Archives de catégorie : Lecture

Le wagon manquant

Avec Convoi pour Samarcande, l’écrivaine s’affirme définitivement comme l’une des grandes voix de la littérature russe

Zouleikha ouvre les yeux et Les enfants de la Volga (Noir sur Blanc, 2017 et 2021), célébrés à juste titre par la critique – le second été sacré Meilleur livre étranger en 2021 – et le public (un million d’exemplaires vendus pour le premier) ne furent donc pas des succès sans lendemain, bien au contraire. Ils constituent la matrice d’une œuvre majestueuse appelée à demeurer tant dans la littérature russe que mondiale. Celle d’une Gouzel Iakhina devenue désormais incontournable.


Avec ce troisième roman, Convoi pour Samarcande qui raconte l’expédition vers l’Ouzbékistan soviétique des années 20 de cinq cents enfants fuyant la famine depuis Kazan, Gouzel Iakhina s’établit désormais durablement dans le paysage littéraire européen après avoir conquis les lettres russes. Car Gouzel Iakhina écrit à l’ancienne avec moult détails et descriptions comme cette scène incroyable d’une Blanche nettoyant le sol d’un wagon. Cela donne des livres denses qui mettent du temps à être lus, à contre-courant de ces ouvrages qui sortent par milliers chaque année et qu’il faut consommer en quelques jours, en quelques heures. Quelques jours, c’est justement l’autonomie dont dispose le héros, Deïev, officier de l’armée rouge, en matière de vivres alors le voyage doit durer un mois et demi.

Nous voilà donc prévenu par l’auteur qui nous conseille de prendre notre temps. Pour suivre son héros qui doit trouver des solutions parfois improbables comme réquisitionner mille bottes dans une caserne. Pour s’orienter également dans cette cathédrale littéraire à la solide charpente narrative illuminée par ces vitraux éblouissants qui filtrent ou colorent une lumière qui change selon qu’elle éclaire des personnages tantôt attachants, tantôt détestables. Et en premier lieu Deïev. Un homme qui rappelle l’Ignatov de Zouleikha ouvre les yeux. Un homme du système qui a tué mais qui, désormais, doit sauver. Un homme à la recherche d’une rédemption. On a hâte de voir ce que Iakhina, dans un prochain roman, fera d’un sbire de Nikolaï Iejov sous la Grande terreur stalinienne.

Maîtrisant parfaitement les codes du roman, l’autrice nous emmène alors, après la magie des Enfants de la Volga dans ce roman d’aventures qui en rappelle d’autres car comment ne pas voir l’ombre d’un Kessel dans ces paysages traversés ou dans ces rencontres improbables. Appuyé sur une solide documentation qui relate cette fameuse famine, Gouzel Iakhina se pose littérairement et historiquement comme le chaînon manquant, le wagon entre un Tolstoï et un Grossman, en digne héritière de la grande tradition littéraire russe avec ces descriptions enlevées et ces personnages ambigus touchés par la grâce d’une humanité retrouvée au contact d’enfants.

Magnifiquement traduit une fois de plus par Maud Mabillard, Convoi pour Samarcande est ce nouveau diamant venu de l’Est tiré du trésor inépuisable des éditions Noir sur Blanc. Les jurés du prix Médicis étranger ne s’y sont d’ailleurs pas trompés en sélectionnant Convoi pour Samarcande dans leur première liste tandis que les libraires plébiscitent déjà le livre. Car quelque chose nous dit que ce voyage-là risque bel et bien d’être couronné de succès.

Par Laurent Pfaadt

Gouzel Iakhina, Convoi pour Samarcande, traduit du russe par Maud Mabillard
Aux éditions Noir sur Blanc, 480 p.

