Archives de catégorie : Scène

Vielleicht

Sur un sujet éminemment politique  » Vielleicht « , qui signifie
« peut-être », de la Cie Absent-e pour le moment est un spectacle militant qui  nous renvoie à la fin du  XIXème  siècle dans les années où l’empire allemand  dirigé par Guillaume II et le chancelier Bismarck décide à l’instar des Français et des Britanniques de s’accaparer des territoires  sur le continent africain pour en faire ce qu’ils appellent, non pas des « colonies », mais des « protectorats ».


©Dorothée Thébert

Ces faits seront évoqués au cours du spectacle qui ne sera pas un cours d’histoire mais une sorte de conférence très animée et documentée grâce à la prestation remarquable des deux comédiens d’ascendance africaine, Safi Martin Yé et Cédric Djeje, celui-ci ayant conçu et mis en scène ce spectacle écrit par Ludovic Chazaud et Noémi Michel, à partir d’une expérience vécue par Cédric qui, artiste de théâtre en Suisse avait obtenu une résidence  de six mois à Berlin.

Au cours de ce séjour il découvre l’existence dans l’arrondissement de Weddingd où il réside d’un quartier dit « africain’ » non pas en raison de sa population mais parce que les rues portent des noms de pays africains, par exemple Togostasse, Senegalstrasse, Kameruner stasse et le nom des colonisateurs. Il apprend aussi que depuis de longues années des associations militent pour que ces noms soient remplacés par les noms de ceux qui ont lutté contre la colonisation mais que cela a du mal à aboutir d’où le titre de la pièce qui, en français signifie « peut-être ».

Un dispositif scénique conduit les spectateurs à être placés en demi-cercle, au plus près des comédiens et de leurs échanges car il s’agira de mettre en scène la relation amicale qui les unit et les pousse à communiquer toutes les informations recueillies autour de ce sujet qui les préoccupe.

On les découvrira d’emblée, dans une sorte de rituel, s’affairant autour d’un tas de terre sur lequel reposent des pots en verre étiquetés d’images. Veut-on rendre hommage aux disparus ? (scénographie Nathalie Anguezomo et Mba Bikoro)

Bientôt on les voit imaginer la fête qui s’ensuivrait si les noms étaient enfin changés, avec explosion de joie, danses et congratulations, lancers de cerfs-volants…

Ensuite on entre dans le vif du sujet, la réalité, un entrecroisement de l’histoire de la colonisation allemande et les informations qu’échangent les deux comédiens, tantôt ensemble tantôt entre Berlin et Genève où habite la jeune femme.

Le problème des noms de rue leur sert de prétexte pour faire advenir ce douloureux passé où des colonisateurs, comme Franz Adolf Luderitz (1834-1886),fondateur de la première ville allemande en Namibie, Carl Peters (1856-1918), Gustav Nachtigal (1834-1885) commissaire impérial qui a annexé le Togo et le Cameroun se sont comportés en  prédateurs. Sera  évoqué le premier génocide, frappant les tribus Herero et Name en Namibie entre 1904 et 1908. Habilement, la mise en scène sait faire place à la mémoire par l’intermédiaire de la vidéo conduite par Valérie Stucki qui amène des images d’époque, des représentations des pays africains, d’interviews, projetés sur un écran  fait de cerfs-volants rassemblés.

Préoccupés par leur vie quotidienne, leurs rencontres ou leur correspondance, les comédiens déambulent au milieu de nous, s’interpellent, personnalisent leur expérience comme le montre  ce moment  où l’on entend Cédric, en pleine, méditation sur son identité de personne noire d’origine africaine, demander à sa mère, présente en vidéo, pourquoi elle ne lui a pas appris le « bété », la langue de ses ancêtres.

Spectacle vivant, plein d’authenticité qui fait la lumière sur un pan d’histoire quelque peu négligé ou refoulé  parce que peu glorieux  comme tout ce qui a trait au colonialisme.

