Archives de catégorie : Musique

Jeu de masques lumineux à l’ombre du château d’If

L’opéra de Marseille présentait un Ballo di Maschera de Verdi très réussi

Voilà plus de seize ans que cet opéra créé par Giuseppe Verdi en 1859 n’était pas revenu à Marseille. S’inspirant de l’assassinat du roi de Suède Gustave III lors d’un bal masqué à l’opéra royal de Stockholm en 1792, il reste cependant moins connu que La Traviata ou Luisa Miller. Dommage car il peut être considéré comme l’un des plus beaux, musicalement parlant, du compositeur italien, Olivier Bellamy, directeur artistique de Marseille Concerts, le considérant à juste titre comme « un diamant qui brille de tous ses feux, et transporte le cœur de tous les publics ».


Cela fut effectivement le cas sur la scène de l’opéra de Marseille.

Enea Scala et Chiara Isotton
copyright Christian Dresse

La mise en scène assez traditionnelle se fond parfaitement dans ce jeu de masques. Elle a quelque chose de délicieusement suranné, très stendhalien qui plonge immédiatement le spectateur dans une atmosphère où il pressent le drame à venir. Il y a dans l’air un souffle viscontien. Les robes virevoltent comme les destins où la comédie et la facétie incarnées par le merveilleux personnage du page Oscar, sorte de Papageno verdien alternent avec la tragédie d’un assassinat politique sur fond de haine amoureuse annoncé par une magicienne tiré d’un jeu de tarots, entre la Médée de Cherubini et le Commandeur de Mozart. Une histoire de vengeance très dumasienne à l’ombre d’un château d’If, haut-lieu des aventures du comte de Monte-Cristo.

Bien évidemment ce bal masqué ne serait rien sans des voix capables de distiller le vrai du faux. Et il faut dire qu’ici la distribution ne souffrit d’aucune faiblesse. Si le rôle titre, celui de Gustave III est parfaitement tenu par un Enea Scala qui a parfaitement pris la mesure du rôle et offre un merveilleux contrepoint au baryton Gezim Myshketa, impeccable en comte Anckarström, la beauté de cet opéra tient surtout à celle des voix féminines. Et en premier lieu Chiara Isotton, parfaite en  Amelia avec sa voix puissante et émotive qui, deux ans après sa magnifique Elisabeth de Valois triompha une nouvelle fois sur son terrain de jeu favori et n’est pas sans rappeler la soprano américaine Angela Meade. Maniant aussi bien le ut que le soupir et arrachant au public de nombreux « Bravo ! », son duo d’amour à l’acte II – « Oh, qual soave brivido » – restera assurément le point d’orgue de cette soirée. Une voix qui s’inséra dans un merveilleux jeu scénique emprunt à la fois d’une profonde retenue et d’une noblesse bafouée que l’on imagine parfaite dans la Marie Stuart de Donizetti. Il ne faudrait cependant pas oublier Sheva Tehoval, magnifique soprano colorature qui illumina avec son timbre lumineux et cristallin, cet opéra. Lauréate du concours reine Elisabeth en 2014, Sheva Tehoval distilla un belcanto remarquable qui enchante d’ailleurs depuis près de dix ans de nombreux théâtres et devrait assurément gagner en notoriété dans les années à venir.

Final copyright Christian Dresse

Restait alors à l’orchestre placé entre les mains du maestro Paolo Arrivabeni dont les Marseillais se souviennent encore avec émotion de son Simon Boccanegra en 2018 de mettre en magie ce bal masqué, ce qu’il fit avec brio notamment dans les déploiements du motif par les bois à l’acte II. Restant à l’écoute des voix et tenant la bride à un cheval musical qui libéra quelques moments de grâce notamment ces hennissements de violoncelle au troisième acte, le chef d’orchestre conduisit  parfaitement le tempo d’un bal masqué où vengeance et amour ne firent qu’un et de cet opéra plein de couleurs et de vie.

Par Laurent Pfaadt

Retrouvez la programmation de la nouvelle saison de l’opéra de Marseille sur : https://opera.marseille.fr/programmation

Fin de saison de l’OPS

A l’image du climat de ce printemps particulièrement instable, les concerts de la fin de saison de l’OPS, tous dirigés par son chef Aziz Shokakhimov, soufflèrent le chaud et le froid. Après un bon Don Quichotte de Richard Strauss et une prodigieuse Symphonie fantastique de Berlioz, nous eûmes un Requiem allemand de Brahms plutôt décevant.


Tous droits réservés © Nicolas Roses

La musique de Brahms ne semble plus être, chez les chefs d’orchestre d’aujourd’hui, la source d’inspiration qu’elle fut durant toute la seconde moitié du 20ème siècle. Sur la scène internationale, depuis la disparition de Claudio Abbado, il ne reste guère, comme grand interprète de Brahms, que Simon Rattle. A la différence de tout ce qu’il a su faire dans Beethoven, Schubert, Mendelssohn ou Schumann, le courant historiquement informé n’a pas laissé de témoignages marquants dans Brahms. A Strasbourg, exception faite d’une belle troisième symphonie récemment dirigée par Stanislav Kochanovsky, les dernières grandes interprétations brahmsiennes datent d’il y a une quinzaine d’années, sous la direction du chef polonais Jerzy Semkow. Cette distance d’avec Brahms ne touche cependant pas sa musique pour instrument solo, le piano en particulier. Lorsque l’on n’écoute des pianistes actuels comme Adam Laloum ou Alexandre Kantorow, on se dit que l’oeuvre pianistique de Brahms n’a peut-être jamais été aussi vivante.

