Archives de catégorie : Lecture

Histoires à la grecque

Biographie passionnante de l’historien romain Dion Cassius

Aujourd’hui connu pour son œuvre d’historien, Dion Cassius fut d’abord un haut fonctionnaire puis un homme politique de l’Empire romain. Originaire de Nicée dans la province de Bithynie (aujourd’hui Iznik en Turquie), Dion Cassius naquit vers 165. Fils d’un patricien ayant occupé des fonctions de gouverneur, il arriva avec ce dernier à Rome à la fin du règne de Marc Aurèle. A partir du règne de Commode et jusqu’à celui du dernier empereur de la dynastie des Sévères, Sévère Alexandre, Dion Cassius observa ainsi l’histoire en marche en occupant de hautes fonctions – gouverneur de Pannonie puis consul en 228 – et devenant un acteur de cette même histoire. Retraité, il décida alors d’écrire son Histoire romaine, œuvre monumentale composée de 80 livres et qui s’étend de la fondation de Rome jusqu’à son époque.


Buste de Caracalla
copyright musée du Louvre

Pendant longtemps et jusqu’à une vingtaine d’années, l’oeuvre de Dion Cassius ainsi que son apport à l’historiographie romaine a été minorée, voire méprisée. C’est en premier lieu le grand intérêt de cette biographie, celui de rendre justice au travail de cet homme qui rappelle un peu son grand modèle, Thucydide qui fut lui-aussi – on l’a oublié – un homme politique avant d’être l’historien de référence de la guerre du Péloponnèse. S’inscrivant dans une longue tradition d’historiens d’origine grecque qui va de Polybe à Appien, Dion Cassius s’employa depuis son observatoire politique à raconter ces années de mutations précédant la crise du troisième siècle dans ce que les historiens ont depuis qualifié d’anarchie militaire.

Au-delà des parties parfois fragmentaires de l’Histoire romaine, lire l’œuvre de Dion Cassius permet également de prendre connaissance des difficultés de rédaction et de collecte des sources afin de constituer un récit de cette taille. Jesper Majbom Madsen, grand spécialiste de l’historien qui contribua d’ailleurs avec Marianne Coudry, autre figure réhabilitatrice de Dion Cassius – elle participa à l’édition de l’Histoire romaine dans les Budé des Belles Lettres – et qui signe la préface, y parvient parfaitement.

Si la fiabilité du récit de Dion Cassius n’est plus à questionner et permet selon l’auteur d’apprendre des détails peu connus sur des évènements marquants de l’histoire romaine, son Histoire romaine est également un traité politique où l’auteur vante notamment les mérites de la monarchie, seul système capable selon lui, d’assurer la stabilité, à l’inverse de la démocratie. Une monarchie qui cependant ne doit pas être basée sur un système dynastique comme celui mis en place par l’empereur Septime Sévère car « aux yeux de Dion, Sévère plaçait sa quête de gloire et la réputation de sa famille au-dessus des intérêts et de la sécurité du peuple romain » écrit l’historien danois. Un éloge qui n’empêche pas Dion Cassius de critiquer vivement certains empereurs notamment Commode et Caracalla.

La biographie de Jesper Majbom Madsen met également en lumière la réflexion d’un historien sur un empire entré dans cette époque qui allait faire basculer son destin, celle de la montée en puissance de l’ordre équestre, et d’une armée qui allait faire et défaire les empereurs. Car pour Dion Cassius, la nature humaine est mue par deux principes : la cupidité et la haine car « le pouvoir corrompt, les individus luttent toujours pour la gloire et le succès ».

A-t-on réellement évolué depuis ?

Par Laurent Pfaadt

Jesper Majbom Madsen, Dion Cassius, un historien méconnu, traduit par Marianne Coudry. Avant-propos de Marianne Coudry. Préface de J. M. Madsen.
Les Belles Lettres, 212 p.

Une rue à Moscou (Sivtsev Vrajek)

Dans la rue Sivtsev Vrajek de Moscou résonne une drôle de musique. Celle de l’opus 37 joué par un piano déchirant l’air. Celle d’un monde, celui de la Première guerre mondiale et d’une Russie, prêt à basculer dans l’abîme. Celles enfin des voix d’Ivan Alexandrovitch, ornithologue et de sa petite-fille,Tanioucha, qui rythment ce roman magnifique.

Après plus d’un demi-siècle passé dans les éditions de l’Age d’homme, ce petit bijou de la littérature russe est à nouveau disponible dans la bibliothèque de Dimitri. Son auteur, Mikhaïl Ossorguine participa à la révolution de 1905 et fut emprisonné. Libéré, il fonda la fameuse boutique de livres des écrivains de Moscou avant de faire parti du bateau des philosophes, ces 150 écrivains expulsés par Lénine, en compagnie notamment du philosophe Nicolas Berdiaev et du dernier secrétaire de Tolstoï, Valentin Boulgakov. Cette expulsion qui lui sauva peut-être la vie avant la terreur stalinienne. Réfugié en France, il y mourut en 1942.

