Tout
le monde connaît le Médée de Luigi Cherubini, encensé par Brahms et
qu’immortalisa Maria Callas sur la scène de la Scala en compagnie de Leonard Bernstein
en 1953 puis au cinéma dans le film de Pasolini. Mais avant Cherubini, il fut
une autre Médée, celle de Marc-Antoine Charpentier qu’Hervé Niquet et son
ensemble, Le Concert Spirituel, tirent des ténèbres musicaux. Composée en 1693
sur un livret de Thomas Corneille, le frère de Pierre, puis créée en décembre
1693 à l’Académie royale de musique devant plusieurs membres de la cour
notamment le Dauphin et Monsieur, cette Médée était tombée dans l’oubli, comme
punie par les dieux de la musique et surtout par les mânes de Lully et ses
gardiens qui ont ouverts les enfers musicaux sur Charpentier car selon Hervé
Niquet, « l’oeuvre représentait une caricature féroce de la société de
l’époque ». Il fallut ainsi attendre presque trois siècles pour la voir
renaître, en 1984 plus précisément, lorsque Michel Corboz en donna, à l’Opéra
national de Lyon, une première production. Puis, de nouvelles recherches menées
par Hervé Niquet et le centre de musique baroque de Versailles ont permis de
restituer les conditions originelles d’interprétation de l’œuvre de
Marc-Antoine Charpentier.
« L’ouvrage est absolument formidable » rappelle Hervé Niquet qui, en compagnie de son ensemble, le Concert Spirituel s’est emparé du mythe pour lui offrir cette nouvelle jeunesse. Et pour incarner cette nouvelle Médée, il a choisi l’une de nos plus belles sopranos, Véronique Gens, pythie vocale de longue date du Concert Spirituel et d’Hervé Niquet. Elle campe une Médée à la fois sombre et bouleversante que se hisse à la hauteur de l’émouvante interprétation de Lorraine Hunt-Lieberson dans la version des Arts florissants (Erato, 1994) notamment dans cet « enfer obéit à ta voix » (Acte III scène 6) d’anthologie. Avec ses graves caressés du souffle putride de la mort, elle personnifie à merveille une Médée machiavélique qui alla jusqu’à tuer ses propres enfants. Véronique Gens règne ainsi sur une pléiade de voix féminines au sein de laquelle se détache celle de Jehanne Amzal qui interprète plusieurs rôles notamment le premier fantôme. Installée sur le trône d’un royaume musical bâti à merveille par un Hervé Niquet à la fois chef et coryphée, cette Médée ensorcelle.
Par Laurent Pfaadt
Marc-Antoine Charpentier, Médée, Le Concert Spirituel, dir. Hervé Niquet, Alpha, Outhere Music
Médée de Marc-Antoine Charpentier est également à l’affiche de l’opéra de Paris (Palais Garnier) sous la direction de William Christie et les Arts florissants, du 10 avril au 11 mai 2024
A
l’occasion du 35e anniversaire du Concert Spirituel, la formation
musicale qu’il créa en 1987 et de la sortie du Médée de Marc-Antoine
Charpentier, le chef d’orchestre Hervé Niquet revient cette incroyable aventure
musicale
Comment êtes-vous venus à la musique ?
D’abord
via le piano que j’ai étudié à Amiens avec Marie-Cécile Morin qui fut l’élève
de Marguerite Long et connut Maurice Ravel qui annotait ses souhaits sur sa
partition. J’ai ainsi appris le piano avec les notes de Ravel. C’est ce qui m’a
donné le goût des sources, de ce contact direct avec le papier original, de
cette parole transmise directement du compositeur à l’interprète.
Comment
êtes-vous passés de cette musique française du début du 20e siècle
au baroque ?
Vous
savez, c’est la même musique. A partir de Jean-Baptiste Lully qui a fixé les
canons, seuls l’instrumentarium, la sociologie, la politique ont changé car il
faut savoir que la musique n’est une variable d’ajustement et un outil de
pouvoir. De Lully à Poulenc, c’est quasiment la même chose, il n’y a pas de
rupture.
Vous
avez été profondément marqués par William Christie et Nikolaus Harnoncourt,
notamment dans leur volonté de revenir aux sources
Oui,
ces deux personnages ne se contentaient pas de s’entendre dire « c’est
comme cela qu’il faut faire ». Ils ont juste posé une question :
« pourquoi ? » et moult personnes ont été incapables de leur
répondre. Ils ont donc cherché leur « pourquoi » ainsi que les
réponses. C’est comme cela qu’à démarrer ce mouvement dit baroque, de recherche
de musique ancienne. Les écrits de Nikolaus Harnoncourt restent aujourd’hui
encore pour moi des livres de référence que j’emmène en vacances. Ils ont été
fondateurs pour moi. Et puis j’ai vu nombre de ses répétitions et concerts.
Quant à William Christie, c’est cet Américain incroyable qui a sauvé la musique
baroque française en mêlant notre vision patinée des antiquités françaises avec
quelque chose de neuf, de clinquant, de vrai, de direct et de contemporain. A
ce titre, il faudrait décerner une médaille à William Christie. Ces rencontres
ont déclenché quelque chose chez moi et chez d’autres. Aujourd’hui, je me sens
obligé de faire la promotion de la musique française.
Vous
allez alors créer votre ensemble, le Concert Spirituel. Comment est-il
né ?
Le
hasard des rencontres a fait que j’ai créé mon ensemble. Et lorsque j’ai
cherché un nom, il s’avérait que le Concert Spirituel était un ensemble
historique créé à Paris en 1725. Il existe encore de nombreux documents du
Concert Spirituel : le répertoire, les programmes des 1200 concerts, les
fiches de paie des musiciens, les effectifs, etc.
Vous
avez ainsi ressuscité nombre de partitions oubliées. Comment se passent vos
recherches ?
Cela
varie. Durant les vingt premières années, j’ai quasiment tout fait tout seul.
