Archives de catégorie : DVD

Passeur de rêves

Un livre magnifique revient sur la carrière de Steven Spielberg

En novembre dernier, les élèves de 4e du collège Wolf de Mulhouse ayant réalisé un film sur Steven Spielberg ont eu la surprise de voir leur idole les féliciter et les inviter à se rendre à Hollywood. Un cinéaste qui sait et qui a montré dans ses innombrables films que puiser dans son enfance pouvait à jamais changer votre vie. Et tandis que le 6 juin prochain, le 80e anniversaire du débarquement allié en Normandie sera l’occasion d’une nouvelle vague éditoriale dont rendra compte Hebdoscope, il devenait nécessaire de se plonger cinématographiquement dans l’œuvre de celui qui mythifia au plus haut point l’action des Etats-Unis durant la seconde guerre mondiale comme en témoigne sa nouvelle série Masters of the air, diffusée en début d’année sur la plateforme Apple TV.


Steven Spielberg sait combien ces rencontres construisent les rêves, les vocations. Un jour peut-être l’un de ces collégiens deviendra lui-aussi un réalisateur culte après avoir découvert le cinéma de Spielberg comme ce dernier découvrit celui de Cecil B. de Mille, ou après avoir imité dans son cinéma de quartier telle scène ou reproduit tel procédé à l’image de ce que fit le futur réalisateur de Jurassic Park (1993) lorsqu’il expérimenta une mixture ressemblant à du vomi qu’il déversa depuis les balcons du cinéma de Phoenix à l’été 1960.

Un cinéma que nous invitent à découvrir Olivier Bousquet, Arnaud Devillard et Nicolas Schaller dans ce très beau livre. Car voilà plus d’un demi-siècle que Spielberg nous accompagne, nous fait rêver, pleurer, tressaillir. Nous, nos parents et nos enfants dans ce formidable lien entre les générations qu’il a su tisser, avec cette magie qu’il a fabriqué derrière sa caméra, cet héritage qu’il nous a transmis et que nous transmettons à notre tour en regardant à travers les yeux de nos enfants, ces premières découvertes d’E.T (1982), d’Indiana Jones ou des Dents de la mer (1975).

Le livre raconte ces épopées cinématographiques avec leurs acteurs (Richard Dreyfuss, l’alter-ego, Tom Cruise, les enfants acteurs promis à un brillant avenir), ses fidèles comme son incroyable directeur de la photographie, Janusz Kaminski, ou John Williams qui mit en musique ses légendes,  et ces anecdotes savoureuses comme celle où l’on apprend qu’il renonça à réaliser Rain Man car déjà engagé sur le troisième opus des aventures du célèbre archéologue.

Le lecteur se promène ainsi dans cette filmographie incroyable où la comédie côtoie la science-fiction, le film d’aventures, la fresque historique ou le thriller politique. Avec une empathie communicative pour leur sujet, les auteurs parviennent même à séduire les plus avertis avec ces films moins connus comme Always (1989) et ces innombrables détails passionnants. Tout en entrant dans la fabrication des ses chefs d’œuvre avec ses analyses techniques et les évolutions technologiques que Spielberg a inventés, ses arrêts sur image passionnants, le livre évoque aussi la difficile gestation de certains films comme La Liste de Schindler (1993) qui mit près de dix ans à voir le jour et les projets avortés comme ceux des biopics de Lindbergh et de Gershwin. Mais surtout, ces démonstrations permettent de révéler le cœur de l’ouvrage, celui de la compréhension du cinéma de Spielberg qui renvoie en permanence à l’enfance, et qui rend hommage à la famille, à sa mère (La Liste de Schindler) et à son père avec Il faut sauver le soldat Ryan (1998).

En faisant quelques pas de côté en explorant l’homme d’affaires via ses sociétés de production Dreamworks ou Amblin ou sa passion pour la peinture et notamment pour Norman Rockwell dont il possède plusieurs dizaines de toiles, le livre aborde également l’homme derrière la caméra. Un livre passionnant de bout en bout donc qui constituera une inépuisable source d’inspiration pour nos cinéastes alsaciens en herbe.

Par Laurent Pfaadt

Olivier Bousquet, Arnaud Devillard, Nicolas Schaller, Spielberg, la totale, les 48 films, téléfilms et épisodes tv expliqués, EPA, 540 p.

Rêves d’asphalte

Très tôt, les 24h du Mans ont excité l’imaginaire des artistes. Jusqu’à les faire monter à bord

Forgées par les épreuves tant symboliques que réelles, par les victoires et les drames, par des héros maudits ou acclamés, les 24h du Mans, la plus célèbre des courses d’endurance du monde, a très vite attiré acteurs, auteurs, scénaristes, musiciens et autres artistes.


