Un héros de l’épopée – Le général Dumas au pont de Clausen
Père
de l’écrivain Alexandre Dumas (1802-1870), le général Alexandre Thomas Dumas
(1762-1806), dont la biographie et l’envergure historique ont été pleinement
mises en lumière par l’ouvrage de Tom Reiss Le Comte noir [The Black
Count, 2012], est aussi un personnage à part entière de l’œuvre de son
fils. Il figure tout d’abord en bonne place dans la vaste autobiographie de
Dumas, Mes Mémoires (1852-1854), dont les premiers chapitres sont une
évocation pleine d’admiration, de tendresse et de nostalgie de ce père mort
prématurément en 1806, et ayant laissé orphelin son fils de seulement quatre
ans. La force de cet « Hercule mulâtre », ses exploits en tant que
général républicain, pendant les guerres de la Révolution, mais aussi la pente
à la rêverie de celui que le narrateur désigne comme un « Créole »,
sont dépeints dans des pages vibrantes. Mais le général Dumas s’invite aussi
dans l’œuvre fictionnelle de son fils. Dans La Rose rouge, version
remaniée en 1831 de Blanche de Beaulieu ou la Vendéenne, dont une première
mouture date de 1826, le général Dumas est ainsi, aux côtés du général Marceau,
un personnage de cette nouvelle historique dont l’action est située pendant la
Terreur. On voit également sa silhouette et son souvenir passer dans un roman
tel que La San Felice (1864-1865), qui revient sur l’histoire de Naples
à la fin du XVIIIe siècle et évoque le tyran des Deux-Siciles,
Ferdinand Ier, dit le roi « Nasone », celui-là même dont
l’armée, opposée à la France de Napoléon Bonaparte, a capturé le général Dumas
alors que celui-ci revenait de l’expédition d’Égypte en 1799 : il restera
de longs mois enfermé dans un cachot, où, peut-être empoisonné, il contracte le
cancer à l’estomac dont il meurt en 1806. Enfin, de nombreux héros romanesques
de Dumas héritent du souvenir idéalisé de ce père adoré et s’inspirent de sa
stature : ainsi, le comte de Monte-Cristo, comme d’autres héros surhumain
de Dumas (le Salvator des Mohicans de Paris ou le héros éponyme du Chevalier
de Sainte-Hermine) est d’une force physique extraordinaire, d’une
intelligence fascinatrice, et il poursuit avec acharnement une quête
vengeresse. Ce thème de la vengeance, si prégnant dans l’œuvre dumasienne,
n’est-il pas façonné par le désir de l’écrivain de prendre sa revanche et celle
de son père, écarté par Bonaparte et privé de la gloire mais aussi des revenus
financiers auxquels les officiers mis à la retraite avaient droit ?
Julie Anselmini Professeure des universités en Littérature française Université de Caen Normandie
JO Rio
2016 : Oleksandr Pielieshenko (haltérophilie)
Oleksandr
Pielieshenko ne remporta pas de médaille olympique et n’obtint qu’une ingrate 4e
place mais il conquit l’or sur un autre champ de bataille : celui de la
liberté de son pays attaqué par la Russie.
Deux
fois champion d’Europe des 85 kg, en 2016 et 2017 comme pour montrer que ce
pays pouvait conquérir cette Europe que lui et les siens aspiraient à rejoindre
plus que tout, c’est tout naturellement qu’il s’engagea dans les forces armées
de son pays dès les premiers jours de l’invasion russe. Il est mort le 6 mai
dernier avec l’or de la liberté autour du cou.
Les insoumis (1/3)
JO Mexico 1968 :Tommie Smith et John Carlos
(athlétisme)
Les
Etats-Unis viennent de signer avec Tommie Smith et John Carlos, un magnifique
doublé sur 200m. Les deux hommes montent sur le podium et alors que retentit
l’hymne américain, deux poings gantés se dressent vers le ciel. Comme animé de
cette rage de vaincre d’une course entamée depuis 1865 et l’émancipation des
esclaves par le président Abraham Lincoln.