J’allais à la Bibliothèque Nationale chercher ce que je voulais pour faire des
programmes. Et parfois, arrivé à la lettre B en cherchant Boismortier, un peu
plus loin je trouvait Bouteiller ou un peu avant Blanchard. C’est un temps de
recherches que j’appelle le temps mou qui n’est pas quantifiable car il ne se
passe rien d’autre que de la gourmandise.
Après
vingt ans et la multiplication des concerts, j’ai eu moins de temps pour aller
dans les bibliothèques. J’ai pu alors m’appuyer sur le centre de musique
baroque de Versailles et le Palazzetto Bru Zane de Venise qui œuvrent
énormément dans la recherche du patrimoine musical.
Vous
avez fêté l’an passé, le trente-cinquième anniversaire du Concert Spirituel,
que retenez-vous ?
D’abord
que cela n’est pas terminé ! Ensuite que c’est toujours aussi dur qu’au
premier jour et enfin qu’on a rien changé à notre façon de travailler qui mêle
recherche et application. Et entre les deux, trouver de l’argent pour faire ces
projets absolument fous. D’aucun nous ont dit que ça ne durerait pas et que
cela n’intéresserait personne. Au final, on remplit des salles dans le monde
entier.
Et
quelques grands concerts…
On a
fait d’énormes choses. Music for the Fireworks & Watermusic
de Haendel au château de Versailles et au Parc Retiro à Madrid devant 40 000
personnes. Pour moi, c’est la vraie bonne pédagogie : une chose d’extrême
qualité, très pointue dont les gens n’ont pas tout à fait le discernement mais
ressentent l’appréhension d’un bonheur. Et dans le même temps, des concerts
dans des petites salles comme récemment dans la Sainte Chapelle devant 300
personnes. C’était aussi important, difficile, dangereux mais tout aussi
agréable qu’avec Water Music.
S’il
y avait un souvenir, une découverte que vous retiendrez de ces trente-cinq
années ?
Le motet de Joseph Bodin de Boismortier, Exaudiat Te, un motet qu’il avait proposé au Concert Spirituel vers 1750 et qui a été refusé par le bibliothécaire. Boismortier n’avait même pas ouvert l’enveloppe contenant le motet qui était revenue chez lui car il savait ce qu’il contenait. Et c’est moi qui l’ai ouvert. Et il est splendide !
Interview par Laurent Pfaadt
Une petite sélection du Concert Spirituel :
Médée
de Marc-Antoine Charpentier, avec Véronique Gens, Alpha, Outhere Music
Requiem
en do mineur d’Antonio Salieri mis en miroir avec celui de Mozart, château de
Versailles spectacles
Joseph
Bodin de Boismortier, Motets avec symphonies avec Véronique Gens, accord
baroque, Decca Records France, 1991
Les 4 et 5 avril
derniers, dans une salle Érasme archi-comble, l’OPS proposait un
programme fort attractif, associant Ravel et Tchaïkovski. Placé
sous la conduite de son directeur Aziz Shokhakimov, l’orchestre
accueillait le jeune et talentueux violoniste franco-serbe, Nemanja
Radulovic, qui commençait ainsi sa résidence à Strasbourg.
Né
en 1985, titulaire de très nombreuses distinctions, enregistrant
pour Warner et Deutsche Gramophone, se produisant sur scène dans une
apparence gothique et avec une présence très physique, Nemanja
Radulovic nous aura fait entendre un concerto pour violon de
Tchaïkovski, sortant vraiment des sentiers battus. Avec une
technique hors pair et une sonorité magnifique, il en proposa une
interprétation très engagée et intensément vivante, prenant
parfois le risque de fragmenter le discours avec des ralentis
extrêmes et des accélérations impressionnantes, assortis de
legato
d’une grande beauté, mais aussi de
staccato
de la plus grande virtuosité. En dépit de tous ces micro-évènements
mis ainsi en avant, le résultat s’avère des plus convaincants et
la grande ligne de l’oeuvre parfaitement cohérente, dans une
ambiance prenante et enthousiasmante, mettant la salle en joie. Il
faut dire aussi que Shokhakimov et l’orchestre, de toute évidence
séduits par l’imagination et la liberté du violoniste, lui ont
offert un écrin orchestral en parfaite harmonie. Radulovic a
enregistré, il y a déjà sept ans, une belle version de ce
concerto ; mais sa prestation strasbourgeoise nous a paru encore
plus inspirée. On peut aussi écouter sa remarquable version du
concerto pour violon de Beethoven qu’il dirige lui-même depuis son
violon. Nombre de grands violonistes actuels se complaisent dans une
esthétique souvent froide et marboréenne, parfois capricieuse et
arbitraire. On est d’autant plus saisi par un tel jeu, libre et
vivant, néanmoins très cohérent. Le dimanche 21 avril, Radulovic,
avec le concours de Charlotte Juillard et d’un petit groupe de
musiciens de l’OPS donnera, à la Cité de la Musique, un concert
entièrement consacré à J.S.Bach.
