Archives de catégorie : DVD

Magellan

François de Riberolles, L’incroyable périple de Magellan, Production ARTE France, Camera Lucida, Minima Films, Belgica Films, Serena Productions, 2 DVD, Arte éditions

« Une idée animée par le génie et portée par la passion » disait l’écrivain autrichien Stefan Zweig à propos de Magellan, dans son admirable biographie parue en 1938. Mais que sait-on au juste du navigateur portugais Fernand de Magellan qui réussit là où Christophe Colomb échoua ? Qu’il rejoignit les Indes par l’ouest en traversant la mer océane. Comme le rappelle le réalisateur de cette magnifique série documentaire, François de Riberolles, « on connait tous le nom de Magellan mais ses exploits sont tombés dans l’oubli car Magellan est un héros maudit ». En somme, un navigateur ayant effectué la première circumnavigation, c’est-à-dire le premier tour du monde sur mer qu’il n’acheva pourtant pas, tué par des indigènes quelque part en Asie. Voilà donc à quoi se résume l’aventure hors du commun de Magellan.


C’est dire tout l’intérêt de cette série documentaire basée sur le récit d’un compagnon de l’expédition, l’italien Antonio Pigafetta, qui plonge sous la surface non pas de l’océan mais de l’histoire officielle pour évoquer toute la complexité de l’expédition du navigateur portugais. Partir à la découverte d’une aventure trop souvent réduite à quelques éléments en compagnie des 237 marins formant cette tour de Babel sur mer (il y eut quelques français) et qui embarquèrent sur les cinq navires de l’expédition a quelque chose d’excitant surtout quand elle est portée par un rythme si prenant. Oscillant entre le film d’animation qui permet magnifiquement d’installer les protagonistes de cette histoire et en donne une dimension presque littéraire, le récit d’aventures mêlant expéditions maritime et anthropologique et l’apport d’historiens, de voyageurs et d’écrivains venus du monde entier et permettant d’explorer toutes les dimensions de cet incroyable périple, le documentaire ne s’octroie aucun temps mort et ne laisse ainsi aucun répit au spectateur. Et même lorsque la mer est étale, il se passe toujours quelque chose à bord de la Victoria, de la Trinidad et des autres bateaux.

Pour comprendre les dessous de l’expédition de Magellan, la série suit deux voies : celle de Magellan lui-même, navigateur portugais entré au service du roi d’Espagne, Charles Quint. Et celle de sa quête, l’ouverture par l’ouest d’une route vers l’île des Moluques, seule productrice à l’époque des girofliers et de ses fameux clous de girofle dont les vertus médicinales et gastronomiques étaient connues depuis l’Antiquité et valaient à cette épice une valeur supérieure à l’or.

De ces deux thématiques découlent tout le reste que la série exploite à merveille : les considérations géopolitiques d’une Espagne engageant un « traître » pour tenter de régner sur un monde divisé depuis le traité de Tordesillas (1494) entre Portugais et Espagnols, mais également l’évolution psychologique d’un homme devant en permanence réaffirmer sa légitimité durant ce voyage qui dura près de trois ans. La découverte enfin de terres et de peuples inconnus jusque-là par un marin doté d’une intuition géniale – notamment lors du franchissement du détroit qui allait porter son nom – et des hommes écrivant, à grands coups de courage et d’exploits quotidiens, l’histoire de l’humanité dans laquelle ils sont entrés de leur vivant ou en y laissant leur vie. « C’est sans doute l’expédition la plus significative de l’histoire de l’humanité » estime ainsi Felipe Garcia-Huidobro Correa, contre-amiral chilien et acteur de cette série documentaire appelée à rester dans les mémoires de tous ceux qui, de 7 à 77 ans, ont rêvé et rêvent toujours d’horizons lointains.

Par Laurent Pfaadt

Muhammad Ali

Ce fut indiscutablement l’un des évènements télévisuels de 2021. En près de sept heures, le célèbre documentaliste Ken Burns, auteur des magistraux The Civil War (Guerre de sécession) et The War (Guerre du Vietnam, tous deux disponibles chez Arte vidéos) revient sur la vie et la carrière de la légende de la boxe, the
« Greatest » Muhammad Ali. Ken Burns ne produit pas seulement un condensé de la légende sportive mais insère cette dernière dans une époque, dans un récit national fait de heurts, de bouleversements et de transformations majeurs.


