Un amour en noir et blanc

clarahaskilLe piano fait son entrée dans la célèbre collection des dictionnaires amoureux.

Il faut dire qu’en mélomane averti, cela faisait longtemps que l’on attendait ce livre. On s’était contenté de quelques entrées dans le dictionnaire amoureux de la musique d’André Tubeuf, de quelques bribes ici ou là (opéra, Venise) mais le piano attendait derrière le rideau de l’édition que justice lui soit rendue.

C’est désormais chose faîte avec ce dictionnaire amoureux du piano d’Olivier Bellamy qui n’est plus à présenter si ce n’est à ceux qui ne connaîtraient pas encore Passion classique sur les ondes. Comme d’habitude, l’ouvrage obéit au classement alphabétique des dictionnaires mais ses entrées sont fonction de l’amour et de l’humeur de son auteur. Et on sent bien, en ouvrant au hasard à telle entrée ou à telle page, que notre auteur aime passionnément son sujet.

Alors oui, il y a les entrées incontournables, celles des grands compositeurs qui ont donné au piano ses lettres de noblesses (Bach, Mozart, Beethoven, Brahms, Chopin, Liszt ou Schumann). A ce titre, il ne pouvait faire l’impasse sur l’histoire d’amour entre Clara et Robert Schumann où « cette fusion amoureuse donne de la passion, de la chair et de la tendresse à sa musique. Clara est partout, dans chaque phrase, dans chaque note » écrit ainsi Olivier Bellamy à propos de l’œuvre au piano de Robert Schuman qui, après son mariage avec Clara, ne composa plus rien au piano sauf au soir de sa vie.

Les solistes, ces génies du clavier, vivants ou morts ne sont pas oubliés, loin de là. D’Alfred Cortot à Evgueny Kissin en passant par Sviatoslav Richter, Martha Argerich, Vladimir Horowitz, Glenn Gould, Clara Haskil ou Arturo Benedetti Michelangeli, ils sont tous là. Olivier Bellamy, grâce à son incroyable culture musicale, les fait ainsi revivre sous nos yeux, dans tel concert mythique ou nous relate telle anecdote croustillante comme ce cadeau, une Ferrari 250 GT Pininfarina offerte à Michelangeli par Enzo Ferrari en personne ou les derniers mots émouvants de Clara Haskil sur le quai de la gare de Bruxelles.

Enfin, l’attrait majeur de ces dictionnaires réside dans leurs entrées inattendues parfois teintées d’humour qui interpellent et excitent notre curiosité. Et celui d’Olivier Bellamy en fourmille. Ainsi, Aveugle évoque la carrière de certains pianistes aveugles tels Thomas Wiggins ou George Sharing avant de préciser que « dès lors, quand on est privé de la vue, la partie la plus périlleuse d’un récital, c’est de parcourir le chemin qui mène du rideau de scène au piano ». Plus loin, Mains de pianiste s’ouvre ainsi : « l’expression populaire désigne des doigts longs et fins. Elle se trompe. » Et l’entrée de préciser que Frédéric Chopin, Alicia de Larrocha et même Glenn Gould n’avaient pas de prédispositions physiques pour le piano car ce qui compte affirme l’auteur, c’est la force et la souplesse du poignet.

«On s’habitue à tout, sauf à soi-même» disait Alfred Cortot. Il en va de même pour ce dictionnaire. Il faut l’ouvrir et l’ouvrir encore car des notes s’en échappent et résonnent en permanence à nos oreilles à chaque lecture.

Olivier Bellamy, Dictionnaire amoureux du piano, Plon, 2014

Par Laurent Pfaadt
Edition hebdoscope 1011, octobre 2014