Archives de catégorie : Scène

MAILLON Sept-Déc 2024

Nouvelle formule au Maillon, une programmation semestrielle, la première allant de septembre à fin décembre, cela pour plus de souplesse et permettant de laisser se préciser les besoins et les envies. Une deuxième présentation sera donc nécessaire pour la suite et aura lieu en Janvier 2025.


Le visuel de la brochure nous présente des silhouettes aux contours flous mais vivement colorées, des tableaux qui attirent l’œil et nous intriguent à l’instar de ce que pose Barbara Engelhart, la directrice du Maillon dans son éditorial : « nous pensons que le sens de la culture est d’observer de près les choses sans pour autant les tirer au clair, les attirer vers des évidences trompeuses »

En parcourant le programme de cette première partie qui propose 11 spectacles, dont 1 création et 3 premières françaises « nous  avons quelques repères à soumettre aux futurs spectateurs ».

Compositeur Ted Hearne
Photo Jen Rosenstein

Tout commencera en musique par trois œuvres présentées en première française avec le Festival Musica à savoir : « All right good night » de Helgard Haug du collectif Rimini Protokoll et Barbara Morgenstern, un très beau texte émouvant sur la perte de soi accompagné par les musiciens du Zafraann Ensemble .
Ce même jour un oratorio du compositeur, chanteur et chef d’orchestre américain Ted Hearne « The source » qui évoque la lanceuse d’alerte Chelsea Manning qui révéla les agissements des américains pendant les conflits d’Irak et d’Afghanistan. Une approche musicale accompagnée de projections sur écrans géants.

Nous retrouvons Antoine Defoort, régulièrement invité au Maillon, avec son humour et son côté farfelu dans « Sauvez vos projets (et peut-être le monde) avec la méthode itérative », une sorte de spectacle-conférence à la manière de sa performance sur le droit d’auteur, particulièrement jouissive.

Photo © Nathalie Béasse

Retrouvailles aussi avec Nathalie Béasse accueillie plusieurs fois ici qui commence une résidence en vue de présenter « Velvet » qui fera, comme à son habitude, la part belle à l’imaginaire en puisant dans des livres sur la peinture et la photographie et sur ce matériau qu’est le velours, d’où le titre. 

Rretrouvailles aussi avec Miet Warlop pour un concert dansé, une performance réjouissante et pleine d’humour intitulé « One Song » créé en 2023 au Festival d’Avignon

Du 21 nov. au 1er déc. PAYSAGE 4 sera consacré à Milo Rau, le nouveau directeur des Wiener Festwochen, créateur de la
« République libre de Vienne » un metteur en scène et réalisateur qui travaille à partir de réalités sociales et politiques et affirme que
« représenter la violence est un acte politique » Il nous proposera deux spectacles engagés à partir de deux mythes antiques qu’il réactualise et repolitise : « Antigone in Amazon » qui évoque le combat, la résistance, l’assassinat des « Sans terre » au Brésil Medea’s children qui croise l’histoire de Médée à partir d’un fait divers dramatique qui eut lieu en Belgique en 2007 avec l’assassinat de ses quatre enfants par leur mère.

Trois spectacles sont à voir en famille : « Bells and spells » de Victoria Thierrée Chaplin qui met en scène toutes sortes d’objets, et allie fantaisie, magie et humour.
« Hulul » dans lequel le metteur en scène Aurélien Patouillard s’inspirant  d’un ouvrage pour enfants d’Arnold Lobel  construit un spectacle où la comédienne Marion Duval  devient un personnage loufoque,  plein d’énergie qui pose d’étonnantes questions .

En clôture de cette demi-saison, mi-décembre, juste avant Noël
« Reclaim » de Patrick Masset se situe entre théâtre musique et cirque. A partir d’un rituel d’Asie centrale il crée pour cinq circassien-nes, deux violoncellistes et une chanteuse lyrique un magnifique spectacle qualifié de meilleur spectacle de cirque 2022-2023.

Une programmation attractive qui laisse présumer le meilleur pour la suite.

Marie-Françoise Grislin pour Hebdoscope

Saison 24/25 du TNS

Un public nombreux est venu assister à la présentation de la future saison du TNS. C’est dire l’intérêt constant et grandissant qu’on porte à cette institution et aux propositions qu’elle nous offre.


