White Dog

Créer avec des feuilles de papier et trois bouts de ficelle, ça ressemble à l’univers qu’un enfant pourrait inventer, il y a de cela dans la scénographie signée Brice Berthoud de la Cie « Les Anges au plafond », CDN de Normandie, sise à Rouen mais  le monde dans lequel il va mener  cette histoire de chien blanc est plus imaginatif, plus astucieusement élaboré et ce pour nous conduire à aborder le problème crucial et récurrent du racisme. (Dramaturgie  Saskia Berthoud). C’est à partir de l’ouvrage quasiment autobiographique de Romain Gary « Chien blanc » que ce spectacle a été conçu retraçant un épisode de sa vie lorsqu’il vivait à Beverly Hills, dans les années 60, avec son épouse, l’actrice Jean Seberg, alors très engagée dans le mouvement pour l’égalité des droits civiques entre les populations noires et blanches et contre l’apartheid qui sévit aux Etats-Unis.


© Vincent Muteau

Un jour, un chien perdu se présente devant chez eux. Se pose la question de son adoption. Jean est pour, Romain, hésite mais finalement il accepte de le garder et lui donne le nom de Batka ce qui veut dire « Petit Père » en russe (Romain Gary est né à Vilnius en 1914). C’est un berger allemand très pacifique et affectueux au premier abord mais qui devient très agressif en présence d’une personne noire. Car on l’a dressé pour cela. Le « déprogrammer » en quelque sorte se révèle complexe et peu probant.

Une histoire que le spectacle porte avec une intensité, une vie, un humour une sensibilité qui le rendent particulièrement touchant dans la mise en scène de Camille Trouvé .

Il est vrai que les personnages, Romain Gary, Jean Seberg, un ami, Keys, représentés par de grandes marionnettes (création, Camille Trouvé, Amélie Madeline, Emmanuelle Lhermie) et les comédiens, qui les incarnent Brice Bertoud et Tadié Tuéné et  les manipulent directement sous nos yeux, les font agir et parler, donnent vie à leurs gestes et leurs propos les rendant par cette double présence plus attachants encore.

Et puis la grande marionnette du chien en papier est impressionnante, manipulée habilement par Brice Berthoud, elle passe de la douceur en sa présence aux crises de fureur, à la rage, oreilles dressées, gueule ouverte sur des crocs menaçants dès qu’une personne noire s’approche de son champ de vision. Elle occupe le plus souvent le centre du plateau tournant, par moments entouré de poteaux et de cordes, sorte de ring placé sous un éclairage cru (Nicolas Lamatière ) qui accentue ses moindres changements d’humeur et nous le montrera  successivement agressif aves les Noirs et le devenant avec les Blancs après sa  laborieuse et contestable rééducation.

Une scénographie qui ne laisse rien au hasard, est mise entièrement au service de ce propos destiné à dénoncer à travers cette dramatique histoire de chien l’extrême difficulté » à se défaire des préjugés acquis, mais corrélativement la puissance de la manipulation. C’est ainsi que des humains apparaissent en ombres chinoises sur ces grands panneaux de papier blancs qu’on déchire, roule en boule, jette à tout venant pour témoigner de la fragilité humaine, de sa versatilité, que défilent sur les bords de la tournette de petits personnages, des figurines en papier nous représentant tous.

La mise en scène est soutenue de bout en bout par le formidable accompagnement de la batterie d’Arnaud Biscay qui n’hésite pas à se mêler au jeu d’acteur quand l’appel du plateau se fait sentir. Musique de jazz et chant donnent force et authenticité à cette prestation contre la haine raciale, un sujet politique toujours d’une brûlante actualité qui, fort heureusement, a eu un vif succès auprès du public, en particulier jeune.

Marie-Françoise Grislin pour Hebdoscope

Au CDN  TJP représentation du 4 octobre