Un spectacle qui se remine sur une note d’espoir puisqu’il nous apprend que les militants pour le changement de noms ont réussi pour deux d’entre eux, faisant disparaitre les noms des colonisateurs pour les remplacer par ceux des résistants africains, Frederiks Cornelius ( 1864-1907) et la famille Bell (Rudolf Douala Manga Bell, 1873-1914, roi du peuple Douala au Cameroun, sa femme Emily Bell et d’autres membres de sa famille).

Les autres, peut-être bientôt… car « le nom est notre destinée » est-il dit dans la pièce qui  rappelle ce proverbe africain joliment inscrit sur les coussins des sièges « c’est beaucoup de petits poissons qui ont réussi à trouer le filet du pécheur ». (Eva Michel)

Marie-Françoise Grislin pour Hebdoscope

Représentation  du 12 avril au TNS

En salle jusqu’au 19 avril

Cosmos

Spectacle intelligent et sensible comme on les aime « Cosmos » a remporté un vif succès au TNS auprès d’un public en majorité très jeune qui n’a pas hésité à crier son enthousiasme à la fin d’une représentation il est vrai passionnante, sur un texte de Kevin Keiss mis en scène par Maëlle Poésy


Dans un décor des plus sobres, (scénographie Hélène Jordan), une sorte de grande boîte aux parois blanches, surgit une
« présentatrice », qui nous met au parfum du thème qui va faire l’objet du spectacle, à savoir la conquête spatiale. C’est Domi (Dominique Jeannon) elle se dit astrophysicienne d’origine chilienne, attirée dès son plus jeune âge par la contemplation du ciel et des étoiles. Elle en est encore à évoquer ses souvenirs d’enfance en français et espagnol traduits par sa consoeur astrobiologiste Elphège (Elphège Kongombé Yamalé ) moments passés avec sa
« Nonna », sa grand-mère quand, avec grand fracas, un trou se fait dans la paroi et, projetées sur le plateau, trois cosmonautes apparaissent, Jane(Caroline Arrouas, Wally ((liza Lapert),Jerrie (Mathilde-Edith Mennetrier.

Commence alors l’histoire proprement dite de ces femmes américaines qui, dans les années 60 ont été prises du désir de devenir cosmonautes. Elles étaient pilotes de ligne et ont pu ainsi accéder au programme « Mercury 13 » qui consistait  à tester la capacité des femmes à pouvoir aller dans l’espace. Elles s’y sont adonnées avec l’espoir de faire partie un jour d’un de ces vols. Mais, si leur réussite aux tests fut un succès, il leur restait à être autorisées à suivre l’entraînement pour devenir pilote d’essai, condition indispensable pour prétendre à être sélectionné pour l’espace ce qui, au final, leur fut refusé et, malgré leur demandes d’explication et leur insistance auprès de toutes les instances, jusqu’au congrès, il n’y eut rien à faire.

Si leur parcours tel qu’on peut en suivre les traces et les péripéties au fil de leurs récits, témoignent de leurs désirs, de leur volonté, de leur ténacité, et du leur courage face à l’ adversité, il démontre que la misogynie et le patriarcat étaient encore bien implantés dans les mentalités de ces années-là.

Si tout cela nous a tenus en haleine et bouleversés c’est aussi en raison de la sublime interprétation qui en est faite. Astrophysiciennes ou cosmonautes, les comédiennes endossent ces fonctions avec une sincérité qui nous les rend proches et défie le temps pour nous plonger dans » les années spoutniks » où l’émerveillement était de mise devant ces exploits que constituaient ces envois de fusées soviétiques et américaines avec animaux puis bientôt humain, Gagarine devenant  un super héros ! Et nous allons les suivre et partager les péripéties de cet envoûtement, donnant à entendre et à voir leur implication totale dans cette aventure grâce à un jeu où elles se donnent, on pourrait dire « corps et âme », faisant preuve d’un travail corporel remarquable qui nous amuse et nous stupéfie à la fois. Ne les voit-on pas en phase d’entrainement se livrer avec énergie à des exercices physiques intenses et bien rythmés avant de retrouver l’une ou l’autre escaladant le mur, se hissant sur un trapèze simulant ces postures caractéristiques des astronautes, des mises en jeu performatives  accompagnées de projections vidéo situant les événements dans leur époque (Quentin Vigier) comme  les costumes d’époque également signés Camille Vallat. Les lumières de Mathilde Chamoux, comme le son de Samuel Favart-Mikcha contribuent grandement à nous transporter dans cette époque exceptionnelle.