© Manuel Braun

Sa directrice, Caroline Guiela Nguyen souhaite élargir encore cette participation nous invitant à faire connaître les bienfaits du théâtre à nos amis et connaissances qui n’auraient plus l’opportunité de s’y rendre ou qui ne l’ont jamais connu. La question brûlante étant « Quand serons-nous enfin réuni-es ? » A l’évidence pour elle comme pour nous, il est dommageable de ne pas connaître cet extraordinaire moyen de réflexion et de partage d’émotion qu’est le théâtre. Le cœur qui figure sur le nouveau logo du TNS en constitue le symbole. Un cœur que font battre   selon ses dires, le public, les équipes du TNS, son école supérieure d’art dramatique et tous les artistes qui interviennent pour nous apporter ce que leur créativité, leur talent réussissent à imaginer et à produire pour notre plus grand plaisir.

Au cours de cette saison qui débutera par le spectacle « Lacrima » de Caroline Gueila Nguyen dont nous avons pu voir l’avant-première au printemps dernier avant son arrivée au Festival d’Avignon des spectacles de différents genres nous attendent. Quelques-uns mettant en valeur des histoires de femmes comme « Beretta 68 » du Collectif FASP qui s’appuie sur la lecture du fameux « Scum  Manifesto » de Valerie Solanas qui dénonce la société patriarcale et revendique le droit des femmes à la violence, comme « Les Inconditionnelles » de Kae Tempest et Dorothée Munyaneza mettant en valeur l’amitié, l’amour entre deux femmes qui se sont rencontrées en prison et qui affirment leur liberté  en dépassant les  interdits.  

Autres spectacles dont la femme est le centre, ceux de l’autrice et performeuse Laurène Marx « Pour un temps sois peu » et « Je vis dans une maison qui n’existe pas » des textes qui de façon intransigeante et poétique interrogent le genre et la normalité.

Il y a aussi « Cécile » dans lequel Cécile Laporte dans une mise en scène de Marion Duval joue son propre rôle en nous faisant   connaître de façon jouissive les multiples aventures qu’elle a vécues.

Interroge encore le genre, le corps, les tabous « Le rendez-vous » d’après le roman de Katharina Volckmer interprété  avec une formidable énergie et pas mal d’humour par Camille Cottin dans la mise en scène de Jonathan Capdevielle. 

Spectacle où domine la musique, ce sera « La symphonie tombée du ciel » monté par Samuel Achache» et ses acolytes qui avaient présenté »Sans tambour » la saison dernière, partant d’une enquête de ce qui a pu faire « miracle » dans la vie de certains d’entre nous, ils ont conçu  cette œuvre musicale interprétée par un orchestre de 17 musiciens de jazz.

Où domine le mélange, théâtre, musique, danse, ce sera « Los dias afuera » de Lola Arias qui est allée à la rencontre de personnes qui, après avoir été emprisonnées dans un établissement pénitentiaire à Buenos Aires retrouvent la liberté, une activité et jouent ici leur propre rôle dans cette comédie musicale.

Où domine l’engagement, c’est »And here I am”  avec l’acteur palestinien Ahmed Tobasi, directeur artistique du théâtre du camp de Jénine en Cisjordanie qui, à travers  le texte écrit par Hassan Abdulrazzak exprime  la lutte de la jeunesse palestinienne pour obtenir justice et liberté pour son peuple.

C’est aussi »Rectum crocodile » de Marvin M’toumo, avec des performeuses qui dénoncent  l’esclavagisme, la masculinité blanche et le colonialisme.

De ce même metteur en scène avec le groupe 48 dont ce sera leur spectacle d’entrée dans la vie professionnelle « Les Indésirables » (titre provisoire) qui dira haut et fort combien il faut prendre en considération tous les rejetés, marginaux, mal-aimés dans nos sociétés policées.

Deux spectacles sont des adaptations d’œuvres qu’on peut qualifier de « classiques », « Don Juan « mis en scène par David Bobée verra se mêler au texte de Molière les problèmes qui agitent notre société.

« Marius » mis en scène par Joël Pommerat est une adaptation de la pièce de Pagnol pour une interprétation montée avec des détenus de la Maison centrale d’Arles.

A noter un spectacle pluridisciplinaire d’Alice Laloy « Le ring de Katharsy » avec chanteurs, acrobates, et danseurs et celui signé Eric Feldman et Olivier Veillon « On ne jouait pas à la pétanque dans le ghetto de Varsovie », un stand-up dans lequel « on explore avec humour et gravité les traumatismes des enfants cachés survivants de la Shoah ».

Entre autres nouveautés  de cette saison :
Le festival « Les  GALAS du TNS »permettra de programmer en fin de saison des spectacles où  comédiens et amateurs se retrouveront  comme dans la mise en scène de « La Vérité «   la nouvelle création de Caroline  Guiela Nguyen,  de « Je suis venu te chercher«  écrit, mis en scène de Claire Lasne Darcueil qui parlent  tous deux d’enfants et « Marius », déjà cité .

