C’est le rendez-vous incontournable de la rentrée culturelle à Strasbourg et dans la région avec à son programme des œuvres inattendues et la découverte de nouveaux compositeurs et de remarquables interprètes à leur service.
C’est au Maillon qu’ont eu lieu les premiers rendez-vous dans un patio où se croisaient les « Anciens et fidèles de ce festival qui en est à sa 42ème édition et de plus jeunes ou nouveaux spectateurs, les premiers plutôt décontenancés par le fait que le public quelque peu livré à lui-même ne devait que se référer au plan distribué dans le programme de la soirée pour effectuer une déambulation qui le conduisait à aller écouter un groupe de chanteurs, à être interpellés par de brusques éclats sonores et à détecter les messages inscrits sur différents panneaux, propositions de treize artistes, prélude et hommage au compositeur néerlandais Louis Andriessen, dont l’œuvre « DE STAAT» fait l’objet de la première partie du concert donné dans la grande salle vers laquelle les musiciens ont introduit le public. Cette œuvre peu interprétée a été composée en 1976 par Louis Andriessen, pour mettre en question les rapports de la musique et du politique, s’appuyant pour étayer cette thèse sur les écrits de Platon soutenant dans la « République » que des liens existaient entre les modes musicaux et l’état de la société et que pour ne pas le bouleverser il fallait se garder de toute innovation ce qu’Andriessen réfute.
Ce sont les ensembles Asko Schönberg et Ensemble Klang sous la direction de Clark Rundell qui interprètent avec brio et conviction cet « Etat de musique », les musiciens se répondant parfois en parfaite symétrie et par blocs constitués par les deux pianistes, les deux harpes, les cors avec leur forte résonance, les trompettes et les trombones renforçant l’énergie que déploie une partition aux riches et multiples propositions que soulignent les groupes des haubois, des altos et des deux guitares, la basse et l’électrique, les textes étant chantés par les sopranos Els Mondelaers et Bauwien van der Meer et les mezzo-soprano Michaela Riener et Anna Trombetta Cette remarquable interprétation était suivie en deuxième partie d’une oeuvre d’Oscar Bettison, un élève d’Andriessen « The slow weather of dreams » composée en 2024.
Ce sont les mêmes ensembles que nous retrouvons pour le
concert intitulé « LA PERSEVERANCE » traduction de « De Volharding » nom
donné à une formation fondée en 1971 par Louis Andriessen et Willem Breuker, pour
jouer dans les rues et sur le terrain des luttes sociales et se situant au
croisement de la fanfare et de la musique contemporaine.
Quatre œuvres au programme
« Dance works » de Steve Martland, nous offre une musique très rythmée comme le soulignent les balancements du chef d’orchestre, de la pianiste et du guitariste, tous très impliqués.
Julia Wolfe dans “Arsenal of democracy” présente une
partition où se succèdent sons aigus, bégaiements, accélérations et fortes
montées en puissance.
Dans « Nautilus » d’Anna Meredith, on voit le chef
Joey Marijs quitter son pupitre pour s’installer près de la batterie et de la
grosse caisse et s’adonner à mettre en valeur cette partition marquée par la répétition.
Dans la dernière partie nous découvrons avec « Mis for Man, Music, Mozart ce qu’a produit la collaboration d’Andriessen avec le réalisateur Peter Greenaway, une sorte de ciné-concert où s’entrecroisent des images de corps nus qui dansent avec des images de chair sanguinole, pour évoquer d’une certaine façon une
« création » de l’homme, homme de chair, de paille, épouvantail le tout accompagné de cette musique répétitive, soulignant l’expressivité et l’étrangeté des images.
Deux grands moments ce dimanche 22 septembre, le matin avec le récital de piano de Ralph van Raat interprétant « THE PEOPLE UNITED WILL NEVER BE DEFEATED » Une œuvre signée Frederic Rzewski écrite en 1975, à partir d’un chant révolutionnaire chilien dont les paroles furent écrites par les Quilapayùn et la musique par Sergio Ortega en soutien à Salvador Allende, un chant qui nous tient particulièrement à cœur car nous en connaissons l’histoire et avons eu bien des occasions de le chanter lors de manifestations au cours desquelles il a galvanisé nos espoirs, d’autant que le compositeur y a adjoint deux succès populaires le chant révolutionnaire italien
« Bandiera Rossa » et l’hymne antifasciste « Solidaritaslied ».
L’interprétation des trente-six variations qui en sont ici
proposées souligne le côté engagé, la détermination des adeptes de la liberté. Le
pianiste fait varier les rythmes pour mettre en évidence les moments de lutte,
la joie d’être unis pour triompher et ne se départit pas d’un jeu ininterrompu
et très expressif qui remporte l’enthousiasme du public à qui il accorde deux
rappels.