La culture à Abu Dhabi, une histoire sans fin

Création littéraire, quartier des musées, musique, la capitale des Emirats Arabes Unis a investi tous les fronts culturels

La réalité a fini par se confondre avec la fiction. Si la récente foire internationale du livre d’Abu Dhabi a pris comme slogan le titre du célèbre film de Wolfgang Petersen, celui-ci n’a jamais été aussi actuel qu’à Abu Dhabi tant la capitale des Emirats Arabes Unis a fait de la culture son soft power sur la scène internationale. Plusieurs raisons ont présidé à ce choix : la volonté originelle du père fondateur du pays, le Sheikh Zayed Bin Sultan Al Nahyan (1918-2004) qui a très tôt compris que savoir et éducation constitueraient les moteurs du développement de son jeune pays – les UAE sont officiellement nés en 1971 – mais également la position stratégique de ce dernier, entre Occident et Asie, et placé au carrefour des religions et des cultures. Comme le rappelle le Dr Ali bin Tamim, Secrétaire Général du Sheikh Zayed Book Award et président de l’Arabic Center Language « ce soft power est une bonne chose tant qu’il amène les gens et les cultures à dialoguer, tant qu’il ouvre la voie au rapprochement entre les gens. Les Emirats Arabes Unis constituent l’exemple même de cette vision. Regardez tous ces monuments comme la Grande mosquée Sheikh Zayed, la Maison abrahamique, le Louvre Abu Dhabi, les universités de la Sorbonne et de New York qui ont ainsi construit des ponts culturels ».


Le livre constitue bien évidemment l’un des axes forts de ce développement. L’Abu Dhabi International Book Fair a ainsi réunit pendant près d’une semaine en mai dernier tout ce que le monde arabe compte d’éditeurs, du Maroc à l’Irak en passant par l’Arabie Saoudite et l’Egypte. C’est d’ailleurs une maison d’édition égyptienne, El Aïn, qui édita entre autres plusieurs vainqueurs de International Prize for Arabic Fiction qui fut sacrée cette année par le Sheikh Zayed Book Award devenu au fil de ses dix-sept éditions, à la fois la consécration littéraire de tout intellectuel du monde arabe et un formidable vecteur de diffusion de la langue arabe. Saïd Khatibi, vainqueur du prix dans la catégorie jeune auteur abonde dans ce sens : « je suis très fier d’obtenir ce prix et d’inscrire mon nom à côté de celui d’Amin Maalouf et d’écrivains arabes renommés. Mais ce prix n’est pas que pour moi mais également pour la jeune génération d’écrivains algériens ».

Si ce prix traduit une volonté de défendre la langue arabe face à l’anglais, il souhaite également « encourager les jeunes auteurs, notamment les femmes » assure de son côté Jürgen Boss, président de la foire internationale de Francfort où tout se décide dans l’industrie mondiale du livre et dont la présence à Abu Dhabi et au sein du comité scientifique du Zayed Book Award, légitime à la fois la place prise par une foire qui, chaque année, prend de l’ampleur mais également vient conforter la capitale des Emirats Arabes Unis comme l’un des hauts lieux du livre sur la scène internationale et plus particulièrement dans cette partie du monde.

Pour se convaincre définitivement de l’importance accordée à la culture, il suffit de prendre un taxi et de se rendre dans le quartier des musées dans le district d’Al Saadiyat traversé par une avenue…Jacques Chirac. Ici, à côté de l’extraordinaire réussite du Louvre Abu Dhabi qui a comptabilisé fin 2022, 3,7 millions de visiteurs en cinq ans, se dressent d’innombrables grues qui bâtissent les institutions culturelles de demain : le musée d’histoire naturelle, le Zayed National Museum épousant les ailes d’un faucon et doté d’un système de ventilation révolutionnaire – les Emirats arabes Unis qui accueilleront la COP 28 fin novembre 2023 ont très tôt inscrits leurs actions créatrices dans le développement durable – ou le Guggenheim Museum signés par les plus grands noms de l’architecture comme Norman Foster ou Frank Gehry. Et à l’image de cette salle du Louvre réunissant les textes sacrés des trois religions monothéistes, les Emirats Arabes Unis, signataires des accords d’Abraham avec Israël en 2020, ont inauguré en février 2023 la Maison abrahamique, lieu syncrétique qui voit se côtoyer église, synagogue et mosquée.