Toujours est-il qu’en dépit de la venue du Choeur de l’Orchestre de Paris et d’un duo vocal de qualité – la soprano Pretty Yende et le baryton Ludovic Tezier –, le Requiem allemand sous la conduite de Shokakhimov n’aura jamais vraiment décollé. Sa principale qualité fut d’éviter le mysticisme compassé dans lequel certains grands chefs, tels Klaus Tennstedt ou Carlo Maria Giulini, sont parfois tombés. Ce chef d’oeuvre orchestral et vocal que Brahms ébaucha d’abord dans sa jeunesse (1856), suite à la mort de Robert Schumann, et qu’il acheva dix ans plus tard après le décès de sa mère, n’est pas tant une prière pour les morts qu’un chant de consolation et de réconfort pour ceux qui restent. Selon son propre mot, c’est un ‘’requiem humain’’. Cette dimension plus empathique que religieuse, alternant moments de tristesse, de gravité, ou d’exaltation, requiert une interprétation intensément engagée.

Celle de ce mardi 4 juin n’avait cependant pas mal commencé. En dépit de quelques flottements entre voix et orchestre, le premier épisode Selig sind, die da Leid tragen, denn sie sollen getröstet werden (‘’Heureux les affligés, car ils seront consolés’’), avec ses cordes graves et ses voix déplorantes, ne manquait pas d’une certaine grandeur. Mais, dès le second chant Denn alles Fleisch, es ist wie Gras (‘’Car toute chair est comme l’herbe’’), phrasés mécaniques et indifférence expressive plombent le dramatisme du morceau. Si la puissance vocale est au rendez-vous, on est en revanche surpris par la timidité du jeu orchestral et son peu de couleurs, cuivres et timbales étant particulièrement en berne. Les chants de joie et de triomphe qui éclatent en fin d’épisode resteront prosaïque et de marbre. Nonobstant les qualités vocales des deux solistes, il en sera malheureusement ainsi tout au long des cinq épisodes suivants.

Tous droits réservés © Nicolas Roses

Exprimant leur sentiment d’avoir entendu une œuvre superficiellement expédiée, des mélomanes et des musiciens présents ce soir-là accusaient la rapidité des tempi adoptés par Shokakhimov. Pourtant, dans les magnifiques enregistrements qu’ils ont laissé, des chefs comme Lorin Maazel et Otto Klemperer nous ont montré que puissance expressive et rapidité du tempo étaient parfaitement compatibles. Enregistré à Londres en 1961, Klemperer, une fois n’est pas coutume, s’avère le plus rapide de la discographie, donnant l’oeuvre en moins de soixante-huit minutes ! Herbert von Karajan, autre grand interprète de l’oeuvre et chef réputé plutôt agile, la jouait généralement en soixante-quinze minutes…

Tous droits réservés © Nicolas Roses

Les jeudi 23 et vendredi 24 mai, l’orchestre avait accueilli le jeune violoncelliste espagnol Pablo Ferrandez pour la partie soliste du Don Quichotte de Richard Strauss. On aura apprécié la plénitude et la chaleur de sa sonorité, de même que le côté vivant et vigoureux de son jeu. L’orchestre, sous la direction de son chef, lui offrit en prime un panorama musical rendant justice à l’une des orchestrations les plus raffinées du compositeur. Seule petite réserve : cette belle opulence sonore atténue quelque peu la dimension narrative et ironique du poème symphonique de Richard Strauss.

Le grand moment de la soirée fut la Symphonie fantastique d’Hector Berlioz. Datant de 1830, contemporaine de l’Hernani de Victor Hugo et du tableau de Delacroix (récemment restauré) La liberté conduisant le peuple sur les barricades, le chef d’oeuvre symphonique de Berlioz fut complété un an plus tard d’une suite mélodramatique intitulée Lélio, véritable manifeste du romantisme musical français dont on regrette qu’il soit si rarement donné. Dès l’introduction largo du premier mouvement – Rêveries, passions — les cordes étaient magnifiques et l’atmosphère onirique à son comble ! Avec la venue de l’allegro, on put être surpris que l’ambiance demeure un rien plus onirique que volcanique ; mais, lors du climax passionnel concluant ce premier épisode, Shokakhimov libère toutes les forces de l’orchestre, avec un dosage des pupitres parfait. Comme souvent avec le jeune chef, phrasé et articulation sont plutôt resserrés, mais cette fois sans la moindre crispation : l’air circule entre les notes et la grande ligne se montre évidente. L’élégance chorégraphique du second mouvement, Un bal, est proprement enthousiasmante. Rien à voir avec le triste fragment entendu lors du concert de présentation de la saison…Tout l’adagio suivant – Scène aux champs – baigne dans un climat poétique des plus prenants, avec un orage lointain fort réussi. Après une Marche au supplice introduite dans une magie sonore rarement entendue, le dernier mouvement Songe d’une nuit de Sabbat déploie une variété d’ambiances et un déluge de timbres (les éclats sarcastiques des cuivres!) digne d’éloges.

Dans l’histoire de l’OPS, deux chefs avaient jusque maintenant marqué de leur empreinte la Fantastique de Berlioz : Marc Albrecht et, plus anciennement, Alain Lombard. Aziz Shokakhimov s’inscrit dans leur sillage.