Le Mans 66

Si les 24h du Mans sont presque aussi vieilles que le cinéma, celui-ci n’a pas attendu longtemps avant de s’intéresser à la mythique course. Ainsi dès 1935, un premier film baptisé 300 à l’heure voit le jour avant que les 24h du Mans viennent, à intervalles réguliers, faire rugir ses moteurs dans les salles obscures. Deux films marquèrent plus particulièrement cette histoire d’amour. En 1971, Le Mans réalisé par Lee H. Katzin vit un Steve McQueen affublé de sa célèbre combinaison frappée du logo Gulf qui allait faire de l’acteur américain la figure cinématographique de la course, incarner un pilote sur le retour après un grave accident – la scène est restée mythique – et luttant avec sa Porsche 917 contre la Ferrari 512 S de son rival allemand. 

Si le film se solda par un échec commercial et rejoignit la longue liste des films maudits d’Hollywood, un autre long-métrage, sorti quelques trente-huit ans plus tard, connut plus de succès. Le Mans 66 de James Mangold raconte ainsi la course de cette année 1966 qui sacra les Ford GT40 de la team Shelby-American Inc avec notamment Bruce McLaren et Ken Miles. Des stars telles que Matt Damon en Caroll Shelby, le père des Ford GT40 et Christian Bale (Ken Miles) sont les héros de cette grande aventure américaine aux 24h du Mans qui vit Ford briser l’hégémonie de Ferrari. 

Si le cinéma a glorifié la course, celle-ci a également attiré à elle un certain nombre d’acteurs, et pas seulement dans les tribunes, un verre de champagne à la main mais plutôt dans les voitures à zigzaguer entre les flaques d’huile et les accidents. De Steve McQueen à Michael Fassbender, oscar du meilleur acteur pour 12 years a slave présent cette année pour la deuxième fois à bord d’une 911 (Proton Compétition) à Patrick Dempsey, le célèbre docteur Shepherd de la série Grey’s Aanatomy qui participa à la course à quatre reprises, entre 2009 et 2015, sur Porsche et Ferrari, et Paul Newman, deuxième en 1979 sur une Porsche 935, nombreux sont les acteurs a avoir voulu s’imprégner de l’adrénaline du Mans autrement que derrière une caméra. Pour autant si le cinéma a fait des incursions dans la course, celle-ci s’est également invitée, avec ses voitures, dans les productions hollywoodiennes comme par exemple avec une Pontiac LeMans dans French Connection et surtout avec l’Aston Martin DB5 de James Bond.

D’autres artistes et notamment des musiciens ont eux aussi voulu descendre des podiums des concerts qui accompagnent cette fête du sport automobile pour entrer sur la piste. Ainsi, Nick Mason, le célèbre batteur de Pink Floyd courut cinq fois les 24h du Mans au début des années 1980 tout comme David Hallyday qui participa plusieurs fois à l’épreuve. D’autres préférèrent s’inspirer de la course pour la chanter. Ainsi Bidon d’Alain Souchon (1976) et plus récemment le chanteur italien Frederico Rossi dans sa chanson intitulée Le Mans évoquèrent la course.

Le 9e art, celui de la bande-dessinée, n’a pas été le dernier à célébrer les 24h du Mans, bien au contraire. Et en premier lieu Jean Graton qui a fait de la course, l’un des théâtres des aventures d’un Michel Vaillant également adapté au cinéma. Du premier album Le Grand Défi en 1959 à La Dernière cible sorti ces jours-ci, le circuit du Mans est indissociable, presque consubstantiel de l’univers de Michel Vaillant et revient régulièrement dans de nombreux albums. « Cela est dû au fait qu’il s’agit de la première course que Jean Graton a vu avec ses parents. De là est né sa passion pour ce sport. Et quand il a commencé la BD, son héros est devenu un pilote conduisant au Mans. Pour Jean Graton, Le Mans est la course fondatrice de Michel Vaillant » affirme ainsi Denis Lapière, scénariste de la nouvelle série Michel Vaillant qui dédicacera La dernière cible sur le circuit où une Vaillante prendra une nouvelle fois le départ comme en 2017. Les divers héritiers artistiques de Jean Graton n’ont eu qu’à suivre la route tracée par ce dernier. Parmi les plus talentueux, il faut bien évidemment citer le trio Denis Bernard, Youssef Daoudi et Christian Papazoglakis, auteur de la série « 24h du Mans » chez Glénat qui revient sur les grandes courses mythiques du Mans et particulièrement celles entre 1968 et 1971. Dans leurs pages revivent ainsi les duels de la Ford GT40 de Jacky Ickx contre la Porsche 908 d’Hermann et Larousse ou de la Porsche 917 « Kurzheck » de Jo Siffert – qui joua son propre rôle dans le film de Katzin – face aux onze Ferrari lors de la fameuse édition de 1970 où seules 9 voitures furent classées. Le pilote suisse est quant à lui le héros d’une autre bande-dessinée très réussie signée Michel Janvier et Olivier Marin. Dans leurs oeuvres, avec leurs dessins pleins de tension et de vitesse, les auteurs parviennent à restituer à merveille cette ambiance à nulle autre pareille, ce combat de gladiateurs modernes qui continue, cent ans après la première édition, à donner naissance à des étoiles qu’elles soient de celluloïds ou de papier. 