Bien évidemment, les grands combats sont là. Contre Sonny Liston. Contre Joe Frazier qui fut le premier à battre Muhammad Ali lors du fameux match du siècle (8 mars 1971) dans un Madison Square Garden où toute l’Amérique s’était donné rendez-vous, des stars d’Hollywood aux ouvriers du Kentucky en passant par les politiques de Washington. Contre George Foreman au Zaïre. Contre Larry Holmes qui fut son protégé dans son antre de Deer Lake et qui finit en octobre 1980 par mettre un terme à la carrière du champion tout en retenant ses coups par respect pour son idole. Des combats devenus mythiques dans l’histoire de la boxe.

Ken Burns convoque ainsi les grands témoins, boxeurs, famille et proches pour nous conter l’histoire de cette étoile de la boxe. Analyses des combats – et le fameux jeu de jambe d’Ali qui alimenta le « vole comme le papillon, pique comme l’abeille » et de leurs conséquences sur l’entourage d’un champion qui ne bouda aucun des plaisirs du succès, le documentaire ne fait l’impasse sur rien. Mais le récit du documentariste va plus loin en glorifiant comme dans ses récits précédents, les vaincus, ceux restés dans l’ombre. En s’attardant sur les adversaires d’Ali, comme par exemple sur la mort mystérieuse d’un Sonny Liston devenu la créature de la mafia ou sur la jeunesse d’un Joe Frazier qui, enfant, ramassait le coton dans des champs de Caroline du sud, Ken Burns réussit à dépeindre à merveille l’Amérique de ces années 60-70.

Déchu de son titre pour avoir refusé de servir sous les drapeaux, Ali mit KO debout le discours patriotique qui voulut l’enfermer dans un rôle qu’il s’est toujours refuser à jouer. Muhammad Ali est alors devenu plus qu’un boxeur, dépassant les frontières de son propre pays et de sa propre condition. Il s’est ainsi érigé en chantre du tiers-monde résumé dans cette fameuse phrase : « je n’ai pas de problème avec les Vietcongs. Les Vietcongs sont des Asiatiques noirs. (…) Je ne veux pas avoir à combattre des Noirs. »

En exacerbant ses outrances, son assurance, son manque d’humilité qu’il conserva cependant devant Elijah Muhammad et l’Islam, Burns raconte de la plus belle des manières le mythe Ali. Celui d’un homme qui ne se soumet pas à la loi de ses semblables. Celui d’un homme qui, défiant les lois du corps humain, finit par être rattrapé par une maladie qui pourtant, ne le vainquit qu’aux poings. Celui d’un homme enfin qui, à la différence de ses adversaires, a tenu la fatalité à bonne garde avant de céder. « Il [Dieu] m’a donné la maladie de Parkinson pour me montrer que je n’étais qu’un homme comme les autres, que j’avais des faiblesses, comme tout le monde. C’est tout ce que je suis : un homme. » Un homme drapé de légende qui soumit, le temps d’un round, le monde entier.

Par Laurent Pfaadt

Muhammad Ali, Ken Burns, Sarah Burns et David McMahon, 3DVD,
Arte éditions

Sarabande pour un chef d’œuvre

A la découverte
des secrets de
fabrication de
Barry Lyndon.
Magnifique

Quarante-cinq ans
après sa sortie,
Barry Lyndon reste
toujours aussi
fascinant. La
preuve avec le
merveilleux
ouvrage que les
éditions TASCHEN lui consacrent après avoir publié, il y a
quelques années, les archives Kubrick.