Les Emirats Arabes Unis n’en oublient pas pour autant les autres champs de la culture et notamment la musique. Lieu d’un festival de musique renommé et présidée par Huda Alkhamis-Kanoo qui accueillit cet année Juan Diego Florez ou le compositeur Tan Dun et d’une salle de concert, l’Etihad Arena, désormais passage obligé des tournées internationales d’artistes du monde entier comme les Guns and Roses ou la star égyptienne Amr Diab, Abu Dhabi voit ainsi se croiser sur son sol les cultures et les esthétiques de l’Ouest et du monde arabe. La célébration, cette année, du compositeur et pianiste égyptien Omar Khairat en tant que personnalité culturelle de l’année du Zayed Book Award est ainsi emblématique de cette volonté de construire des ponts culturels entre Occident et monde arabe. L’artiste égyptien élabora ainsi une œuvre où se mêlent musique orchestrale classique et mélodies orientales composant ainsi la bande originale d’une histoire qui non seulement n’est pas prête de s’arrêter mais est en marche.

Par Laurent Pfaadt

Vive le Québec livre !

La maison d’édition montréalaise Héliotrope s’implante en France et en Europe francophone

En 2006, Florence Noyer et Olga Duhamel-Noyer fondaient une maison d’édition littéraire à Montréal sous le signe du soleil. Héliotrope se proposait de réunir des titres d’autrices et d’auteurs, sans chercher à embrigader les textes dans une ligne éditoriale stricte, sans forcer l’unité – solaire, mais pas grégaire. La seule constante : l’exigence littéraire, la force du style.


Florence Noyer et Olga Duhamel-Noyer
Ccopyright Les Marois

Dix-huit ans plus tard, consolidé autour d’un noyau de romancier et de romancières pour le moins singulier, le catalogue de la maison s’est déployé principalement autour du roman, dans l’acception la plus composite de ce genre. Des romans à haute énergie narrative comme ceux de Kevin Lambert et Catherine Mavrikakis. De l’autofiction avec Marie-Pier Lafontaine ou de la non-fiction romancée comme celle de Martine Delvaux. Depuis quelques années, Héliotrope publie aussi des romans noirs qui s’appliquent à cartographier le territoire avec le crime. Ceux d’André Marois et de Maureen Martineau. Après des années de dialogues nourris avec des maisons d’édition françaises, plusieurs succès en France et à l’international, Héliotrope a décidé de se déployer en France et plus largement en Europe francophone. Déjà présente sur le territoire via la Librairie du Québec à Paris, la maison a choisi de confier à Harmonia Mundi Livre, dès janvier 2024, le soin de l’accompagner dans la diffusion-distribution d’une portion de son catalogue. Ce dernier compte aujourd’hui près de 150 titres et s’enrichit à raison de 10 à 12 livres par an.

En 2024, Héliotrope lancera ainsi un programme maîtrisé de huit titres, articulé autour du roman et du polar avec des écrivain.es phares de la maison comme Catherine Mavrikakis, Martine Delvaux, Vincent Brault et André Marois. Ça promet !

Par Laurent Pfaadt

Sigi, T1 opération Brünnhilde

Eric Arnoux, David Morancho, Sigi, T1 opération Brünnhilde
Chez Glénat, 64 p.

S’inspirant de Clärenore Stinnes (1901-1990), cette pilote automobile allemande qui réalisa un tour du monde en 1927 et dont on a aujourd’hui quelque peu oublié les exploits, Erik Arnoux qui travailla notamment sur les Aigles décapités et David Morancho nous content les aventures de Sigi, cette brune aux yeux bleus qui nous a immédiatement séduit. Empruntant à Stinnes son assistant suédois et jusqu’à sa Adler, ils composent une sorte de Phileas Fogg au féminin dont les aventures ne font que commencer.

Ce premier tome nous emmène ainsi aux Etats-Unis où après avoir réussi à vendre son projet, Sigi s’embarque pour New York. Mais si elle est parfaitement rôdée aux dangers de la conduite, ceux de la géopolitique lui sont inconnus et sans le savoir, elle devient le jouet d’une propagande nazie menée par un machiavélique Rosenberg bien décidé à démontrer la supériorité allemande. Les deux auteurs réussissent à allier grâce notamment aux espions et à l’atmosphère complotiste parfaitement distillée, aventures et thriller et à tenir en haleine le lecteur.

