Un phénix culturel

Plongée dans Vienne, cette
ville qui n’a eu de cesse de se
réinventer

S’il fallait dessiner le portrait
de Vienne, il serait à la fois
baroque, romantique et
contemporain, art déco et expressionniste, névrosé et
exubérant, boulimique et
raffiné, intrigant et révolté.
Autant dire impossible à
restituer, à caractériser.

C’est pourtant le pari qu’ont tenté et il faut le dire devant la
beauté de l’ouvrage, réussi les trois auteurs de ce livre, Christian
Brandstätter, Andreas J. Hirsch et Hans-Michael Koetzle. Car on
ne se lasse pas de tourner les pages de cet ouvrage magnifique.
Encore et encore. Pour y découvrir tel détail qui nous aurait
échappé, telle information qui aurait glissé dans notre esprit déjà
assiégé. Chaque phrase, chaque photo de ce livre ressemblent à
ces innombrables ruelles et rues qui dessinent Vienne et son
histoire. Ville-musée, ville-monde, ville-humanité, à Vienne tout
est histoire. Histoire de l’Europe et du monde où civilisations,
empires et blocs se sont tantôt affrontés, tantôt enrichis. Histoire
des arts, de la musique, de la littérature. Histoire de la
gastronomie, du café, du vin. Toutes ces histoires mêlées dans un
maelström fascinant et ordonné, a fait de cette ville une cité
unique dont les multiples échos résonnent dans ce livre.

« Qu’est-ce qu’un littérateur de café ? Un homme qui le temps de
réfléchir au café à ce que les autres, dehors, ne vivent pas »
résume
ainsi un habitué des fameux cafés de Vienne. Evidemment, la ville
ne serait pas ce qu’elle est sans eux où, depuis 175 ans, on lit, on
refait le monde, on crée ou on se rencontre tout simplement pour
évoquer la famille de son voisin ou disputer une partie d’échecs.
L’ouvrage s’attarde ainsi sur ces institutions telles que le Demel ou
le Hawelka où il était possible de croiser les sommités littéraires.

Berceau artistique d’une pléiade de génies, de Mozart à Klimt en
passant par Beethoven, Mahler, Freud, Zweig, Karajan ou
Bernhard, ce portrait se nourrit également de ces photographies
d’artistes connus comme Edith Tudor-Hart, grand-tante de
l’écrivain Peter Stephan Jungk et espionne soviétique ou Emil
Mayer et de clichés anonymes, qui permettent, sur près de 175
ans, d’observer cette ville s’embellir, se transformer et respirer au
gré des atermoiements politiques et artistiques. Tous les styles
architecturaux s’y côtoient, se répondent. Mais Vienne c’est aussi
ses habitants, acteurs principaux et maîtres d’œuvre – bourgeois
comme ouvriers, artistes comme étudiants – de ce « laboratoire de
la modernité »
qu’elle restera à jamais. Car nos auteurs ont pris
bien soin de montrer que pour faire battre ce poumon artistique
et politique, il lui fallait du sang, un souffle que ces clichés si
touchants montrant l’insouciance d’une population prenant plaisir
aux joies du quotidien dans ces années 30 d’avant l’orage et de ces
manifestations contre le président Kurt Waldheim dans les
années 1980, restituent à merveille.

Au final, devant ce portrait complexe et paradoxal, la beauté de la
ville ne fait qu’éclater un peu plus et témoigne de la force d’une
culture qui a su être, tout en maintenant ses traditions, à la fois un
port pour les artistes et intellectuels avant-gardistes mais
également une forteresse dissuadant la folie architecturale des
grands totalitarismes du 20e siècle.

Par Laurent Pfaadt

Christian Brandstätter, Andreas J. Hirsch, Hans-Michael Koetzle, Vienne, Portrait d’une ville,
Editions TASCHEN, 532 p.

https://www.taschen.com/pages/fr/catalogue/photography/all/05323/facts.vienne_portrait_dune_ville.htm