Barry Lyndon est d’abord l’adaptation d’un roman de William
Thackeray, les Mémoires de Barry Lyndon (1844). Après avoir
imposé son nom et son style avec des films cultes comme 2001,
l’Odyssée de l’espace
(1968) et Orange mécanique (1971), Stanley
Kubrick s’attaqua en 1975 au roman historique pour mettre en
scène les aventures de cet intrigant. Le réalisateur connu pour son
exigence et en même temps pour son inventivité souhaitait
absolument coller au réalisme du XVIIIe siècle – il fit une entorse
en utilisant le trio de Schubert composé en 1814 – et mit un soin
tout particulier à ce que le scénario ne déborde pas le cadre défini.
« Le scénariste a tendance à vouloir se montrer créatif trop vite »
assurait-il dans l’entretien qu’il donna à Michel Ciment et que
l’ouvrage reproduit en même temps que plusieurs planches du
scénario annotée de la main du cinéaste

L’ouvrage nous fait alors entrer dans le laboratoire du film et ce
qu’il nous révèle est absolument fascinant. De la réalisation des
costumes à l’utilisation de décors naturels, les passages sur la
photographie de John Alcott qui reçut pour ce film l’un des quatre
Oscars sont, de loin, les plus intéressants. Tout en écornant le
mythe d’une lumière naturelle qu’il n’était pas possible, à cette
époque, de rendre intacte sans apports artificiels, Barry Lyndon
demeure l’un des plus beaux films d’intérieur avec cet éclairage à
la chandelle qui lui donne des airs de tableaux vivants. « Je ne
pouvais pratiquement pas bouger sinon je devenais floue »
se souvint
Marisa Berenson qui interprète Lady Lyndon. Le livre montre ainsi
comment Kubrick obtint cette incroyable patine en utilisant des
objectifs Zeiss récupérés de la NASA et bricolés par ses
techniciens.

Porté par la merveilleuse Sarabande d’Haendel ainsi que
l’incroyable trio de Schubert dans la scène de la séduction de Lady
Lyndon, la musique, en remplaçant certains dialogues, accentue la
dramaturgie de l’histoire. Au final,  Barry Lyndon, cette histoire si
moderne de ce personnage mi-héros, mi-crapule, n’a,
esthétiquement et philosophiquement, pas pris une ride.

Par Laurent Pfaadt

Alison Castle, Stanley Kubrick, Barry Lyndon,
Coffret livre & DVD, TASCHEN.

Pour aller plus loin : Alison Castle,
Les Archives Stanley Kubrick,
TASCHEN, 544 p.

Le destin frappant le mur

Bernstein
conduisant la
neuvième
symphonie de
Beethoven au
moment de la
chute du mur de
Berlin. Quand
histoire et
musique se
rejoignent.

Ce jour-là fut un
moment de joie. Ce
jour-là, les Allemands de l’Est retrouvaient enfin, après trente-huit
ans de séparation, leurs frères de l’Ouest. « Tous les humains
deviennent frères »
proclame la neuvième symphonie de
Beethoven. Quelques semaines plus tard, le 25 décembre 1989 au
Schauspielhaus de Berlin, la musique du génie de Bonn célébra
cette liberté tant espérée. Le trentième anniversaire de la chute
du mur de Berlin offre ainsi une formidable occasion de rééditer
ce concert incroyable. Alors que l’auditeur avait, jusque-là, dû se
contenter du son, certes merveilleux, il lui est aujourd’hui possible
de voir ce concert et d’entrer un peu plus dans ce moment
historique.

C’est un Américain, le plus européen des Américains, Leonard
Bernstein, qui fut, pour l’occasion, chargé de conduire non pas une
phalange musicale, mais cette réconciliation. Plus qu’une
symphonie, plus qu’une ode à la liberté, son interprétation
constitua un hymne à cette Europe divisée qui voyait enfin se
réconcilier ses fils bien-aimés. Il y mit toute sa force et sa passion
comme en témoigne les extraordinaires images du concert, lui qui
fit battre comme personne le cœur humain avec ses symphonies
de Mahler, lui, le représentant d’une Amérique victorieuse de la
guerre froide devenu ce jour-là, le chantre d’une Europe où il n’y
avait plus ni capitalistes ni communistes.