Un spectacle  qui sait de façon pertinente allier le théâtre, le cirque, la danse (chorégraphie Leïla Ka) pour nous  montrer un moment de l’histoire peu répertorié au théâtre et nous conduit avec bonheur à une réflexion sur l’espace et le temps, sur l’avenir de notre planète si minuscule dans l’immensité du cosmos mais si précieuse  puisque, pour le moment, elle seule y montre la vie.

Marie-Françoise Grislin pour hebdoscope

Représentation du 3 avril au TNS

Les forces vives

Où est Simone ? se dit-on parfois au cours de ce spectacle qui distribue entre différents comédiens le personnage de Simone de Beauvoir, sujet de ce travail de mise en perspective des œuvres de la célèbre écrivaine. Ils sont porteurs de ses attitudes, de ses réflexions, d’un comportement parfois rempli de cris et de trépignements lorsqu’elle atteint le paroxysme de la douleur, de la suffocation en raison par exemple des contraintes qui enferment son enfance dans le carcan dicté par la religion catholique dont ses parents sont de fervents adeptes, rigidité et autoritarisme en étant les manifestations les plus directes.


répétitions – photo de résidence © Patrick Wong

Le dispositif scénique met en évidence cet aspect de séquestration, cage où l’enfant est enfermée, praticables qu’on plie, qu’on déplie, évoquant les barreaux des prisons, créant des espaces plus ou moins fermés. Impossibles à vivre, à supporter, à comprendre.

Libération souhaitée, attendue dans laquelle la jeune fille qu’elle devient se jette avec avidité au grand dam des parents la surprenant, un jour à lire Gide. Ce n’est qu’un début, bientôt Jean -Paul Sartre entrera dans sa vie, son désir d’écrire et de s’engager n’en sera que plus fort. Sa vie deviendra celle d’une femme témoin des événements de son temps , entre autres les guerres qui marquèrent sa vie  puisque née en 1908, elle entendit lors de la première guerre mondiale, encore enfant, les tirades nationalistes de son père, connut la seconde guerre mondiale puis la guerre d’Algérie  pendant laquelle elle prit parti pour l’indépendance et se joignit aux défenseurs de Djamila Boupacha, une jeune militante du FLN pour laquelle elle crée un comité de soutien rassemblant nombre d’intellectuels français dont Jean -Paul Sartre, Louis Aragon, Elsa Triolet, Aimé Césaire …

Bien d’autres moments sont évoqués car la vie comme l’œuvre est protéiforme et mérite attention et réflexion  et nous renvoie à repenser la nôtre

Une vie dont Simone de Beauvoir a fait une œuvre littéraire rassemblée  entre autres dans les ouvrages « Mémoires d’une jeune fille rangée », « La force de l’âge », »La force des choses » que la Cie Animal Architecte a pris comme point de départ pour un spectacle très fouillé, très visuel  , très pertinent et sensible, écrit et mis en scène par Camille Dagen et scénographié par Emma Depoid. Spectacle au long cours  en raison de la richesse des textes requis et de  la volonté de redonner vie à cette personnalité marquante du siècle dernier que les comédiens, Marie Depoorter, Camille Dagen, Romain Gy, Hélène Morelli, Achille Reggiani, Nina Villanova, Sarah Chaumette, Lucile Delzenne ont porté avec fougue et conviction.

Marie-Françoise Grislin pour hebdoscope

Représentation du 14 mars au Maillon

Slowly, Slowly…Until the sun comes up

S’il fallait accorder un prix d’originalité à un spectacle, nous proposerions volontiers celui conçu, écrit, mis en scène et chorégraphié par Ivana Muller car ce Slowly… nous a plongés dans un sujet rarement abordé pour lui seul, à savoir « le rêve », tel qu’en lui-même il se raconte.