Ce même jour, l’après-midi nous avions l’occasion avec le concert intitulé « CAVACAR » de retrouver une formation toujours très appréciée à Musica, l’Ensemble L’Imaginaire pour l’interprétation de trois morceaux écrits par le compositeur brésilien Sergio Rodrigo. Les trois musiciens, la flûtiste Keiko Murakami, le saxophoniste Olivier Duverger et la pianiste Carolina Santiago Martinez se révèlent d’une grande virtuosité pour mettre en valeur ce travail élaboré à partir de la transposition des sonorités et des rythmes qui caractérisent au Brésil l’usage d’une petite guitare, le cavaquinho.
Après le jeu subtil de la pianiste dans « Cobra arco-iris » pour piano seul nous sommes, comme toujours émerveillés par le talent de Keiko Murakami que nous connaissons bien. Dans ce morceau intitulé « Cosmogrammes pour flûte basse seule » elle développe un jeu très retenu, une tension faite de souffles mesurés, variés, étonnants qui nous tiennent en haleine .
Dans le troisième morceau « Cavacar » les
trois interprètes se retrouvent autour du piano, jouant à frapper les cordes
faisant alterner temps forts et accalmies, attentif, chacun à ce que proposent
ses partenaires.
Le concert « RESONANZ» nous donne à entendre un
ensemble de dix-huit cordes. Il est placé ce jour sous la direction de Peter Rundel
pour, en première partie, une pièce de François Sarhan, en création mondiale,
entre délicatesse et frénésie, monte en puissance, puis s’apaise d’un coup, offrant
des battements répétitifs, des claquements de mains, une écriture qui
s’enjolive, emplit l’espace, pratique le flux et le reflux à l’image des vagues.
Création mondiale également pour « Residue » composée par Joanna
Bailie qui demande à l’orchestre à cordes d’interpréter une partition qui nous
plonge dans la rêverie et la méditation.
Enno Poppe avec « Wald » construit une
musique bavarde, remplie d’échanges vifs, marqués par des coups d’archets, des
éclats, des sons du quotidien, soulignant un empressement parfois frétillant,
plein d’allégresse.
La soirée du 27 septembre est une de celles qui nous aura
sans doute le plus touchés puisque nous avions la possibilité d’assister à deux
représentations dans le cadre de la programmation du Maillon. D’abord « LA
SOURCE» qui nous confrontait à des révélations faites par la lanceuse d’alerte
Chelsea Manning concernant les guerres menées par les Etats-Unis en Irak et en Afghanistan.
Un dispositif vidéo quadri frontal fait que nous ne cessons d’être entourés de visages de femmes, d’hommes de tous âges, de toutes origines, visages immobiles au regard fixe, visages projetés parfois en très gros plan. Derrière le rideau semi opaque se tient l’orchestre qui, sous la direction de Nathan Koci interprète la musique de Ted Hearne dans la mise en scène de Daniel Fish. C’est une œuvre complexe qui ne ménage ni nos yeux ni nos oreilles pour nous mettre au fait des exactions commises pendant ces guerres, alternance de voix graves, cris, martèlements, explosions, images de combats, de tueries, photos projetées de plans, de rapports. Nous sommes cernés, submergés, agressés, fascinés par cette mise en demeure de ne pouvoir échapper à ce qu’il faut bien appeler « les horreurs de la guerre ».
Certains dans le public disaient qu’ils auraient préféré
s’en passer.
Quant à nous il nous parait utile et nécessaire que de
telles œuvres puissent être créées et diffusées. Leur inventivité ne fait que
rendre plus prégnant la force du témoignage qui les habite.
Avec « ALL RIGHT. GOOD NIGHT » une autre
confrontation nous attendait, celle avec la disparition, une disparition qui se
joue sur deux tableaux celui d’un avion, celui d’une mémoire.