Depuis
les trois ans qu’il est en poste à Strasbourg, les quelques
incursions d’Aziz Shokhakimov dans le répertoire français ne
m’ont guère paru convaincantes. Que ce soit dans Bizet ou dans
Debussy, la texture sonore s’avère souvent massive, assortie d’une
respiration manquant de naturel. Aussi étions-nous curieux de
l’entendre dans Ravel et heureux de constater que ce compositeur
lui sied bien davantage. Ainsi nous eûmes, en début de concert, un
Alborada del gracioso
parfaitement ciselé et riche en timbres. Composée entre 1909 et
1911 à la demande de Serge Diaghilev, la symphonie chorégraphique
pour choeur et orchestre Daphnis
et Chloé, longued’environ
une heure, concluait la soirée. Inspiré du roman grec de Longus (3è
s.) mettant en scène la rivalité de deux jeunes bergers pour la
belle Chloé et les diverses aventures qui en résultent, ce chef
d’oeuvre de Ravel livre sans doute sa plus belle orchestration. De
sa discographie, évidemment abondante, se dégagent tout
particulièrement la vision impressionniste de Pierre Monteux, celles
très poétiques d’André Cluytens et Claudio Abbado, celle
particulièrement animée de Charles Münch, enfin, aux allures plus
expressionnistes, les deux remarquables versions laissées par Pierre
Boulez. L’excellente prestation de Shokhakimov s’inscrit plutôt
dans ce registre expressionniste. Ainsi abordée, le début de
l’oeuvre et son puissant crescendo orchestral et choral offrent de
singulières analogies avec celui de l’opéra de Karol Szymanowski,
Le Roi Roger,
au demeurant postérieur d’une dizaine d’années. Toujours dans
cette optique, des passages comme la
Danse grotesque de Dorcon
(le rival de Daphnis tentant maladroitement de séduire Chloé) ou
encore la Danse
guerrière
(celle des pirates ayant enlevé Chloé, jetant Daphnis dans le
désespoir) et, bien sûr, la
Bacchanale
festive qui clôture l’oeuvre furent des moments particulièrement
réussis, l’orchestre brillant de tous ses feux. En revanche, on a
entendu atmosphère plus mystérieuse et poétique dans l’éveil
des nymphes allant réanimer Daphnis évanoui, ou encore dans le
célèbre Lever du
jour
sur lequel s’ouvre la troisième partie. Mais, dans son ensemble,
cette prestation du Daphnis de Ravel fut un très beau moment, dont
la réussite incombe aussi au Choeur Philharmonique, fort bien
préparé par Catherine Bolzinger.
Un
magnifique ouvrage revient sur l’histoire d’AC/DC. De quoi préparer leur venue
en France
Voilà
plus d’un demi siècle qu’ils nous convient en enfer via leur autoroute musicale
rythmée par le tocsin de leurs tubes. Cinquante ans plus tard alors qu’ils
reviennent en France pour leur unique concert à l’hippodrome Longchamp, il
devenait plus que nécessaire de se replonger dans le livre que Philippe
Margotin consacra à AC/DC à l’occasion du demi-siècle d’existence du groupe.
Tout
commence en 1973 en Australie. Deux frères d’origine écossaise, Malcolm et
Angus Young fondent ce qui deviendra l’une des formations les plus mythiques de
ce demi-siècle musical. La petite histoire raconte que c’est la sœur des
frères Young, Margaret qui, en voyant AC/DC « alternating current/direct current » (courant alternatif/courant
continu) sur un aspirateur eut l’idée du nom. Le 31 décembre 1973, influencé
par Slade et Alice Cooper notamment, le groupe donne son premier concert puis,
deux ans et demi plus tard, après avoir signé chez Atlantic Records, sort en
Europe, le 30 avril 1976, son premier album, High Voltage, prélude à
leur conquête du vieux continent. Il contient déjà quelques-uns de leurs
innombrables tubes : TNT, The Jack etIt’s a long way to
the top (If you wanna Rock n roll) que reprendra Metallica lors de
l’ouverture de leurs tournées. La déferlante ACDC est en route. Elle ne
s’arrêtera pas et continue toujours.
Les
albums s’enchaînent, Powerage (1978) qui matérialisa le passage au hard
rock, Highway to hell (1979) qui leur offrit la renommée mondiale, Back
in black (1980), For Those About to Rock
(We Salute You) en 1981, The Razor’s Edge (1990)
qui resta un an et demi dans les classements américains. Mais également les
tubes sur lesquels le livre revient abondamment en convoquant l’anecdote, la
petite histoire comme cette cornemuse sur It’s a long way to the top (If you
wanna Rock n roll) jouée par Bon Scott, une chanson que Brian Johnson
refusa toujours d’interpréter. Tout comme ces concerts, du Marquee, le temple
du rock anglais, à l’été 1976 au Madison Square Garden de New York en 1998. En
France où le groupe est venu à plusieurs reprises notamment au Pavillon de
Paris le 9 décembre 1979, l’accueil a toujours été incroyable. Pour preuve, les
50 000 places du concert du 13 août prochain se sont vendus en trois heures.
Cinquante plus tôt, en 1976, le groupe assurait la première partie de Raimbow à
Colmar !
Leurs
chansons deviennent des hymnes du cinéma d’action américain, des années 90 avec
Big Gun dans Last Action Hero avec Arnold Schwarznegger jusqu’à
nos jours et Stephen King, le roi du roman fantastique américain, leur proposa
de réaliser la musique de son film Maximum Overdrive. Cela donne Who
made who. AC/DC est définitivement entré dans la pop culture.
Bien
évidemment, comme dans chaque groupe, les drames frappèrent la formation sans
l’anéantir, renforçant ainsi le mythe : les décès de Bon Scott (1980) et
de Malcolm Young (2017), les départs et retours de Phil Rudd et Cliff Williams,
l’absence de Brian Johnson remplacé par un Axel Rose des Guns n Roses
dans une sorte de mercato surprenant. Le livre de Philippe Margotin, servi par
une très belle infographie, n’omet rien, bien au contraire.
Le groupe, confronté à l’évolution des styles musicaux connut au début au milieu des années 1980, une panne et refusa même un million de dollars des Rolling Stones pour interpréter leur première partie. Mais il était dit qu’AC/DC ne serait jamais débranché. Donc si vous voulez tout savoir d’AC/DC ou simplement découvrir ce groupe mythique, alors ce livre est pour vous. En fait non, c’est juste un livre indispensable à toute bibliothèque. Point.
Par Laurent Pfaadt
Philippe Margotin, AC/DC, le groupe, les albums, la musique Glénat, 288 p.
Power
Up Tour, la nouvelle tournée européenne d’ACDC entre le 17 mai et le 17
août 2024 passera notamment à l’hippodrome de Longchamp de Paris, le 13 août
2024.