Le « Tns club »  qui,  offrira une place  aux artistes qui font le »stand-up » aujourd’hui, ils seront présents en mai pour exprimer « le comique et la joie de la transgression »

La création d’un « Centre des récits », une banque d’archives constituée d’histoires souvent laissées pour compte et dans lesquelles les artistes pourront puiser pour alimenter leurs créations .

Le TNS fourmille  de propositions et pour être au fait de toutes  le mieux est de consulter la brochure de présentation, un très beau livret magnifiquement  illustré par les photos de Slina Syan qui  a  fait poser  diverses communautés de Strasbourg  en habits de fête .

Enfin gardons à l’esprit ce que souhaite Caroline Giuela Nguyen que  « le TNS soit un lieu de rencontre permanente dans un esprit de partage et d’ouverture ».

Marie-Françoise Grislin pour Hebdoscope

Alexander Vantournhout

Nous l’avons déjà vu au Maillon où il nous a étonné par sa créativité et ses capacités à se mouvoir dans l’espace, faisant de son corps une super machine, inépuisable, semble-t-il à inventer d’improbables postures.


© Bart Grietens

Le Maillon lui a offert l’opportunité d’animer ce lieu pendant 10 jours et le public fidèle et curieux n’a pas hésité à profiter de ses nombreuses propositions, en commençant par l’évaluation des ses propres  mesures et capacités dans le petit  « cabinet médical » aménagé à cet effet dans le hall.

Personnellement nous avons pu assister à deux de ses prestations, dont la première intitulée « Through the Grapevine » était une remarquable performance où il explorait un duo avec son acolyte Axel Guérin, jouant à mettre en évidence leurs différences de mensurations et à  les exploiter à travers  des approches, des corps à corps éblouissants de beauté , de prestance et de virtuosité, de drôleries parfois quand bras et jambes entremêlés se font image d’un être protéiforme ou d’un animal imaginaire.

C’est le corps qui parle car ici nous assistons à un spectacle sans parole mais ô combien parlant puisqu’il dit le corps dans toutes son expressivité, et dévoile sa capacité à la maitrise, à la sensibilité, à la nécessaire complicité  dans la rencontre avec l’autre pour atteindre  cette virtuosité dans des prestations audacieuses, singulières, émouvantes.

Dans le spectacle « Foreshadow » il propose aux sept danseurs- circassiens qui l’accompagnent de se confronter à un mur de six mètres de haut  pour en faire leur partenaire de jeu. Ils vont aller s’y cogner avant de rebondir sur le plateau et d’entreprendre une chorégraphie originale dans laquelle ils se tiennent par la main, se détachent, se repoussent, s’enlacent, opèrent une chaîne. Toujours dans un rythme de mouvement perpétuel, fluide, rapide que soutient la musique rock. Quand ils se retrouvent au pied du mur c’est pour de livrer à des acrobaties où les corps se superposent, les uns devenant  le support de l’autre  opérant des jeux d’équilibre, s’agrippant au mur pour l’escalader à l’aide ce l’un ou de l’autre prêt à le soutenir dans ses tentatives. Leurs prestations sont remarquables dans leur façon de défier la gravité avec ténacité et avec ce sens d’une complicité indéfectible qu’ils manifestent entre eux et qui permet la réussite de ces étonnantes figures acrobatiques.

Marie-Françoise Grislin

Représentations des 30 mai et 7 juin au MAILLON

Time is out of joint

Groupe 48 de L’Ecole du TNS

En ces temps bouleversés, l’engagement, la détermination des jeunes acteurs nous a bouleversés, galvanisés,  redonné confiance dans cette jeunesse qu’on dit parfois et même trop souvent
« dépolitisés ». Il n’en est rien et ils en donnent la preuve d’une manière éclatante.


© Jean-Louis Fernandez

En partant du personnage d’Hamlet, ce célèbre héros du non moins célèbre Shakespeare ils nous ont entraînés par des chemins bien balisés marqués par leur connaissance de la pièce et d’une façon plus générale de l’histoire à une réflexion approfondie sur ce qu’est le temps de la vie, et sur ce temps immémorial qui est celui de l’humanité, sur le fait que  nous sommes les héritiers de tous ceux qui l’ont constituée. Impossible donc d’échapper à ce qu’on leur doit, eux qui, comme des spectres nous habitent, à qui nous sommes redevables de ce que nous sommes aujourd’hui et de ce que nous deviendrons demain.

Les prises de parole sont nombreuses pour nous faire prendre conscience de tout cela, on les entend de la bouche des principaux personnages de la pièce, Claudius, Hamlet, Gertrude, Ophélie entre autres et Horacio, le survivant, porteur de la mémoire et de la clarification. Difficile d’y échapper tant chacun les prononce avec force et parfois violence, les soulignant par une gestuelle qui les propulse jusqu’à nous  sans ménagement.