Par Laurent Pfaadt

A lire :

Parmi tous les albums de Michel Vaillant, la rédaction vous conseille notamment Le Grand Défi (1959), Le 13 est au départ (1962) et Le Fantôme des 24 heures (1970). Sans oublier le dernier album, La dernière cible de Lapière, Bourgne et Benéteau.

Parmi la série 24 heures du Mans des éditions Glénat, la rédaction a choisi notamment les fameuses courses de 1968-1969 et 1970-1971 signées Robert Paquet, Youssef Daoudi et Christian Papazoglakis dans la collection Plein gaz.

Michel Janvier, Olivier Marin, Jo Siffert, coll. Calandre, édition Paquet, 64 p.

A voir :

Le Mans (1971) de Lee H. Katzin avec Steve McQueen

Le Mans 66 (2019) de James Mangold avec Matt Damon et Christian Bale

La révolte des rois

Pour sa centième édition, le Grand Prix d’Espagne verra-t-il à nouveau la révolte des rois ? Celle de Lewis Hamliton, le sextuple champion du monde et six fois vainqueurs ici ? Celle de Fernando Alonso, le prince des Asturies de la F1, double champion du monde et double vainqueur ici, dix ans exactement après sa dernière victoire ? Celle de son héritier potentiel, roi en devenir, Carlos Sainz Jr ? C’est en tout cas ce qu’attendent les centaines de milliers de fans espagnols qui se masseront dans les tribunes de ce grand prix qui a connu, depuis cent ans, plusieurs berceaux. De Sitges-Terramar à Barcelona-Catalunya où il est installé aujourd’hui et où Michael Schumacher remporta sa première victoire pour Ferrari, en passant par celui du parc de Monjuic et la tragédie de 1975, de Jerez et de Jarama, il fut le théâtre d’affrontements épiques. Et si le double champion du monde espagnol a troqué le rouge Ferrari endossé par son héritier pour le vert des Aston Martin, il reste, dix ans après, un sérieux prétendant à la victoire, désireux de récupérer une couronne qu’il dut déposer aux pieds de Lewis Hamilton.


L’un de ces duels opposa en 1976 d’autres rois : James Hunt, Nikki Lauda et bien évidemment….Michel Vaillant. Dans La révolte des rois, trente-deuxième album de la série avec sa magnifique couverture d’un Michel Vaillant toisant un pilote inconnu, le pilote français affronte durant cette course un Niki Lauda, champion du monde en titre passé chez Ferrari et qui a gagné deux ans plus tôt le grand prix et un James Hunt bien décidé au volant de sa McLaren Ford, à lui ravir la couronne mondiale des pilotes. Mais apparaît en début de saison un jeune pilote, Alfredo Fabri, au volant d’une Ferrari privée qui va bouleverser le duel annoncé et s’immiscer dans la course au titre notamment durant cette course que remporta Michel Vaillant devant Hunt et Lauda. Quant à Fabri, il ne marqua qu’un point. Le Grand Prix d’Espagne a ainsi marqué, dans cet album, la révolte des rois face notamment à ce jeune prodige. Cette course fut également relatée dans le film Rush (2013) de Ron Howard lorsque James Hunt, arrivé premier fut déclassé puis reclassé.

Victoire de Fernando Alonso
© AFP

Les deux histoires finirent par se rejoindre lorsque l’accident tragique de Lauda au Nürburgring fut transporté sur le circuit du Grand Prix du Canada dans l’album de Jean Graton. Victime d’un accrochage, la voiture d’Alfredo Fabri prit feu et il fallut tout le courage des pilotes de l’écurie Vaillante pour extraire le jeune pilote de sa voiture et lui éviter une mort certaine. Dans un cas comme dans l’autre, sur l’asphalte allemand comme sur le papier canadien, un miracle permit à Alfredo Fabri et à Nikki Lauda de survivre. Quant à Fernando Alonso, c’est sur le tracé de Melbourne en 2016 qu’il connut sa plus grosse frayeur après être entré, comme ses deux aînés, dans une légende qu’il tentera, après sa très belle deuxième place à Monaco, de raviver. A moins que Carlos Sainz Jr ne profite de cette occasion pour se faire sacrer sur ce circuit catalan qui promet, une nouvelle fois, de réserver bien des surprises.