Mika présentait son dernier album dans la mythique salle
de concert marseillaise
Mika
est une sorte de papillon multicolore qui capte immédiatement la lumière et
l’irradie sur ceux qui le regarde. Car assister à un show de Mika constitue
toujours une expérience unique. La popstar est d’une énergie et d’une
générosité communicative qui transcende les générations. De 7 à 77 ans, les
spectateurs ont ainsi rempli le Dôme de Marseille pour célébrer le plus
français des chanteurs britanniques. Et il faut dire que Mika leur a bien
rendu. Il a enchaîné les titres de son dernier album Que ta tête fleurisse
toujours nommé ainsi en hommage au dernier cadeau de sa mère, un dessin, et
ses anciens tubes français et anglais, réalisant parfaitement la communion de
ses nouveaux fans – souvent les plus jeunes – spectateurs de The Voice et les
plus anciens, ceux qui ont vibré, il y a maintenant dix-sept ans (eh oui !),
sur Love Today, Grace Kelly ou Relax, Take it Easy, déclenchant
à chaque chanson, des démonstrations de bonheur et des déhanchements
incontrôlés !
Bougez
a ainsi donné le ton d’une soirée que les spectateurs ont passé le plus clair
de leur temps debout à danser. Les gradins assis, plutôt calmes et longs à se
mettre en route, ont montré la voie, ce qui n’a pas manqué de surprendre un
Mika qui a enchaîné, mi-ange mi démon, avec Sweetie Banana et Apocalypse
Calypso avant de faire résonner son timbre génial et toujours unique dans Underwater
et Happy Ending. Résultat : une pop colorée qui oscille entre
classicisme britannique et incursions psychédéliques où Mika se livre sur vie
personnelle, l’amour et la mort.
Bien
évidemment, il n’a pu s’empêcher de rendre hommage à cette autre artiste
britannique chère au cœur des Français, Jane Birkin, dans une chanson
tirée de son dernier album et écrit avant la mort de l’artiste, mais également
à cette mère disparue l’an passée d’une grave maladie avec C’est la vie, une
mère dont il s’est plu à rappeler quelques anecdotes et dans 30 secondes à
Carla de Coignac, finaliste de la Nouvelle Star en 2017 et qui composa avec lui
ce nouvel album réussi et intégralement en français. Car la musique de Mika est
une sorte de condensé de bonne humeur, de joie et son interprète, véritable
papillon multicolore tantôt rouge tantôt blanc ou jaune selon ses parures, aime
à butiner dans ses fleurs musicales tirées de cet arc-en-ciel sonore qu’il
dispense à son public.
Mika ne manque d’ailleurs pas de rappeler en chansons, ce qui constitue son ADN musical, cette ode à la différence qui infuse sa musique et transcende les générations, s’offrant même avec Big Girl(You are beautiful) un bain de foule dont le Dôme se souviendra et invitant un spectateur chanceux à venir danser un slow sur scène. C’est ce qu’on pourrait appeler l’effet papillon de Mika. Le public marseillais, conquis, entonna même avec lui un Moi, Andy et Paris, chanson où il évoque son compagnon c’est dire combien l’artiste est aimé ici. En guise de remerciement, Mika déploya un arc-en-ciel de son piano comme pour nous dire, dans un ultime message d’amour, que la musique est quelque part, somewhere over the raimbow. Et qu’il revient à chacun de le suivre.
Pour
son édition 2024, le festival de Nîmes accueillera une nouvelle fois quelques
grands noms de la musique
Chaque
année c’est la même chose : Nîmes et le sud de la France ont rendez-vous dans
les mythiques arènes avec les légendes internationales de la musique. Les héros
du rock, du rap de la pop ou de la chanson française remplaceront les myrmidons
et autres toréadors le temps de quelques soirées qui resteront certainement
gravées dans toutes les mémoires. A commencer par celle du 31 mai qui verra le
grand Eric Clapton clôturer sa tournée française. D’autres artistes lui
emboîteront le pas : Simply Minds à l’occasion de son Global Tour accompagné
d’un Eagle-Eye Cherry qui assurera la première partie du groupe de Glasgow,
Avril Lavigne et surtout la star britannico-albanaise Dua Lipa qui donnera deux
concerts (12-13 juin) et fera tourner les têtes des mânes des princesses de la
Gaule romaine et de jeunes filles en larmes au son de Levitating, Physical
ou Don’t Start Now.
Les
nostalgiques des années 80-90 et de leurs walkmans repenseront à leurs jeans à
trous (que portent aujourd’hui leurs enfants !) et à leur survêtements Tacchini
en écoutant Offspring, Suzanne Vega et les pionniers du rap français (IAM et MC
Solaar). Ils verront à coup sûr, les nouveaux gladiateurs de la musique (PLK,
Ninho, SCH) rendre un hommage appuyé à leurs pères passés maîtres dans l’art de
la rime acérée comme un trident. Nul doute que le Champs-Elysées de SCH
résonnera d’un écho tout particulier dans l’antique cité qui couronnera
également Ninho (6 juillet), gladiateur musical aux 160 singles d’or, 90 de
platine et 50 de diamant.
Côté français, rien que le gratin de la chanson : Sofiane Pamart, Grand Corps Malade, Slimane, Dadju, Calogero ou le groupe Shaka Ponk qui fera ses adieux après avoir triompher sur les scènes du monde entier. Ils croiseront ces autres légendes établies comme Patrick Bruel et Etienne Daho, ou en devenir comme Bigflo & Oli qui refermera un festival qui promet d’ores et déjà. Des têtes vont à coup sûr tomber dans les arènes de Nîmes, mais elles tomberont en pamoison devant cette pléaide de poètes des temps modernes. Nul doute que le public saura réserver à tous ces artistes un accueil digne d’un triomphe romain.
Par Laurent Pfaadt
Le festival de Nîmes se tiendra du 31 mai au 20 juillet 2024. Pour retrouver toute la programmation et les diverses informations de ce dernier, rendez-vous sur : http://www.festivaldenimes.com
C’est toujours un plaisir que de se rendre au concert dans la salle du Munsterhof dont la beauté visuelle le dispute à l’excellence de son acoustique.