Un spectacle qui n’hésite à être didactique, comme le soulignent l’apport de la vidéo pour montrer en gros plan les visages de ces protagonistes d’une terrible et exemplaire histoire, les projections de nombreuses inscriptions porteuses de réflexions à enregistrer et méditer, le déploiement de  bannières  aux notables formules  engagées. Sans oublier  le texte de Maria Sandoval distribué à tous  pour éclairer les références qui parsèment le spectacle .

C’est un spectacle généreux qui ne nous laisse pas au bord du trottoir tant il nous interpelle, s’inscrit en nous, nous redonne de l’assurance, nous convint de faire équipe, comme ils le font, pour lutter.

Mise en scène de Sarah Cohen

De et avec :

Miléna  Arvois, Judy Mamadou Diallo, Thomas Lelo, Steve Mégé, Gwendal Normand, Maria Sandoval, Ambre Shimiziu.

Marie-Françoise Grislin pour Hebdoscope

Représentation du 24 juin au TNS

Le chant du père

La jeune comédienne d’origine turque Hatice Ozer nous a offert   deux spectacles dans lesquels la musique, la poésie, la sensibilité et la joie de vivre tenaient une large place.


© Arnaud Bertereau

Sur le plateau c’est un endroit de vie simple qui est mis en place, qui rappelle la modestie des lieux  où elle a vécu enfant dans cette cité du Périgord où se retrouvaient de  nombreux émigrés turcs. On y voit une petite table et deux chaises, un instrument de musique suspendu au plafond, une grande bassine pour se laver, une malle en osier d’où Hacine habillée en jeune fille sage avec sa robe de velours noir et ses petites socquettes blanches retire un récipient  rempli d’une terre avec laquelle en l’éparpillant elle dessine les contours de son aire de jeu, symbole d’un pays lointain et de celui qui est maintenant son lieu de vie, le théâtre, ce théâtre dont elle avait très tôt le désir, mais ne s’y sentait pas forcément autorisée en raison de la situation sociale de ses parents qui voulaient qu’elle ait un « vrai métier » puisqu’ils avaient quitté leur pays, en l’occurrence la Turquie, en1986 pour donner à leurs enfants des chances de réussite. Elle s’imposa donc de faire des études d’arts plastiques pour devenir professeur mais n’abandonna pas son désir de devenir actrice. Après le conservatoire de Toulouse, c’est à Strasbourg qu’elle complète sa formation en suivant le cursus « Premier Acte » initié par Stanislas Nordey.

Devenue comédienne elle joue dans plusieurs pièces puis crée sa propre compagnie « La neige la nuit » basée en Dordogne.

Bientôt nous dit-elle un cauchemar lui revient à plusieurs reprises où elle se voit dans l’eau, entourée de noyés et retournant l’un d’eux, elle découvre le visage de son père.

Elle réalise alors que son père, Yavuz Ôzer est, à sa manière, un artiste. Ne fait-on pas appel à lui pour, les fêtes qu’il agrémente par ses contes et ses chants ? il est un « amoureux », un « ashik » comme on dit en Anatolie, le pays d’où il vient.

L’idée lui vient de faire un spectacle avec lui, désir d’un partage à faire, justement partager avec un public que l’on reçoit comme dans un « Khâmmarât », un cabaret où l’on boit et chante.

Et ce soir nous y sommes conviés.

Tout commencera par la cérémonie du thé, le préparer et l’offrir. Quelques spectateurs en seront bénéficiaires mais tous l’apprécient comme ce signe d’hospitalité et de partage.

Lui est arrivé avec simplicité, vêtu d’un jean et d’une chemisette beige et tout en buvant le thé, père et fille évoquent ces histoires qui, au dire du père, sont un mélange de 60/00 de vérité, 30% de mensonge et 10% de mystère.

Bientôt, il va décrocher le saz le luth oriental qui ne doit jamais toucher terre et qui accompagne les chants pleins de mélancolie qui parlent d’amours contrariées, de la beauté des femmes aux, sourcils noirs et aux gros seins. Hatice traduit ces paroles qui, on le sait, touchent, quand ils se réunissent autour de lui, les gens de son pays venus travailler comme lui sans désir d’être là, pour échapper à la misère.

Alors pendant qu’il chante ses mélopées Hatice esquisse des pas de danse tout en plantant sur le plateau des tiges de fleurs jaunes le transformant  en un jardin  paradisiaque comme pour narguer la tristesse du destin et  témoigner de la lumière qu’apportent la poésie, la musique, l’art théâtral dont ensemble ils sont acteurs.