Centré autour des Etats-Unis post-western, le duo joue habilement des codes de ce dernier avec ses outsiders, ses pendaisons et ses bisons qui donnent un petit côté 1923 à l’album. Au final, un premier tome extrêmement prometteur dont on attend impatiemment la suite.

Par Laurent Pfaadt

Par-delà les mers du succès

La maison d’édition Philippe Rey fête sa vingtième rentrée littéraire

Qu’on se le dise : cet homme ne craint ni les chutes, ni les cataractes des grands fleuves, ni les tempêtes de l’histoire et des océans. Il y a vingt ans une nouvelle maison d’édition sortait ses premiers ouvrages : Philippe Rey du nom de cet éditeur passé par Stock et passionné de littérature étrangère. Et pour partir à la conquête des lecteurs et du monde éditorial français, ce nouveau capitaine des lettres lançait son navire amiral : Joyce Carol Oates. De délicieuses pourritures, premier titre qu’il publia de l’autrice américaine nobélisable depuis 1979, à son prochain roman Babysitter en octobre, quelques monuments de la littérature américaine ont depuis pris d’assaut les tables de chevet des lecteurs français : Mudwoman (meilleur livre étranger en 2013 pour le magazine Lire), Un livre de martyrs américains (2017), l’un des plus grands livres écrits sur le corps des femmes et bien évidemment Les Chutes, récit de la destruction d’un couple qui valut en 2005 à son autrice et à son perspicace éditeur le prix Femina étranger.


Philippe Rey et Mohamed Mbougar Sarr
Copyright : Bestimage/Jack Tribeca

D’une Joyce à une autre, notre capitaine traversa sans difficulté le continent américain agrégeant à son catalogue Jeannine Cummins, Rebecca Lee, Thomas King ou Nathan Harris dont La douceur de l’eau sur fond de guerre de Sécession se hissa en 2022 dans les deuxièmes sélections du Femina étranger et du Grand prix de littérature américaine, avant de rencontrer Joyce Maynard. Révélée avec Long Weekend, l’autrice américaine francophone et francophile a, en compagnie des éditions Philippe Rey, tissé une relation littéraire avec le public français qui ne s’est jamais démentie et a culminé avec Où vivaient les gens heureux, Grand prix de littérature américaine 2022 et véritable best-seller qui s’est écoulé à près de 100 000 exemplaires.

Après avoir conquis un continent et avoir, de par le monde, révélé au public français de nouvelles voix tant australienne (Robert Hillman) que chinoise (Xu Zechen), Philippe Rey traversa l’océan atlantique et remplit les coffres littéraires de son navire d’un deuxième prix Femina étranger (2015) avec La couleur de l’eau de la britannique Kerry Hudson, de la poésie d’une Tina Vallès ou de l’émotion de Deux vies d’Emanuele Trevi, prix Strega 2021, le Goncourt « italien ». Il ne restait plus qu’à conquérir cette autre terre promise littéraire, la plus inaccessible. Et c’est en compagnie d’un prophète littéraire africain, Mohamed Mbougar Sarr, porteur d’une langue française en perpétuelle évolution et armé de cette torche de la francophonie qu’il a toujours porté dans son catalogue avec Souleymane Bachir Diagne ou Patrice Nganang, que notre capitaine atteignit les rivages de la plus secrète mémoire des hommes, celle où se niche les livres appelés à rester comme ce prix Goncourt 2021.

Aujourd’hui, vingt ans après sa première rentrée littéraire, les éditions Philippe Rey devenues incontournables dans le paysage éditorial français affichent une maturité que reflètent parfaitement les deux titres publiés en ce mois de septembre : L’hôtel des Oiseaux d’une Joyce Maynard, caravelle aux multiples tours du monde qui figure dans la première sélection du Femina étranger et Ce que je sais de toi d’Eric Chacour, nouvelle voix francophone venue du Canada et dont le livre, récent finaliste du Prix du Roman Fnac et figurant dans la première sélection du Femina 2023 pourrait bien emmener une fois de plus les éditions Philippe Rey sur les rivages des mystérieuses cités d’or de la littérature française.