© Gerco de Vroeg

Petite mise en condition du public avant d’entrer en salle, se déchausser et enfiler des sur-chaussettes, puis prendre place autour de l’espace scénique, un grand tapis blanc, assis sur de gros coussins également blancs. Puis c’est le noir, avant qu’avec le retour de la lumière n’apparaissent les trois comédiens, deux hommes, Julien Gallée-Ferré, Julien Lacroix et une femme, Clémence Galliard, rampant sur le lapis, le grattant, le lissant jusqu’à en faire sortir par certains interstices des tissus rectangulaires de couleurs et de tailles différentes dont, se remettant debout, ils se parent. Les voilà costumés, déguisés de façon plutôt loufoques.

Tout en se livrant à ces activités, l’un ou l’autre se met à raconter le rêve qu’il a fait récemment et cela avec beaucoup de naturel comme si, tout à coup, cela lui revenait à l’esprit et qu’il trouvait normal de le communiquer à ces compagnons.

C’est ce mode opératoire qui va dominer tout au long de cette prestation pendant laquelle ils maintiennent une activité en donnant aux différents tissus redéployés des allures de draps, de tapis, choisissant telle ou telle harmonie en les juxtaposant au gré de leur fantaisie, une sorte de travail qui s’effectue de manière suivie et appliquée comme répondant à quelque obligation secrète. (couture de la scénographie Angélique Redureau et Elsa Rocchetti)

Simultanément, voilà que surgissent les récits des rêves, étonnants comme seuls peuvent l’être ces rencontres fantaisistes qui les habitent avec des gens inconnus, des animaux, rêve où tout est moi, rapporte l’un d’eux, amusé, un autre a vu dans son rêve de son cœur s’élever un phare …la comédienne s’est vue en homme….

Tous prêtent une oreille attentive à ces récits surprenants qui font sourire parfois mais semblent bien transformer les autres en porteurs de rêve tant il est vrai que cette activité nocturne nous la partageons tous.  Interrompant activités et récits les voilà qui se mettent à danser avant de se questionner de manière qui semble spontanée, par exemple sur la différence entre être « collègue « ou
« camarade ».

Les enchainements se font de façon fluide, une grande attention est accordée aux voix, à l’accompagnement musical (création sonore Olivier Brichet) et aux lumières (Fanny Lacour).

Nous sommes littéralement transportés dans un monde ludique où domine la fantaisie et où vagabonde l’imaginaire, celui que mettent en jeu les comédiens et qui contamine celui des spectateurs ravis  de  partager ce voyage inédit au pays des rêves.

Marie-Françoise Grislin pour hebdoscope

Représentation du 28 mars au Maillon

23 Fragments de ces derniers jours

Un des spectacles qui fera date dans cette saison du Maillon, celui de la franco-brésilienne Maroussia Diaz Verbèque directrice de la Cie Le Troisième Cirque qui nous offre un voyage au Brésil de la plus étonnante et ludique façon qui soit. Et d’abord en nous faisant part de son bonheur d’enfin avoir pu réaliser ce spectacle différé ces dernières années en raison de la venue au pouvoir de Bolsonaro, véritable destructeur de la culture au Brésil et de l’épidémie de covid. La réalisatrice qui se définit comme circographe (néologisme pour parler d’une forme originale du cirque, un cirque qui parle et peut faire surgir le politique) a rassemblé trois circassiennes, Beatrice Martins, Julia Henning, Maira Moraes du collectif Ver de Brasilia et trois artistes brésiliens, venus de Rio, Recife et Salvador, engagés par la Cie Le Troisième Cirque, Lucas Cabral Maciel, Marco Motta, André Oliveira.