Par Laurent Pfaadt

A lire :

Jean Graton, Michel Vaillant, La révolte des rois, 48 p. 2012

Portrait de Fernando Alonso dans Daniel Ortelli, Loïc Chenevas-Paule, Jean-François Galeron, Les champions du monde de Formule 1, Casa éditions, 176 p.

A voir :

Rush de Ron Howard avec Chris Helmsworth et Daniel Brühl (2013)

Un mythe en perte de vitesse

Fin mai se tiendra la fameuse course des 500 miles d’Indianapolis dont l’étoile pâlit cependant depuis plusieurs années

Tandis qu’Monaco se déroulera la course automobile la plus prestigieuse du monde, aux Etats-Unis se tiendra celle qui fait office de référence dans le sport automobile américain : les 500 miles d’Indianapolis. Située sur le circuit de l’Indianapolis Motor Speedway non loin de la capitale de l’Indiana, cette course sur circuit ovale est, depuis 1911, une véritable institution. Ainsi chaque weekend précédant le Memorial Day, elle réunit les meilleurs pilotes d’Indycar, ce championnat regroupant des monoplaces, sorte de Formule 1 américaines.


Au cours des 122 éditions de l’épreuve, quelques grands noms du sport américain y ont forgé leur légende : A.J. Foyt, Al Unser ou Rick Mears notamment qui ont remporté chacun quatre fois la course et ont acquis le statut de héros américains. Plusieurs champions du monde de F1, Graham Hill, Emerson Fittipaldi ou Jacques Villeneuve ont également triomphé à Indianapolis. Idem dans le paddock avec de grands patrons d’écurie comme Roger Penske, Carl Haas ou Chip Ganassi. Certaines marques y ont glané leurs lettres de noblesse comme Ford ou Oldsmobile, ajoutant au triomphe de l’industrie automobile américaine des succès sportifs de prestige. Mais c’est certainement Chevrolet qui symbolise plus qu’aucune autre marque les 500 miles d’Indianapolis. Personne, pourtant, ne sait que le fondateur de la marque, Louis Chevrolet, disputa la course au début des années 20 et que son frère Gaston la remporta en 1920 sous les couleurs d’une France qui allait devoir attendre près d’un siècle (2019) pour qu’un autre de ses compatriotes, Simon Pagenaud, boive à nouveau le traditionnel verre de lait réservé au vainqueur. Mais si Chevrolet est aujourd’hui devenu un fleuron de l’industrie automobile américaine et une légende de la culture américaine, tout le monde a oublié qu’à l’origine, elle était…suisse. L’écrivain suisse Michel Layaz estime ainsi dans son livre, Les Vies de Chevrolet (ZOE éditions), que « personne ne se souvient (pas même en Suisse ou en France) que Louis Chevrolet a été le cofondateur de cette marque devenue célébrissime » avant d’ajouter : « les 500 miles d’Indianapolis vont offrir à Louis Chevrolet l’occasion d’une sorte de revanche sur le mauvais sort. En effet, en 1920, quand son frère Gaston gagne cette course déjà mythique aux USA, il la gagne sur une Frontenac, une voiture entièrement (châssis et moteur) conçue par Louis. A ce moment-là, Louis n’a pas le droit d’utiliser son patronyme puisqu’il l’a cédé pour une bouchée de pain à l’autre fondateur de la Chevrolet Motor Car Company, à savoir Billy Durant. » William Crapo « Billy » Durant qui avait fondé quelques années plus tôt General Motors.

Pour autant, comme le rappelle Sylvain Cypel, ancien correspondant du Monde aux Etats-Unis, le sport automobile et les 500 miles d’Indianapolis ne sont plus aussi populaires qu’avant et ont suivi le déclin de l’industrie automobile américaine. « Les patrons d’équipes automobiles ont connu souvent une grande notoriété, mais elle est en forte baisse, comme l’est l’industrie automobile en général. Le temps de la gloire de GM et Ford est amplement passée. Et avec elle celle du sport automobile américain. Le sport automobile est un résidu important de cette gloire passée, mais le déclin de l’industrie lourde américaine a entrainé l’automobile dans sa chute, au profit des Asiatiques, Toyota, Honda et les Coréens, et même les Européens, à un moindre degré » dit-il. Si bien que la Formule 1 dont la popularité est en constante croissance et a même le droit à sa série à succès sur la plateforme Netflix, ne fasse un retour en force avec trois grands prix cette année sur le territoire américain (Miami, Austin et Las Vegas), attirée par des investisseurs aux abois ou décidés à supplanter dans le cœur d’un public américain plus friand de baseball et de football, une Formule Indy en perte de vitesse. Et comme un symbole de ce déclassement américain, la domination du motoriste Honda, victorieux de quinze des vingt dernières éditions. Seul Chevrolet a pu, timidement, contester cette domination qui va bien au-delà du sport.