Marie-Françoise Grislin pour Hebdoscope

Représentation du 22 mai au TNS

CARMEN

Comme on l’avait remarqué et apprécié vivement il y a deux ans, ici même au Maillon, avec sa présentation de GISELLE, François Gremaud de la « 2 b company  » sise à Lausanne, est très doué quant à nous embarquer à sa manière pour le moins originale dans des œuvres culte du répertoire. Le petit côté pédagogique n’est pas pour nous déplaire consistant à nous faire part en un long préambule des origines du genre « opéra-comique » puis pour finir de nous distribuer généreusement le texte.


Après, le théâtre avec Phèdre et le ballet avec Giselle voici donc l’opéra avec Carmen.

© Dorothée Thébert Filliger

C’est une actrice-chanteuse qui va porter le spectacle, l’introduisant en se présentant, Rosemary Standley, saluant le public et annonçant qu’elle va visiter en notre compagnie l’opéra-comique Carmen, précisant qu’elle n’a nullement l’intention de revenir sur les origines de l’opéra-comique, ce qu’elle va cependant s’employer à faire sans omettre les péripéties qui ont émaillé l’histoire de ce genre jusqu’à  la création de Carmen, en 1875, sur une musique de Georges Bizet, le livret écrit, par Henri Meihac et Ludovic Halévy étant inspiré de la nouvelle  éponyme de Prosper Mérimée. Ce paradoxe met le public en joie, une certaine malice et entente cordiale s’établissant ainsi entre la comédienne et le public dont elle sollicitera  l’attention ou l’approbation à plusieurs reprises.

Avec le soutien et la complicité totale des musiciennes présentes sur le plateau, Christel Sautaux, à l’accordéon, Célia Perrard à la harpe, Helena Macherel à la flûte, Sandra Borges Ariosa au violon et Bera Romairone au saxophone, c’est Rosemary Standley qui campe tous les décors en les décrivant et qui incarne tous les personnages, Don José, le brigadier, Carmen, Micaëla, le toréador Escamillo. Belle performance de sa part pour mettre sa voix au registre correspondant à l’un ou à l’autre et pour prendre les attitudes, les postures qui caractérisent chacun et cela avec la promptitude qui préside à leurs échanges. De plus en nous faisant comprendre qu’il s’agit en quelque sorte d’un jeu de rôles, d’une représentation pour laquelle elle sollicite notre consentement par des regards, des clins d’œil et de petites réflexions qui nous rendent complices et bien sûr nous amusent.

Nous avons connu avec Giselle cette même démarche qui nous conduit à être sans cesse partie prenante du spectacle, du coup on n’hésitera pas à chanter les airs les plus connus quand la proposition nous en sera faite.

N’empêche que, digression ou pas, l’histoire avance et nous rencontrons ces personnages que nous avons vus à l’Opéra, la fringante Carmen, toujours amoureuse et volage, toujours revendiquant la liberté, la prude Micaëla, émissaire de la mère de Don José et celui-ci, le vulnérable «  fils  à sa maman », incapable de résister aux avances de la belle bohémienne mais incapable aussi de maîtriser sa jalousie lorsque la belle lui échappe et se déclare amoureuse du fringant toréador.

Incarner ces personnages d’allure et de caractères si différents n’est pas une mince affaire et il faut tout le talent de Rosemary Standley pour les rendre crédibles. Non seulement elle leur donne corps mais elle chante leurs partitions  avec grande maitrise. Avec elle nous sommes de plein pied dans l’opéra tout en le surveillant du coin de l’œil et cette distanciation qui caractérise les réalisations de François Grémaux leur donne une saveur particulière qui nous met en joie et nous fait attendre avec impatience l’Allegretto qu’il est en train de concevoir pour une prochaine saison.

Marie-Françoise Grislin pour Hebdoscope

Représentation du 23 mai au Maillon

Vielleicht

Sur un sujet éminemment politique  » Vielleicht « , qui signifie
« peut-être », de la Cie Absent-e pour le moment est un spectacle militant qui  nous renvoie à la fin du  XIXème  siècle dans les années où l’empire allemand  dirigé par Guillaume II et le chancelier Bismarck décide à l’instar des Français et des Britanniques de s’accaparer des territoires  sur le continent africain pour en faire ce qu’ils appellent, non pas des « colonies », mais des « protectorats ».


©Dorothée Thébert

Ces faits seront évoqués au cours du spectacle qui ne sera pas un cours d’histoire mais une sorte de conférence très animée et documentée grâce à la prestation remarquable des deux comédiens d’ascendance africaine, Safi Martin Yé et Cédric Djeje, celui-ci ayant conçu et mis en scène ce spectacle écrit par Ludovic Chazaud et Noémi Michel, à partir d’une expérience vécue par Cédric qui, artiste de théâtre en Suisse avait obtenu une résidence  de six mois à Berlin.

