Veni, vidi, vici

romeUn ouvrage passionnant décrypte la guerre à Rome.

Le légionnaire romain à la conquête de la Méditerranée et le glaive comme instrument de la Pax Romana, voilà deux images qui demeurent à jamais indissociables de l’Empire romain. César, Vercingétorix, Attila, les Vandales, Carthage, les Germains ou la Judée sont autant de noms qui claquent à nos oreilles avec fureur et où le sang et les combats ont inscrit leurs mémoires dans celles des hommes.

La peinture, la littérature et le cinéma ont ainsi façonné une société romaine militarisée dans laquelle l’armée et la guerre ont occupé une place centrale. Qu’en est-il en réalité ? C’est tout l’intérêt de l’ouvrage de Yann Le Bohec, professeur à l’université et qui peut être considéré comme le plus grand spécialiste français de l’Antiquité romaine, surtout du Haut-Empire (jusqu’au milieu du IIIe siècle).

Dans cet ouvrage appelé à devenir indiscutablement une référence sur la guerre dans l’Antiquité romaine, l’auteur a convoqué les sources écrites et archéologiques pour analyser en profondeur le rapport de Rome à la guerre et à la conduite de cette dernière. Il ne s’agit pas d’un catalogue vide de sens recensant les grandes batailles. Ces dernières ne sont mentionnées que pour illustrer tel aspect du combat ou telle tactique utilisée.

Divisé en grandes thématiques (l’armée comme institution, vers le combat, la stratégie, la tactique), cet ouvrage permet de cerner la guerre dans toutes ses dimensions. Et ce qui surprend immédiatement, c’est qu’il bat en brèche certaines idées reçues. Ainsi selon Yann Le Bohec, l’impérialisme qui a façonné l’image que Rome a donné de sa civilisation à la postérité était « perçu comme honteux » et l’honneur des généraux romains était à géométrie variable, ces derniers n’hésitant pas à utiliser les ancêtres des armes chimiques et bactériologiques comme l’empoisonnement de l’eau, le poison ou les gaz issus de l’inflammation de la poix pour parvenir à leurs fins.

Alors oui, il y eut des empereurs guerriers tels que Tibère, Vespasien ou Septime Sévère, injustement oublié mais « l’empereur ne se livrait pas à une pratique solitaire de pouvoir », ce qui peut surprendre. Car très vite, l’empereur est secondé par le numéro deux du régime, le préfet du prétoire, ce qui ne fut pas sans risque pour le titulaire de la pourpre impériale. Rome affronta une multitude d’ennemis, différents et de niveau variable. Des Juifs, « ces adversaires redoutables pour les Romains, qui voyaient plus d’opiniâtreté et d’obstination que de courage dans leur comportement » aux Germains, en passant par les pirates, les Parthes ou les Daces, l’armée romaine devint protéiforme au fil des siècles.

Et c’est cela la grande leçon du livre de Yann Le Bohec, la très grande adaptabilité de l’armée romaine. On est bien loin de la tortue. Car Rome combattit sur terre, sur mer, en rase campagne ou en milieu urbain. Elle pratiqua la bataille rangée, la guérilla, la contre-guérilla, le siège. Cette expérience forgea un instrument de conquête redoutable qui reposait sur trois piliers : la complémentarité, la discipline et l’excellence car « les soldats qu’ils avaient (les empereurs) été les meilleurs ». On ne peut être plus clair.

Yann Le Bohec, la guerre romaine (58 avant J-C – 235 après J-C),
Tallandier, 2014

Par Laurent Pfaadt
Edition hebdoscope 1011, octobre 2014