Cette version de la neuvième est probablement l’une des plus
belles jamais données car elle porte en elle le poids de l’histoire,
celle de l’Europe, celle de l’humanité avec ses espoirs et ses
tragédies. A la douceur des bois répond le tocsin de cuivres menés
par cet orchestre de la radio bavaroise où figuraient également
des musiciens venus des orchestres des anciennes puissances
occupantes. A la dernière note jouée, le silence se fit. Puis une
clameur monta. Dans le public, on s’étreignit. « Tous les humains
deviennent frères »
. Nul doute que ce jour-là, Beethoven versa
quelques larmes, satisfait d’avoir enfin été écouté.

Par Laurent Pfaadt

Ode an die Freiheit, Beethoven, Symphonie n° 9, divers orchestres,
dir. Leonard Bernstein,
CD + DVD, Deutsche Grammophon.

Sur l’Olympe de la musique

© Wiener Staatsoper / Michael Poehn

Un formidable
coffret DVD
revient sur la
glorieuse histoire
de l’opéra de
Vienne

Il figure au rang
des opéras les plus
mythiques de la
planète avec
Londres, Milan, New York, Paris et Bayreuth. Parce que son nom
est associé aux plus grands génies de la musique classique comme
Mozart ou Beethoven mais également parce que les plus grands
artistes, de la scène à la fosse ont officié ici, ajoutant leurs étoiles à
celles qui brillent déjà au firmament de la musique classique. A
l’occasion de son 150e anniversaire, le Staatsoper de Vienne,
inauguré en 1869 par l’empereur François-Joseph dont on
raconte que sa critique architecturale provoqua le suicide de
l’architecte, se donne à voir à travers une série de onze DVD
retraçant plus de quarante ans d’opéras.

C’est un véritable livre d’histoire que l’on ouvre et que l’on écoute.
Couvrant un large spectre musical, du baroque au
postromantisme de Richard Strauss en passant par le bel canto,
Wagner et Bizet, ce coffret débute bien évidemment avec le Don
Giovanni
de Mozart qui inaugura l’opéra le 25 mai 1869. La version
proposée est celle avec Carlos Alvarez dans le rôle-titre sous la
direction de Riccardo Muti. Le spectateur assiste sur la scène du
Staatsoper, à la naissance d’une autre étoile, celle d’une toute
jeune basse appelée à une grande carrière, Ildebrando
D’Arcangelo.

Les légendes se succèdent dans la fosse et sur la scène de l’opéra
notamment ses célèbres directeurs musicaux, d’Herbert von
Karajan à Claudio Abbado en passant par Lorin Maazel dans les
années 1980 qui signa une extraordinaire version de Turandot
sans oublier évidemment Carlos Kleiber qui marqua Vienne de
son empreinte à chacun de ses concerts. Ici, le maestro donne un
Carmen d’anthologie avec à la mise en scène, le regretté Franco
Zefferelli et sur la scène Elena Obraztsova. Les chanteurs ne sont
pas en reste avec une pléiade de légendes : l’inaltérable Placido
Domingo bien entendu dans Lohengrin, Carmen et le Trouvère de
Giuseppe Verdi, José van Dam, Raina Kabaivanska, cette soprano
bulgare à la voix si intense ou José Carreras, électrisant dans
Turandot. Le baroque n’est pas oublié avec Alcina d’Haendel sous la
direction de Marc Mankowski qui demeure encore aujourd’hui
l’un des chefs les plus appréciés du Staatsoper. Le duo entre Anja
Harteros et Vesselina Kasarova vaut le détour.

Et puis, il y a Strauss, Richard Strauss avec son Elektra dont il
donna la première viennoise ici, sur la scène du Staatsoper. Et
pour rendre hommage à ce dernier, il fallait au compositeur sa
plus grande interprète : Brigitte Fassbaender. Ariane à Naxos
complète également l’hommage du temple à son gardien dans une
version récente avec Johan Botha et Sophie Koch.

Véritable voyage dans ce lieu mythique, ce coffret comblera donc
aussi bien les passionnés d’opéras que les amoureux de cette ville
éternelle.

Par Laurent Pfaadt

150 years Wiener Staatsoper, Great Opera Evenings,
11 DVD, ArtHaus Musik, 2019