Au cours de ce séjour il découvre l’existence dans l’arrondissement de Weddingd où il réside d’un quartier dit « africain’ » non pas en raison de sa population mais parce que les rues portent des noms de pays africains, par exemple Togostasse, Senegalstrasse, Kameruner stasse et le nom des colonisateurs. Il apprend aussi que depuis de longues années des associations militent pour que ces noms soient remplacés par les noms de ceux qui ont lutté contre la colonisation mais que cela a du mal à aboutir d’où le titre de la pièce qui, en français signifie « peut-être ».

Un dispositif scénique conduit les spectateurs à être placés en demi-cercle, au plus près des comédiens et de leurs échanges car il s’agira de mettre en scène la relation amicale qui les unit et les pousse à communiquer toutes les informations recueillies autour de ce sujet qui les préoccupe.

On les découvrira d’emblée, dans une sorte de rituel, s’affairant autour d’un tas de terre sur lequel reposent des pots en verre étiquetés d’images. Veut-on rendre hommage aux disparus ? (scénographie Nathalie Anguezomo et Mba Bikoro)

Bientôt on les voit imaginer la fête qui s’ensuivrait si les noms étaient enfin changés, avec explosion de joie, danses et congratulations, lancers de cerfs-volants…

Ensuite on entre dans le vif du sujet, la réalité, un entrecroisement de l’histoire de la colonisation allemande et les informations qu’échangent les deux comédiens, tantôt ensemble tantôt entre Berlin et Genève où habite la jeune femme.

Le problème des noms de rue leur sert de prétexte pour faire advenir ce douloureux passé où des colonisateurs, comme Franz Adolf Luderitz (1834-1886),fondateur de la première ville allemande en Namibie, Carl Peters (1856-1918), Gustav Nachtigal (1834-1885) commissaire impérial qui a annexé le Togo et le Cameroun se sont comportés en  prédateurs. Sera  évoqué le premier génocide, frappant les tribus Herero et Name en Namibie entre 1904 et 1908. Habilement, la mise en scène sait faire place à la mémoire par l’intermédiaire de la vidéo conduite par Valérie Stucki qui amène des images d’époque, des représentations des pays africains, d’interviews, projetés sur un écran  fait de cerfs-volants rassemblés.

Préoccupés par leur vie quotidienne, leurs rencontres ou leur correspondance, les comédiens déambulent au milieu de nous, s’interpellent, personnalisent leur expérience comme le montre  ce moment  où l’on entend Cédric, en pleine, méditation sur son identité de personne noire d’origine africaine, demander à sa mère, présente en vidéo, pourquoi elle ne lui a pas appris le « bété », la langue de ses ancêtres.

Spectacle vivant, plein d’authenticité qui fait la lumière sur un pan d’histoire quelque peu négligé ou refoulé  parce que peu glorieux  comme tout ce qui a trait au colonialisme.

Un spectacle qui se remine sur une note d’espoir puisqu’il nous apprend que les militants pour le changement de noms ont réussi pour deux d’entre eux, faisant disparaitre les noms des colonisateurs pour les remplacer par ceux des résistants africains, Frederiks Cornelius ( 1864-1907) et la famille Bell (Rudolf Douala Manga Bell, 1873-1914, roi du peuple Douala au Cameroun, sa femme Emily Bell et d’autres membres de sa famille).

Les autres, peut-être bientôt… car « le nom est notre destinée » est-il dit dans la pièce qui  rappelle ce proverbe africain joliment inscrit sur les coussins des sièges « c’est beaucoup de petits poissons qui ont réussi à trouer le filet du pécheur ». (Eva Michel)

Marie-Françoise Grislin pour Hebdoscope

Représentation  du 12 avril au TNS

En salle jusqu’au 19 avril

Cosmos

Spectacle intelligent et sensible comme on les aime « Cosmos » a remporté un vif succès au TNS auprès d’un public en majorité très jeune qui n’a pas hésité à crier son enthousiasme à la fin d’une représentation il est vrai passionnante, sur un texte de Kevin Keiss mis en scène par Maëlle Poésy


Dans un décor des plus sobres, (scénographie Hélène Jordan), une sorte de grande boîte aux parois blanches, surgit une
« présentatrice », qui nous met au parfum du thème qui va faire l’objet du spectacle, à savoir la conquête spatiale. C’est Domi (Dominique Jeannon) elle se dit astrophysicienne d’origine chilienne, attirée dès son plus jeune âge par la contemplation du ciel et des étoiles. Elle en est encore à évoquer ses souvenirs d’enfance en français et espagnol traduits par sa consoeur astrobiologiste Elphège (Elphège Kongombé Yamalé ) moments passés avec sa
« Nonna », sa grand-mère quand, avec grand fracas, un trou se fait dans la paroi et, projetées sur le plateau, trois cosmonautes apparaissent, Jane(Caroline Arrouas, Wally ((liza Lapert),Jerrie (Mathilde-Edith Mennetrier.