Reste le mythe, magnifiquement entretenu par la pop culture avec d’abord l’autre instrument majeur du soft power américain, le cinéma. Dès 1932, la course inspire Howard Hawks dans The Crowd Roars avec James Cagney dans le rôle-titre. Puis dans Virages de James Gladstone en 1969, Paul Newman y interprète un pilote engagé dans les 500 miles d’Indianapolis. Ce tournage allait d’ailleurs lui transmettre le virus du sport automobile puisque Paul Newman pilota plusieurs voitures (Ford Mustang et Ferrari 365 GTB) et fonda avec Carl Haas une écurie de courses, la Newman/Haas Racing, engagée en Indycar et qui recruta d’anciens pilotes de F1 comme Alan Jones, Nigel Mansell ou Sébastien Bourdais.

En France, les 500 miles d’Indianapolis ont trouvé un écho majeur dans la bande-dessinée et notamment dans les aventures de Michel Vaillant de Jean Graton qui en fit, à de nombreuses reprises, le lieu des exploits du pilote français. Plus récemment, Vincent Dutreuil et Denis Lapière sont revenus, dans le premier album de la série Légendes – Dans l’enfer d’Indianapolis – sur la fameuse course de 1966 (voir interview).

Pourtant, à l’heure où les puissances financières ont fait du sport et du divertissement des enjeux majeurs en matière d’investissement et d’image, le mythe ne suffit plus. Si tout le monde connaît Max Verstappen ou Lewis Hamilton, il n’en est pas de même avec Helio Castroneves ou Takuma Sato, pourtant multiples vainqueurs des 500 miles d’Indianapolis. Et il est fort à parier que fin mai, les yeux du monde entier, y compris ceux qui font le sport automobile mondial, ne brillent davantage pour Monaco, une vieille dame assurément plus séduisante que son aînée américaine.

Par Laurent Pfaadt

A lire :

Vincent Dutreuil, Denis Lapière, Dans l’enfer d’Indianapolis, Légendes Michel Vaillant, 64 p, 2022

Michel Layaz, Les vies de Chevrolet, ZOE, 128 p, 2021

A voir :

Virages de James Gladstone (1969) avec Paul Newman

Magellan

François de Riberolles, L’incroyable périple de Magellan, Production ARTE France, Camera Lucida, Minima Films, Belgica Films, Serena Productions, 2 DVD, Arte éditions

« Une idée animée par le génie et portée par la passion » disait l’écrivain autrichien Stefan Zweig à propos de Magellan, dans son admirable biographie parue en 1938. Mais que sait-on au juste du navigateur portugais Fernand de Magellan qui réussit là où Christophe Colomb échoua ? Qu’il rejoignit les Indes par l’ouest en traversant la mer océane. Comme le rappelle le réalisateur de cette magnifique série documentaire, François de Riberolles, « on connait tous le nom de Magellan mais ses exploits sont tombés dans l’oubli car Magellan est un héros maudit ». En somme, un navigateur ayant effectué la première circumnavigation, c’est-à-dire le premier tour du monde sur mer qu’il n’acheva pourtant pas, tué par des indigènes quelque part en Asie. Voilà donc à quoi se résume l’aventure hors du commun de Magellan.


C’est dire tout l’intérêt de cette série documentaire basée sur le récit d’un compagnon de l’expédition, l’italien Antonio Pigafetta, qui plonge sous la surface non pas de l’océan mais de l’histoire officielle pour évoquer toute la complexité de l’expédition du navigateur portugais. Partir à la découverte d’une aventure trop souvent réduite à quelques éléments en compagnie des 237 marins formant cette tour de Babel sur mer (il y eut quelques français) et qui embarquèrent sur les cinq navires de l’expédition a quelque chose d’excitant surtout quand elle est portée par un rythme si prenant. Oscillant entre le film d’animation qui permet magnifiquement d’installer les protagonistes de cette histoire et en donne une dimension presque littéraire, le récit d’aventures mêlant expéditions maritime et anthropologique et l’apport d’historiens, de voyageurs et d’écrivains venus du monde entier et permettant d’explorer toutes les dimensions de cet incroyable périple, le documentaire ne s’octroie aucun temps mort et ne laisse ainsi aucun répit au spectateur. Et même lorsque la mer est étale, il se passe toujours quelque chose à bord de la Victoria, de la Trinidad et des autres bateaux.