© João Saenger

Véritable festival de jeux qui mettent en valeur la créativité des artistes, leur audace à réaliser des numéros on ne peut plus délicats comme celui de la fakiriste, Maira marchant avec précaution mais tranquillité sur un tapis de verre cassé ou sur des bougies de chauffe-plat allumées, évidemment impressionnant comme le seront bien d’autres performances. On nous en annonce 23, elles seront en réalité 36, c’est dire combien nous avons eu d’occasions de nous régaler allant de surprises en émerveillements.

Les artistes règnent en maitres sur des objets hétéroclites venus du quotidien, tel marche sur des jouets qui couinent quand on les écrase, Béatrice avance avec application sur une bâche à bulles qui émet de petits claquements à chaque pas. Mais bientôt on a le souffle coupé en voyant Julia escalader en talons une pyramide constituée de tabourets et de bouteilles superposés et on admire son sang-froid tandis qu’elle est aux prises ce fragile équilibre.

Les performances se succèdent à un rythme soutenu, toujours accompagnées de musique et chose remarquable tous les acteurs sont aussi régisseurs, s’empressant d’apporter les objets nécessaires aux numéros à réaliser ou débarrassant promptement la piste de ce qui ne sert plus. Une entente et une complicité sans faille. Si on casse des bouteilles on ramasse les morceaux dans un bac, s’il faut annoncer de prestations on apporte des paillassons avec inscription adéquates. Tout se décline dans la bonne humeur, avec une grande liberté de ton qui fait que toutes les disciplines sont convoquées, la poésie avec ce survol du cerf-volant ou ce défilé de parapluies, la tendresse avec ces baisers interrompus gentiment par l’irruption de ballons entre les partenaires. Et puis les danses dans lesquelles excellent Lucas pour la samba, André pour la danse urbaine acrobatique, d’une virtuosité éblouissante, sans oublier les prestigieux numéros de trapèze où Marco aux sangles livre son corps à de prodigieuses contorsions et où on suit Julia faire l’ascension d’une corde garnie de bouteilles.

Sans esbrouffe avec une simplicité apparente, ces artistes qui sont danseurs, acrobates, équilibristes, trapézistes nous ont emmenés dans le monde du jeu, où l’incroyable devient possible par la magie de leur talent et nous ont donné de vivre un moment d’espoir et de joie .

Marie-Françoise Grislin pour Hebdoscope

Représentation du 22 février au Maillon

Fajar

Aventurier au long cours, Adamo Diop, poète sénégalais veut nous rendre témoin de son odyssée utilisant le lieu théâtral comme port d’attache où il a jeté l’ancre.


© Simon Gosselin

Cependant ce qu’il nous propose durant presque trois heures ce ne sera pas du théâtre proprement dit mais un mix performatif dans lequel seront convoqués un film, dont il est le réalisateur, le chef opérateur étant Rémi Mazet, des textes à lire sur écran pour suppléer la lecture à voix off, la musique en live et le conte.

Autant dire que le public est sollicité de toute part et parfois submergé par ce parcours donné à voir et à entendre, ce voyage initiatique accompli par le personnage de Malal interprété par Adamo Diop, son double à l’évidence, à la recherche de soi, à la découverte de soi qui, il nous le montre de maintes façons, consiste à se perdre longtemps pour enfin se trouver.

Il nous apprend que c’est la mort de sa mère qui a tout déclenché comme une perte insupportable qui lui occasionne des rêves insensés, peuplés de fantasmes qu’il tient à nous faire connaître par des représentations imagées, des mises au point  comme celle où sa mère lui  explique qu’elle est seule responsable de sa mort ,ayant refusé de donner son sac à main car il contenait entre autre la photo de Malal enfant et qu’il n’est donc pas un assassin comme on le lui reproche, de même il n’est pas responsable de la mort de sa compagne, Jupiter qui, déçue par son comportement, quitte leur appartement et dans sa hâte se fait renverser par une voiture au pied de leur immeuble . Apparition récurrente d’une femme blanche appelée Marianne, allusion évidente à une autre bien connue !

Beaucoup d’images du Sénégal.

