Une course à l’abîme

© Tedi Papavrami
© Tedi Papavrami

Le compositeur hongrois est à
l’honneur d’un disque réussi

Après un disque consacré à Moussorgski et à ses Tableaux d’une exposition, l’Orchestre Philharmonique du Luxembourg et son désormais ex chef titulaire, Emmanuel Krivine, nous reviennent avec un enregistrement consacré à Bela Bartok, à l’occasion du 70e anniversaire de sa mort. Deux de ses œuvres principales sont au programme: le concerto pour orchestre et le concerto n°2 pour violon accompagné pour l’occasion par le non moins talentueux Tedi Papavrami.

Bela Bartok mit près de deux années à composer ce deuxième concerto, dédié à son ami Zoltan Szekely qui le créa en 1939, quelques mois avant le début de la seconde guerre mondiale. Tedi Papavrami, soliste albanais de grand talent qui court les plus grands orchestres du monde, revient ici dans l’un de ses univers de prédilection. Nous avons encore à l’esprit son magnifique disque Bach/Bartok de 2010. En compagnie de l’OPL, il parvient à restituer la magie de ce concerto avec une noblesse qui rappelle les maîtres d’antan. Entre héritage postromantique et folklore hongrois, l’orchestre et le soliste œuvrent de concert sans jamais se dominer. Papavrami nous délivre quelques merveilleux moments de lyrisme notamment dans le 1er mouvement puis surtout dans la coda qui emporte l’orchestre et le soliste dans une ascension sonore prodigieuse.

L’archet à peine stoppé, nous passons au concerto pour orchestre. Il faut dire que l’OPL n’a pas choisi une œuvre facile. Composé en 1943 par un Bartok réfugié aux Etats-Unis, ce concerto est imprégné de sa fuite et du cortège d’ombres et de mort qu’il a emmené avec lui à travers l’Atlantique depuis cette Hongrie qui s’apprêtait à subir le châtiment nazi. L’angoisse du premier mouvement est bien entretenue par les cuivres de l’Orchestre Philharmonique du Luxembourg avant que les bois et notamment la flûte n’apportent quelques réjouissances et rappellent ces ambiances bucoliques qui traversent l’œuvre du compositeur.

L’OPL et Emmanuel Krivine parviennent ainsi à restituer cette atmosphère de mort qui rend ce concerto pour orchestre si unique et en fait l’une des plus brillantes compositions du XXe siècle. Ils soulignent également avec talent cette course à l’abîme qui traverse le dernier mouvement pour s’achever dans une coda brève et pleine d’émotions. Certes, on n’atteint pas le graal de l’interprétation d’Antal Dorati, qui fut l’élève de Bartok, et du London Symphony Orchestra en 1962, mais cette nouvelle version est assurément de qualité. En tout cas, ce disque prouve que Bartok demeure l’un des plus grands compositeurs du XXe siècle et mérite d’être connu du grand public.

Concerto pour violon n°2 (Tedi Papavrami) –
Concerto pour orchestre, Orchestre Philharmonique
du Luxembourg, dir. Emmanuel Krivine, Alpha, 2015

Laurent Pfaadt