux. Mais devant sa réticence (Alithea est une grande sceptique…), il entreprendra de lui raconter trois histoires, qui auront toutes la même issue, celle de le voir se retrouvé emprisonné dans un flacon. George Miller construit son film autour de fresques incroyables, mais n’oublie pas de tisser un lien avec les simples mortels que nous sommes. Au contact du djinn, Alithea prend conscience de sa propre solitude, avec laquelle elle cohabitait pourtant parfaitement jusque là. Trois mille ans à t‘attendre promène le spectateur au cœur d’époques plus grandes que nature, avec toujours la petite interrogation concernant la volonté du génie. N’y aurait-il pas un petit détail caché quelque part, quelque roublardise comme Alithea semble le suspecter ?

Le réalisateur reste dans son genre de prédilection, le fantastique, en prenant soin de bien l’ancrer dans le réel. Car même s’il est question d’anciens empires et de leurs fastes, les récits hauts en couleurs du génie s’articulent toujours autour des caprices des hommes. Avec leurs forces, leurs faiblesses, et une bonne dose de fourberie aussi. Et pour conter cela, George Miller n’a pas son pareil.
Dans le rôle du djinn, le comédien britannique Idris Elba (révélé en 2002 avec la série The Wire, les cinéphiles se rappellent plus récemment de ses rôles dans Thor, Pacific Rim, Star Trek : Sans Limites, La Tour Sombre, The Suicide Squad), incarne un être qui, bien que théoriquement immortel, n’en est pas moins traversé par les mêmes doutes que les simples mortels. Un être surnaturel qui reste émerveillé des prouesses dont le genre humain est capable, sans pour autant le comprendre tout à fait. Face à lui, la comédienne Tilda Swinton (dont la carrière, toujours parfaite, a débuté au milieu des années 80, ses prestations, souvent hallucinantes, dans Snowpiercer: Le Transperceneige, Only Lovers Left Alive, The Grand Budapest Hotel, Crazy Amy, le Suspiria de Luca Guadagnino, The French Dispatch nous le rappellent) se glisse dans la peau d’un être sensible, moins serein qu’elle veut bien le laisser croire, et va évoluer au contact du djinn.

Le jeu du chat et de la souris auquel se livrent les deux comédiens est sympathique, et ramène un peu de poésie à une époque qui en a bien besoin, à l’heure du pessimisme et du cynisme ambiants…

Jérôme Magne