Velazquez et ses doubles

ChevalMagnifique rétrospective du peintre sévillan.

Le Grand Palais n’était pas trop grand pour accueillir celui qui représente à lui seul le siècle d’or espagnol. Car Diego Rodríguez de Silva y Velazquez, né à l’orée d’un XVIIe siècle qu’il allait bouleverser, révolutionna la peinture et l’art dans sa globalité. Aîné d’une famille de la petite noblesse sévillane, Velazquez montra très jeune un talent pictural prometteur et intégra l’atelier de Francisco Pacheco, peintre religieux bien établi dans cette Séville cosmopolite. Velazquez y construisit progressivement son art, se nourrit d’influences diverses, d’Alonso Cano ou du caravagisme d’un Ribera ou d’un Cavarozzi qu’il admira à Madrid. La mise en perspective de toiles ou de sculptures représentant l’Immaculée Conception (1618-1619) notamment celle conservée à Londres, permettent ainsi de mesurer ces influences.

Après un premier essai avorté, Velazquez tenta en 1623 une seconde fois sa chance à la Cour. Cette fois-ci, il bénéficia du soutien d’un autre sévillan autrement plus puissant, le comte-duc d’Olivares qui faisait alors la pluie et le beau temps à l’Escorial. Et la seconde tentative fut la bonne. Cependant, la partie ne s’annonçait pas pour autant gagnée car nombreux étaient alors les peintres de talent à la Cour.

Diego Velazquez fit exploser tout cela. Comme le rappelle Javier Portus, conservateur en chef du Musée du Prado dans l’extraordinaire catalogue de l’exposition qui tient lieu de monographie « Velazquez fut le seul à s’affranchir des contraintes qui bridaient ses collègues ». L’exposition montre ainsi parfaitement comment il révolutionna le portrait dont il devint rapidement le maître. Lors d’un voyage en Italie (1629-1630) en compagnie de Rubens, alors le grand peintre de l’Europe, il s’imprégna de la composition du Tintoret, de la couleur de Pierre de Cortone, des paysages de Poussin, et enrichit son art qui devint à son retour unique et immédiatement reconnaissable. Avec la puissance d’un Balthazar Carlos sur son poney (1634-1635), on est à des années lumières du portrait figé et froid hérité du règne de Philippe II.

Le génie de Velazquez réside dans le fait d’avoir su transcender la tradition picturale espagnole, de l’avoir sublimé sans la trahir. Velazquez fut le premier peintre du noir dont il révéla comme le fit Soulages plusieurs siècles plus tard, toutes les facettes, toutes les teintes, toutes les lumières. Ainsi la robe de la comtesse de Monterey délivre une puissance picturale jamais atteinte auparavant. La lumière portée sur ces visages encadrés de chevelures de jais ou d’épaisses moustaches, l’alliance de couleurs, les drapés ocres ou ces bleus incandescents qu’il utilisa cependant rarement comme par exemple dans le portrait de Monseigneur Camillo Massimo (1650), témoignent d’un art total, parfait.

Cet art, Velazquez le mit au service des Habsbourg d’Espagne. Sous son pinceau, Philippe IV devint immortel, sorte de double pictural du peintre avec qui il « passait de longues heures ensemble » selon Bartolomé Benassar. Directeur des Beaux-Arts voire directeur de la communication avant l’heure, à la tête de son atelier, il produisit les portraits d’une famille royale qui cherchait en Europe à assurer la stabilité de sa dynastie. L’exposition présente ainsi ces magnifiques portraits de la reine Marie-Thérèse et des infantes Marie-Anne et Marguerite. Dans le même esprit, il partit pour Rome en 1650 afin d’acquérir des toiles pour le roi qui souhaitait décorer l’Alcazar, et recruter de nombreux talents. C’est à cette occasion qu’il réalisa le célébrissime portrait du pape Innocent X figé dans une attitude mi- inquiète, mi- vénéneuse qui valut à Velazquez ce fameux « troppo vero » (« trop vrai ») du souverain pontife.

L’exposition rend également justice à Juan Bautista Martinez del Mazo qui fut, outre son gendre, son fidèle assistant, l’homme-orchestre de l’atelier, cet autre double. Ce dernier tenta de perpétuer l’œuvre de Velazquez sans pour autant la poursuivre. Ne parvenant pas à égaler le maître, Del Mazo assimila cependant le message que Velazquez délivra à l’humanité. Il laissa certaines œuvres troublantes de ressemblance même si comme l’a dit Alfred Bougeard, « le génie crée, le talent reproduit. »

Velazquez, Galeries Nationales du Grand Palais jusqu’au 13 juillet 2015

Catalogue de l’exposition : Velázquez – Grand Palais, Galeries nationales du 25 mars 2015 au 13 juillet 2015, éditions musée du Louvre, Rmn-Grand Palais.

A lire :

José López-Rey, Velazquez, l’œuvre complète, TASCHEN, 2015

Bartolomé Benassar, Velazquez, éditions de Fallois, 2015

Edouardo Mendoza, Bataille de chats, Seuil, 2014

Laurent Pfaadt