Avec sa puissance narrative incroyable qui n’a rien perdu de sa force, une rue à Moscou, son magnum opus écrit il y un siècle, est une sorte de kaléidoscope de l’humanité. Ses multiples chapitres souvent courts sont comme autant de souffles brefs, langoureux d’un monde où cohabitent rats et hirondelles. Proprement majestueux.

Par Laurent Pfaadt

Mikhaïl Ossorguine, Une rue à Moscou (Sivtsev Vrajek), traduit du russe par Léo Lack, coll. Bibliothèque de Dimitri
Aux éditions Noir sur Blanc, 460 p.

Lefranc T35, Bombe H sur Almeria

Deux avions américains viennent de se percuter et d’exploser en Espagne, au-dessus de la ville d’Almeria. Parmi les débris répandus se trouvent quatre bombes H capables de rayer de la carte toute l’Andalousie et surtout de répandre une pollution radioactive pour des décennies. Un heureux hasard fait qu’au même moment se trouve sur place le journaliste du Globe, Guy Lefranc, enquêtant sur son oncle, un ancien membre des brigades internationales durant la guerre civile espagnole. Les Américains, dépêchés sur place, retrouvent vite trois bombes mais une quatrième est manquante si bien qu’une course poursuite s’engage dans un chassé-croisé bien maîtrisé entre guerre froide et les ombres de la guerre d’Espagne.

Les fidèles de Jacques Martin, Régric et Roger Seiter répondent une nouvelle fois, présents. Notre alsacien préféré, après une incursion dans la Rome antique, revient à ses premiers amours en embarquant Lefranc et ses lecteurs dans cette palpitante aventure. Avec ce sixième album, Roger Seiter fête ainsi, de la plus belle des manière, son dixième anniversaire auprès du héros, entamé avec Cuba libre à qui il fait d’ailleurs un petit clin d’œil. Un cocktail s’impose donc. Et celui-ci s’annonce explosif !

Par Laurent Pfaadt

Régric, Roger Seiter/Jacques Martin, Lefranc T35, Bombe H sur Almeria,
Chez Casterman, 48 p.

Bibliothèque ukrainienne épisode 8

Deux ans de guerre. Une invasion. Des violations du droit international. Le retour de la guerre en Europe.

Deux ans d’exils, de morts, d’enfants kidnappés, de crimes de guerre que l’on pensait définitivement oubliés. Quatre-vingt ans plus tard, Kiev a été une nouvelle fois bombardée. A Kharkov, les cendres de la bataille se sont rallumées.

Deux ans de combats, acharnés. Un front stabilisé, une contre-offensive ratée. Des généraux limogés. Des morts par dizaines de milliers. Des pères. Des fils. Mais aussi des mères, des filles qui se battent sur le front et montrent que le combat pour la liberté de l’humanité est l’affaire de tous.

Deux ans de résistance d’un peuple magnifique, au courage incommensurable. Un exemple pour le monde entier. Des noms gravés dans la légende : Marioupol dont le documentaire de Mystyslav Chernov, 20 jours à Marioupol, vient d’obtenir l’oscar du meilleur film documentaire, Kherson ou Hostomel.


Et puis le 16 février arriva une nouvelle en provenance de ces terres gelés de l’Arctique où bon nombre d’Ukrainiens hostiles au régime soviétique avaient été envoyés par le passé : Alexeï Navalny vient de mourir dans son pénitencier. Le maître du Kremlin est parvenu à ses fins : écraser toute résistance à son pouvoir qu’il s’agisse d’un puissant seigneur de guerre, d’un modeste pilote d’hélicoptère ou d’un opposant politique. Mais pour combien de temps encore ?

Ce huitième épisode de bibliothèque ukrainienne se place sous le signe de la résistance. De tous ceux qui, durant l’histoire ont défié et continuent de défier, au nom de l’Ukraine, ces tsars rouges ou noirs qui ont dirigé depuis plus d’un siècle la Russie ou ses avatars.

Bibliothèque publique de Velyka Pysarivka

Aujourd’hui, près de 700 bibliothèques ont été endommagées dans tout le pays. Le 19 mars 2024, l’armée russe a détruit le nouveau bâtiment de la bibliothèque publique de Velyka Pysarivka au nord-ouest de Kharkiv, à la frontière russe. Trois jours plus tard, celle de Byjmerivska, dans la région de Soumy, a été pulvérisée. Le 25 mars, l’armée russe a détruit le bâtiment de l’Académie d’État des arts décoratifs, appliqués et du design de Kiev qui porte le nom de Mykhailo Boichuk (1882-1937), peintre ukrainien  appartenant à la génération de la Renaissance fusillée.

Bibliothèque publique de Velyka Pysarivka

Malgré cela, des résistants continuent à œuvrer pour que les bibliothèques, le livre, le savoir et la culture ukrainiens subsistent. Pour que d’autres puissent continuer à écrire et trouver leurs places dans ces bibliothèques ukrainiennes qui, partout, se reconstruisent. Comme dans la bibliothèque publique de Trostianets dans la région de Soumy où un nouvel espace pour jeunes lecteurs a été ouvert après la libération de la ville en mars 2022.

