vivacité de la timbale

En dépit des contraintes sanitaires et du retour du masque dans les
salles de spectacle, le début d’année nous aura quand même offert
deux moments musicaux qui resteront présents dans la mémoire.
Nous avons d’abord eu le plaisir d’entendre le grand baryton
américain Thomas Hampson dans les Quatre Chants sérieux, un des
derniers chefs-d’œuvre de Brahms. Deux semaines plus tard, la
salle Érasme résonnait d’une exécution hors du commun de la 7ème
symphonie de Beethoven par les musiciens de l’OPS et leur chef
Aziz Shokhakimov.

Aziz Shokhakimov ©Jean-Baptiste Millot

Comparée à celle jouée lors de séances d’enregistrement, la musique
donnée durant les concerts publics est toujours susceptible d’être
plus ou moins affectée de petits accrocs et d’infimes accidents
d’exécution. Inhérents à la nature vivante du concert, ces micro-
incidents de parcours n’ont cependant pas tous la même portée, ni la
même signification. Ils résultent parfois d’une interprétation
particulièrement vivante, engagée et pleine de risques pour les
musiciens de l’orchestre comme, par exemple, lors de l’ardente
septième de Beethoven mentionnée plus haut. A d’autres moments,
ils peuvent n’être que l’effet d’une préparation insuffisante ou bien
de la gêne d’un orchestre découvrant l’acoustique d’une salle qui ne
lui est pas habituelle. Sans doute en était-il ainsi pour l’Orchestre
National de Lyon ouvrant son concert du 21 janvier avec un prélude
de Parsifal passablement décousu et peu en place. Par bonheur, tout
s’est rétabli dans l’accompagnement des Quatre chants sérieux de
Brahms, initialement écrits pour le piano et donnés ce soir-là dans
l’excellente transcription orchestrale de Detlev Glanert,
compositeur allemand contemporain. Avec l’âge, la voix de Thomas
Hampson est, comme il se doit, descendue dans le grave, tessiture
d’ailleurs très sollicitée dans le premier des quatre chants. Mais dès
qu’ensuite le ton remonte, on retrouve le magnifique médium, chaud
et coloré tel qu’on l’apprécie depuis toujours dans la voix du baryton.
Bien soutenu par la direction de Nikolaj Szep-Znaider,  nouveau chef
de l’orchestre de Lyon et violoniste de renom par ailleurs, le
dramatisme de cette œuvre tardive de Brahms, dédiée à son ami
sculpteur et peintre Max Klinger, s’avère prenant et poignant.

Pour des raisons probablement sanitaires, l’Orchestre National de
Lyon nous a rendu visite dans un effectif relativement limité, compte
tenu du programme : un peu moins d’une cinquantaine de cordes
pour un total d’environ soixante-dix musiciens. L’effectif s’avère
néanmoins convenir pour une fort belle interprétation de la
septième symphonie de Dvorak, élancée et racée, mettant en relief
la clarté des différents pupitres des vents et le quatuor à cordes, à la
sonorité fine et légère. Soulignons aussi la vivacité de la timbale,
instrument dont on ne dit pas suffisamment l’importance dans la
personnalité sonore d’un orchestre.

Le jeudi 3 février, l’Orchestre philharmonique de Strasbourg jouait
un programme commençant par deux œuvres contemporaines. Est-
ce le programme ou bien l’épidémie d’omicron, qui avait, à ce point,
réduit le remplissage de la salle Érasme ? Les deux, peut-être…

Con brio, ouverture de concert  d’après Beethoven composée par
Jörg Widmann en 2008 suite à une commande de l’Orchestre de la
Radio bavaroise ne manque en effet ni de brio, ni de couleurs, ni
d’énergie rythmique même si on peine quelque peu à retrouver la
dimension temporelle de la musique du maitre de Bonn. Suivait
Quelques traces dans l’air, concerto pour clarinette et orchestre de
Philippe Hurel écrit tout récemment dans la forme d’un dialogue aux
accents virtuoses entre un clarinettiste solo et ses deux collègues de
l’orchestre qui lui répondent de façon très variée avec un soutien
orchestral épuré, distillant une atmosphère aérienne hédoniste.

Changement d’atmosphère après l’entracte avec la septième
symphonie de Beethoven, jouée avec un effectif de taille moyenne,
bien adapté à l’interprétation (une cinquantaine de cordes pour un
total de 63 musiciens dont des timbales à l’ancienne). Lorsque l’on a
affaire à une grande prestation beethovénienne, comme ce fut le cas
ce soir-là, il est nécessaire de la situer, même brièvement, dans
l’histoire de l’interprétation beethovénienne, riche de tendances, de
controverses et de transformations durant tout le 20ème siècle et
dont les jalons aujourd’hui encore font  référence. Aziz Shokakhimov
aborde cette grande œuvre avec une énergie, une clarté et une
rigueur qui illuminent tout le premier mouvement. Cette option
dynamique, privilégiant le staccato sur la fluidité mélodique et
s’inscrivant globalement dans la lignée des partisans du tempo giusto
dont Arturo Toscanini est l’un des plus illustres représentants,
n’empêche nullement le célèbre allegretto de déployer sa magie et sa
montée  dramatique, sans toutefois viser le caractère poignant voire
apocalyptique de certains tenants de l’approche romantique,
Wilhelm Furtwaengler en tête. La force avec laquelle débute le
troisième mouvement Presto donne à penser que Shokakhimov
intègre aussi quelques accents dits ‘’historiquement informés’’, que
certaines oreilles peuvent juger par trop violents. Il n’empêche que
le magnifique trio sonne avec toute l’ampleur et le cantabile
souhaitables, tout en tenant le tempo. L’allegro finale démarre à une
vitesse phénoménale, ainsi qu’il est arrivé à des chefs comme
Karajan autrefois ou Dudamel aujourd’hui de le faire, en concert
notamment. Dans la coda, l’orchestre entre alors dans un état de
transe, poussé aux limites de ses capacités, qui se révèlent
néanmoins très grandes.

                                                                                              Michel Le Gris