Michel Le Gris

Le Concert Spirituel

Tout le monde connaît le Médée de Luigi Cherubini, encensé par Brahms et qu’immortalisa Maria Callas sur la scène de la Scala en compagnie de Leonard Bernstein en 1953 puis au cinéma dans le film de Pasolini. Mais avant Cherubini, il fut une autre Médée, celle de Marc-Antoine Charpentier qu’Hervé Niquet et son ensemble, Le Concert Spirituel, tirent des ténèbres musicaux. Composée en 1693 sur un livret de Thomas Corneille, le frère de Pierre, puis créée en décembre 1693 à l’Académie royale de musique devant plusieurs membres de la cour notamment le Dauphin et Monsieur, cette Médée était tombée dans l’oubli, comme punie par les dieux de la musique et surtout par les mânes de Lully et ses gardiens qui ont ouverts les enfers musicaux sur Charpentier car selon Hervé Niquet, « l’oeuvre représentait une caricature féroce de la société de l’époque ». Il fallut ainsi attendre presque trois siècles pour la voir renaître, en 1984 plus précisément, lorsque Michel Corboz en donna, à l’Opéra national de Lyon, une première production. Puis, de nouvelles recherches menées par Hervé Niquet et le centre de musique baroque de Versailles ont permis de restituer les conditions originelles d’interprétation de l’œuvre de Marc-Antoine Charpentier.

« L’ouvrage est absolument formidable » rappelle Hervé Niquet qui, en compagnie de son ensemble, le Concert Spirituel s’est emparé du mythe pour lui offrir cette nouvelle jeunesse. Et pour incarner cette nouvelle Médée, il a choisi l’une de nos plus belles sopranos, Véronique Gens, pythie vocale de longue date du Concert Spirituel et d’Hervé Niquet. Elle campe une Médée à la fois sombre et bouleversante que se hisse à la hauteur de l’émouvante interprétation de Lorraine Hunt-Lieberson dans la version des Arts florissants (Erato, 1994) notamment dans cet « enfer obéit à ta voix » (Acte III scène 6) d’anthologie. Avec ses graves caressés du souffle putride de la mort, elle personnifie à merveille une Médée machiavélique qui alla jusqu’à tuer ses propres enfants. Véronique Gens règne ainsi sur une pléiade de voix féminines au sein de laquelle se détache celle de Jehanne Amzal qui interprète plusieurs rôles notamment le premier fantôme. Installée sur le trône d’un royaume musical bâti à merveille par un Hervé Niquet à la fois chef et coryphée, cette Médée ensorcelle.

Par Laurent Pfaadt

Marc-Antoine Charpentier, Médée, Le Concert Spirituel, dir. Hervé Niquet, Alpha, Outhere Music

Médée de Marc-Antoine Charpentier est également à l’affiche de l’opéra de Paris (Palais Garnier) sous la direction de William Christie et les Arts florissants, du 10 avril au 11 mai 2024

Je me sens obligé de faire la promotion de la musique française

A l’occasion du 35e anniversaire du Concert Spirituel, la formation musicale qu’il créa en 1987 et de la sortie du Médée de Marc-Antoine Charpentier, le chef d’orchestre Hervé Niquet revient cette incroyable aventure musicale


Hervé Niquet (copyright Henri Buffetau)

Comment êtes-vous venus à la musique ?

D’abord via le piano que j’ai étudié à Amiens avec Marie-Cécile Morin qui fut l’élève de Marguerite Long et connut Maurice Ravel qui annotait ses souhaits sur sa partition. J’ai ainsi appris le piano avec les notes de Ravel. C’est ce qui m’a donné le goût des sources, de ce contact direct avec le papier original, de cette parole transmise directement du compositeur à l’interprète.

Comment êtes-vous passés de cette musique française du début du 20e siècle au baroque ?

Vous savez, c’est la même musique. A partir de Jean-Baptiste Lully qui a fixé les canons, seuls l’instrumentarium, la sociologie, la politique ont changé car il faut savoir que la musique n’est une variable d’ajustement et un outil de pouvoir. De Lully à Poulenc, c’est quasiment la même chose, il n’y a pas de rupture.

Vous avez été profondément marqués par William Christie et Nikolaus Harnoncourt, notamment dans leur volonté de revenir aux sources

Oui, ces deux personnages ne se contentaient pas de s’entendre dire « c’est comme cela qu’il faut faire ». Ils ont juste posé une question : « pourquoi ? » et moult personnes ont été incapables de leur répondre. Ils ont donc cherché leur « pourquoi » ainsi que les réponses. C’est comme cela qu’à démarrer ce mouvement dit baroque, de recherche de musique ancienne. Les écrits de Nikolaus Harnoncourt restent aujourd’hui encore pour moi des livres de référence que j’emmène en vacances. Ils ont été fondateurs pour moi. Et puis j’ai vu nombre de ses répétitions et concerts. Quant à William Christie, c’est cet Américain incroyable qui a sauvé la musique baroque française en mêlant notre vision patinée des antiquités françaises avec quelque chose de neuf, de clinquant, de vrai, de direct et de contemporain. A ce titre, il faudrait décerner une médaille à William Christie. Ces rencontres ont déclenché quelque chose chez moi et chez d’autres. Aujourd’hui, je me sens obligé de faire la promotion de la musique française.

Vous allez alors créer votre ensemble, le Concert Spirituel. Comment est-il né ?

Le hasard des rencontres a fait que j’ai créé mon ensemble. Et lorsque j’ai cherché un nom, il s’avérait que le Concert Spirituel était un ensemble historique créé à Paris en 1725. Il existe encore de nombreux documents du Concert Spirituel : le répertoire, les programmes des 1200 concerts, les fiches de paie des musiciens, les effectifs, etc.

Vous avez ainsi ressuscité nombre de partitions oubliées. Comment se passent vos recherches ?

Cela varie. Durant les vingt premières années, j’ai quasiment tout fait tout seul. J’allais à la Bibliothèque Nationale chercher ce que je voulais pour faire des programmes. Et parfois, arrivé à la lettre B en cherchant Boismortier, un peu plus loin je trouvait Bouteiller ou un peu avant Blanchard. C’est un temps de recherches que j’appelle le temps mou qui n’est pas quantifiable car il ne se passe rien d’autre que de la gourmandise.