Pour comprendre les dessous de l’expédition de Magellan, la série suit deux voies : celle de Magellan lui-même, navigateur portugais entré au service du roi d’Espagne, Charles Quint. Et celle de sa quête, l’ouverture par l’ouest d’une route vers l’île des Moluques, seule productrice à l’époque des girofliers et de ses fameux clous de girofle dont les vertus médicinales et gastronomiques étaient connues depuis l’Antiquité et valaient à cette épice une valeur supérieure à l’or.

De ces deux thématiques découlent tout le reste que la série exploite à merveille : les considérations géopolitiques d’une Espagne engageant un « traître » pour tenter de régner sur un monde divisé depuis le traité de Tordesillas (1494) entre Portugais et Espagnols, mais également l’évolution psychologique d’un homme devant en permanence réaffirmer sa légitimité durant ce voyage qui dura près de trois ans. La découverte enfin de terres et de peuples inconnus jusque-là par un marin doté d’une intuition géniale – notamment lors du franchissement du détroit qui allait porter son nom – et des hommes écrivant, à grands coups de courage et d’exploits quotidiens, l’histoire de l’humanité dans laquelle ils sont entrés de leur vivant ou en y laissant leur vie. « C’est sans doute l’expédition la plus significative de l’histoire de l’humanité » estime ainsi Felipe Garcia-Huidobro Correa, contre-amiral chilien et acteur de cette série documentaire appelée à rester dans les mémoires de tous ceux qui, de 7 à 77 ans, ont rêvé et rêvent toujours d’horizons lointains.

Par Laurent Pfaadt

Muhammad Ali

Ce fut indiscutablement l’un des évènements télévisuels de 2021. En près de sept heures, le célèbre documentaliste Ken Burns, auteur des magistraux The Civil War (Guerre de sécession) et The War (Guerre du Vietnam, tous deux disponibles chez Arte vidéos) revient sur la vie et la carrière de la légende de la boxe, the
« Greatest » Muhammad Ali. Ken Burns ne produit pas seulement un condensé de la légende sportive mais insère cette dernière dans une époque, dans un récit national fait de heurts, de bouleversements et de transformations majeurs.


Bien évidemment, les grands combats sont là. Contre Sonny Liston. Contre Joe Frazier qui fut le premier à battre Muhammad Ali lors du fameux match du siècle (8 mars 1971) dans un Madison Square Garden où toute l’Amérique s’était donné rendez-vous, des stars d’Hollywood aux ouvriers du Kentucky en passant par les politiques de Washington. Contre George Foreman au Zaïre. Contre Larry Holmes qui fut son protégé dans son antre de Deer Lake et qui finit en octobre 1980 par mettre un terme à la carrière du champion tout en retenant ses coups par respect pour son idole. Des combats devenus mythiques dans l’histoire de la boxe.

Ken Burns convoque ainsi les grands témoins, boxeurs, famille et proches pour nous conter l’histoire de cette étoile de la boxe. Analyses des combats – et le fameux jeu de jambe d’Ali qui alimenta le « vole comme le papillon, pique comme l’abeille » et de leurs conséquences sur l’entourage d’un champion qui ne bouda aucun des plaisirs du succès, le documentaire ne fait l’impasse sur rien. Mais le récit du documentariste va plus loin en glorifiant comme dans ses récits précédents, les vaincus, ceux restés dans l’ombre. En s’attardant sur les adversaires d’Ali, comme par exemple sur la mort mystérieuse d’un Sonny Liston devenu la créature de la mafia ou sur la jeunesse d’un Joe Frazier qui, enfant, ramassait le coton dans des champs de Caroline du sud, Ken Burns réussit à dépeindre à merveille l’Amérique de ces années 60-70.

Déchu de son titre pour avoir refusé de servir sous les drapeaux, Ali mit KO debout le discours patriotique qui voulut l’enfermer dans un rôle qu’il s’est toujours refuser à jouer. Muhammad Ali est alors devenu plus qu’un boxeur, dépassant les frontières de son propre pays et de sa propre condition. Il s’est ainsi érigé en chantre du tiers-monde résumé dans cette fameuse phrase : « je n’ai pas de problème avec les Vietcongs. Les Vietcongs sont des Asiatiques noirs. (…) Je ne veux pas avoir à combattre des Noirs. »

En exacerbant ses outrances, son assurance, son manque d’humilité qu’il conserva cependant devant Elijah Muhammad et l’Islam, Burns raconte de la plus belle des manières le mythe Ali. Celui d’un homme qui ne se soumet pas à la loi de ses semblables. Celui d’un homme qui, défiant les lois du corps humain, finit par être rattrapé par une maladie qui pourtant, ne le vainquit qu’aux poings. Celui d’un homme enfin qui, à la différence de ses adversaires, a tenu la fatalité à bonne garde avant de céder. « Il [Dieu] m’a donné la maladie de Parkinson pour me montrer que je n’étais qu’un homme comme les autres, que j’avais des faiblesses, comme tout le monde. C’est tout ce que je suis : un homme. » Un homme drapé de légende qui soumit, le temps d’un round, le monde entier.