Ce nouvel épisode de bibliothèque ukrainienne souhaite également rendre hommage aux artistes et hommes de lettres tombés au front : Oleh Shemchuk, journaliste d’investigation et écrivain, auteur de Seven Days in the White World, le journaliste Volodymyr Petrenko, le poète Maksym Kryvtsov, et de nombreux professionnels du théâtre, de la télévision ou de la musique comme le chef de l’orchestre philharmonique de Kherson, Yuri Kerpatenko, abattu à travers la porte de son appartement le 27 septembre 2022 pour avoir refusé de diriger un concert organisé par les forces russes d’occupation.

Bienvenue dans ce nouvel épisode de bibliothèque ukrainienne.

Simon Schuster, Nous vaincrons, le journal de guerre de Volodymyr Zelensky traduit de l’anglais (États-Unis) par Cécile Leclère
Harper Collins, 480 p.

Volodymyr Zelensky est bien évidemment le premier résistant à la puissance russe et à son tsar, Vladimir Poutine, qui tenta à plusieurs reprises de l’assassiner notamment le 6 mars dernier alors que le président ukrainien se trouvait en compagnie du Premier ministre grec, Kyriakos Mitsotakis. Zelensky, l’acteur d’une série télévisée devenu celui d’une nation en péril et de la marche du monde. L’acteur d’une paix qui ne tient plus qu’à un fil. Pendant plusieurs mois, Simon Schuster, journaliste russo-américain à Time Magazine a eu accès au président ukrainien ainsi qu’à son gouvernement, à l’état-major et l’a suivi pour en tirer cette biographie aux accents de journal de guerre.

Le titre en français, Nous vaincrons, pourrait laisser croire à des mémoires. Il n’en est rien même si Volodymyr Zelensky se confie abondamment. Son titre en anglais, The Showman est plus explicite car il monte la lente transformation de cet acteur de télévision, un peu naïf et drôle en chef de guerre implacable doublé d’un stratège militaire et d’un communiquant hors pair. Même si lire les évènements de cette guerre à travers les yeux du président ukrainien est éminemment fascinant, l’attrait majeur du livre est avant tout dans la transformation de cet homme que rien ne prédestinait à un tel destin. Comment il a su s’adapter à sa nouvelle fonction mais surtout aux circonstances en utilisant ses aptitudes pour devenir cet incroyable communiquant qui a brisé l’invasion russe. Au cours de ses nombreux entretiens avec Volodymyr Zelensky y compris avant l’élection de ce dernier, Simon Schuster montre que les héros, tout comme les tyrans d’ailleurs, naissent souvent chez des gens ordinaires confrontés à des situations extraordinaires.

Elena Kostioutchenko, Russie, mon pays bien aimé, traduit du russe par Anne-Marie Tatsis-Botton, Emma Lavigne
Aux éditions Noir sur Blanc, 400 p.

En Russie, les opposants sont comme les têtes d’une hydre. Sitôt coupées, elles finissent immanquablement par repousser. C’est juste une question de temps. Celle de Boris Nemtsov a été remplacée par celle d’Alexeï Navalny qui, sitôt éliminée, lui a succédé celle de son épouse Ioulia Navalnaïa. Il a fallu attendre quelques années après son élimination pour voir celle d’Anna Politkovskaïa, cette journaliste intrépide qui dénonça les manipulations et les ravages de la guerre en Tchétchénie. Assassinée dans le hall de son immeuble en octobre 2006, elle a donné naissance à de nouvelles têtes et notamment à celle de Elena Kostioutchenko, reporter pour Novaïa Gazeta.  Et l’ombre de Politkovskaïa n’est jamais bien loin, ses mots « surgissent dans n’importe quelle conversation. Ils changent à mesure qu’ils sont racontés pour atteindre leur signification maximale » et se retrouvent dans les rêves et les cauchemars d’une journaliste qui même en fuyant la Russie, a fait l’objet comme Nalvany, d’une tentative d’empoisonnement en Allemagne.

Autre guerre mais même combat contre un homme qui mène son pays à la ruine. Notre journaliste part ainsi, dès mars 2022 pour le front afin de dire aux Russes la réalité de cette guerre que Poutine mène en leur nom. Russie, mon pays bien aimé est le résultat de ces enquêtes. C’est un livre fort, puissant. Rien n’est omis car être journaliste c’est dire la vérité comme le rappelle la quatrième de couverture. Une vérité tirée de ces rêves de liberté que porta Anna Politkovskaïa.

Yves Ternon, Makhno, la révolte anarchiste, 1917-1921, le goût de l’histoire
Les Belles Lettres, 288 p.

Il y a plus d’un siècle, entre 1917 et 1921, en Ukraine, Nestor Makhno, un jeune militant anarchiste aujourd’hui vénéré comme un héros, mena une révolte de partisans en soulevant une partie de la paysannerie ukrainienne. La Makhnovitchina fut ainsi « le cri du village ukrainien » qui se heurta très vite aux désillusions nées après la révolution d’octobre. En juin 1918, Makhno alla même jusqu’à rencontrer Lénine au Kremlin avant de se réfugier à Paris en 1926 après la fin de la révolte et la trahison par les bolcheviks de cet idéal libertaire.