Après vingt ans et la multiplication des concerts, j’ai eu moins de temps pour aller dans les bibliothèques. J’ai pu alors m’appuyer sur le centre de musique baroque de Versailles et le Palazzetto Bru Zane de Venise qui œuvrent énormément dans la recherche du patrimoine musical.

Vous avez fêté l’an passé, le trente-cinquième anniversaire du Concert Spirituel, que retenez-vous ?

D’abord que cela n’est pas terminé ! Ensuite que c’est toujours aussi dur qu’au premier jour et enfin qu’on a rien changé à notre façon de travailler qui mêle recherche et application. Et entre les deux, trouver de l’argent pour faire ces projets absolument fous. D’aucun nous ont dit que ça ne durerait pas et que cela n’intéresserait personne. Au final, on remplit des salles dans le monde entier.

Et quelques grands concerts…

On a fait d’énormes choses. Music for the Fireworks & Watermusic de Haendel au château de Versailles et au Parc Retiro à Madrid devant 40 000 personnes. Pour moi, c’est la vraie bonne pédagogie : une chose d’extrême qualité, très pointue dont les gens n’ont pas tout à fait le discernement mais ressentent l’appréhension d’un bonheur. Et dans le même temps, des concerts dans des petites salles comme récemment dans la Sainte Chapelle devant 300 personnes. C’était aussi important, difficile, dangereux mais tout aussi agréable qu’avec Water Music.

S’il y avait un souvenir, une découverte que vous retiendrez de ces trente-cinq années ?

Le motet de Joseph Bodin de Boismortier, Exaudiat Te, un motet qu’il avait proposé au Concert Spirituel vers 1750 et qui a été refusé par le bibliothécaire. Boismortier n’avait même pas ouvert l’enveloppe contenant le motet qui était revenue chez lui car il savait ce qu’il contenait. Et c’est moi qui l’ai ouvert. Et il est splendide !

Interview par Laurent Pfaadt

Une petite sélection du Concert Spirituel  :

Médée de Marc-Antoine Charpentier, avec Véronique Gens, Alpha, Outhere Music

Requiem en do mineur d’Antonio Salieri mis en miroir avec celui de Mozart, château de Versailles spectacles

Joseph Bodin de Boismortier, Motets avec symphonies avec Véronique Gens, accord baroque, Decca Records France, 1991

Pour assister à un concert du Concert Spirituel, rendez-vous sur leur site : http:// https://www.concertspirituel.com/agenda

Nemanja Radulović

Les 4 et 5 avril derniers, dans une salle Érasme archi-comble, l’OPS proposait un programme fort attractif, associant Ravel et Tchaïkovski. Placé sous la conduite de son directeur Aziz Shokhakimov, l’orchestre accueillait le jeune et talentueux violoniste franco-serbe, Nemanja Radulovic, qui commençait ainsi sa résidence à Strasbourg.


Nemanja Radulović
copyright : Grégory Massat

Né en 1985, titulaire de très nombreuses distinctions, enregistrant pour Warner et Deutsche Gramophone, se produisant sur scène dans une apparence gothique et avec une présence très physique, Nemanja Radulovic nous aura fait entendre un concerto pour violon de Tchaïkovski, sortant vraiment des sentiers battus. Avec une technique hors pair et une sonorité magnifique, il en proposa une interprétation très engagée et intensément vivante, prenant parfois le risque de fragmenter le discours avec des ralentis extrêmes et des accélérations impressionnantes, assortis de legato d’une grande beauté, mais aussi de staccato de la plus grande virtuosité. En dépit de tous ces micro-évènements mis ainsi en avant, le résultat s’avère des plus convaincants et la grande ligne de l’oeuvre parfaitement cohérente, dans une ambiance prenante et enthousiasmante, mettant la salle en joie. Il faut dire aussi que Shokhakimov et l’orchestre, de toute évidence séduits par l’imagination et la liberté du violoniste, lui ont offert un écrin orchestral en parfaite harmonie. Radulovic a enregistré, il y a déjà sept ans, une belle version de ce concerto ; mais sa prestation strasbourgeoise nous a paru encore plus inspirée. On peut aussi écouter sa remarquable version du concerto pour violon de Beethoven qu’il dirige lui-même depuis son violon. Nombre de grands violonistes actuels se complaisent dans une esthétique souvent froide et marboréenne, parfois capricieuse et arbitraire. On est d’autant plus saisi par un tel jeu, libre et vivant, néanmoins très cohérent. Le dimanche 21 avril, Radulovic, avec le concours de Charlotte Juillard et d’un petit groupe de musiciens de l’OPS donnera, à la Cité de la Musique, un concert entièrement consacré à J.S.Bach.