Tommie
Smith n’a jamais caché son implication dans la lutte pour les droits civiques
et ses critiques envers son pays. Un boycott avait été envisagé mais les deux
hommes ont préféré l’or et l’argent. Les chariots feu étaient ce jour-là noirs
et lumineux. Expulsés, bannis, il leur faudra attendre près de quarante ans
pour qu’un autre héros noir, le président Barack Obama, ne vienne leur rendre
une justice méritée. En 1968, Smith et Carlos se sont effacés derrière un
symbole. C’est aussi cela l’olympisme. Pierre de Coubertin n’aurait pas dit
mieux.
Les
perdants magnifiques (1/3)
JO
Atlanta 1996 : Merlene Ottey (athlétisme)
Avec
cette beauté froide qui irradiait sur ces pistes qu’elle emprunta comme autant
de triomphes romains tout au long de ses nombreux titres, la Jamaïcaine aurait
pu être la reine du sprint car le monde ne lui suffisait pas.
Reine,
elle le fut assurément. Mais reine sans couronne. Reine d’argent et de bronze.
Reine d’airain comme un bouclier antique. Mais l’or olympique se refusa à elle,
la faute à une alliance franco-américaine. Pour autant, elle demeure à jamais
reine de cœur.
D’or
et de sang (1/3)
JO
Amsterdam 1928 : Attila Petschauer (escrime)
Celui
qu’on appelait le « nouveau d’Artagnan » après ses médailles d’or par
équipe en sabre aux JO d’Amsterdam (1928) et de Los Angeles (1932) et une
médaille d’argent en individuel (1928) connut la gloire et l’infamie. Et comme
le rappela Alexandre Dumas, dans les Trois mousquetaires « la
fortune est une courtisane : favorable hier, elle peut me trahir demain ».
Car les jalousies n’attendent que le balancier de l’histoire pour devenir
crimes. Déporté dans un camp de concentration en Ukraine parce que juif, Attila
Petschauer subit la jalousie du commandant du camp, un ancien membre de
l’équipe olympique hongroise passé du côté des bourreaux. S’il fut assassiné en
janvier 1943, ces derniers ne parvinrent en revanche jamais à tuer sa mémoire
qui inspira le personnage de Ralph Fiennes dans le film Sunshine
d’Istvan Szabo.
Tristes
tricheurs (1/3)
JO
Montréal 1976 : Boris Onishchenko (pentathlon)
Il
fut le Dark Vador de l’olympisme, non seulement parce qu’il fut l’un des
seigneurs de cet empire du mal qu’allait dénoncer quelques années plus tard
Ronald Reagan mais surtout parce que son épée se transforma en sabre laser.
Pourtant, la réputation de ce Sith n’était plus à faire car il avait vaincu
nombre de Jedis lors des olympiades de Mexico et de Munich.
Pourtant, il lui en fallait plus car la seule force, si elle n’est pas associée à la ruse, ne fait pas Dark Vador. Mais celle-ci est comme Saturne, elle dévore ceux qui en use. Découvert, il fut banni. « Quand le côté obscur tu regardes, méfie-toi…car le côté obscur te regarde aussi » affirma un jour un certain Yoda.
La marquise de Merteuil qui se serait mise au cross fit. J’aurais l’heure du thé en religion. Au menu sablés à la farine d’os broyés et enduits de confiture à base de viscères. Et bien entendu, je troque l’épée pour le MMA. Un physique à la Pamela Anderson et une conversation digne de Madame de Sévigné. Mais j’aurais quand même l’air ringarde à côté de la véritable Milady !
Par Marie Capron
Marie Capron est auteure de polars et notamment Priya, le silence des nonnes Aux éditions Viviane Hamy
Il
m’est toujours difficile de choisir un livre plutôt qu’un autre, une histoire
plutôt qu’une autre chez Dumas père et fils, car ils incarnent tous pour moi le
roman populaire tel que j’aime le lire et l’écrire. Mais puisqu’il le faut je
dirai les Trois mousquetaires car c’est le premier qui me donna le goût
du roman historique.