Yves Ternon évoque cette épopée dans un livre passionnant tiré de la très belle collection le goût de l’histoire et resté longtemps indisponible. Il nous emmène dans ces campagnes où le noir de la terre se mêla à celui du drapeau anarchiste face au blanc tsariste et au rouge bolchevique. Ce livre résonne d’autant plus fortement aujourd’hui dans une mémoire ukrainienne qui a subi et subit toujours les assauts d’une Russie qui a tout fait pour diaboliser Makhno alors que, comme le rappelle Yves Ternon, ce dernier « fut le révélateur, l’intermédiaire entre un peuple et son entrée dans l’histoire, l’élément diastasique qui accélère la création.»

Joseph Kessel, Makhno et sa juive
Folio, 98 p.

En complément de l’ouvrage d’Yves Ternon, il faut relire le Makhno et sa juive de Joseph Kessel qui peut être vu à travers ce miroir déformant des mémoires ukrainiennes et russes. Tout commence dans un café parisien. Un Russe blanc, ancien officier du tsar raconte l’histoire d’un homme, Nestor Makhno qui se rebella contre le pouvoir bolchevique. Qualifié de bandit cruel et assoiffé de sang par ses ennemis, il perpétra massacres et autres exactions à la tête d’une jacquerie paysanne avant d’être ensorcelé par une jeune fille juive qui le sauva de la barbarie.

Une sorte de belle et la bête dans le tumulte de la révolution d’octobre. Une histoire magnifiée par la plume d’un Joseph Kessel, lui-même russe blanc, mais teinté d’un antisémitisme problématique. «Makhno n’aimait pas les juifs. Si tuer des orthodoxes lui était un simple plaisir, massacrer les juifs lui apparaissait comme un véritable devoir. Il l’accomplissait avec zèle » écrivit ainsi Kessel.

Pour démêler le vrai du faux, il faut revenir à l’ouvrage d’Yves Ternon qui estime que « l’antisémitisme était si profondément gravé dans la structure mentale du paysan ukrainien qu’il paraît difficile d’imaginer le mouvement makhnoviste épargné par cette gangrène » avant de poser la question : Makhno fut-il ou non un antisémite ? » Et l’auteur de nous rappeler que les juifs jouèrent un rôle important dans les mouvements makhnovistes et que certains révolutionnaires juifs y occupèrent de hautes fonctions. Et si le paysan et le juif vivaient côte-à-côte en Ukraine « sans se comprendre », les pogroms que Makhno dénonça furent essentiellement le fait de véritables bandits paysans associés à tort au mouvement makhnoviste et mais également de cosaques.

Un livre à lire d’abord pour ce qu’il est : un magnifique roman d’aventures.

Sébastien Gobert, L’Ukraine, la République et les oligarques, comprendre le système ukrainien
Aux éditions Tallandier, 352 p.

La formidable résistance des Ukrainiens s’exerce également à l’intérieur de leur pays qui, on l’a peut-être un peu oublié, reste l’autre contrée des oligarques. C’est d’ailleurs ce qui expliqua la frilosité de l’Union européenne à vouloir précipiter l’entrée du pays dans l’UE malgré une accélération du calendrier. « Les Ukrainiens résistent contre la guerre que leur mène la Russie depuis 2014. Ils sont en conflit contre leur propre corruption depuis plus de trente ans. C’est dans la lutte qu’ils se sont formés ; c’est dans la lutte qu’ils entendent préserver leurs acquis et défendre leur droit à l’avenir » écrit ainsi Sébastien Gobert.

A travers une galerie politique fascinante d’une Ukraine qui a donné six présidents et seize premiers ministres depuis la fin de l’URSS, de Leonid Koutchma, ancien apparatchik devenu Président entre 1994 et 2005 et instigateur du système des oligarques à Volodymyr Zelenski en passant par Viktor Ioutchenko, Petro Porochenko, le « réformateur en chocolat » et le pro-russe Victor Ianoukovitch surnommé le « kleptocrate » et dont le palais présidentiel symbolisant l’outrance de ses prévarications, devint un musée de la corruption, l’auteur analyse avec brio ce système, cette « république » des oligarques, les différences de cette dernière par rapport à son homologue russe avec qui elle entretint, selon les protagonistes, des liens forts, mais également la confiscation de l’espace public et des richesses du pays. Un système donné pour mort notamment depuis Maïdan qui a pourtant montré toute sa résilience et sa capacité d’adaptation mais qui doit faire face à des évolutions économiques et sociales portées par une société civile avide de justice. Nourri d’une douzaine d’années de reportages et de rencontres, son enquête passionnante plonge ainsi au cœur d’un système né au milieu des années 1990 et qui fait face aujourd’hui à un désir d’Europe accéléré par la guerre et qui a conduit le peuple à mener plusieurs révolutions.

Volodymyr Zelensky, lui-même porté au pouvoir par un oligarque, a promis de mener cette autre guerre. « Nous vaincrons » a-t-il dit. Nous verrons.