Commence alors l’histoire proprement dite de ces femmes américaines qui, dans les années 60 ont été prises du désir de devenir cosmonautes. Elles étaient pilotes de ligne et ont pu ainsi accéder au programme « Mercury 13 » qui consistait  à tester la capacité des femmes à pouvoir aller dans l’espace. Elles s’y sont adonnées avec l’espoir de faire partie un jour d’un de ces vols. Mais, si leur réussite aux tests fut un succès, il leur restait à être autorisées à suivre l’entraînement pour devenir pilote d’essai, condition indispensable pour prétendre à être sélectionné pour l’espace ce qui, au final, leur fut refusé et, malgré leur demandes d’explication et leur insistance auprès de toutes les instances, jusqu’au congrès, il n’y eut rien à faire.

Si leur parcours tel qu’on peut en suivre les traces et les péripéties au fil de leurs récits, témoignent de leurs désirs, de leur volonté, de leur ténacité, et du leur courage face à l’ adversité, il démontre que la misogynie et le patriarcat étaient encore bien implantés dans les mentalités de ces années-là.

Si tout cela nous a tenus en haleine et bouleversés c’est aussi en raison de la sublime interprétation qui en est faite. Astrophysiciennes ou cosmonautes, les comédiennes endossent ces fonctions avec une sincérité qui nous les rend proches et défie le temps pour nous plonger dans » les années spoutniks » où l’émerveillement était de mise devant ces exploits que constituaient ces envois de fusées soviétiques et américaines avec animaux puis bientôt humain, Gagarine devenant  un super héros ! Et nous allons les suivre et partager les péripéties de cet envoûtement, donnant à entendre et à voir leur implication totale dans cette aventure grâce à un jeu où elles se donnent, on pourrait dire « corps et âme », faisant preuve d’un travail corporel remarquable qui nous amuse et nous stupéfie à la fois. Ne les voit-on pas en phase d’entrainement se livrer avec énergie à des exercices physiques intenses et bien rythmés avant de retrouver l’une ou l’autre escaladant le mur, se hissant sur un trapèze simulant ces postures caractéristiques des astronautes, des mises en jeu performatives  accompagnées de projections vidéo situant les événements dans leur époque (Quentin Vigier) comme  les costumes d’époque également signés Camille Vallat. Les lumières de Mathilde Chamoux, comme le son de Samuel Favart-Mikcha contribuent grandement à nous transporter dans cette époque exceptionnelle.

Un spectacle  qui sait de façon pertinente allier le théâtre, le cirque, la danse (chorégraphie Leïla Ka) pour nous  montrer un moment de l’histoire peu répertorié au théâtre et nous conduit avec bonheur à une réflexion sur l’espace et le temps, sur l’avenir de notre planète si minuscule dans l’immensité du cosmos mais si précieuse  puisque, pour le moment, elle seule y montre la vie.

Marie-Françoise Grislin pour hebdoscope

Représentation du 3 avril au TNS

Les forces vives

Où est Simone ? se dit-on parfois au cours de ce spectacle qui distribue entre différents comédiens le personnage de Simone de Beauvoir, sujet de ce travail de mise en perspective des œuvres de la célèbre écrivaine. Ils sont porteurs de ses attitudes, de ses réflexions, d’un comportement parfois rempli de cris et de trépignements lorsqu’elle atteint le paroxysme de la douleur, de la suffocation en raison par exemple des contraintes qui enferment son enfance dans le carcan dicté par la religion catholique dont ses parents sont de fervents adeptes, rigidité et autoritarisme en étant les manifestations les plus directes.


répétitions – photo de résidence © Patrick Wong

Le dispositif scénique met en évidence cet aspect de séquestration, cage où l’enfant est enfermée, praticables qu’on plie, qu’on déplie, évoquant les barreaux des prisons, créant des espaces plus ou moins fermés. Impossibles à vivre, à supporter, à comprendre.

