Une vengeance interstellaire

L’un des grands
classiques de la
science-fiction à
redécouvrir
absolument

En août 2016, il
aurait eu cent ans. A
l’inverse de bon
nombre d’anniversaire, cette idée ne paraît pas totalement
saugrenue puisque Jack Vance, disparu en 2013 à l’âge de 96 ans
aurait très bien pû atteindre cet âge. Mais il s’en est allé dans
l’espace interstellaire rejoindre ses héros et ses pairs tels Isaac
Asimov (Fondation), Alfred Van Vogt (Le Monde du A) ou Frank
Herbert (Dune) qui ont donné leurs lettres de noblesse non
seulement à la science-fiction dans ce qu’il convient d’appeler
aujourd’hui l’âge d’or mais surtout au space-opera, popularisé par le
désormais cultissime Star Wars.

C’est dans les années d’après-guerre que Vance invente Cugel, ce
personnage filiforme retors et malin devenu le personnage principal
de sa première saga, la Terre mourante, et qui devait rester son grand
héros, traversant son œuvre pendant plus d’une trentaine d’années.
Mais au côté de Cugel apparut bientôt dans ce milieu des années 60
où la science-fiction connaissait son époque de gloire avec Stanley
Kubrick ou Philip K. Dick, Kirth Gersen, le principal personnage de la
Geste des princes-démons
.

Cette saga composée de cinq tomes publiés entre 1964 et 1981 fait
l’objet aujourd’hui d’une intégrale qui permet de redécouvrir ce
classique. Elle obéit à quelques règles de base de la science-fiction :
la lutte entre le bien et le mal, un monde connu et un espace
inconnu, et surtout la vengeance comme fil conducteur. Car c’est
bien de cela qu’il s’agit dans la geste des princes-démons. Le jeune
Kirth qui vit sur la planète Smade a vu ses parents assassinés et la
population de son village réduit en esclavage. Des années plus tard,
devenu explorateur, il part à la recherche des cinq créatures qui ont
perpétré ce forfait. Chaque tome est ainsi consacré à la poursuite et
à l’élimination de chaque criminel. Et ils sont tous différents : cruel,
vaniteux, mégalomane, brillant, débauché.

Le lecteur se plonge très vite dans cette Oecumène, sorte de ligue
associant divers mondes et régie par une compagnie de coordination
de police intermondiale (CCPI), le service de sécurité chargée de
faire respecter l’ordre. La mission à laquelle Kirth Gersen va vouer
son existence ne sera pas de tout repos car il manquera de mourir à
de nombreuses reprises et devra développer des stratégies
différentes et des trésors d’ingéniosité pour parvenir à ses fins.
Cependant, le récit ne se résume pas uniquement à la traque des
princes-démons mais s’insère dans une histoire plus grande,
jalonnée de complots et d’aventures comme par exemple ce coup
d’Etat du Livre des rêves fomenté par un Howard Alan Treesong
délicieusement manipulateur.

L’écriture de Jack Vance oscille en permanence entre action et
humour donnant au récit un rythme extrêmement appréciable. Mais
surtout, l’auteur emprunte à la tradition médiévale la narration de
son récit qui trouve des échos dans des revues, journaux et livres
inventés et inscrit les aventures de Kirth Gersen dans une histoire
plus grande que lui. C’est tout le sens de la geste des princes-démons.
Les personnalités extrêmement bien travaillées des princes-démons
tiennent également à la réussite de cette saga. Mais surtout, elle
séduit car comme l’écrivait le grand-père de Kirth, seul survivant
avec son petit-fils du massacre qui ouvre la saga, « la vengeance n’a
rien d’un mobile ignoble lorsqu’elle sert des fins utiles »
. C’est avec ces
mots qu’il faut se plonger dans une œuvre pleine de justice et de
fureur dont les héritiers se nomment aujourd’hui Lois Mc Master
Bujold, Orson Scott Card ou plus récemment James SA Corey et
bien entendu, George Martin.

Laurent Pfaadt

Jack Vance,
La Geste des Princes-démons,
intégrale, coll. Majuscules, Le Livre de poche, 2016.