Par Laurent Pfaadt

Passeur de rêves

Un livre magnifique revient sur la carrière de Steven Spielberg

En novembre dernier, les élèves de 4e du collège Wolf de Mulhouse ayant réalisé un film sur Steven Spielberg ont eu la surprise de voir leur idole les féliciter et les inviter à se rendre à Hollywood. Un cinéaste qui sait et qui a montré dans ses innombrables films que puiser dans son enfance pouvait à jamais changer votre vie. Et tandis que le 6 juin prochain, le 80e anniversaire du débarquement allié en Normandie sera l’occasion d’une nouvelle vague éditoriale dont rendra compte Hebdoscope, il devenait nécessaire de se plonger cinématographiquement dans l’œuvre de celui qui mythifia au plus haut point l’action des Etats-Unis durant la seconde guerre mondiale comme en témoigne sa nouvelle série Masters of the air, diffusée en début d’année sur la plateforme Apple TV.


Steven Spielberg sait combien ces rencontres construisent les rêves, les vocations. Un jour peut-être l’un de ces collégiens deviendra lui-aussi un réalisateur culte après avoir découvert le cinéma de Spielberg comme ce dernier découvrit celui de Cecil B. de Mille, ou après avoir imité dans son cinéma de quartier telle scène ou reproduit tel procédé à l’image de ce que fit le futur réalisateur de Jurassic Park (1993) lorsqu’il expérimenta une mixture ressemblant à du vomi qu’il déversa depuis les balcons du cinéma de Phoenix à l’été 1960.

Un cinéma que nous invitent à découvrir Olivier Bousquet, Arnaud Devillard et Nicolas Schaller dans ce très beau livre. Car voilà plus d’un demi-siècle que Spielberg nous accompagne, nous fait rêver, pleurer, tressaillir. Nous, nos parents et nos enfants dans ce formidable lien entre les générations qu’il a su tisser, avec cette magie qu’il a fabriqué derrière sa caméra, cet héritage qu’il nous a transmis et que nous transmettons à notre tour en regardant à travers les yeux de nos enfants, ces premières découvertes d’E.T (1982), d’Indiana Jones ou des Dents de la mer (1975).

Le livre raconte ces épopées cinématographiques avec leurs acteurs (Richard Dreyfuss, l’alter-ego, Tom Cruise, les enfants acteurs promis à un brillant avenir), ses fidèles comme son incroyable directeur de la photographie, Janusz Kaminski, ou John Williams qui mit en musique ses légendes,  et ces anecdotes savoureuses comme celle où l’on apprend qu’il renonça à réaliser Rain Man car déjà engagé sur le troisième opus des aventures du célèbre archéologue.

Le lecteur se promène ainsi dans cette filmographie incroyable où la comédie côtoie la science-fiction, le film d’aventures, la fresque historique ou le thriller politique. Avec une empathie communicative pour leur sujet, les auteurs parviennent même à séduire les plus avertis avec ces films moins connus comme Always (1989) et ces innombrables détails passionnants. Tout en entrant dans la fabrication des ses chefs d’œuvre avec ses analyses techniques et les évolutions technologiques que Spielberg a inventés, ses arrêts sur image passionnants, le livre évoque aussi la difficile gestation de certains films comme La Liste de Schindler (1993) qui mit près de dix ans à voir le jour et les projets avortés comme ceux des biopics de Lindbergh et de Gershwin. Mais surtout, ces démonstrations permettent de révéler le cœur de l’ouvrage, celui de la compréhension du cinéma de Spielberg qui renvoie en permanence à l’enfance, et qui rend hommage à la famille, à sa mère (La Liste de Schindler) et à son père avec Il faut sauver le soldat Ryan (1998).

En faisant quelques pas de côté en explorant l’homme d’affaires via ses sociétés de production Dreamworks ou Amblin ou sa passion pour la peinture et notamment pour Norman Rockwell dont il possède plusieurs dizaines de toiles, le livre aborde également l’homme derrière la caméra. Un livre passionnant de bout en bout donc qui constituera une inépuisable source d’inspiration pour nos cinéastes alsaciens en herbe.

Par Laurent Pfaadt

Olivier Bousquet, Arnaud Devillard, Nicolas Schaller, Spielberg, la totale, les 48 films, téléfilms et épisodes tv expliqués, EPA, 540 p.

Liaisons dangereuses avec Moscou

De l’URSS à la Russie de Poutine, plusieurs livres reviennent sur la complaisance voire la compromission d’une partie des élites françaises à l’égard de Moscou

Depuis plusieurs siècles, la Russie exerce une fascination sur la France, fascination qui ne s’est jamais démentie. De Diderot qui qualifiait la tsarine Catherine II de Semiramide du Nord jusqu’à nos jours en passant par les thuriféraires du stalinisme même après le congrès du PCUS en 1956 qui révéla les crimes de Staline à l’image d’un Georges Marchais approuvant l’invasion de l’Afghanistan en 1978, nombreux ont été hommes politiques, journalistes, intellectuels et autres hommes de l’ombre à admirer régimes et hommes politiques russes. Jusqu’à la compromission et la trahison.


