Un ballon pour les inspirer (matchs à élimination)

A l’issue des matchs de groupes qui ont vu surprises et confirmations, hauts-le-cœurs et soupirs, espoirs et résignations, voici venu le temps des matchs à éliminations directes avec leurs lots de prolongations et de tirs (aux buts !). Légendes immortelles (Ronaldo, Messi, Modric) ou en devenir (Mbappé, Foden, Pedri, Vinicius), nul doute qu’elles continueront d’inspirer les écrivains. Dans cette quinzaine qui nous conduira jusqu’à la finale, Hebdoscope poursuit son exploration des travées littéraires et autres couloirs de librairies avec cette nouvelle sélection d’étoiles de papier.


Luigi Carletti, Six femmes au foot
Liana Levi, 2013

L’Italie est la grande absente de cette coupe du monde. Si les tifosis milanaises n’auront d’yeux que pour Olivier Giroud ou Lautaro Martinez, celles venues au stade San Siro dans le roman de Luigi Carletti ont un autre compte à régler que la couleur du maillot. Celui d’un homme qui doit assister au derby milanais. Entre défense d’un honneur bafoué, contre-attaques ravageuses et bottes secrètes, ce thriller ne vous laissera aucun repos. Dans l’enceinte du stade du Milan AC et de l’Inter Milan sont réunies tous les problèmes et les maux de l’Italie contemporaine. Le foot n’est ici que le concentré d’une société à la dérive. Sous les clameurs de la foule en délire, personne ne vous entendra crier.

Le 12e homme est une femme.

Yamina Benhamed Daho, Poule D
Gallimard/l’Arbalète, 2014

Si vous croyez que la place des femmes est en tribune alors lisez Poule D ! Ce joyeux roman raconte l’histoire de Mina qui, à trente-deux ans, décide d’apprendre le foot dans un club de banlieue parisienne. Là-bas, elle fait la connaissance d’autres filles venues de milieux et d’horizons divers. Mina se prête vite au jeu mais, en spectatrice avertie, elle déchante rapidement. Si le ton est truculent à souhait, celui-ci cache en réalité une profonde réflexion sur comment le foot, sport le plus populaire du monde, affecte notre psyché. Ce livre qui a remporté le prix littéraire des lycéens, apprentis et stagiaires d’Île-de-France en 2016 montre que le football est un creuset du vivre-ensemble. Mais Yamina Benhamed Daho pointe surtout du doigt avec son regard neuf et décentré de femme, les petites mesquineries du football amateur où le plaisir et la passion ont cédé la place à un calque de la vie.

Dédoublement fatal.

Nick Hornby, Carton jaune
10/18, 2010

Il fut une époque où l’Emirates Stadium pas n’existait et où les Gunners, les joueurs d’Arsenal, le plus frenchy des clubs de Londres, jouaient à quelques centaines de mètres de là, dans leur antre d’Highbury. Ils drainaient alors des fans par dizaines de milliers qui, de génération en génération, se transmettaient la passion des hommes en rouge et blanc. L’écrivain britannique Nick Hornby fut de ceux-là. Dans cette autobiographie qui dépasse de loin les strictes limites du terrain pour s’aventurer dans les vies privées des supporters et en premier lieu du narrateur, Nick Hornby raconte avec délice le rapport que chaque fan entretient avec le foot et comment il vit avec. Car en plus d’être une religion, le foot peut être une drogue. Douce bien évidemment.

Dopage littéraire assuré.