Mireille Calmel est l’une des auteures françaises de romans historiques les plus célèbres. Depuis le Lit d’Aliénor (XO éditions, 2000) vendu à près de 800 000 exemplaires dans le monde, elle enchaîne les best-sellers. Dernier roman paru : L’Or maudit (XO éditions)
Joseph Balsamo, aventurier, escroc qui se faisait connaître à la cour de Louis XVI sous le nom de Comte de Cagliostro, est transfiguré par Alexandre Dumas dans ce roman, début d’un feuilleton. Sorcellerie, alchimie, intrigues de cour autour de cet inquiétant personnage, un des plus grands méchants à faire honneur au sens du romanesque dumassien. Pour moi, c’est un des textes les plus importants de Dumas, car il mêle personnages de fictions et figures historiques au sein d’un roman résolument ancré dans le registre de l’escroquerie, du faux. Ou comment la fiction que crée Balsamo grâce à son charisme fait de lui un personnage puissant.
Par Laurent Pfaadt
Guillaume Chamanadjian est écrivain. Son prochain livre, Une
valse pour les grotesques, paraîtra aux éditions Les forges de Vulcain en
octobre 2024
Cinquante
cinq-ans après sa conquête, la lune fascine toujours autant comme en témoigne
séries, films et livres
Le
21 juillet 1969, à la tête de la mission Apollo XI, Neil Armstrong posait le
pied sur la lune. Avec Buzz Aldrin et Michael Collins, il fut l’une des
vingt-sept personnes ayant survolé le seul satellite de la terre et le premier
des douze à avoir foulé le sol lunaire. Il fut surtout celui qui redonna aux
États-Unis sa fierté bafouée par une URSS et son champion, Iouri Gagarine.
Deux
hommes pour un rêve. Deux hommes pour une lutte. C’est ce que rappelle Frédéric
Martinez dans sa brillante biographie croisée. Deux enfants de condition
modeste, amoureux des livres qui trouvèrent dans les étoiles la matérialisation
de leurs rêves de papier.
Tandis
qu’Armstrong, ce piètre conducteur se battait en Corée, Iouri Gagarine se
morfondait dans une fonderie et manqua de peu la radiation dans son école de
pilotes. Tous deux forgèrent malgré tout leurs légendes. D’une plume
particulièrement vivante et explosive comme une Saturn V, Frédéric Martinez
nous conte l’histoire de ces deux hommes, de part et d’autre du rideau de fer.
Deux hommes qui se ressemblaient. Deux rêveurs jamais rassasiés.
Fin
des années 50, l’URSS surprend le monde en plaçant le spoutnik, le premier
satellite, dans l’espace avant d’y envoyer à bord du Vostok, Iouri Gagarine, le
premier homme, le 12 avril 1961. L’Amérique humiliée sur l’échiquier
géopolitique d’un Eisenhower qui n’a pas cru à la conquête spatiale s’en remit
alors, sous l’impulsion d’un JFK, à l’un de ses anciens ennemis, Werner von
Braun, le concepteur des V2 nazies, un homme qui « a la tête dans les
étoiles et les pieds dans une mare de sang » notamment celui des
déportés du camp de Dora qui fabriquèrent les V2 et pense que les Soviétiques « ont
fait le coup pour impressionner les Noirs » écrit Frédéric Martinez en
citant l’ancien nazi. Le génie peut aussi être infâme mais il va cependant
faire de Neil Armstrong et des membres de la mission Apollo XI, les héros d’une
Amérique à l’honneur retrouvé. Quant à Iouri Gagarine, un autre mentor veille
sur lui : Sergueï Korolev, l’homme de la fusée R-7, l’ingénieur qui « n’a
pas le droit d’exister officiellement » écrit Gregor Péan qui
réhabilite – comme Frederic Martinez – dans son très beau roman consacré à
Gagarine, ce personnage oublié. Addictif, le roman suit les destinées croisées
du premier homme dans l’espace mais également de Marina Socovna, une espionne
soviétique avant que les deux chemins, les deux trames narratives ne se
croisent.
Tous
les deux paieront le prix de leur rêve, infligé par le destin. Armstrong avec
la mort de sa petite Karen-Anne emportée par une tumeur cérébrale et l’échec de
son mariage avec Janet. Gagarine en devenant une statue du régime à jamais
figée sur terre. Arrive 1966 où leur rêve commun se scinde : l’un descend en
enfer quand l’autre s’apprête à atteindre son paradis.
