Vie et mort de Trotski

Plusieurs publications reviennent sur la figure du dirigeant bolchevique

La révolution bolchevique n’a pas encore déferlé sur la Russie tsariste et le monde. Nous sommes en janvier 1917 à quelques semaines de cette première secousse révolutionnaire. Aux quatre coins du monde, les artisans de cette future déflagration fourbissent leurs armes. Lénine est en Suisse tandis que Staline purge une peine de prison en Sibérie. Lev Davidovich Bronstein dit Trotski vient quant à lui d’arriver à New York. C’est ici, dans ce coin du Bronx, non loin de la Vyse Avenue que l’attend Robert Littell, l’un des plus grands écrivains de romans d’espionnage. L’homme connaît les lieux mieux que quiconque non seulement parce qu’il les a arpenté précédemment avec Alexander Til, le héros de son Requiem pour une Révolution (Points, 2016) mais surtout parce que son grand-père Léon Litzky, né aux Etats-Unis, demanda en 1919 à changer son nom en Littell afin de metre un terme à sa malheureuse identification avec le leader communiste. Merveilleux prétexte cependant pour  notre romancier, expert en personnalité double, qui s’insinue allègrement dans la conscience du futur chef de l’Armée rouge.

Trotski a effectivement séjourné à New York pendant dix semaines et deux jours au début de l’année 1917. Il y a trouvé refuge après avoir fui l’Okhrana, la police politique du tsar, et la prison sibérienne où il était détenu. Notre héros croyait avec naïveté pouvoir importer aux Etats-Unis sa révolution permanente. C’était mal connaître les Américains, plus attachés à leurs profits qu’à les partager ! Ce ne fut surtout pas du goût d’un jeune inspecteur, John Edgar Hoover, qui eut vite fait de nous mettre cet agitateur au trou pour lui soutirer quelques infos sur les projets de ces conspirateurs rouges. Avec sa verve habituelle et ce qu’il faut de rythme et d’humour – surtout quand le brave Bronstein s’écharpe avec Abraham Cahan, le directeur du Jewish Daily Forward, quotidien en yiddish ou doit se faire expliquer les subtilités de langue capitaliste – Robert Littell parvient à la fois à composer un roman picaresque et à nous plonger dans les bouleversements de cette année 1917.

Dans cette New York du début du siècle avec ses tramways hippomobiles et bercée des premiers accords de jazz, notre marxiste-léniniste croqua à pleines dents la grosse pomme et surtout celles de Fred, la jeune journaliste nymphomane du Brooklyn Daily Eagle qu’il rencontra. Au milieu des tribulations de notre coco dans le Bronx arriva alors le 8 mars ou 23 février comme vous voudrez. Le tsar vient d’abdiquer. Il est alors temps pour Trotski de rentrer car comme le rappelle Nikolaï Boukharine, son compère d’exil new-yorkais, « ce serait mal élevé d’arriver en retard pour la révolution ».

Effectivement, il arriva à l’heure et bien à l’heure pour prendre le pouvoir et le défendre à la tête d’une armée rouge qu’il conçut et dirigea. La mort de Lénine en 1923 précipita cependant le destin de Trotski. Exclu du parti puis déporté par Staline au Kazakhstan, il dut fuir l’URSS. Commença alors pour lui une période d’exils successifs, en Turquie et en France notamment puis au Mexique où il s’installa en janvier 1937. Mais Trotski ne renonça pas à exercer son magistère de la parole en critiquant le nouveau maître du Kremlin. Après plusieurs compagnons de Lénine dont Nikolaï Boukharine, Staline décida de se débarrasser définitivement de son ancien concurrent et chargea de cette tâche le NKVD de Lavrenti Béria et son maître espion Pavel Soudoplatov. « Staline exige un châtiment édifiant, brutal à la hauteur de la faute ; la mort du grand traître doit marquer les esprits » rappela l’un des agents chargés de cette mission à Ramon Mercader, l’homme choisi pour assassiner Trotski dans la très belle bande-dessinée dePatrice Perna et Stéphane Bervas.

Tout débute à Prague en juin 1978 où un homme vient de tomber d’un immeuble. Le flic chargé de l’enquête, Pavel Dvorak, doute de l’hypothèse du suicide et remonte l’histoire de Mercader à travers celle d’un manuscrit retrouvé dans l’appartement du mort. Alternant astucieusement enquête de Dvorak et vie de Mercader, le lecteur assiste à la lente infiltration de ce dernier parmi les proches de Trotski via Sylvia Ageloff et plusieurs proches de Trotski. Au fil des pages, Jacques Mornard, journaliste sportif belge alias Ramon Mercader joue habilement de ses différentes identités pour approcher l’ennemi n°1. Les deux trames du scénario sont habilement suivies et l’histoire de Mercader fort bien croquée avec ses ocres et ses rouges.

Le premier tome s’achève alors que Mercader s’apprête à pénétrer dans la maison de Trotski à Mexico. Et comme le rappelle Robert Littell, ce qui suivra s’apparentera bel et bien à une Une belle saloperie.

Par Laurent Pfaadt

Robert Littell, Bronstein dans le Bronx, traduit de l’anglais par Cécile Arnaud
Chez Flammarion, 220 p.

Patrice Perna, Stéphane Bervas, Mercader, l’assassin de Trotski T1
Glénat, 56 p.

Hebdoscope vous conseille également :

Robert Littell, Requiem pour une Révolution, traduit de l’anglais par Julien Deleuze, Points, 696 p. qui suit un jeune idéaliste, Alexander Til, confronté aux exactions ordonnées par Trotski, Lénine et Staline durant cette révolution d’Octobre qui finira, comme le dit Fred dans Bronstein dans le Bronx, par « dévorer ses enfants ». Un livre salué comme l’un des meilleurs de l’écrivain.

Robert Littell, Koba, traduit de l’anglais par Martine Leroy-Battistelli, Points, 240 p. qui raconte la relation entre un orphelin des purges staliniennes Leon et un vieillard nommé Koba, l’un des surnoms de Staline. Une rencontre énigmatique qui nous permet d’entrer dans la tête du dictateur soviétique.