Quand le film s’arrête apparaissent sur le plateau, le comédien qui raconte accompagné par les musiciens, Anne-Lise Binard, au violon  et à la guitare électrique, Dramane Dembélé aux ngoni et flûtes mandingues, Léonor Védie au violoncelle, formant  ensemble un quatuor qui poursuit le long exposé de ce cheminement.

Parce que Malal quitte son pays et devient un migrant, Adamo Diop va consacrer une partie du spectacle aux problèmes de la migration sans y apporter autre chose que  ce que nous connaissons, hélas que trop bien, mais qui lui vaut l’approbation d’une partie du public, l’ensemble restant malgré tout circonspect.

Marie-Françoise Grislin pour Hebdoscope

Représentation du 20 février au TNS

Cadela Força-Trilogie

Chapitre1-La Mariée et Bonne nuit Cendrillon

Vu il y a quelques jours au Maillon ce spectacle nous obsède mais paradoxalement nous empêcherait presque d’en parler.


© Christophe Raynaud de Lage

La brésilienne Carolina Bianchi a conçu, écrit, mis en scène avec le collectif Cara de Cavalo, un travail en deux parties qui porte sur un sujet gravissime, les violences faites aux femmes, à savoir, les viols, les meurtres.

Impliquée, elle-même dans la conduite de la pièce, c’est elle qui ouvre le jeu, en tenue blanche, elle prend place derrière une petite table face au public pour entamer la lecture d’un dossier qui récapitule nombre de ces sombres affaires qui ont défrayé la chronique  depuis de longues années à propos des exactions subies par des femmes.

Quelques vers de Dante, extraits de l’Inferno, puis des citations du Décaméron de Boccace font partie des références mises en exergue dans cette première partie ainsi que des projections de tableaux de Botticelli  intitulés « La chasse infernale » inspirés du Décaméron représentant un  cavalier poursuivant et menaçant de son épée une jeune femme. C’est l’histoire d’un jeune homme Nastagio repoussé par la dame de ses pensées qui assiste à cette poursuite et à l’assassinat de la jeune femme et à son dépeçage, scènes d’une violence extrême destinées à convaincre les femmes qu’elles doivent se soumettre, sinon elles risquent la mort.

Carolina se lance aussi dans le récit de l’épopée de deux artistes italiennes, Pippa Bacca et Sylvia Moro décidées à aller de Rome à Jérusalem, habillées en mariées, par le moyen de l’auto-stop en acceptant toutes les propositions qui s’offriraient à elles et ce pour démontrer que le monde est bon. Mais parce que le conducteur lui semble suspect, Sylvia refuse une voiture, les deux femmes se séparent, Pippa continue seule et sera violée et assassinée en Turquie.

Pendant qu’elle mène son récit Carolina boit à petites gorgées le contenu d’un verre dans lequel, elle nous a prévenu qu’elle a introduit « la boa noite cinderela » (bonne nuit cendrillon), la drogue des violeurs et que bientôt elle risque de s’endormir et devra passer le relais du spectacle à ses partenaires. Cela arrive effectivement, elle s’endort sur sa table.

C’est alors un changement de plateau que mettent en place des comédiens affairés à ouvrir le rideau, installer une immense bâche noire sur le sol y déposer des matelas sur lesquels des tas de sable prennent l’allure de formes humaines. Le nouveau spectacle peut démarrer. Carolina endormie est déposée avec précaution sur un matelas auprès des autres « cadavres ».

Il s’agit de donner une représentation visuelle des propos entendus précédemment et pour ce faire le groupe se lance dans une danse violente, effrénée, brutale, sensuelle. Il n’y a pas de répit à cette mise en évidence des horreurs commises à l’encontre des femmes. Les comédiens osent les attouchements. C’est cru, réaliste, parfois à la limite du supportable. Heureusement la bande-son permet de s’évade ainsi que la lecture des textes sur l’écran qui allège le poids de ce réalisme sordide peut-être parfois trop appuyé et long aussi sur un thème tellement lourd. Bien que les comédiens (Alita, Larissa Ballarotti, José Arthur Campos, Joana Ferraz, Fernanda Libman, Chico Lima, Rafael Limongelli, Marina Matheusent ) très talentueux et pleins d’allant s’investissent à fond, on aimerait plus de respiration et moins de complaisance dans ces scènes qui ne ménagent pas notre sensibilité, à l’instar de la dernière lorsque Carolin, sortie de son endormissement, allongée sur le capot de la voiture qui occupait le fond de la scène depuis le début de cette deuxième partie, se prête, sous le regard de tous, à un examen gynécologique reproduit sur l’écran.