Par Laurent Pfaadt

Muhammad Ali, Ken Burns, Sarah Burns et David McMahon, 3DVD,
Arte éditions

Sarabande pour un chef d’œuvre

A la découverte
des secrets de
fabrication de
Barry Lyndon.
Magnifique

Quarante-cinq ans
après sa sortie,
Barry Lyndon reste
toujours aussi
fascinant. La
preuve avec le
merveilleux
ouvrage que les
éditions TASCHEN lui consacrent après avoir publié, il y a
quelques années, les archives Kubrick.

Barry Lyndon est d’abord l’adaptation d’un roman de William
Thackeray, les Mémoires de Barry Lyndon (1844). Après avoir
imposé son nom et son style avec des films cultes comme 2001,
l’Odyssée de l’espace
(1968) et Orange mécanique (1971), Stanley
Kubrick s’attaqua en 1975 au roman historique pour mettre en
scène les aventures de cet intrigant. Le réalisateur connu pour son
exigence et en même temps pour son inventivité souhaitait
absolument coller au réalisme du XVIIIe siècle – il fit une entorse
en utilisant le trio de Schubert composé en 1814 – et mit un soin
tout particulier à ce que le scénario ne déborde pas le cadre défini.
« Le scénariste a tendance à vouloir se montrer créatif trop vite »
assurait-il dans l’entretien qu’il donna à Michel Ciment et que
l’ouvrage reproduit en même temps que plusieurs planches du
scénario annotée de la main du cinéaste

L’ouvrage nous fait alors entrer dans le laboratoire du film et ce
qu’il nous révèle est absolument fascinant. De la réalisation des
costumes à l’utilisation de décors naturels, les passages sur la
photographie de John Alcott qui reçut pour ce film l’un des quatre
Oscars sont, de loin, les plus intéressants. Tout en écornant le
mythe d’une lumière naturelle qu’il n’était pas possible, à cette
époque, de rendre intacte sans apports artificiels, Barry Lyndon
demeure l’un des plus beaux films d’intérieur avec cet éclairage à
la chandelle qui lui donne des airs de tableaux vivants. « Je ne
pouvais pratiquement pas bouger sinon je devenais floue »
se souvint
Marisa Berenson qui interprète Lady Lyndon. Le livre montre ainsi
comment Kubrick obtint cette incroyable patine en utilisant des
objectifs Zeiss récupérés de la NASA et bricolés par ses
techniciens.

Porté par la merveilleuse Sarabande d’Haendel ainsi que
l’incroyable trio de Schubert dans la scène de la séduction de Lady
Lyndon, la musique, en remplaçant certains dialogues, accentue la
dramaturgie de l’histoire. Au final,  Barry Lyndon, cette histoire si
moderne de ce personnage mi-héros, mi-crapule, n’a,
esthétiquement et philosophiquement, pas pris une ride.

Par Laurent Pfaadt

Alison Castle, Stanley Kubrick, Barry Lyndon,
Coffret livre & DVD, TASCHEN.

Pour aller plus loin : Alison Castle,
Les Archives Stanley Kubrick,
TASCHEN, 544 p.

Le destin frappant le mur

Bernstein
conduisant la
neuvième
symphonie de
Beethoven au
moment de la
chute du mur de
Berlin. Quand
histoire et
musique se
rejoignent.

Ce jour-là fut un
moment de joie. Ce
jour-là, les Allemands de l’Est retrouvaient enfin, après trente-huit
ans de séparation, leurs frères de l’Ouest. « Tous les humains
deviennent frères »
proclame la neuvième symphonie de
Beethoven. Quelques semaines plus tard, le 25 décembre 1989 au
Schauspielhaus de Berlin, la musique du génie de Bonn célébra
cette liberté tant espérée. Le trentième anniversaire de la chute
du mur de Berlin offre ainsi une formidable occasion de rééditer
ce concert incroyable. Alors que l’auditeur avait, jusque-là, dû se
contenter du son, certes merveilleux, il lui est aujourd’hui possible
de voir ce concert et d’entrer un peu plus dans ce moment
historique.

