Luca Giordano, le Picasso baroque

Dijon, Aix-en-Provence, Le Louvre, Le Prado et Naples bien évidemment résonnent d’un nom : Luca Giordano (1634-1705), artiste emblématique de la peinture baroque napolitaine. Mais pour beaucoup, il reste un inconnu. Or depuis l’exposition que lui consacra le Petit Palais en 2019-2020 (Luca Giordano, le triomphe de la peinture napolitaine), son nom revient constamment dès qu’il s’agit d’évoquer la peinture napolitaine post Caravage et Ribera.


La barque de Charon (1684-1686)
© Palazzo Medici-Riccardi, Florence

Pour suivre les pas de ce peintre qui ne mérite pas l’oubli dans lequel il est tombé ces derniers siècles, il semble indispensable de se doter de la monographie – la première en français – éditée à l’occasion de la rétrospective du Petit Palais. Car à la lecture de cet excellent ouvrage, on est frappé par la modernité du personnage, une modernité parfaitement assumée. Une modernité dans ses choix, dans la conception de son art parfois teinté d’improvisation, dans cette intelligence visant à s’imprégner et à « digérer » les nombreuses influences de maîtres italiens – Titien pour ses déesses notamment dans sa Vénus offrant des armes à Enée (1680-1682) du Museum of Fine Arts de Boston, Le Corrège, Lanfranco, Pierre de Cortone, Raphaël dont l’influence est flagrante dans la Vierge à l’enfant du Prado ou un Greco qu’il a certainement observé en Espagne et qui s’exprime magnifiquement dans La mort de Sainte Scholastique de la basilique de Padoue – ou ayant vécu en Italie comme Adrian von Ostende avant de créer un style qui lui fut propre combiné à une mobilité qui le conduisit dans les grands épicentres de la peinture italienne (Venise, Florence, Parme, Rome et Naples) avec un intermède à la cour du roi d’Espagne Charles II pour y décorer le monastère de l’Escurial. Modernité enfin dans la gestion d’un atelier qui produisit près de 5000 œuvres répertoriées en s’inspirant d’un Rubens qu’il observa certainement à Rome, ce qui lui vaut aujourd’hui d’être comparé à Pablo Picasso.

Parmi les innombrables productions de Luca Giordano, il y a bien évidemment des fresques magistrales et en premier lieu celles de La Création de l’homme (1684-1686) du Palazzo Medici Riccardi de Florence qui serait selon Stefano Causa, professeur à l’université de Naples et co-commissaire de l’exposition du Petit Palais, « le plus important plafond baroque du 17e siècle en Italie » mais également, dans la cité florentine, celle de la coupole de la chapelle Corsini. Ses fresques napolitaines notamment des églises Santa Maria del Carmine, Santa Brigida, San Gregorio Armeno et Santa Teresa a Chiaia ainsi que celle de la chapelle du trésor de la chartreuse de San Martino demeurent également des chefs d’œuvre remarquables. 

Apollon et Marsyas (1659-1660) Musée de Capodimonte, Naples
©Luciano Romano

Luca Giordano n’avait que dix-huit ans à la mort de Jusepe Ribera en 1652, figure de proue de la peinture napolitaine. Pendant longtemps, de nombreux spécialistes ont fait à tort de ce surdoué remarqué pour sa virtuosité et sa rapidité à exécuter des chefs d’œuvre, l’un de ses apprentis. Commença alors pour lui plusieurs décennies d’un succès ininterrompu marqué par une peinture épique et éclatante qui façonna en partie le baroque napolitain qu’il exprima dans une multitude de commandes. Si les sujets religieux et mythologiques restèrent sa grande spécialité avec quelques œuvres remarquables comme son Apollon et Marsyas (1659-1660) du musée Capodimonte de Naples ou sa série des Psyché 1692-1702 de la Royal Collection de Windsor, Luca Giordano manifesta également de grands talents pour des sujets plus intériorisés avec des clairs-obscurs empruntés à Ribera.

Peintre admiré de son vivant mais également après sa mort, au 18e siècle par les artistes français, Luca Giordano laissa ainsi une œuvre considérable qu’il est aujourd’hui possible d’admirer à Aix-en-Provence, au Louvre ou dans cette magnifique monographie.

Par Laurent Pfaadt

Pour se plonger dans l’univers du peintre :

Luca Giordano, le triomphe de la peinture napolitaine, Paris Musées, 263 p.