Depuis les trois ans qu’il est en poste à Strasbourg, les quelques incursions d’Aziz Shokhakimov dans le répertoire français ne m’ont guère paru convaincantes. Que ce soit dans Bizet ou dans Debussy, la texture sonore s’avère souvent massive, assortie d’une respiration manquant de naturel. Aussi étions-nous curieux de l’entendre dans Ravel et heureux de constater que ce compositeur lui sied bien davantage. Ainsi nous eûmes, en début de concert, un Alborada del gracioso parfaitement ciselé et riche en timbres. Composée entre 1909 et 1911 à la demande de Serge Diaghilev, la symphonie chorégraphique pour choeur et orchestre Daphnis et Chloé, longue d’environ une heure, concluait la soirée. Inspiré du roman grec de Longus (3è s.) mettant en scène la rivalité de deux jeunes bergers pour la belle Chloé et les diverses aventures qui en résultent, ce chef d’oeuvre de Ravel livre sans doute sa plus belle orchestration. De sa discographie, évidemment abondante, se dégagent tout particulièrement la vision impressionniste de Pierre Monteux, celles très poétiques d’André Cluytens et Claudio Abbado, celle particulièrement animée de Charles Münch, enfin, aux allures plus expressionnistes, les deux remarquables versions laissées par Pierre Boulez. L’excellente prestation de Shokhakimov s’inscrit plutôt dans ce registre expressionniste. Ainsi abordée, le début de l’oeuvre et son puissant crescendo orchestral et choral offrent de singulières analogies avec celui de l’opéra de Karol Szymanowski, Le Roi Roger, au demeurant postérieur d’une dizaine d’années. Toujours dans cette optique, des passages comme la Danse grotesque de Dorcon (le rival de Daphnis tentant maladroitement de séduire Chloé) ou encore la Danse guerrière (celle des pirates ayant enlevé Chloé, jetant Daphnis dans le désespoir) et, bien sûr, la Bacchanale festive qui clôture l’oeuvre furent des moments particulièrement réussis, l’orchestre brillant de tous ses feux. En revanche, on a entendu atmosphère plus mystérieuse et poétique dans l’éveil des nymphes allant réanimer Daphnis évanoui, ou encore dans le célèbre Lever du jour sur lequel s’ouvre la troisième partie. Mais, dans son ensemble, cette prestation du Daphnis de Ravel fut un très beau moment, dont la réussite incombe aussi au Choeur Philharmonique, fort bien préparé par Catherine Bolzinger.

Michel Le Gris

Cinquante mille volts sur scène

Un magnifique ouvrage revient sur l’histoire d’AC/DC. De quoi préparer leur venue en France

Voilà plus d’un demi siècle qu’ils nous convient en enfer via leur autoroute musicale rythmée par le tocsin de leurs tubes. Cinquante ans plus tard alors qu’ils reviennent en France pour leur unique concert à l’hippodrome Longchamp, il devenait plus que nécessaire de se replonger dans le livre que Philippe Margotin consacra à AC/DC à l’occasion du demi-siècle d’existence du groupe.


Tout commence en 1973 en Australie. Deux frères d’origine écossaise, Malcolm et Angus Young fondent ce qui deviendra l’une des formations les plus mythiques de ce demi-siècle musical. La petite histoire raconte que c’est la sœur des frères Young, Margaret qui, en voyant AC/DC « alternating current/direct current » (courant alternatif/courant continu) sur un aspirateur eut l’idée du nom. Le 31 décembre 1973, influencé par Slade et Alice Cooper notamment, le groupe donne son premier concert puis, deux ans et demi plus tard, après avoir signé chez Atlantic Records, sort en Europe, le 30 avril 1976, son premier album, High Voltage, prélude à leur conquête du vieux continent. Il contient déjà quelques-uns de leurs innombrables tubes : TNT, The Jack et It’s a long way to the top (If you wanna Rock n roll) que reprendra Metallica lors de l’ouverture de leurs tournées. La déferlante ACDC est en route. Elle ne s’arrêtera pas et continue toujours.

Les albums s’enchaînent, Powerage (1978) qui matérialisa le passage au hard rock, Highway to hell (1979) qui leur offrit la renommée mondiale, Back in black (1980), For Those About to Rock (We Salute You) en 1981, The Razor’s Edge (1990) qui resta un an et demi dans les classements américains. Mais également les tubes sur lesquels le livre revient abondamment en convoquant l’anecdote, la petite histoire comme cette cornemuse sur It’s a long way to the top (If you wanna Rock n roll) jouée par Bon Scott, une chanson que Brian Johnson refusa toujours d’interpréter. Tout comme ces concerts, du Marquee, le temple du rock anglais, à l’été 1976 au Madison Square Garden de New York en 1998. En France où le groupe est venu à plusieurs reprises notamment au Pavillon de Paris le 9 décembre 1979, l’accueil a toujours été incroyable. Pour preuve, les 50 000 places du concert du 13 août prochain se sont vendus en trois heures. Cinquante plus tôt, en 1976, le groupe assurait la première partie de Raimbow à Colmar !

Leurs chansons deviennent des hymnes du cinéma d’action américain, des années 90 avec Big Gun dans Last Action Hero avec Arnold Schwarznegger jusqu’à nos jours et Stephen King, le roi du roman fantastique américain, leur proposa de réaliser la musique de son film Maximum Overdrive. Cela donne Who made who. AC/DC est définitivement entré dans la pop culture.

Bien évidemment, comme dans chaque groupe, les drames frappèrent la formation sans l’anéantir, renforçant ainsi le mythe : les décès de Bon Scott (1980) et de Malcolm Young (2017), les départs et retours de Phil Rudd et Cliff Williams, l’absence de Brian Johnson remplacé par un Axel Rose des Guns n Roses dans une sorte de mercato surprenant. Le livre de Philippe Margotin, servi par une très belle infographie, n’omet rien, bien au contraire.

Le groupe, confronté à l’évolution des styles musicaux connut au début au milieu des années 1980, une panne et refusa même un million de dollars des Rolling Stones pour interpréter leur première partie. Mais il était dit qu’AC/DC ne serait jamais débranché. Donc si vous voulez tout savoir d’AC/DC ou simplement découvrir ce groupe mythique, alors ce livre est pour vous. En fait non, c’est juste un livre indispensable à toute bibliothèque. Point.

Par Laurent Pfaadt

Philippe Margotin, AC/DC, le groupe, les albums, la musique
Glénat, 288 p.

Power Up Tour, la nouvelle tournée européenne d’ACDC entre le 17 mai et le 17 août 2024 passera notamment à l’hippodrome de Longchamp de Paris, le 13 août 2024.

