Un Schumann endiablé

COE © Werner Kmetisch
COE © Werner Kmetisch

Le compositeur allemand était à l’honneur de
plusieurs concerts au Concertgebouw
d’Amsterdam 

On aurait bien volontiers donné notre âme au diable pour assister à un concert dans cette salle mythique de la musique européenne. On ne compte plus les compositeurs, chefs et autres solistes qui sont passés par cet endroit et y ont laissé un souvenir
impérissable. C’est le cas notamment de Bernard  Haitink,  chef de légende qui a longtemps présidé aux destinées du Royal
Concertgebouw d’Amsterdam et qui revient sur les terres de ses exploits d’antan à la tête de l’un de ses orchestres favoris, le Chamber Orchestra of Europe et son timbre si brillant et rafraîchissant.

Les grands orchestres ont tendance soit à ménager Schumann, soit à en faire un monstre rugissant. Rien de tout cela avec le COE dont on a encore à l’esprit l’interprétation singulière des symphonies de Schumann au côté de Nézet-Seguin et gravé sur le disque (DG, 2014). Avec l’Ouverture, Scherzo et Finale, pièce rarement jouée, l’orchestre a délivré un Schumann incisif qui a su parfaitement traduire cette angoisse romantique qui animait le compositeur. Sorte de cheval lancé dans la nuit, il a fallu toute la maîtrise d’Haitink pour éviter qu’il ne s’emballe.

Isabelle Faust n’a pas hésité un seul instant lorsqu’elle s’est agie de conclure un pacte avec ce diable de Schumann. Le concerto pour
violon composé en 1853 pour Joseph Joachim ne compte pas forcément parmi les grands réussites du compositeur mais la soliste a montré, après l’avoir gravé sur le disque, que la magie de la musique peut parfois venir à bout de tous les a priori. Entrée tout en douceur dans la pièce, Isabelle Faust traversa avec brio ce concerto, dialoguant notamment tendrement avec les vents. Puis, dans le second mouvement frissonnant de beauté, la soliste est soudain devenue le prolongement de l’orchestre qui, sous la baguette de son chef inspiré, à absorber ce souffle magnifique pour le restituer de la plus belle des manières.

Cet envoûtement devait trouver son apothéose sur le Rhin avec la troisième symphonie dite rhénane du maître de Zwickau. Avec
Haitink, ça sonne juste. Il n’y a pas d’emphase, pas de violence. Juste un sentiment de puissance rassurante où les équilibres sonores sont maintenus et exaltés. Ainsi, en laissant respirer les vents qui peuvent donner toute leur mesure, les cordes impriment un rythme qui alterne au gré des reflux du fleuve, tantôt joyeux comme dans le final du 2e mouvement, tantôt tumultueux. Le 3e mouvement, d’une incroyable beauté, sonnait comme le destin d’une histoire oubliée qui nous était contée.

Un final tout en contrastes acheva de prolonger un sortilège qui fit longtemps son effet.

Laurent Pfaadt