Le soir du lundi 18 mars, invités par le Centre Musical de la Krutenau, Charlotte Juillard, violon solo au Philharmonique de Strasbourg depuis dix ans, et ses collègues et amis Thomas Gautier, violoniste, Harold Hirtz, altiste et Alexander Somov, violoncelliste, eux-mêmes solistes ou anciens solistes à l’orchestre, offraient un concert de musique de chambre, tour à tour à deux, trois et quatre voix. Dès le duo pour violon et violoncelle op.7 de Zoltan Kodaly, joué avec intensité et concentration, on pressent un concert des plus soigneusement préparés. De cette composition écrite en la terrible année 1914 et dont les quatre mouvements offrent des traits avant-gardistes d’époque, la violoniste et le violoncelliste restituent parfaitement l’atmosphère méditative et anxieuse. C’est une toute autre ambiance, plus détendue et festive, qui émane de la sérénade op.10 de cet autre musicien, hongrois lui aussi et de la même génération que Kodaly : Ernö Dohnanyi. Compositeur, pianiste et chef d’orchestre, il fut le grand-père de Christoph von Dohnanyi, chef d’orchestre contemporain des plus respectés. Si, à l’instar de Bartok et de Kodaly, Dohnanyi puise aussi une part de son inspiration dans le folklore hongrois, son écriture est en revanche bien plus traditionnelle. Sa sérénade op.10 aura, en tout cas, permis au trio violon-alto-violoncelle de faire entendre la beauté de ses instruments, flattés par l’acoustique du lieu.
La
soirée s’achevait avec un chef d’oeuvre de la musique de
chambre, le neuvième quatuor de Beethoven, l’Opus 59 n°3,
troisième et dernier de la série des Razoumovsky.
Oeuvre
d’une puissance expressive exceptionnelle, avec un allegro initial
d’un héroïsme flamboyant, un mouvement lent d’une densité
poignante, un menuetto
qui
n’en est pas vraiment un et une incroyable fugue finale, anticipant
les derniers quatuors du compositeur. Dès le premier mouvement, on
est saisi par l’homogénéité et la virtuosité de ces quatre
musiciens qui donnent l’impression d’un ensemble constitué
depuis des lustres alors que, même s’ils se connaissent bien, ils
ne sont réunis que pour l’occasion. On est aussi emporté par leur
engagement, leur enthousiasme et leur prise de risques : à
l’écoute du tempo très vif, adopté par l’altiste Harold Hirtz
à l’entrée de la fugue finale, on ne peut qu’admirer la
propreté et la clarté de son jeu, et de celui de ses comparses.
Au-delà de cette virtuosité commune, ce fut aussi et surtout une
grande interprétation de ce neuvième quatuor, dans un style assez
différent des tendances plus analytiques à l’oeuvre ces dernières
décennies et renouant avec une manière de jouer particulièrement
lyrique, usant souvent d’un très beau
legato
et rappelant, de façon étonnante, le jeu de certains grands
ensembles d’antan comme le Quatuor
Busch
(dans les années 1930-40) ou, plus près de nous, le
Quartetto Italiano.
Ainsi interprété, cet Opus 59 n°3 annonce, non seulement le
modernisme de la dernière musique de chambre de son auteur, mais
aussi le romantisme tardif d’un Johannes Brahms.
Dans
un tout autre esprit, il faut aussi féliciter la mairie de La
Wantzenau et le chef Philippe Hechler pour leur entreprise de
représenter sur scène l’opéra de Verdi, La
Traviata,
dans la transcription pour orchestre d’harmonie due à Lorenzo
Pusceddu. Pour ce faire, l’Orchestre d’Harmonie de La Wantzenau
fut mobilisé, en même temps que constitué un choeur d’amateurs,
au demeurant aguerris, et trois chanteurs solistes engagés. Dans
cette adaptation de l’opéra de Verdi, les dialogues sont remplacés
par un récit de l’action, remarquablement narré par l’acteur
Christophe Feltz. De même toutes les scènes chorales furent jouées
avec beaucoup de verve et de justesse, grâce au minutieux travail de
préparation accompli pendant six mois par l’équipe chorale sous
la direction de Gaspard Gaget, jeune chef de choeur doté d’une
déjà longue expérience. Dans une mise en scène sobre et efficace
de Lysiane Blériot, heureusement dépourvue des extravagances et
absurdités aujourd’hui visibles sur beaucoup de scènes, les deux
protagonistes Alfredo (Lee Namdeuk) et Violetta (Véronique Laffay)
emportèrent l’adhésion. Les musiciens de La Wantzenau et leur
chef, monsieur Hechler, restituèrent l’oeuvre avec justesse et
précision. Seule petite réserve concernant la sonorisation :
dans l’acoustique assez mate de la salle du Fil
d’eau,
elle était surement nécessaire, notamment pour les voix ; mais
peut-être eût-elle gagné avec quelques décibels en moins.
Quoi
qu’il en soit, ces deux représentations de La
Traviata, les
vendredi 15 et dimanche 17 mars témoignent du niveau artistique que
peuvent atteindre des musiciens amateurs sérieusement préparés et
profondément motivés.
Romantisme
tardif et débuts de la musique moderne caractérisaient les
programmes donnés au cours des deux premiers concerts de l’année
2024 par l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg.
Composée
pour une petite formation d’instruments à vent et cinq instruments
à cordes par Arnold Schoenberg en 1908, la Symphonie de chambre
n°1 est une partition pleine de fraîcheur et porteuse des idées
nouvelles qui émergeaient alors en musique comme dans tous les arts.
C’est dans les années 1930, quand il effectuait aussi la
transposition pour grand orchestre du premier quatuor avec piano de
Johannes Brahms, que Schoenberg orchestrera également son œuvre de
jeunesse, lui ôtant du même coup son caractère de symphonie de
chambre. Elle n’en reste pas moins, avec sa thématique originale,
ses cinq mouvements enchainés et sa sonorité charnue et colorée,
d’une écoute fort intéressante, ainsi qu’en témoigna
l’excellente prestation de l’OPS et de son chef Aziz Shokhakimov,
lors du concert du 11 janvier dernier.
