Une comédie divine

David Foster WallaceLe roman culte de David Foster Wallace enfin
traduit

Il a mis près de vingt ans à traverser l’Atlantique.
Infinite Jet traduit sous le titre d’Infinie Comédie pour reprendre le mots d’Hamlet est enfin accessible aux lecteurs français. Si l’attente a été longue, c’est aussi parce que David Foster Wallace est inconnu dans notre paysage littéraire alors qu’aux Etats-Unis, il est, au coté des Hemingway,
Faulkner ou Roth un écrivain culte. Les grands noms actuels des lettres américaines, de Jeffrey Eugenides à Jonathan Franzen, ne jurent que par lui. Il faut dire qu’outre ses qualités littéraires qui sont immenses, l’homme a cultivé son image atypique de professeur vénéré doublé d’un tempérament angoissé qui devait d’ailleurs le conduire au suicide en 2008 après avoir connu la gloire littéraire.

Avec son Infinie Comédie, monumentale somme littéraire de plus de mille pages qui résonne à la postérité comme un testament littéraire, Foster Wallace a inscrit son nom dans l’immortalité de la littérature au coté des plus grands. Dans un décor qui prend les formes de l’anticipation et de la satire, Foster Wallace imagine une société où la notion d’Etat-nation a vécu pour laisser la place à une sorte de conglomérat nord-américain. La société de consommation, la tyrannie des médias et de la télé-réalité règnent sans partage sur une population complètement lobotomisée. Mais, parmi cette dernière, quelques humains – doit-on encore les appeler ainsi ? – tentent de survivre en cultivant  leur esprit indépendant. C’est le cas de la famille
Incandenza dont l’un des fils est un prodige du tennis comme d’ailleurs Wallace qui faillit embrasser une carrière professionnelle. Or, cette famille détient un film expérimental qui n’est autre que l’arme de destruction massive du système.

Dans ce roman qui ressemble à un cathédrale, la construction narrative importe autant que les messages que le texte porte et dévoile au fur et à mesure du récit. L’utilisation de langages différents, empruntés à divers jargons, la syntaxe et l’orthographe maniés tels des messages publicitaires forment un style particulièrement percutant. Les différents personnages quant à eux se répondent ainsi d’un bout à l’autre de l’ouvrage, formant de vastes échos.

L’Infinie Comédie est également une violente charge contre toutes les formes de contrôles liberticides qu’ils soient explicites et assumés ou implicites comme par exemple dans ces addictions à l’alcool, à la drogue ou au sexe qui anihilent l’esprit humain et le prive de sa liberté. Ce système, comme d’ailleurs tous les systèmes fabriquent ses mythes fondateurs selon l’adage « plus c’est gros et plus ça passe ».
Personne ne questionne, personne ne doute. Les masses sont manipulées et acceptent sans ciller la nouvelle idéologie. On sort alors du terrain de l’anticipation pour revenir dans notre histoire récente, du nazisme et du communisme jusqu’aux idéologies économistes avec un brin d’amertume dans la tête.

Foster Wallace affirme ici clairement sa filiation avec les grands écrivains de l’entre deux-guerres qui ont traité de l’isolement de l’âme humaine, qu’il s’agisse de Kafka qu’il vénérait ou d’Orwell. Car, le message est bien là : le divertissement et la compétition ne sont que les masques de la dépendance, de la dépolitisation et de l’absence de la faculté de juger réduite ici à néant. Même l’ironie, arme merveilleuse de la liberté de penser est bannie, éliminée. Au final, l’Infinie Comédie est le grand roman contemporain de la liberté, toujours en péril, toujours attaquée. Cette liberté qui ne veut pas mourir et se cache dans les recoins les plus inattendus de la société et chez les êtres les plus improbables. Au final, le livre est une quête magistrale de la liberté, cette quête qui fait la force des grands romans auquel appartient indiscutablement l’Infinie comédie.

David Foster Wallace, L’Infinie Comédie, Editions de l’Olivier, 2015.

Laurent Pfaadt