Claude Estier entouré de Pierre Mauroy, Michel Rocard et François Mitterrand au congrès d’Epinay en 1971©Robert Delvac/AFP

C’est ce que révèle le grand reporter Vincent Jauvert dans son livre en forme de tribunal de l’histoire où viennent ainsi siéger ces hommes qui ont trahi leur pays. L’auteur a ainsi eu accès aux rapports, comptes-rendus et jusqu’aux notes de frais de ces espions qui dormaient paisiblement dans les archives de la STB, les services de la Sûreté de l’Etat tchécoslovaque qui surveillaient la France pour le compte du KGB. Et dans cet incroyable livre aux allures de roman d’espionnage se révèlent les identités de ces personnes qui furent des familiers des Français et surtout des hommes au-dessus de tout soupçon.

Ils s’appelaient Heman, Frank, Pipa, Robert ou Portos. Ils conseillaient les présidents de la République, étant ceux qu’on nommait alors les « visiteurs du soir », délivraient des éditoriaux sur les écrans des principales chaînes de télévision ou dans les pages des principaux titres de la presse écrite ou se terraient dans la haute administration. Parmi eux, Claude Estier alias Robert, grognard de François Mitterrand et président du groupe PS au Sénat dont le secret s’était déjà effrité depuis les révélations des archives Mitrokhine. Son importance fut telle que le KGB dessaisit son homologue tchèque traiter directement avec lui.

Dans les médias, le STB fit du Nouvel Observateur une cible de choix en recrutant plusieurs plûmes mais également Gérard Carreyrou, ancien rédacteur en chef politique d’Europe 1 qui conteste farouchement ces révélations. Mais c’est dans les rangs de personnalités de droite que le livre se révèle fascinant en décrivant les trajectoires à la fois machiavéliques et romanesques de Paul-Marie de la Gorce, panégyriste du gaullisme – il fut même conseiller de Pierre Messmer entre 1972 et 1974 lorsque ce dernier était à Matignon – et de Patrick Ollier, ancien président de l’Assemblée nationale et compagnon de Michèle Alliot-Marie, qui fut un agent double de la STB au profit de la DST.

A Matignon ou à l’Elysée, ces espions rapportèrent à leurs maîtres soviétiques des propos plutôt complaisants à l’égard de l’URSS. La chute du mur de Berlin et l’effondrement de l’URSS au début des années 1990 bientôt remplacée par la Russie de Vladimir Poutine ne changèrent rien. « Ne pas humilier la Russie » affirma ainsi le président de la République…Jacques Chirac en 1997, repris un quart de siècle plus tard par Emmanuel Macron. Elsa Vidal, journaliste, responsable de la rédaction russe de RFI et habituée de l’émission C dans l’air nous invite ainsi à comprendre cette mansuétude, cette complaisance qui a conduit la classe dirigeante française, à quelques exceptions près, à fermer les yeux sur les agissements répétés, les provocations et les guerres de Vladimir Poutine jusqu’à la catastrophe du 24 février 2022. Analysant, sources et témoignages à l’appui, les positions de la France et de ses responsables, de François Mitterrand à Emmanuel Macron en passant par Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy dont la présidence symbolisa pour la France « les positions les plus pros-russes de son histoire récente », Elsa Vidal montre combien cette politique fut dictée par plusieurs facteurs, en particulier cette solidarité entre deux nations n’ayant pas fait le deuil de leur puissance passée et se jaugeant dans le miroir américain.

Russian President Vladimir Putin (R) shakes hands with former French president and President of the right-wing Les Republicains (LR) party Nicolas Sarkozy during a meeting at the Novo-Ogaryovo residence outside Moscow on October 29, 2015. AFP PHOTO / POOL / SERGEI CHIRIKOV (Photo by SERGEI CHIRIKOV / POOL / AFP)

Seule exception notoire : la présidence d’un François Hollande, plus méfiant à l’égard de Vladimir Poutine, et qui conduisit le président français a annulé la vente des navires de guerre Mistral en 2015. Des navires qui, selon Elsa Vidal, « auraient aidé les dirigeants russes dans cette entreprise [guerre contre l’Ukraine]. Ce qui aurait été un déshonneur cinglant pour Paris et aurait nui à sa stature internationale ». Ainsi si nos dirigeants ont toujours souhaité coopérer avec la Russie, celle-ci sous la férule de Vladimir Poutine, ne chercha en réalité qu’une confrontation alimentée par nos atermoiements successifs. Et Elsa Vidal d’appeler son lecteur à ouvrir les yeux sur le régime russe, sur ce qu’il est, sans romantisme ni passion. Car d’autres yeux, dans les sphères politiques et médiatiques, observent déjà nos secrets pour le compte d’une puissance qui a changé de nom mais pas de méthodes : « Les services secrets russes continuent de recruter informateurs parmi les reporters occidentaux – plus que jamais sans doute » rappelle ainsi Vincent Jauvert. Nous voilà prévenus.

Par Laurent Pfaadt

Vincent Jauvert, À la solde de Moscou
Aux éditions du Seuil, 176 p.

Elsa Vidal, La fascination russe, politique française : trente ans de complaisance vis-à-vis de la Russie
Chez Robert Laffont, 324 p.

L’embrasement, comprendre les enjeux de la guerre Israël-Hamas

Après six mois d’une guerre entre Israël et le Hamas débutée après le massacre du 7 octobre 2023, une bande de Gaza transformée en un cimetière à ciel ouvert où reposent pêle-mêle, des dizaines de milliers d’enfants palestiniens, près de deux cents humanitaires et une centaine de journalistes venus de nombreux pays, où sévit la famine et où personne ne peut fuir, des clés de compréhension  s’avéraient nécessaires.