Pour réserver vos places, rendez-vous sur le site de Gérard Drouot Production : https://www.gdp.fr/fr/artistes/acdc

Un arc-en-ciel au-dessus du dôme

Mika présentait son dernier album dans la mythique salle de concert marseillaise


Mika 
©Sanaa Rachiq

Mika est une sorte de papillon multicolore qui capte immédiatement la lumière et l’irradie sur ceux qui le regarde. Car assister à un show de Mika constitue toujours une expérience unique. La popstar est d’une énergie et d’une générosité communicative qui transcende les générations. De 7 à 77 ans, les spectateurs ont ainsi rempli le Dôme de Marseille pour célébrer le plus français des chanteurs britanniques. Et il faut dire que Mika leur a bien rendu. Il a enchaîné les titres de son dernier album Que ta tête fleurisse toujours nommé ainsi en hommage au dernier cadeau de sa mère, un dessin, et ses anciens tubes français et anglais, réalisant parfaitement la communion de ses nouveaux fans – souvent les plus jeunes – spectateurs de The Voice et les plus anciens, ceux qui ont vibré, il y a maintenant dix-sept ans (eh oui !), sur Love Today, Grace Kelly ou Relax, Take it Easy, déclenchant à chaque chanson, des démonstrations de bonheur et des déhanchements incontrôlés !

Bougez a ainsi donné le ton d’une soirée que les spectateurs ont passé le plus clair de leur temps debout à danser. Les gradins assis, plutôt calmes et longs à se mettre en route, ont montré la voie, ce qui n’a pas manqué de surprendre un Mika qui a enchaîné, mi-ange mi démon, avec Sweetie Banana et Apocalypse Calypso avant de faire résonner son timbre génial et toujours unique dans Underwater et Happy Ending. Résultat : une pop colorée qui oscille entre classicisme britannique et incursions psychédéliques où Mika se livre sur vie personnelle, l’amour et la mort.

Bien évidemment, il n’a pu s’empêcher de rendre hommage à cette autre artiste britannique chère au cœur des Français, Jane Birkin, dans une chanson tirée de son dernier album et écrit avant la mort de l’artiste, mais également à cette mère disparue l’an passée d’une grave maladie avec C’est la vie, une mère dont il s’est plu à rappeler quelques anecdotes et dans 30 secondes à Carla de Coignac, finaliste de la Nouvelle Star en 2017 et qui composa avec lui ce nouvel album réussi et intégralement en français. Car la musique de Mika est une sorte de condensé de bonne humeur, de joie et son interprète, véritable papillon multicolore tantôt rouge tantôt blanc ou jaune selon ses parures, aime à butiner dans ses fleurs musicales tirées de cet arc-en-ciel sonore qu’il dispense à son public.

Mika ne manque d’ailleurs pas de rappeler en chansons, ce qui constitue son ADN musical, cette ode à la différence qui infuse sa musique et transcende les générations, s’offrant même avec Big Girl (You are beautiful) un bain de foule dont le Dôme se souviendra et invitant un spectateur chanceux à venir danser un slow sur scène. C’est ce qu’on pourrait appeler l’effet papillon de Mika. Le public marseillais, conquis, entonna même avec lui un Moi, Andy et Paris, chanson où il évoque son compagnon c’est dire combien l’artiste est aimé ici. En guise de remerciement, Mika déploya un arc-en-ciel de son piano comme pour nous dire, dans un ultime message d’amour, que la musique est quelque part, somewhere over the raimbow. Et qu’il revient à chacun de le suivre.

Par Laurent Pfaadt

Les légendes descendent dans l’arène

Pour son édition 2024, le festival de Nîmes accueillera une nouvelle fois quelques grands noms de la musique


Dua Lipa 
©Ennio Cameriere

Chaque année c’est la même chose : Nîmes et le sud de la France ont rendez-vous dans les mythiques arènes avec les légendes internationales de la musique. Les héros du rock, du rap de la pop ou de la chanson française remplaceront les myrmidons et autres toréadors le temps de quelques soirées qui resteront certainement gravées dans toutes les mémoires. A commencer par celle du 31 mai qui verra le grand Eric Clapton clôturer sa tournée française. D’autres artistes lui emboîteront le pas : Simply Minds à l’occasion de son Global Tour accompagné d’un Eagle-Eye Cherry qui assurera la première partie du groupe de Glasgow, Avril Lavigne et surtout la star britannico-albanaise Dua Lipa qui donnera deux concerts (12-13 juin) et fera tourner les têtes des mânes des princesses de la Gaule romaine et de jeunes filles en larmes au son de Levitating, Physical ou Don’t Start Now.

Les nostalgiques des années 80-90 et de leurs walkmans repenseront à leurs jeans à trous (que portent aujourd’hui leurs enfants !) et à leur survêtements Tacchini en écoutant Offspring, Suzanne Vega et les pionniers du rap français (IAM et MC Solaar). Ils verront à coup sûr, les nouveaux gladiateurs de la musique (PLK, Ninho, SCH) rendre un hommage appuyé à leurs pères passés maîtres dans l’art de la rime acérée comme un trident. Nul doute que le Champs-Elysées de SCH résonnera d’un écho tout particulier dans l’antique cité qui couronnera également Ninho (6 juillet), gladiateur musical aux 160 singles d’or, 90 de platine et 50 de diamant.

Côté français, rien que le gratin de la chanson : Sofiane Pamart, Grand Corps Malade, Slimane, Dadju, Calogero ou le groupe Shaka Ponk qui fera ses adieux après avoir triompher sur les scènes du monde entier. Ils croiseront ces autres légendes établies comme Patrick Bruel et Etienne Daho, ou en devenir comme Bigflo & Oli qui refermera un festival qui promet d’ores et déjà. Des têtes vont à coup sûr tomber dans les arènes de Nîmes, mais elles tomberont en pamoison devant cette pléaide de poètes des temps modernes. Nul doute que le public saura réserver à tous ces artistes un accueil digne d’un triomphe romain.