L’un
des chefs d’oeuvre de la littérature concertante du XXè siècle,
le Concerto pour violon et orchestre d’Alban Berg, dit ‘’A
la mémoire d’un ange’’, vint ensuite. Nous entendîmes,
pour l’occasion, le grand violoniste américain Gil Shaham que,
sauf erreur, nous n’avions pas vu à Strasbourg depuis 1998, quand
il donna un magnifique second concerto de Bela Bartok. Son approche
de celui de Berg mit au premier plan, avec une sonorité de violon à
la fois ténue et splendide, la dimension émouvante et intime de
l’oeuvre, sans taire pour autant ses côtés âpres et acerbes. Le
plus beau moment fut sûrement celui où, vers la fin de l’oeuvre,
le violon solo entame un dialogue avec les différents groupes des
cordes de l’orchestre : geste inhabituel, Gil Shaham fit alors
se lever successivement les premiers puis les seconds violons et les
altos dans un moment d’échange instrumental de grande intensité.
Petite déception cependant, du côté de l’orchestre, souvent
distant et réservé, notamment à l’entrée de la seconde partie
quand les sections de cuivre poussent ce cri déchirant qui, très
souvent, évoque le fameux tableau éponyme d’Edward Munch. Rien de
tel cependant, ce soir-là.
Le
concert s’acheva par le poème symphonique de Richard Strauss Ainsi
parlait Zarathoustra. Nonobstant
tout ce qui par ailleurs les distingue, une certaine communauté dans
la sonorité orchestrale n’en rapproche pas moins la musique de
Richard Strauss de celle de son contemporain Gustav Mahler. Sachant
Aziz Shokhakimov un interprète d’élection de celle-ci, on se
disait qu’il en serait sans doute de même avec celle-là ;
sauf si, peut-être, il se laissait emporter, comme cela arrive
parfois, par le côté grisant de l’œuvre de Strauss. Contre toute
attente, ce fut l’exact contraire. Dès la célèbre introduction,
rendue populaire par Stanley Kubrick dans son film Odyssée
de l’espace, on fut d’emblée
surpris par la lenteur du tempo et la couleur très mate du tutti
orchestral. Les deux parties suivantes (De ceux des
arrières-mondes et De
l’aspiration suprême) sedéroulèrent pourtant bien,
d’une grande clarté polyphonique et évitant judicieusement les
pianissimi inutiles. Mais, quand advinrent ‘’Des joies
et des passions’’, les
grandes déferlantes orchestrales attendues ne furent pas vraiment
entendues : l’ensemble se traîna et la texture sonore
s’enlisa. Certes les moments retenus et graves comme Le
chant du tombeau ou Le
chant du voyageur nocturne qui
conclut l’oeuvre se présentèrent plutôt bien mais les parties
plus animées comme Le convalescent et
Le chant de la danse, en
dépit du beau cantabile de la super soliste Charlotte Juillard,
manquèrent par trop de virtuosité, d’allant et de couleurs. Une
approche de l’oeuvre évitant, de fait, le clinquant mais
paraissant cependant vidée de sa substance.
Lors
de la seconde exécution de son concerto piano n°3, à New York en
1909, le pianiste et compositeur Sergueï Rachmaninov était
accompagné à l’orchestre par Gustav Mahler. Le soir du 19 janvier
à Strasbourg, nous eûmes la jeune pianiste russe Anna Vinnitskaya,
dont les enregistrements des dernières années, consacrés à
Chopin, Brahms et Rachmaninov ont été très remarqués ; elle
avait, comme partenaire à l’orchestre, son compatriote Andrey
Boreyko, chef issu de la grande école pétesbourgeoise et doté d’un
très vaste répertoire, allant de la musique ancienne jusqu’aux
contemporains. On garde un grand souvenir de son passage au festival
de Colmar au tournant des années 2000 dans un concert Brahms donné
avec l’Orchestre National de Russie. A l’heure actuelle, Andrey
Boreyko est directeur de l’Orchestre Philharmonique de Varsovie, à
la suite de chefs réputés comme Antoni Vitt et Wiltold Rowicky.
Ce
troisième de Rachmaninov avec Vinnitskaya et Boreyko aura mis
quelque temps à se mettre en place. Si, pour finir, l’atmosphère
conflictuelle et sentimentale du mouvement lent et la verve du final
furent restituées avec virtuosité et sensibilité, en revanche la
neutralité du piano dans le fameux thème introductif de l’oeuvre
et un orchestre pour le moins décousu et aux timbres refroidis nous
valurent un premier mouvement assez déroutant. Après l’entracte,
nous entendîmes un très brillant Scherzo fantastique de
Josef Suk dont on se dit toutefois qu’il eût aussi bien pu ouvrir
le concert, histoire de réchauffer l’orchestre. Le grand moment de
la soirée fut une magnifique suite de L’Oiseau de feu
d’Igor Stravinsky, donné dans
sa version orchestralement allégée de 1945 : un orchestre
pleinement ressaisi et l’interprétation d’Andrey Boreyko,
exceptionnelle d’intelligence et d’inspiration, tant dans
l’énergie rythmique et la subtilité des phrasés que dans la
richesse des couleurs où, comme à l’accoutumé, la section des
cors de l’OPS s’est particulièrement distinguée.
Le
concerto pour hautbois de Richard Strauss et la grande symphonie en
ut majeur de Franz Schubert composaient le programme du concert donné
en la salle Érasme le vendredi 1er
décembre. Sébastien Giot, premier hautboïste de l’OPS, officiait
dans Strauss ; l’orchestre était dirigé par le chef allemand
Claus Peter Flor, bien connu à Strasbourg.