Un spectacle qui a provoqué en nous trouble et malaise bien que le sujet soit d’une brûlante actualité au vu des nouvelles entendues chaque jour sur les vols et les féminicides. Ici tout est dit et montré sans ménagement et l’on en sort « sonné » comme après un cauchemar qui, malheureusement, entretient un rapport évident à la réalité.

Un sérieux coup porté au patriarcat.

Marie-Françoise Grislin pour Hebdoscope

Représentation du 1er février au Maillon

Les Chercheurs

C’est un spectacle que l’on pourrait qualifier de manifeste. Dû à l’initiative du danseur, Ordinateur, pour le collectif La Fleur, dans la mise en scène de la berlinoise Monika Gintersdorfer,  Il est d’’une extrême intensité, tout à la gloire des danseurs-euses africains-nes éblouissants de virtuosité.


©Pascal Schmidt

Avec Alaingo Lamama, Annick Choco, Barro Dancer, Mason Manning, Ordinateur, Joel Tende, Zota La puissance. Tous impressionnants par leur capacité à mettre tout leur corps en mouvement avec une rapidité époustouflante, lançant bras et jambes  pour occuper l’espace au plus loin d’eux, parfois en solo, parfois ensemble dans une superbe chorégraphie qui les réunit  pour porter la danse à son plus haut niveau.

Ils et elles arrivent de Côte d’ivoire, du Congo-RDC, du Gabon où leur style de danse appelé coupé-décalé fait vibrer leurs admirateurs. Arrivés pour se faire connaitre en Europe leur vie devient très compliquée et c’est aussi de cela que leur spectacle tient à nous informer.

L’un ou l’autre vient occuper la scène produisant une danse rapide, athlétique sur des musiques extrêmement rythmées signées Timor Litzenberger, simultanément, des explications sont données sur les difficultés administratives  auxquelles ils ont dû faire face. Que cela concerne la régulation des autorisations à séjourner en Europe, la recherche de logement ou d’emploi quand on se heurte au racisme.
Le titre donné à leur spectacle prend alors tout son sens et tout en étant subjugués par leurs prestations nous ressentons vivement l’importance de leur message qui met directement en cause la capacité des pays européens à accueillir les réfugiés et entre autres les artistes.

Nous mesurons combien il est important que des institutions théâtrales comme le TNS et Le Maillon leur ouvrent régulièrement leurs portes et permettent à un large public de les soutenir.

Marie-Françoise Grislin pour Hebdoscope

Représentation du 8 février au Maillon

Great Apes of the West Coast

Traduction du titre « Grands singes de la Côte Ouest ». Un titre qui évoque l’Afrique, de façon stéréotypée à l’instar de ce décor qui représente une hutte posée sur un sol sablonneux.


©Gilles Njaheut

Un spectacle donné pour la première fois en France et qui nous interpelle tombant juste au moment où la loi sur l’immigration vient d’être promulguée dans notre pays.

Sur le plateau de la salle Gignoux, pendant que s’installent les spectateurs, Princess Isatu Hassan Bangura  qui a  écrit et mis en scène ce spectacle a déjà commencé sa prestation, son corps est agité de tremblements, sa tête effectuant des mouvement répétitifs de torsion et d’inclinaison.

Sa performance est destinée à nous informer de ses origines et de son identité qu’elle revendique comme objets de fierté.