C’est un Américain, le plus européen des Américains, Leonard
Bernstein, qui fut, pour l’occasion, chargé de conduire non pas une
phalange musicale, mais cette réconciliation. Plus qu’une
symphonie, plus qu’une ode à la liberté, son interprétation
constitua un hymne à cette Europe divisée qui voyait enfin se
réconcilier ses fils bien-aimés. Il y mit toute sa force et sa passion
comme en témoigne les extraordinaires images du concert, lui qui
fit battre comme personne le cœur humain avec ses symphonies
de Mahler, lui, le représentant d’une Amérique victorieuse de la
guerre froide devenu ce jour-là, le chantre d’une Europe où il n’y
avait plus ni capitalistes ni communistes.

Cette version de la neuvième est probablement l’une des plus
belles jamais données car elle porte en elle le poids de l’histoire,
celle de l’Europe, celle de l’humanité avec ses espoirs et ses
tragédies. A la douceur des bois répond le tocsin de cuivres menés
par cet orchestre de la radio bavaroise où figuraient également
des musiciens venus des orchestres des anciennes puissances
occupantes. A la dernière note jouée, le silence se fit. Puis une
clameur monta. Dans le public, on s’étreignit. « Tous les humains
deviennent frères »
. Nul doute que ce jour-là, Beethoven versa
quelques larmes, satisfait d’avoir enfin été écouté.

Par Laurent Pfaadt

Ode an die Freiheit, Beethoven, Symphonie n° 9, divers orchestres,
dir. Leonard Bernstein,
CD + DVD, Deutsche Grammophon.

Sur l’Olympe de la musique

© Wiener Staatsoper / Michael Poehn

Un formidable
coffret DVD
revient sur la
glorieuse histoire
de l’opéra de
Vienne

Il figure au rang
des opéras les plus
mythiques de la
planète avec
Londres, Milan, New York, Paris et Bayreuth. Parce que son nom
est associé aux plus grands génies de la musique classique comme
Mozart ou Beethoven mais également parce que les plus grands
artistes, de la scène à la fosse ont officié ici, ajoutant leurs étoiles à
celles qui brillent déjà au firmament de la musique classique. A
l’occasion de son 150e anniversaire, le Staatsoper de Vienne,
inauguré en 1869 par l’empereur François-Joseph dont on
raconte que sa critique architecturale provoqua le suicide de
l’architecte, se donne à voir à travers une série de onze DVD
retraçant plus de quarante ans d’opéras.

C’est un véritable livre d’histoire que l’on ouvre et que l’on écoute.
Couvrant un large spectre musical, du baroque au
postromantisme de Richard Strauss en passant par le bel canto,
Wagner et Bizet, ce coffret débute bien évidemment avec le Don
Giovanni
de Mozart qui inaugura l’opéra le 25 mai 1869. La version
proposée est celle avec Carlos Alvarez dans le rôle-titre sous la
direction de Riccardo Muti. Le spectateur assiste sur la scène du
Staatsoper, à la naissance d’une autre étoile, celle d’une toute
jeune basse appelée à une grande carrière, Ildebrando
D’Arcangelo.

Les légendes se succèdent dans la fosse et sur la scène de l’opéra
notamment ses célèbres directeurs musicaux, d’Herbert von
Karajan à Claudio Abbado en passant par Lorin Maazel dans les
années 1980 qui signa une extraordinaire version de Turandot
sans oublier évidemment Carlos Kleiber qui marqua Vienne de
son empreinte à chacun de ses concerts. Ici, le maestro donne un
Carmen d’anthologie avec à la mise en scène, le regretté Franco
Zefferelli et sur la scène Elena Obraztsova. Les chanteurs ne sont
pas en reste avec une pléiade de légendes : l’inaltérable Placido
Domingo bien entendu dans Lohengrin, Carmen et le Trouvère de
Giuseppe Verdi, José van Dam, Raina Kabaivanska, cette soprano
bulgare à la voix si intense ou José Carreras, électrisant dans
Turandot. Le baroque n’est pas oublié avec Alcina d’Haendel sous la
direction de Marc Mankowski qui demeure encore aujourd’hui
l’un des chefs les plus appréciés du Staatsoper. Le duo entre Anja
Harteros et Vesselina Kasarova vaut le détour.

Et puis, il y a Strauss, Richard Strauss avec son Elektra dont il
donna la première viennoise ici, sur la scène du Staatsoper. Et
pour rendre hommage à ce dernier, il fallait au compositeur sa
plus grande interprète : Brigitte Fassbaender. Ariane à Naxos
complète également l’hommage du temple à son gardien dans une
version récente avec Johan Botha et Sophie Koch.

Véritable voyage dans ce lieu mythique, ce coffret comblera donc
aussi bien les passionnés d’opéras que les amoureux de cette ville
éternelle.

Par Laurent Pfaadt

150 years Wiener Staatsoper, Great Opera Evenings,
11 DVD, ArtHaus Musik, 2019