Tuer n’est pas jouer

Walter Schellenberg © United States Holocaust Memorial Museum, courtesy of Gerald Schwab

Réédition des mémoires de
l’un des responsables des
services de renseignement de
la SS

Ceux qui sont passés entre les
mailles de la justice des
hommes ont cru bon devoir se
justifier par écrit. Ce fut le cas
d’Albert Speer. Ce fut aussi le
cas d’acteurs moins connus et
pourtant tout aussi majeurs
comme Walter Schellenberg.
Ce dernier fut le chef des
services de renseignement
extérieurs de l’office central de
la sécurité du Reich, le sinistre RSHA que dirigea notamment
Reinhardt Heydrich jusqu’à son assassinat en 1942 avant d’être
remplacé par Ernst Kaltenbrunner.

Schellenberg fut en tout point un personnage ambigu,
« particulièrement ambitieux, particulièrement pragmatique »
selon
Clément Tibère qui signe la préface de l’ouvrage ainsi que son
appareil critique.  A la fois haut dignitaire SS – il en fut le plus jeune
général – chargé du renseignement extérieur et proche
d’Himmler, l’homme a su et a participé aux principaux crimes du
régime. Mais, dans le même temps, un peu à la manière d’un
Canaris, avec l’uniforme SS – ce qui a son importance – il a joué un
double jeu, poussant notamment Himmler à se débarrasser
d’Hitler et à négocier avec les Alliés par le biais de la Suède.
Schellenberg alla même jusqu’à témoigner contre son ancien
patron, Ernst Kaltenbrunner, au procès de Nuremberg où
d’ailleurs il ne fut condamné qu’à six ans de réclusion.

Cette réédition des mémoires de Walter Schellenberg apparaît
ainsi intéressante à plus d’un titre. D’abord, elle nous plonge dans
les arcanes du renseignement nazi, des luttes de pouvoirs aux
détails des principales opérations : Zeppelin qui visait à infiltrer le
Kremlin et à assassiner Staline, la fameuse Cicéron qui resta le
plus grand coup d’éclat de Schellenberg, ou celle qui tenta de
kidnapper le duc de Windsor. Ses rapports avec l’Abwehr, les
services de renseignement de l’état-major de l’armée, et son chef
Wilhelm Canaris, exécuté à la fin de la guerre, furent emprunts de
méfiance. D’ailleurs  Schellenberg lui-même procéda à
l’arrestation de Canaris avec qui il avait l’habitude de monter à
cheval. « Si Monsieur l’Amiral désire régler quelques affaires, je suis à
son entière disposition. J’attendrai ici, dans cette pièce, pendant une
heure, et durant ce temps, vous pourrez faire ce que vous voudrez. Dans
mon rapport, je dirais que vous êtes allé dans votre chambre vous
changer »
écrit ainsi Schellenberg qui laissa à Canaris le choix entre
le suicide et la fuite.

Un appareil critique réalisé par Clément Tibère, pseudonyme d’un
haut fonctionnaire du renseignement – preuve que le sujet reste
encore sensible – permet de démêler l’écheveau mis en place par
ce maître-espion pour se justifier et surtout de comprendre les
enjeux qui sous-tendent le renseignement allemand durant le
second conflit mondial. Utilisant un oxymore certes cynique mais
maladroit de nazi « humaniste », Clément Tibère démontre avec
force les contradictions d’un personnage attribuant la Shoah à la
folie d’Hitler, comptant parmi ses amis le comte Bernadotte qui
sauva des milliers de juifs en 1945 et approuvant sans ciller
l’organisation des Einsatzgruppen à l’Est. A la lecture de ses mots,
Schellenberg apparaît comme l’archétype d’une ambition mise au
service d’un système totalitaire qui le conduisit, au final, dans une
impasse criminelle.

Avec cette grille de lecture à l’esprit, l’ouvrage est passionnant à
lire. Il nous emmène aux quatre coins de l’Europe, du front aux
salons des ambassades. La grande difficulté réside moins dans la
compréhension des ramifications de ces nids d’espions que dans la
tentation de voir en Schellenberg, un exécutant innocent. Car il est
aussi question de mort et d’assassinat dans cet énième Grand Jeu.

Par Laurent Pfaadt

Walter Schellenberg, Le chef du contre-espionnage nazi parle
Chez Perrin, 448 p.