Un spectacle conçu par Helgard Haug, membre fondatrice du collectif Rimini Protokoll pour ce qui est du texte et de la mise en scène auquel s’adjoint la composition musicale de Barbara Morgenstern interprétée par l’orchestre Zafraan Ensemble. C’est en entremêlant deux histoires terribles et émouvantes que cette œuvre est conçue, celle de la disparition de l’avion de la Malaysia Airlines le 8 mars 2014 et les débuts de la démence dont son père est atteint. Les musiciens tiendront les rôles des passagers prêts à l’envol et de différents personnages au gré d’un récit qui suit le déroulement du temps qui s’écoule entre la catastrophe, encore aujourd’hui inexpliquée et l’annonce officielle 6 ans après de sa disparition, émaillé d’annonces de recherche, de trouvailles de débris, de témoignages, de refus de la cruelle réalité chez certaines familles, des fantasmes que cela suscite chez d’autres, le presque impossible deuil à faire pour ceux qui ont perdu un proche dans cet accident. Et en totale concomitance l’irréversible diminution de la conscience du père, qu’on se refuse à voir, contre laquelle se mettent en place des stratégies pour la masquer, sauver les apparences mais qui ne peuvent, à la fin aboutir qu’à l’irrémédiable. La contribution d’une scénographie, parfois à contretemps des drames en cours, signée Evi Bauer, comme cette plage où se prélassent des vacanciers au bord d’une mer houleuse qui rapporte quand même quelques débris supposés appartenir à l’avion disparu et surtout l’apport de la musique où vibraphone, batterie, contrebasse soulignent avec intensité une dramaturgie qui va du côté du réalisme, interpellant fortement nos capacités à réaliser l’irréalisable, à accepter l’inacceptable, à refuser de se soumettre aux évidences quand elles sont pour nous mortifères.
Un spectacle très émouvant dans lequel les musiciens se sont
révélés excellents comédiens.
Deux grands noms de la musique contemporaine sont à
l’honneur dans ce Festival, Stockhausen avec »Sirius » et Schönberg
auquel un film et un concert sont
dédiés.
Ce soir-là dans un Palais des Fêtes dont le plafond a été étoilé pour la circonstance nous sommes plongés dans une œuvre majestueuse, « SIRIUS » de Karlheinz Stockhausen écrite en1975-1977, créée à l’occasion du bicentenaire de l’indépendance des Etats-Unis et qui nous propose une sorte de voyage dans le cosmos. Un dispositif particulier place musiciens et chanteurs aux quatre points cardinaux, le public lui-même placé suivant ces orientations. Sur les podiums s’installent au Nord la basse, Damien Pass, en face, au Sud, la soprano, Sophia Körber , à l’Est, la trompette, Paul Hübner et à l’Ouest, la clarinette basse, Johanna Stephens-Janning , visages maquillés, les hommes en toges, les femmes en robes de cérémonie à la romaine .
Une bande-son fait retentir des bruits d’avion qui décolle, des borborygmes puis s’élève la voix puissante extraordinairement basse du chanteur, que l’on le voit s’appliquer à des regards perçants, tournés vers le ciel ou dirigés vers la femme, à des gestes larges, comme ceux d’un prédicateur, doigt tendu en signe d’avertissement, à l’auditoire ou à la femme en face à qui il s’adresse parfois avec véhémence, (on aurait aimé avoir le livret pour comprendre leurs échanges) et qui lui répond sans retenue, apprêtant sa voix à d’étonnants registres. La bande-son continue à déverser des bruits de vent, de pluie diluvienne tandis que la trompette entame un magnifique solo avant de laisser la clarinette basse s’engager à son tour dans l’interprétation d’une mélodie nuancée et audacieuse.
Quand les sons de décollage reviennent envahir l’espace,
nous savons que le temps est venu de quitter, non sans mal, le monde utopique
dans lequel ce spectacle d’une très grande qualité artistique nous a plongés.
L’autre grand compositeur de la musique contemporaine,
Arnold Schönberg était à l’honneur ce dimanche après-midi à la Cité de la
musique et de la danse puisque le film d’Andreas Morell, produit par Arte lui était consacré et nous permettait de
découvrir comment ce pionnier de la musique contemporaine avait mené sa vie et
son œuvre.
Un peu plus tard, au cours du concert donné par le Quatuor Diotima, c’est son « Quatuor à cordes n° 2 de 1907-1908 qui sera interprété . Ouvrant d’abord de larges horizons, la partition revient sur des tourments intérieurs sur lesquels elle semble méditer avant d’entamer un mouvement plus vif, plus sautillant et qu’ intervienne la soprano Axelle Fanyo, à la voix puissante et nuancée pour chanter un poème de Stefan George écrit en 1907.
Deux œuvres précédaient celle-ci, le Quatuor no 1 « Bobok » de François Sarhan de2002, au rythme syncopé, tout en contrastes où se développe le jeu tout en finesse et virtuose des interprètes, (violon, Yun-Peng Zhao et Léo Marillier, alto, Franck Chevalier, violoncelle, Alexis Descharmes )
Le Quatuor à cordes no3 d’Helmut Lachenmann « Grido »
de 2001 qui offre une musique très particulière avec frottements des cordes,
cordes pincées, des sonorités parfois à peine audibles, tout en subtilité et en
finesse.
De remarquables interprétations et un après-midi riche en émotions artistiques.
Marie-Françoise Grislin pour Hebdoscope