Par Laurent Pfaadt

Le festival de Nîmes se tiendra du 31 mai au 20 juillet 2024.
Pour retrouver toute la programmation et les diverses informations de ce dernier, rendez-vous sur :
http://www.festivaldenimes.com

Musique en ville et à la campagne

C’est toujours un plaisir que de se rendre au concert dans la salle du Munsterhof dont la beauté visuelle le dispute à l’excellence de son acoustique.


Le soir du lundi 18 mars, invités par le Centre Musical de la Krutenau, Charlotte Juillard, violon solo au Philharmonique de Strasbourg depuis dix ans, et ses collègues et amis Thomas Gautier, violoniste, Harold Hirtz, altiste et Alexander Somov, violoncelliste, eux-mêmes solistes ou anciens solistes à l’orchestre, offraient un concert de musique de chambre, tour à tour à deux, trois et quatre voix. Dès le duo pour violon et violoncelle op.7 de Zoltan Kodaly, joué avec intensité et concentration, on pressent un concert des plus soigneusement préparés. De cette composition écrite en la terrible année 1914 et dont les quatre mouvements offrent des traits avant-gardistes d’époque, la violoniste et le violoncelliste restituent parfaitement l’atmosphère méditative et anxieuse. C’est une toute autre ambiance, plus détendue et festive, qui émane de la sérénade op.10 de cet autre musicien, hongrois lui aussi et de la même génération que Kodaly : Ernö Dohnanyi. Compositeur, pianiste et chef d’orchestre, il fut le grand-père de Christoph von Dohnanyi, chef d’orchestre contemporain des plus respectés. Si, à l’instar de Bartok et de Kodaly, Dohnanyi puise aussi une part de son inspiration dans le folklore hongrois, son écriture est en revanche bien plus traditionnelle. Sa sérénade op.10 aura, en tout cas, permis au trio violon-alto-violoncelle de faire entendre la beauté de ses instruments, flattés par l’acoustique du lieu.

Charlotte Juillard

La soirée s’achevait avec un chef d’oeuvre de la musique de chambre, le neuvième quatuor de Beethoven, l’Opus 59 n°3, troisième et dernier de la série des Razoumovsky. Oeuvre d’une puissance expressive exceptionnelle, avec un allegro initial d’un héroïsme flamboyant, un mouvement lent d’une densité poignante, un menuetto qui n’en est pas vraiment un et une incroyable fugue finale, anticipant les derniers quatuors du compositeur. Dès le premier mouvement, on est saisi par l’homogénéité et la virtuosité de ces quatre musiciens qui donnent l’impression d’un ensemble constitué depuis des lustres alors que, même s’ils se connaissent bien, ils ne sont réunis que pour l’occasion. On est aussi emporté par leur engagement, leur enthousiasme et leur prise de risques : à l’écoute du tempo très vif, adopté par l’altiste Harold Hirtz à l’entrée de la fugue finale, on ne peut qu’admirer la propreté et la clarté de son jeu, et de celui de ses comparses. Au-delà de cette virtuosité commune, ce fut aussi et surtout une grande interprétation de ce neuvième quatuor, dans un style assez différent des tendances plus analytiques à l’oeuvre ces dernières décennies et renouant avec une manière de jouer particulièrement lyrique, usant souvent d’un très beau legato et rappelant, de façon étonnante, le jeu de certains grands ensembles d’antan comme le Quatuor Busch (dans les années 1930-40) ou, plus près de nous, le Quartetto Italiano. Ainsi interprété, cet Opus 59 n°3 annonce, non seulement le modernisme de la dernière musique de chambre de son auteur, mais aussi le romantisme tardif d’un Johannes Brahms.

Dans un tout autre esprit, il faut aussi féliciter la mairie de La Wantzenau et le chef Philippe Hechler pour leur entreprise de représenter sur scène l’opéra de Verdi, La Traviata, dans la transcription pour orchestre d’harmonie due à Lorenzo Pusceddu. Pour ce faire, l’Orchestre d’Harmonie de La Wantzenau fut mobilisé, en même temps que constitué un choeur d’amateurs, au demeurant aguerris, et trois chanteurs solistes engagés. Dans cette adaptation de l’opéra de Verdi, les dialogues sont remplacés par un récit de l’action, remarquablement narré par l’acteur Christophe Feltz. De même toutes les scènes chorales furent jouées avec beaucoup de verve et de justesse, grâce au minutieux travail de préparation accompli pendant six mois par l’équipe chorale sous la direction de Gaspard Gaget, jeune chef de choeur doté d’une déjà longue expérience. Dans une mise en scène sobre et efficace de Lysiane Blériot, heureusement dépourvue des extravagances et absurdités aujourd’hui visibles sur beaucoup de scènes, les deux protagonistes Alfredo (Lee Namdeuk) et Violetta (Véronique Laffay) emportèrent l’adhésion. Les musiciens de La Wantzenau et leur chef, monsieur Hechler, restituèrent l’oeuvre avec justesse et précision. Seule petite réserve concernant la sonorisation : dans l’acoustique assez mate de la salle du Fil d’eau, elle était surement nécessaire, notamment pour les voix ; mais peut-être eût-elle gagné avec quelques décibels en moins.

Quoi qu’il en soit, ces deux représentations de La Traviata, les vendredi 15 et dimanche 17 mars témoignent du niveau artistique que peuvent atteindre des musiciens amateurs sérieusement préparés et profondément motivés.

Michel Le Gris

Richesse des couleurs

Romantisme tardif et débuts de la musique moderne caractérisaient les programmes donnés au cours des deux premiers concerts de l’année 2024 par l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg.