Libération souhaitée, attendue dans laquelle la jeune fille qu’elle devient se jette avec avidité au grand dam des parents la surprenant, un jour à lire Gide. Ce n’est qu’un début, bientôt Jean -Paul Sartre entrera dans sa vie, son désir d’écrire et de s’engager n’en sera que plus fort. Sa vie deviendra celle d’une femme témoin des événements de son temps , entre autres les guerres qui marquèrent sa vie  puisque née en 1908, elle entendit lors de la première guerre mondiale, encore enfant, les tirades nationalistes de son père, connut la seconde guerre mondiale puis la guerre d’Algérie  pendant laquelle elle prit parti pour l’indépendance et se joignit aux défenseurs de Djamila Boupacha, une jeune militante du FLN pour laquelle elle crée un comité de soutien rassemblant nombre d’intellectuels français dont Jean -Paul Sartre, Louis Aragon, Elsa Triolet, Aimé Césaire …

Bien d’autres moments sont évoqués car la vie comme l’œuvre est protéiforme et mérite attention et réflexion  et nous renvoie à repenser la nôtre

Une vie dont Simone de Beauvoir a fait une œuvre littéraire rassemblée  entre autres dans les ouvrages « Mémoires d’une jeune fille rangée », « La force de l’âge », »La force des choses » que la Cie Animal Architecte a pris comme point de départ pour un spectacle très fouillé, très visuel  , très pertinent et sensible, écrit et mis en scène par Camille Dagen et scénographié par Emma Depoid. Spectacle au long cours  en raison de la richesse des textes requis et de  la volonté de redonner vie à cette personnalité marquante du siècle dernier que les comédiens, Marie Depoorter, Camille Dagen, Romain Gy, Hélène Morelli, Achille Reggiani, Nina Villanova, Sarah Chaumette, Lucile Delzenne ont porté avec fougue et conviction.

Marie-Françoise Grislin pour hebdoscope

Représentation du 14 mars au Maillon

Slowly, Slowly…Until the sun comes up

S’il fallait accorder un prix d’originalité à un spectacle, nous proposerions volontiers celui conçu, écrit, mis en scène et chorégraphié par Ivana Muller car ce Slowly… nous a plongés dans un sujet rarement abordé pour lui seul, à savoir « le rêve », tel qu’en lui-même il se raconte.


© Gerco de Vroeg

Petite mise en condition du public avant d’entrer en salle, se déchausser et enfiler des sur-chaussettes, puis prendre place autour de l’espace scénique, un grand tapis blanc, assis sur de gros coussins également blancs. Puis c’est le noir, avant qu’avec le retour de la lumière n’apparaissent les trois comédiens, deux hommes, Julien Gallée-Ferré, Julien Lacroix et une femme, Clémence Galliard, rampant sur le lapis, le grattant, le lissant jusqu’à en faire sortir par certains interstices des tissus rectangulaires de couleurs et de tailles différentes dont, se remettant debout, ils se parent. Les voilà costumés, déguisés de façon plutôt loufoques.

Tout en se livrant à ces activités, l’un ou l’autre se met à raconter le rêve qu’il a fait récemment et cela avec beaucoup de naturel comme si, tout à coup, cela lui revenait à l’esprit et qu’il trouvait normal de le communiquer à ces compagnons.

C’est ce mode opératoire qui va dominer tout au long de cette prestation pendant laquelle ils maintiennent une activité en donnant aux différents tissus redéployés des allures de draps, de tapis, choisissant telle ou telle harmonie en les juxtaposant au gré de leur fantaisie, une sorte de travail qui s’effectue de manière suivie et appliquée comme répondant à quelque obligation secrète. (couture de la scénographie Angélique Redureau et Elsa Rocchetti)

Simultanément, voilà que surgissent les récits des rêves, étonnants comme seuls peuvent l’être ces rencontres fantaisistes qui les habitent avec des gens inconnus, des animaux, rêve où tout est moi, rapporte l’un d’eux, amusé, un autre a vu dans son rêve de son cœur s’élever un phare …la comédienne s’est vue en homme….

Tous prêtent une oreille attentive à ces récits surprenants qui font sourire parfois mais semblent bien transformer les autres en porteurs de rêve tant il est vrai que cette activité nocturne nous la partageons tous.  Interrompant activités et récits les voilà qui se mettent à danser avant de se questionner de manière qui semble spontanée, par exemple sur la différence entre être « collègue « ou
« camarade ».

Les enchainements se font de façon fluide, une grande attention est accordée aux voix, à l’accompagnement musical (création sonore Olivier Brichet) et aux lumières (Fanny Lacour).

Nous sommes littéralement transportés dans un monde ludique où domine la fantaisie et où vagabonde l’imaginaire, celui que mettent en jeu les comédiens et qui contamine celui des spectateurs ravis  de  partager ce voyage inédit au pays des rêves.

Marie-Françoise Grislin pour hebdoscope

Représentation du 28 mars au Maillon