Mais quand le spectacle commence un cri jaillit de sa bouche « fuck » vite traduit par « putain de merde ». On comprendra bientôt les raisons qui lui font proférer ces termes orduriers. Revenant sur son arrivée en Europe, elle, originaire de Sierra Leone où elle a vécu jusqu’à ses 13 ans avant de quitter ce pays en raison de la guerre civile pour s’installer à Maastricht aux Pays-Bas, elle se trouve confrontée à des questions sans cesse réitérées : « Qui es-tu ? », « D’où viens-tu ? », « Quelle est ton histoire ? » qui n’ont de cesse de lui faire sentir une sorte d’illégitimité à être là, du moins la nécessité  de se justifier. Ce sont les raisons qui l’ont conduite à se manifester et à prendre la scène comme lieu pour s’affirmer en tant qu’africaine fière de ses origines et de sa culture, de régler à haute et intelligible voix le problème de ses origines et de son identité, de s’en libérer.

En évoquant les moments forts de son histoire comme le souvenir de ses parents avec elle petite fille sur la plage ou de la peur pendant la guerre où il fallait fuir et ce au moyen de la danse, du chant, de la parole en an anglais ou en krio, le créole anglais, elle se réapproprie pour nous la donner à connaitre ce parcours qui la constitue et qu’elle va clore par une scène typiquement africaine où elle apparaitra vêtue  d’une grande robe dont les manches très larges  et pailletées lui font comme des ailes d’oiseaux quand elle se livre à cette danse endiablée, d’autant plus impressionnante qu’elle a posé un masque sur son visage et une paire de cornes sur sa tête.

La culture africaine au défi de notre regard et de notre entendement.

Marie-Françoise Grislin

Représentation du 7 février au TNS

En salle jusqu’au 14 février

Sans tambour

Sous prétexte d’évoquer la notion d’effondrement, Samuel Achache et son équipe de musiciens et d’acteurs ( Cie La Sourde) ont produit un spectacle extrêmement jouissif en partant d’une histoire simple et archi  banale, à savoir une dispute conjugale se déroulant dans une cuisine, elle-même ordinaire.


© Jean-Louis Fernandez

Lui (Lionel Dray) acharné à réparer le siphon bouché de l’évier, elle (Sarah Le Picard) lui reprochant des préoccupations triviales, son manque criant de romantisme, donc bien décidée à le quitter. Un démarrage digne d’un théâtre de boulevard. Ça c’est l’aspect anecdotique et mise en bouche mais si, côté cour se dressent les murs non plâtrés aux briques apparentes d’une maison inachevée, (scénographie Lisa Navarro) côté jardin a pris place un petit groupe de musiciens (accordéon, clarinette, saxo, violoncelle direction Florent Hubert) qui ont promis de s’attaquer aux lieder de Schumann, une œuvre emblématique du romantisme. Le clin d’œil commence à apparaitre. Vont alors se succéder, s’entrecroiser des démolitions à l’instar de celles qui surviennent dans ce couple, musique transformée, démolition effective des cloisons et des murs avec participation des musiciens qui quittent leurs instruments pour donner un coup de main au ramassage des gravats.

Le comique de situation s’installe à bon escient, accompagné d’un comique de gestes parfaitement maitrisé par ce collectif habitué à jouer ensemble dont la complicité est manifeste et dont le talent au jeu, comme à la musique est sans conteste.

On joue sur des clichés, des situations prises au premier degré alors qu’on en démasque les grosses ficelles soulignées par la musique qui ne lâche rien, la chanteuse Agathe Peyrat doublant les paroles de l’actrice. L’épisode du cœur arraché par le désespoir, perdu et retrouvé est un gag désopilant que Lionel Dray mène avec brio. La prestation de Léo-Antonin Lutinier, interprétant Tristan dans ce rappel de « Tristan et Iseut » qui intervient en contre- point dans la pièce, est également très savoureuse.

Un succès évident pour une pièce menée tambour battant où l’humour et le burlesque l’emportent sur le tragique mais n’oblitèrent pas la réflexion.

Marie-Françoise Grislin

Représentation du 6 février au TNS

En salle Jusqu’au 14 févier