Un élixir jusqu’à la lie

Fondazione Teatro La Fenice ELISIR D’AMORE
Direttore Jader Bignamini Regia Bepi Morassi
Scene e Costumi Gianmaurizio Fercioni
Photo ©Michele Crosera

Le théâtre de La
Fenice de Venise
présentait une
version haute en
couleurs de l’opéra
de Donizetti

Dans les travées et
aux balcons du
célèbre opéra
vénitien, on
pouvait croiser
Desdémone, la jeune épouse du général Otello et les comtesses
Livia Serpieri et Elena Faliero. Même Jacopo Foscari, le fils du
doge avait fait le déplacement et saluait le public de cette main
encore ensanglantée de son forfait. La faute à un carnaval
transformant, le temps d’une soirée, ce haut lieu du bel canto
italien en machine à remonter le temps. Même les musiciens
avaient troqué leurs queues de pie pour d’autres accoutrements
animaliers. Dans ce décor, l’Elixir d’amour constituait, avec sa
dimension fantasque, un choix plus que judicieux qui plongea la
Fenice dans une fête ininterrompue pendant près de trois heures.

Le célèbre opéra avait choisi de présenter une mise en scène
somme toute assez classique pour narrer l’histoire de Nemorino,
ce jeune paysan buvant un philtre d’amour pour séduire sa fiancée
que convoite Belcore, un sergent sans scrupules. Mais classique
ne voulut pas dire sans surprises à commencer par celle du
docteur Dulcamara, commis voyageur volubile et tonitruant dont
l’aisance et la puissance vocale de son interprète, le baryton
Francesco Vultaggio, parfaitement taillées pour ce rôle, ont
plongé le célèbre opéra dans un tourbillon d’émotions et de joies –
comme ce chœur déambulant parmi les spectateurs –
transformant ainsi la Fenice en un gigantesque…carnaval.

Il faut dire que les spectateurs ont souvent ri, la faute à un ténor
ravi dansant le FLOSS ou de soldats ridicules marchant au pas de
l’oie, plus à l’aise avec le maniement d’une batterie musicale. Cette
soldatesque a été dirigée de main de maître par le baryton
Marcello Rosiello (Belcore) dont le jeu scénique, tantôt drôle avec
ses métaphores militaires, tantôt cruel notamment lorsque sa
victoire sur Nemorino semble totale, n’a eu d’égal que sa voix, à la
fois puissante et veloutée.

Après un entracte où il fut possible de croiser Mozart dégustant
un spritz – ce dernier présent à Venise en 1771 avait bien entendu
choisi de l’apérol – ou Jacopo Robusti, un jeune peintre venu ici
non pas pour assister au spectacle mais pour glaner quelques
commandes – les spectateurs revinrent à leurs sièges. Car toute
cette histoire n’aurait finalement été qu’un simple divertissement
si les voix n’avaient pas été au rendez-vous. Comme au carnaval,
on fabrique une illusion en sachant pertinemment que derrière le
costume se cache une réalité à laquelle nul ne peut échapper. Or
ici, sur la scène, on a cru à la détresse de Leonardo Cortelazzi dans
sa très belle interprétation de « una furtiva lacrima » qui déclencha
des Bravi ! mérités et à la prestance de Veronica Marini dans son
magnifique  « prendi, per me sei libero » après avoir délivré un « Io
son ricco, e tu sei bella »
de toute beauté avec Dulcamara dans le
premier acte. Le tout bien évidemment secondé par un chœur
admirable dont le rôle est si prépondérant dans cet opéra et un
orchestre qui irradia les fresques de La Fenice de ses couleurs
musicales. Le chef lui-même, Jader Bignamini, dont la baguette si
explosive lui a permis de prendre, à juste titre, la lointaine
succession d’Antal Dorati à Detroit, donna de sa personne. Et tout
naturellement il lui revint de conclure ce carnaval de voix et de
notes.

Par Laurent Pfaadt

La programmation de La Fenice à retrouver sur
www.teatrolafenice.it