© David Amiot

Composée pour une petite formation d’instruments à vent et cinq instruments à cordes par Arnold Schoenberg en 1908, la Symphonie de chambre n°1 est une partition pleine de fraîcheur et porteuse des idées nouvelles qui émergeaient alors en musique comme dans tous les arts. C’est dans les années 1930, quand il effectuait aussi la transposition pour grand orchestre du premier quatuor avec piano de Johannes Brahms, que Schoenberg orchestrera également son œuvre de jeunesse, lui ôtant du même coup son caractère de symphonie de chambre. Elle n’en reste pas moins, avec sa thématique originale, ses cinq mouvements enchainés et sa sonorité charnue et colorée, d’une écoute fort intéressante, ainsi qu’en témoigna l’excellente prestation de l’OPS et de son chef Aziz Shokhakimov, lors du concert du 11 janvier dernier.

L’un des chefs d’oeuvre de la littérature concertante du XXè siècle, le Concerto pour violon et orchestre d’Alban Berg, dit ‘’A la mémoire d’un ange’’, vint ensuite. Nous entendîmes, pour l’occasion, le grand violoniste américain Gil Shaham que, sauf erreur, nous n’avions pas vu à Strasbourg depuis 1998, quand il donna un magnifique second concerto de Bela Bartok. Son approche de celui de Berg mit au premier plan, avec une sonorité de violon à la fois ténue et splendide, la dimension émouvante et intime de l’oeuvre, sans taire pour autant ses côtés âpres et acerbes. Le plus beau moment fut sûrement celui où, vers la fin de l’oeuvre, le violon solo entame un dialogue avec les différents groupes des cordes de l’orchestre : geste inhabituel, Gil Shaham fit alors se lever successivement les premiers puis les seconds violons et les altos dans un moment d’échange instrumental de grande intensité. Petite déception cependant, du côté de l’orchestre, souvent distant et réservé, notamment à l’entrée de la seconde partie quand les sections de cuivre poussent ce cri déchirant qui, très souvent, évoque le fameux tableau éponyme d’Edward Munch. Rien de tel cependant, ce soir-là.

Le concert s’acheva par le poème symphonique de Richard Strauss Ainsi parlait Zarathoustra. Nonobstant tout ce qui par ailleurs les distingue, une certaine communauté dans la sonorité orchestrale n’en rapproche pas moins la musique de Richard Strauss de celle de son contemporain Gustav Mahler. Sachant Aziz Shokhakimov un interprète d’élection de celle-ci, on se disait qu’il en serait sans doute de même avec celle-là ; sauf si, peut-être, il se laissait emporter, comme cela arrive parfois, par le côté grisant de l’œuvre de Strauss. Contre toute attente, ce fut l’exact contraire. Dès la célèbre introduction, rendue populaire par Stanley Kubrick dans son film Odyssée de l’espace, on fut d’emblée surpris par la lenteur du tempo et la couleur très mate du tutti orchestral. Les deux parties suivantes (De ceux des arrières-mondes et De l’aspiration suprême) sedéroulèrent pourtant bien, d’une grande clarté polyphonique et évitant judicieusement les pianissimi inutiles. Mais, quand advinrent ‘’Des joies et des passions’’, les grandes déferlantes orchestrales attendues ne furent pas vraiment entendues : l’ensemble se traîna et la texture sonore s’enlisa. Certes les moments retenus et graves comme Le chant du tombeau ou Le chant du voyageur nocturne qui conclut l’oeuvre se présentèrent plutôt bien mais les parties plus animées comme Le convalescent et Le chant de la danse, en dépit du beau cantabile de la super soliste Charlotte Juillard, manquèrent par trop de virtuosité, d’allant et de couleurs. Une approche de l’oeuvre évitant, de fait, le clinquant mais paraissant cependant vidée de sa substance.

Lors de la seconde exécution de son concerto piano n°3, à New York en 1909, le pianiste et compositeur Sergueï Rachmaninov était accompagné à l’orchestre par Gustav Mahler. Le soir du 19 janvier à Strasbourg, nous eûmes la jeune pianiste russe Anna Vinnitskaya, dont les enregistrements des dernières années, consacrés à Chopin, Brahms et Rachmaninov ont été très remarqués ; elle avait, comme partenaire à l’orchestre, son compatriote Andrey Boreyko, chef issu de la grande école pétesbourgeoise et doté d’un très vaste répertoire, allant de la musique ancienne jusqu’aux contemporains. On garde un grand souvenir de son passage au festival de Colmar au tournant des années 2000 dans un concert Brahms donné avec l’Orchestre National de Russie. A l’heure actuelle, Andrey Boreyko est directeur de l’Orchestre Philharmonique de Varsovie, à la suite de chefs réputés comme Antoni Vitt et Wiltold Rowicky.

Ce troisième de Rachmaninov avec Vinnitskaya et Boreyko aura mis quelque temps à se mettre en place. Si, pour finir, l’atmosphère conflictuelle et sentimentale du mouvement lent et la verve du final furent restituées avec virtuosité et sensibilité, en revanche la neutralité du piano dans le fameux thème introductif de l’oeuvre et un orchestre pour le moins décousu et aux timbres refroidis nous valurent un premier mouvement assez déroutant. Après l’entracte, nous entendîmes un très brillant Scherzo fantastique de Josef Suk dont on se dit toutefois qu’il eût aussi bien pu ouvrir le concert, histoire de réchauffer l’orchestre. Le grand moment de la soirée fut une magnifique suite de L’Oiseau de feu d’Igor Stravinsky, donné dans sa version orchestralement allégée de 1945 : un orchestre pleinement ressaisi et l’interprétation d’Andrey Boreyko, exceptionnelle d’intelligence et d’inspiration, tant dans l’énergie rythmique et la subtilité des phrasés que dans la richesse des couleurs où, comme à l’accoutumé, la section des cors de l’OPS s’est particulièrement distinguée.

Michel Le Gris