Par Laurent Pfaadt

L’hôtel des oiseaux

Joyce Maynard, L’hôtel des oiseaux
Aux éditions Philippe Rey, 528 p.

Une femme se tient sur le garde-fou du Golden Gate Bridge. Sa vie ne tient qu’à un fil. Quelques heures auparavant, elle a perdu son mari et son enfant dans un accident de la route, ces êtres qui l’avaient sorti des ténèbres dans lesquels l’avaient plongé, enfant, la disparition de sa mère. A cet instant précis, la colombe brisée se mue alors en aigle prêt à prendre un nouvel envol. « Je me suis éloignée du garde-fou. Je ne pouvais pas le faire. Mais je ne pouvais pas non plus rentrer chez moi. Je n’avais plus de chez-moi ». Quelques secondes qui décidèrent d’une vie. Voilà le point de départ du nouveau roman de l’écrivaine américaine Joyce Maynard, Grand prix de littérature américaine en 2022 pour Où vivaient les gens heureux dont elle écrit actuellement la suite.

Bien décidé à vivre, notre aigle trouve un nouveau nid, celui du bien nommé l’hôtel des oiseaux situé dans la Llorona, « la femme qui pleure », un lieu quelque part en Amérique du sud que l’on identifie au Guatemala où Joyce Maynard vit une partie de l’année. « Comment décrire La Llorona telle qu’elle m’apparut ce jour-là ? Une vision du paradis à la période la plus noire de ma vie ».   

L’hôtel, refuge de ces oiseaux en perdition, devient dans le récit de Joyce Maynard un personnage à part entière. Car à l’instar de ses occupants, lui aussi a besoin de se reconstruire. Et notre géniale autrice de construire, avec tout le talent qu’on lui connaît, une saga qui coure sur quatre décennies et qui verra Amelia, notre colombe du Golden Gate Bridge devenu l’aigle de la Llorona, refaire sa vie. Apprendre à aimer à nouveau. Se libérer de ses démons.

Magnifique récit d’une résilience, ode au courage à l’amitié, L’hôtel des oiseaux est plus qu’un livre, c’est une leçon de vie.

Par Laurent Pfaadt

Festival et Salon RACCORD(S)

La Bellevilloise – 19-21, rue Boyer, 75020 Paris

Né à l’initiative des Éditeurs associés, une association qui depuis 2004 mutualise des compétences entre éditeurs de petites et moyennes tailles et travaille à faire connaître leurs catalogues tout en plaçant le livre et la lecture au centre de leurs démarches, le festival Raccord(s) fête le livre et la lecture chaque année, crée des espaces de dialogue avec d’autres formes d’art et de savoir et invite le public à découvrir les ouvrages sous une forme originale : lecture théâtrale, performance, exposition, atelier, spectacle jeunesse, danse, balade ou dégustation qui se doublent d’un salon pour rencontrer et découvrir la production des éditeurs indépendants participants. L’entrée est libre et gratuite à toutes et tous, enfants comme adultes.

Pour fêter ses dix ans d’existence, la programmation du festival se met en mouvement : concerts, lectures musicales et dansées, atelier pour les grands et pour les petits, débats, déambulations, signatures, et bien d’autres surprises. La partie salon de l’événement prend elle aussi de l’ampleur avec une sélection remarquable de 42 maisons d’édition indépendantes venues de France, mais aussi de Belgique, de Suisse, d’Italie, du Canada, et du Brésil parmi lesquels Aux Forges de Vulcain à qui on doit Le soldat désaccordé de Gilles Marchand, prix des libraires 2023, La Contre Allée et les éditions de la Peuplade dont les livres Mississippi de Sophie Lucas et Le compte est bon de Louis-Daniel Godin figurent dans la première sélection du prix Wepler 2023, Hélice Hélas qui remporta avec Nétonon Noël Ndjékéry (Il n’y a pas d’arc-en-ciel au paradis) le prix Hors Concourt 2022, les éditions du Sonneur qui publie l’émouvant Ni loup ni chien de Kent Nerburn et bien d’autres encore qui réserveront à coup sûr de merveilleuses rencontres littéraires .