Bien
que l’oeuvre fasse partie de son répertoire, Sébastien Giot aura
fait une nouvelle fois la démonstration de son art en remplaçant au
pied levé son confrère François Leleux, initialement annoncé.
Dans cette œuvre tardive de Strauss, de conception néo-classique,
pétillante et plaisante à l’écoute mais truffée de difficultés
techniques, le soliste du Philharmonique fit entendre, dans les deux
mouvements extrêmes, la vivacité et la pétulance de son jeu mais
aussi ses qualités de legato
et
de chant dans la partie médiane. Un orchestre soyeux, avec des
cordes très fines et des instruments à vents disposés au premier
rang, lui a donné la réplique. Très fêté par la salle, le
hautboïste a offert en bis un extrait de la sixième fantaisie de
Telemann.
Composée
vraisemblablement fin 1827-début 1828, autrement dit quelques mois
avant sa mort, la neuvième symphonie de Schubert aurait bien pu
n’être jamais jouée, oubliée comme elle était dix ans durant
parmi les papiers de Franz déposés chez son frère Ferdinand. C’est
Robert Schumann qui, en 1838, mit la main sur le document. A la
simple lecture de cette extraordinaire partition, écrite par
Schubert à un âge où Beethoven composait sa première symphonie,
Schumann fut littéralement subjugué. Il la transmit à Félix
Mendelssohn qui, à la tête de son orchestre du Gewandhaus de
Leipzig, la donna en mars 1839 (de façon partielle).
Par
sa dimension, sa complexité formelle et ses mélodies infinies, on
peut la considérer comme l’emblème de la symphonie romantique
allemande. Comme toute grande œuvre, elle a suscitée des
interprétations des plus diverses, du lyrisme ou de l’exaltation
plus ou moins exacerbés des grands romantiques comme Wilhelm
Fürtwaengler ou Bruno Walter aux conceptions épiques ou héroïques
soutenues par des chefs comme Léonard Bernstein, Itzvan Kertez,
Charles Münch, Georges Szell, Herbert von Karajan et bien d’autres.
Initié par Nikolaus Harnoncourt, le courant historiquement informé,
qui privilégie la notion de restitution sur celle d’interprétation,
aura aussi fait valoir ses choix, selon moi plus convaincants dans
les symphonies de jeunesse de Schubert que dans les deux dernières,
l’Inachevée et la Grande. Quoi qu’il en soit, restitution ou
interprétation, aucun représentant du courant historiquement
informé, qu’il s’agisse d’Harnoncourt lui-même, de Brüggen,
de Gardiner ou de Van Immerseel n’ont entrepris d’épurer la
musique de Schubert de sa dimension, tenue jusqu’ici, pour
essentielle : l’expression du sentiment. La restitution d’une
œuvre n’a jamais signifié, pour eux, sa déconstruction. A la
tête d’un orchestre en grande forme et mené d’une main
indéniablement très sûre, c’est néanmoins cette perspective
insolite qu’aura tenu à faire entendre Claus Peter flor.
Reconnaissons
que, malgré l’appel de cors volontairement sec et froid, le
premier mouvement
andante
puis allegro
ne manquait pas d’allure, sa grande énergie rythmique n’empêchant
ni la grande ligne, ni les épisodes lyriques de bien se faire
entendre. En revanche, à partir du second mouvement
andante con moto,
en dépit d’une petite harmonie disposée au premier rang de
l’orchestre et d’ailleurs dangereusement exposée, l’éradication
de la moindre touche sentimentale est devenue musicalement patente ;
de la musique, ne subsiste alors plus que la charpente, le noyau
émotionnel devenant absent. Le refus délibéré de faire chanter
les instruments et la volonté explicite d’égrener chaque note en
témoignent. Dans cet
andante
profondément émouvant dont l’atmosphère peut parfois évoquer le
cycle de lieder Le
Voyage d’hiver,
du moins avec les interprètes les plus sombres, ou bien la
Wanderer-Phantasie chez
les chefs
plus solaires,
Claus Peter Flor substitue à la ligne générale une froide analyse
clinique où l’insistance statique sur le détail occulte
complètement la perception de l’ensemble. L’extrême fin de
mouvement, ordinairement captivante de par sa forte ambivalence entre
inquiétude et sérénité, fut expédiée dans la plus totale
indifférence. La suite fut à l’avenant : élimination
radicale de la dimension viennoise du
scherzo
au profit d’une marche prussienne aux accents secs et péremptoires,
transformant l’admirable et poignant
trio
central, joué par les instruments à vents, en un semblant de
musique militaire. Nonobstant un jeu énergique et rapide, l’allegro
vivace
final n’en resta pas moins plombé du début à la fin, clouant au
sol tout ce que cette musique distille d’aspiration, d’élévation
et de libération, malheureusement bien absentes ce soir-là. En
regard du bel interprète de la musique romantique allemande que fut
Claus Peter Flor dans sa jeunesse, nous laissant notamment des
Mendelssohn rayonnants, on reste perplexe à l’écoute de ses
options du jour.
Le concert du vendredi 24 novembre dernier,
donné dans la salle Érasme et associant les noms de Beethoven et Bartok, restera dans la mémoire pour la
qualité des interprétations, tant du côté de l’orchestre dirigé par le chef
russe Stanislaw Kochanovsky que de celui de la partie soliste tenue par le
premier violon, Charlotte Juillard.
Commencé
en 1936 et créé en 1938, le deuxième concerto pour violon de Bela Bartok
reflète parfaitement, avec ses accents tantôt d’une grande gravité, tantôt
violemment inquiétants, l’atmosphère de l’Europe à l’époque où il fut composé.
Le compositeur lui-même s’apprêtait à émigrer aux Etats-Unis. Longue d’une
quarantaine de minutes, l’oeuvre se compose de trois mouvements, un allegro
initial construit sur l’opposition classique entre deux thèmes, un mouvement
lent et un rondo final optant, l’un et l’autre, pour le principe de la
variation. La modernité de l’œuvre réside surtout dans l’écriture thématique, à
la fois lyrique et abstraite, et dans l’orchestration, typiquement bartokienne
avec ses cuivres et ses percussions.