Dans ce court essai fort pertinent, Michel Goya, ancien militaire et docteur en histoire propose une analyse dépassionnée et fondée sur des données factuelles tout en la traitant sur le temps long. A l’instar ce qu’il a réalisé dans un ouvrage consacré à l’Ukraine (L’ours et le renard, une histoire immédiate de l’Ukraine, avec Jean Lopez, Perrin, 352 p.), il s’attache ainsi à décrire le fait militaire à l’œuvre dans la bande de Gaza entre l’État d’Israël et les mouvements palestiniens depuis 1967 à Gaza mais plus encore depuis la fondation du Hamas en 1987, ce mouvement terroriste qu’Israël favorisa pour diviser un mouvement palestinien qu’il pensait alors écraser plus facilement.

Face à la guerre asymétrique conduite par le Hamas, Israël mena ainsi des opérations de police plus qu’une véritable guerre. Des opérations de police visant à réduire, à écraser, à éliminer toute menace. C’est ce qu’il appelle « tondre le gazon ». Et qu’à force de répéter cette tactique, celle-ci viendrait à bout du Hamas. Mais ce dernier ne fit que renaître en permanence. Et Israël s’est épuisé. Le 7 octobre a fait volé en éclats cette stratégie car pour la première fois le Hamas a porté la guerre, sa guerre, sur le sol israélien. Ni une barrière de sécurité, ni des décennies d’occupations militaires et d’assassinats ciblés n’ont pu l’éviter. L’attaque du 7 octobre a ainsi cruellement démontré l’échec de cette stratégie menée notamment par le Premier ministre, Benjamin Netanyahou.

Michel Goya montre ainsi qu’Israël, cumulant de nombreuses erreurs stratégiques, s’est enfermé dans un piège. Emprunt d’un profond fatalisme où toute perspective de paix durable semble lointaine, voire impossible, l’essai de Michel Goya est une amère constatation de la fuite en avant des deux belligérants qui fabriquent aujourd’hui les ennemis de demain. Mais demain est un autre jour qui paraît bien lointain.

Par Laurent Pfaadt

Michel Goya, L’embrasement, comprendre les enjeux de la
guerre Israël-Hamas
Perrin/Robert Laffont, 240 p.

Discours sur l’histoire

Pour le 700ème opus de sa collection Essais, Folio  a choisi une réflexion sur l’histoire et plus particulièrement celle de Thomas Hobbes. L’histoire justement, celle des idées politiques,  a retenu de ce dernier le Léviathan, traité politique paru en 1651 et Du citoyen (1642-1647)


Dans ces deux textes inédits en français et tirés d’articles écrits par Hobbes et Lord William Cavendish dont Hobbes fut le précepteur, le penseur anglais s’appuie sur l’histoire romaine, et plus particulièrement sur Tacite pour avancer ses idées qui constitueront la matrice du Leviathan à savoir la souveraineté et la puissance politique.

A cette époque, l’étude et la connaissance de l’histoire étaient à la base de la formation humaniste de tout noble ou aristocrate. Car l’histoire ne devait pas seulement servir d’exemple mais permettre d’appréhender les changements politiques qui s’opéraient et notamment dans cette Angleterre pré-révolutionnaire. Précédés d’une longue introduction de Jauffrey Berthier, maître de conférences en philosophie politique à l’université de Bordeaux et Nicolas Dubos, lui-aussi universitaire et auteur d’un ouvrage consacré à Hobbes qui recontextualisent, ces deux textes constituent de précieux inédits pour comprendre la pensée de l’un des plus influents philosophes de l’histoire européenne des idées.

Par Laurent Pfaadt

Thomas Hobbes, William Cavendish, Discours sur l’histoire
Folio Essais, 272 p.

Fils de rois et de prostituées

L’historienne Julie d’Andurain signe un ouvrage de référence sur l’histoire des troupes coloniales

Marsouins, tirailleurs, goumiers, bigors ou zouaves. Ces noms qui nous disent vaguement quelque chose renvoient à un passé colonial et une époque où la France agrégea sous son autorité des combattants issus du monde entier. Des noms croisés dans nos manuels scolaires et venus d’une époque révolue et parfois oubliée à dessein. Mais les tirailleurs sénégalais et autres indigènes sont revenus ces dernières années, hanter notre mémoire collective notamment par le biais du cinéma, si bien qu’un ouvrage s’avérait salutaire pour y voir plus clair. Julie d’Andurain, professeur à l’université de Lorraine à Metz et autrice d’un Gouraud très réussi, s’est emparée de cette lanterne pour produire la première histoire militaire et politique des troupes coloniales et tenter de nous éclairer.