Par Laurent Pfaadt

Festival et Salon RACCORD(S) 10e édition
du 14 et 15 octobre 2023

Retrouvez toute la programmation de Raccord(s) sur les réseaux sociaux :

https://www.facebook.com/festivalraccords
https://www.instagram.com/festivalraccords/?hl=fr

Tu seras une femme, ma fille

Les Mémoires de jeunesse de Vera Brittain, icône du pacifisme et du féminisme, enfin traduites

Il aura fallu attendre plus d’un demi-siècle pour enfin pouvoir lire les fameuses Mémoires de jeunesse de Vera Brittain (1893-1970) devenue outre-Manche le symbole du pacifisme et du féminisme. Parues en 1933, elles témoignent non seulement d’une femme engagée dans un siècle d’hommes mais surtout d’une clairvoyance assez incroyable sur les ravages d’un siècle qui n’en était alors qu’à ses débuts.


Fille d’un industriel du papier, née en 1893, Vera Brittain a très vite fait l’apprentissage du combat. Celui de l’aliénation de sa condition pour entrer à Oxford d’abord. Celle de la guerre, la vraie, ensuite. Elle a vingt-et-un ans lorsque la première guerre mondiale débute. Dans ses pages, cette dernière est d’abord lointaine, presque romantique. A l’instar d’un Hemingway, ambulancier, elle va traverser le conflit aux premières loges en tant qu’infirmière. Elle aurait pu être la Catherine Barkley de L’Adieu aux armes mais c’était mal connaître notre héroïne car là s’arrête la comparaison. Tandis que le futur prix Nobel de littérature fit de la guerre la matrice héroïque de ses futurs récits, Vera Brittain, confrontée aux morts, aux mutilations, à la peur de ces blessés qui reviennent d’Ypres, de Passchendaele ou de la Somme, délivre des jugements implacables sur cette guerre qui « produit plus de criminels que de héros ; que, loin d’exalter la noblesse de ceux qui y prennent part, elle n’en extrait que le pire. »

Il faut dire que le premier conflit mondial lui coûta l’amour de sa vie, Roland, ainsi qu’Edward, son frère bien-aimé, tué sur le front italien en juin 1918 et auprès de qui elle voulut reposer après sa mort en 1970. Ces pertes la plongèrent dans une tristesse infinie et façonnèrent chez elle un pacifisme dont elle ne se départit jamais et qu’elle alla défendre jusqu’à la tribune de la toute nouvelle Société des Nations puis dans le magazine Peace News où elle prit, après la seconde guerre mondiale, des positions contre le colonialisme et le nucléaire. « Chaque fois que je songe à la guerre aujourd’hui, je ne la vois pas comme un été mais toujours comme un hiver : je la vois toujours aussi froide, sombre et douloureuse, avec parfois au milieu un moment d’enthousiasme fugace et irrationnel qui nous exalte et nous réchauffe » écrit-elle. Derrière elle se dresse une autre figure littéraire de marbre : celle du grand Rudyard Kipling qui perdit son fils et avec qui elle mêle ses larmes pour pleurer ces proches qu’ils n’ont pas pu sauver. 

Mais les Mémoires de jeunesse ne sont pas que les simples confessions d’une jeune fille de la bonne société britannique confrontée à la fureur du premier conflit mondial. Il y a dans ces pages de réelles qualités littéraires façonnées par une grande culture qui permet au lecteur de voyager dans la littérature britannique du 19e siècle. Elle-même semble devenir l’héroïne de sa propre histoire, le roman d’apprentissage d’une jeune femme brillante parfois naïf qui avance dans ce monde qu’elle connaît peu tout en lui faisant face avec courage et lucidité. Une héroïne à la Henry James.