Les
qualités musicales d’un concertiste et celles du violon solo d’un orchestre ne
sont pas nécessairement les mêmes, et le répertoire qu’ils pratiquent diffère
quelque peu. Par ailleurs, les difficultés techniques de ce concerto sont très
grandes. Il faut se réjouir que Charlotte Juillard les ait brillamment
surmontées et lui ait permis de proposer une interprétation mettant
particulièrement en avant le côté lyrique de l’œuvre. A sa manière propre, elle
aura intuitivement retrouvé une tradition inaugurée dans ce concerto par des violonistes comme Yehudi Menuhin ou
Henryk Szeryng. Pour cet opus majeur qui est, à la musique, un peu ce que Le
Château de Kafka est à la littérature, Charlotte Juillard a opté pour des
cordes en boyaux qui lui ont permis d’obtenir de son violon une atmosphère particulièrement grave et énigmatique dans
les premiers et seconds mouvements, avant de laisser place à la sauvagerie du
finale . Elle aura, par ailleurs, bénéficié d’un soutien orchestral de la plus
haute qualité. Longuement et chaleureusement ovationnée à l’issue de sa
performance, la super-soliste de l’OPS a offert en bis une courte pièce de
Georges Énescù, Le ménestrier premier.
Depuis
deux siècles qu’on les joue, depuis un siècle qu’on les enregistre, les
symphonies de Beethoven ont fait l’objet d’une multitude de grandes
interprétations. D’Arthur Nikisch dans les années 1900 à Nikolaus Harnoncourt
de nos jours, en passant par Felix Weingartner, Arturo Toscanini, Wilhelm
Fürtwaengler, Bruno Walter, Fritz Reiner, Herbert von Karajan, Carl Schuricht
et bien d’autres, le potentiel de ces
partitions beethovéniennes a été plus qu’exploré. Même si la musique vivante en
salle de concert conserve un avantage émotionnel sur l’écoute chez soi, il n’en
demeure pas moins rarissime d’être aujourd’hui saisi lors de l’audition d’une
symphonie de Beethoven, après que tous les grands noms de la direction
d’orchestre y ont imprimé leurs marques. Cela est pourtant arrivé : ainsi, en 2007, lors de l’intégrale
Beethoven donnée en la salle Érasme par Paavo Järvi et ses musiciens de Brême ; cela le fut
aussi, ce vendredi 24 novembre, avec l’extraordinaire interprétation de la
symphonie héroïque par Stanislaw Kochanovsky et les musiciens de l’OPS. Elle ne
mérite que des éloges : beauté du chant, intelligence du phrasé,
effervescence rythmique, richesse des timbres, vitalité conquérante et
éloquence prenante de la première à la dernière note. Si le chef s’inspire des
équilibres sonores du courant historiquement informé, avec notamment une petite
harmonie très en avant, l’effectif orchestral conserve, en revanche, une
dimension symphonique assez traditionnelle,
d’environ soixante-cinq musiciens. Pour le reste, Kochanovsky ne craint
pas d’introduire de subtils ralentis ou de romantiques accélérations, tels
qu’on les faisait souvent au siècle dernier et tels qu’ils ont à peu près
disparu depuis. Avec le concours d’un orchestre de toute évidence conquis, nous
entendîmes ainsi une Éroïca d’une flamme et d’une profondeur mirobolantes. Un
chef que l’on souhaite vivement revoir.
Quelques versions recommandables du 2ème concerto pour violon et orchestre de Bela Bartok :
Henryk Szeryng, avec l’Orchestre du Concertgebouw d’Amsterdam, dir. Bernard Haïtink (Decca)
André Gertler, avec l’Orchestre Philharmonique tchèque, dir. Karel Ancerl (Supraphon)
Ces
deux violonistes privilégient la dimension lyrique de l’oeuvre.
Gil Shaham et l’Orchestre Symphonique de Chicago, dir. Pierre Boulez (DG) mettent en avant la dimension abstraite et moderniste du concerto.
Les
samedi soir 25 et dimanche après-midi 26 novembre, la Chorale Strasbourgeoise
donnait son concert annuel, principalement consacré cette année à des œuvres de
Joseph Haydn. Il faut d’abord saluer la qualité du programme qui aura permis
d’entendre des œuvres que l’on joue rarement et qui, si elles ne sont pas les
plus grandes du compositeur, méritent largement l’écoute.
Purement
orchestral dans sa première partie, le concert débutait par la petite ouverture
de Xerxès de Haendel, suivi du plus ambitieux divertimento en sol
majeur de Haydn. Pour ce faire, Gaspard Gaget, le jeune directeur de la
Chorale Strasbourgeoise, avait obtenu le concours du Kammerensemble
Kehl-Strasbourg, très attentif et réactif à sa direction durant tout le
concert. En seconde partie, les quatre motets Responsaria de venerabili
Sacramento, rarement joués, révèlent de grandes beautés vocales. D’une durée
d’un peu moins trente minutes, la Missa Sancti Nicolai, elle aussi en
sol majeur, est également une intéressante partition vocale, offrant des
moments polyphoniques, un bel épisode fugué et un dona nobis pacem final
assez émouvant.
Outre
la vingtaine de musiciens et la soixantaine de choristes, Gaspard Gaget avait
réuni un quatuor vocal de qualité dont la soprano et le ténor furent
particulièrement mis en valeur durant la
Missa Sancti Nicolai. Les quelques imperfections audibles durant
le premier concert au Palais des Fêtes de Strasbourg avaient complètement
disparu le lendemain après-midi, dans l’église Santa Maria de Kehl. Un ensemble
orchestral et choral judicieusement disposé dans l’acoustique plutôt mate de
l’église a permis au jeune chef talentueux d’accélérer quelque peu le tempo,
obtenant de ses musiciens une verve et une cohésion d’un niveau peu banal pour
un concert d’amateur.