Luis Sepulveda, Ingrédients pour une vie de passions formidables
Métailié, 2014

Comme Lionel Messi, il fut lui aussi, dans son Chili voisin, un petit garçon qui rêvait de football, ce sport aux airs de religion avec comme premier supporter le pape François. Ce petit garçon, Luis Sepulveda, auteur de l’un des gestes techniques littéraires les plus beaux du monde, Le Vieux qui lisait des romans d’amour (Métailié, 1992) et disparu en 2020, raconte ainsi dans ce livre pétillant comment la passion du football a nourri ses rêves d’enfants notamment lors de la coupe du monde 1962 chez lui, au Chili, où l’équipe nationale portée par tout un peuple, atteignit les demi-finales avant d’être vaincue par le Brésil des Garrincha et Vava. Le football a ainsi conduit Sepulveda vers ses premiers amours puis vers la poésie et la littérature. Le Chili a peut-être perdu une star du football mais a gagné un grand écrivain tandis que de l’autre côté des Andes, un autre poète du ballon rond, argentin celui-là, s’apprête à tirer sa révérence.

Deux artistes du ballon rond.

Yōichi Takahashi, Captain Tsubasa
Nobi-Nobi

Habitué aux 8e de finale depuis vingt ans, la présence du Japon à ce stade est une demi-surprise. Après que Goethe puis Cervantes se sont fait hara-kiri face à la sélection nippone, celle-ci peut compter sur des milliers de Japonais pour les pousser le plus loin possible. Des jeunes et moins jeunes qui ont été nourris par Captain Tsubasa que l’on connaît en France sous le nom d’Olive et Tom, un manga devenu un dessin animé et un jeu vidéo à succès. Cette histoire composée de 37 volumes et publiée entre 1981 et 1988 raconte l’ascension d’un jeune garçon, Tsubasa Ozora (Olive Atton), lancé dans son rêve de gagner la coupe du monde pour le Japon. Ses matchs contre d’autres écoles et notamment celle de Kojirō Hyūga, le fameux Mark Landers, tinrent ainsi en haleine des milliers de jeunes lecteurs et téléspectateurs.

En 2000, Yōichi Takahashi dessina Captain Tsubasa – Millenium Dream où il imaginait une finale Japon-Brésil en finale des JO de Sydney. Les héros de sa série jouaient alors aux côtés d’Hidetoshi Nakata et Shinji Ono, les stars de l’époque.

« Ils sont venus pour gagner ! » comme le dit la chanson

Eduardo Galeano, le football, ombre et lumière
Lux, 2014

Avec un nom porté par des footballeurs argentin, brésilien, paraguayen et colombien, que vous êtes une Copa America à vous tout seul, pas étonnant que l’écrivain uruguayen Eduardo Galeano, auteur de l’inoubliable Veines ouvertes de l’Amérique latine (Lux, 2014) et mort en 2015, s’est senti inconsciemment obligé d’écrire sur le sport-roi. Mais avec lui, pas de simulations, ni de feintes. Son écriture nous emmène avec cet essai passionnant dans ses plus beaux souvenirs de football mais surtout dans ses rêves brisés par le pouvoir de l’argent.

Avec cet Uruguayen, la littérature est à l’image du football de son pays. Rugueux et sans concession.

Raymond Reding, Françoise Hugues,
Eric Castel, Novedi puis Dupuis

Bien avant Ousmane Dembélé et Jules Koundé, d’autres Français se sont imposés dans l’équipe du FC Barcelone. Parmi eux, Eric Castel, héros de la bande-dessinée créé par Raymond Reding (1920-1999) en 1979 pour le magazine Super As. Transféré de l’Inter Milan où il ne joue plus, Eric Castel arrive au Barça. Là-bas, dans l’antre du camp Nou, il va faire triompher le club catalan en marquant but sur but. Le dessin de Reding et les couleurs de Françoise Hugues s’inscrivent dans cette tradition franco-belge qui a également donné le Michel Vaillant d’un Jean Graton dont Reding fut l’ami. Les amoureux du foot retrouveront les joutes sportives de ces années 80 où triomphaient alors de grands clubs quelque peu oubliés aujourd’hui comme le RSC Anderlecht ou le FC Cologne. Mais à travers l’amitié de Castel et de Pablito Vera et ses copains, les Pablitos, une bande de gamins fans de foot, cette BD est une formidable ode au football comme générateur de rêves d’enfants.

Par Laurent Pfaadt