Publié il y a 90 ans, le succès des Mémoires de jeunesse ne s’est jamais démenti. En 2014, le livre a même été adapté par la BBC. Oscar Wilde a dit un jour dit qu’un classique est un livre que l’on s’abstient de lire car on pense avoir tout saisi par ouï-dire. Aujourd’hui, avec cette traduction signée de la grande Josée Kamoun accompagnée de Guy Jamin, le bouche à oreille ne fait que commencer.  Il est donc plus que temps que ce livre, d’ores et déjà un classique, prenne place dans nos bibliothèques. 

Entre Hemingway et Kipling.

Par Laurent Pfaadt

Vera Brittain, Mémoires de jeunesse, traduit de l’anglais par
Josée Kamoun et Guy Jamin
Viviane Hamy Editions, 736 p.

Nero, Tome 2 – D’ombres et de murmures

Nous avions hâte de retrouver nos deux héros, Nero et le chevalier franc, bien décidés à refermer la grotte des djinns et à barrer la route de ces démons prêts à engloutir le Moyen-Age des frères Mammucari où histoire et surnaturel cohabitent à merveille. 

Après le feu, voilà que se déchaîne le déluge notamment sur la ville de Tyr. Un déluge commandé par des marids, ces djinns de l’eau, bien décidés à répandre le chaos sur la Terre Sainte. L’ambiance de ce second tome est à l’image de la menace : verte et bleue et complète ainsi merveilleusement le premier tome tout en rouge et orangé. Mais dans ce second tome le feu est intérieur, dans le cœur de Nazarite dont on se doutait bien qu’elle ne nous avait pas quitté lors du siège de la forteresse de Tell Bashir, un cœur qui se consume pour Renaud, un beau commandant franc. Le cœur de notre héros semble s’être apaisé, presque assagi à mesure qu’il approche de la grotte des djinns. Le scénario, une fois de plus parfaitement maîtrisé, distille au compte-goutte une vérité qui rend le lecteur très vite addict.

Ce tourbillon orchestré de main de maître qui n’est pas qu’aquatique malgré quelques pages d’une beauté à couper le souffle grâce à la patte de Matteo Cremona notamment lors de la submersion de Tyr, mêle ainsi réalité et cauchemar, passé et présent, poésie et récit d’action. D’ombres et de murmures avance un peu plus en territoire fantastique où les morts et les goules s’apprêtent à se répandre sur la terre des hommes poussant ces derniers à s’unir s’ils veulent survivre. Sous couvert de fiction, voilà un beau message. Vite le troisième tome !

Par Laurent Pfaadt

Mammucari, Nero, Tome 2 – D’ombres et de murmures,
Aux éditions Dupuis, 144 p.

Dictionnaire de mes amis recommandables

Ancien directeur emblématique du théâtre du Rond-Point et dramaturge, Jean-Michel Ribes nous gratifie d’un savoureux dictionnaire de ses amis recommandables. Le livre s’ouvre à n’importe quelle entrée pour croquer tel portrait ou tel autre. Plusieurs pages ou quelques lignes suffisent à sculpter chaque ami dans une succession de levers de rideau sur des comédies d’artistes, des tragédies politiques ou des vaudevilles mêlant intellectuels de tout bord. De Pierre Arditi, « cet ami cher, qui réussit l’extravagant exploit d’être toujours lui-même sur scène et sans cesse comédien dans la vie » à Jacques Weber « colosse fragile, géant sensible » en passant par Fabrice Lucchini, Jean-Claude Carrière ou Marc Ladreit de Lacharrière, ce dictionnaire tient à la fois de l’histoire du théâtre contemporain et de la chronique éclairée et décalée d’une jet set littéraire parisienne comme lorsqu’il réhabilite par exemple François-Marie Banier.

L’humour y est certes caustique et désopilant mais ce livre est avant tout une ode à l’amitié. Ainsi en évoquant Gérard Darmon, l’auteur nous rappelle que cette dernière « a cette qualité particulière qu’elle peut s’oublier mais ne meurt jamais ». Et il faut bien dire qu’avec ce livre, Jean-Michel Ribes fait plus que nous convaincre.

Par Laurent Pfaadt

Jean-Michel Ribes, Dictionnaire de mes amis recommandables
Chez Actes Sud, 224 p.