Dans un propos clair, concis et très approfondi, l’autrice détaille ainsi la lente structuration des troupes coloniales au sein de l’armée métropolitaine, puis son absorption à cette dernière selon deux périodes quasi équivalentes. De 1880 à 1920, la conquête coloniale constitua ainsi un âge d’or des troupes coloniales. C’est l’époque des explorations, des expéditions financées par des fonds privés, soutenues par un puissant lobby parlementaire à travers les figures d’Eugène Etienne, député d’Oran et Albert Sarraut, plusieurs fois ministre notamment des colonies, et appuyées sur des organes de presse qui formèrent ce qu’on appela le parti colonial. Une vision politique qui amène l’autrice à détailler une pensée coloniale qui ne fut pas unie, loin de là, et s’analyse selon les armes et les régiments avec cependant une constante : le rôle du commandement. Parmi ces chapelles idéologiques, celle de l’indigénisme qui eut notamment pour promoteur le général Charles Mangin, concepteur de la fameuse force noire, l’intégration des troupes africaines à l’armée française qui s’illustra notamment au chemin des Dames, en avril 1917 lorsque près de 7 000 tirailleurs périrent dans la désastreuse offensive. Mais nous rappelle Julie d’Andurain, « la rencontre entre Charles Mangin et le projet d’armée noire relève donc d’un contexte global, non d’un projet personnel »

Un contexte qui, passé l’hécatombe d’une Grande Guerre qui mobilisa près de 600 000 indigènes, ouvrit la seconde période, celle du reflux et de l’absorption des troupes coloniales dans l’armée métropolitaine. A partir de 1923 puis sous le cartel des gauches qui voulait « tuer la guerre », les choses évoluèrent. Dans les colonies, les administrateurs ont remplacé les officiers. Les régiments algériens et marocains allaient se battre durant le second conflit dans l’armée métropolitaine avant que la décolonisation n’enterre définitivement les troupes coloniales en les reléguant à des corps d’élite.

Avec ce livre, Julie d’Andurain raconte ainsi une histoire de France à travers la « coloniale », de la IIIe République qui la glorifia avec ses héros (Lyautey, Galliéni, Gouraud) à la Cinquième qui en fit le deuil. Une histoire politique, sociale, culturelle, patrimoniale mais également une histoire de la géographie de la France et de son Empire où l’on apprend une multitude de choses comme par exemple que le Sahara fut déjà, dans les années 20 et bien avant l’arme nucléaire, le terrain des expérimentations militaires avec l’aviation dans le ciel marocain. Une histoire qui résonne encore aujourd’hui dans ce mythe de la puissance perdue qui nous a conduit à mener certaines guerres sur le continent africain. Une histoire où faire le zouave avait encore un sens.

Par Laurent Pfaadt

Julie d’Andurain, les troupes coloniales, une histoire politique et militaire
Passés composés, 400 p.

A lire également :

Julie d’Andurain, le général Gouraud : un destin hors du commun, de l’Afrique au Levant
Chez Perrin, 2022

L’affaire Rockwell

Dwight Myers aurait dû sen douter : les criminels ont toujours un ego surdimensionné et cherche en permanence des adversaires à leur taille. Et s’il pensait en fuyant le LAPD pour la petite ville californienne de Bakersfield après une vie personnelle gâchée, qu’il pourrait mener une existence tranquille, il a vite déchanté lorsque son bip a signé le début d’un nouveau cauchemar.


Eden, une gamine de onze ans surdouée, vue pour la dernière fois au moment de prendre ce bus qu’elle laissa filer, vient de disparaître. Eden qui ressemble à sa fille Nancy. Pour l’instant, le polar est assez classique, le profil du flic somme toute assez commun. C’était sans compter notre auteur, modeste journaliste sportif breton qui signe là son premier roman. Sa mise en scène est très réussie avec sa dimension cinématographique. On s’y attend mais on la veut. C’est comme regarder un thriller à la télé avec Morgan Freeman ou Woody Harrelson.

On sait donc à quoi s’attendre. On imagine Myers, 33 ans, beau gosse cabossé façon Mark Wahlberg, Megan Bailey, la journaliste en Eva Mendes avec ses cheveux châtains et sa peau hâlée. Des flash-backs de disparitions d’autres enfants insérés donnent un petit côté Mindhunter. Et puis l’astuce de Penalan est de ne rien révéler jusqu’au bout. Donc on avale les pages en attendant la confrontation finale.

On pense s’attendre à tout. Les jours passent, l’espoir se réduit, d’autres meurtres interviennent, des pistes se refroidissent, des parents suspectés, des interrogatoires avec des glaces sans teint. Et Eden qui s’est volatilisée tandis que Myers commence à vaciller. Au milieu de la nuit vient alors l’épilogue, inattendue. Eh oui, c’est toujours pareil avec les bons polars. On pense être plus malin et puis non. Alors on respire un bon coup. On laisse Myers repartir dans sa Ford Crown Victoria. Quelque chose nous dit qu’il reviendra, un peu plus cabossé. Car d’autres criminels à l’intelligence machiavélique se cachent, tapis, dans l’ombre de nos sociétés. Face à eux, des adversaires redoutables, tapis, eux, dans l’imaginaire d’auteurs comme Christophe Penalan. Ça promet.

Par Laurent Pfaadt

Christophe Penalan, Eden. L’affaire Rockwell, coll. Chemins nocturnes
Aux éditions Viviane Hamy, 384 p.