Gagarine
ne vit jamais son alter ego poser le pied sur la lune car il décéda le 27 mars
1968 après le crash de son avion. Le destin n’a pas voulu lui jouer ce mauvais
tour et lui, le premier à avoir approché au plus près Dieu, lui l’athée, était
retourné dans ce ciel qui l’attendait pour reprendre le titre du roman de
Gregor Péan. D’ailleurs, il s’en est fallu de peu que l’URSS ne pose en premier
le pied sur la lune comme le rappelle l’extraordinaire série d’Apple TV, For
all Mankind qui diffuse ces derniers temps sa quatrième et dernière saison.
Après
des années de sommeil, les Etats-Unis relancèrent la course à la lune avec la
mission Artémis II qui prévoit d’envoyer un homme ou une femme sur la lune en
2025. Une mission parfaitement détaillée dans le livre paru aux éditions Glénat
et préfacé par Milan Maksimovic, directeur de recherche au CNRS et
astrophysicien à l’Observatoire de Paris, dans ce qui est peut-être l’ouvrage
de référence sur la lune. Fourmillant de détails et s’appuyant sur de très
belles photos, il analyse la lune sous toutes ses coutures ou plutôt sous tous
ses reliefs avec ses montagnes, ses déserts, les différentes missions et leur
technologie. Particulièrement intéressante est la cartographie des différents
alunissages. Bien évidemment Iouri Gagarine et Neil Armstrong occupent des
places de choix dans cette course à la lune devenue à nouveau l’un des terrains
de jeu de la recomposition géopolitique post 11 septembre 2001. Une course où
de vieilles puissances tentent d’y maintenir leur influence, quitte à s’allier
sous la bannière de l’Union Européenne quand d’autres nées au siècle précédent
(Inde et surtout Chine) y affirment leur puissance grandissante ou construisent
leur place de demain comme les Emirats Arabes Unis ou l’Arabie Saoudite.
Et
si le 13e homme était une femme ? Car l’hypothèse confinée pendant longtemps à
la science fiction notamment dans la superbe saga de Mary Robinette Kowal,
n’est plus farfelue, loin de là. Et cette femme pourrait être chinoise en la
personne de Zhou Chengyu, commandante du programme spatial chinois qui, dans
cette nouvelle guerre froide où la Chine a remplacé l’URSS, pourrait réussir là
où Gagarine a, d’une certaine manière, échoué. A l’instar de son ami et rival
communiste, la Chine souhaite aujourd’hui prendre une longueur d’avance dans ce
qui reste pour le moment une course technologique notamment dans l’exploration
de la face cachée de la lune en intégrant à leur mission un satellite de
communication servant d’intermédiaire entre la terre et le vaisseau posé à la
surface. Mais derrière tout cela couve en réalité ce rêve jamais assouvi
d’envoyer à nouveau un être humain sur notre satellite.
Autant dire qu’il risque d’y avoir du monde dans la lune…
Par Laurent Pfaadt
Frederic Martinez, Neil Amstrong, Youri Gagarine, deux vies, un rêve, Passes composés, 240 p.
La Lune, préface de Milan Maksimovic Glénat, 224 p.
Gregor Péan, Le ciel t’attend Robert Laffont, 208 p.
Mary Robinette Kowal, Vers les étoiles, 528 p. Vers Mars, 512 p. Sur la Lune, 736 p. traduit de l’anglais par Patrick Imbert, Denoël
Deux
ouvrages passionnent abordent la question de l’épuration des femmes ayant
collaboré avec l’ennemi pendant la seconde guerre mondiale
Pendant
longtemps les femmes suspectées de collaboration pendant la seconde guerre
mondiale ont été « réduite à leur seul sexe, ce qui rend encore plus
improbable, dans l’opinion, leur participation « autre
qu’horizontale » à la collaboration » écrivent ainsi Pierre Brana
et Joëlle Dusseau, auteurs d’un livre qui vient enfin palier une absence dans
l’historiographie de la France de l’après-guerre. Ainsi ces femmes au crânes
rasés à la libération, marques de leur infamie, et symbolisées par la tondue de
Chartres photographiée par Robert Capa, ne résument pas la collaboration. Il y
eut également les personnalités, les égéries, les femmes et filles de
personnalités du régime de Vichy, les « salonnières », les femmes de
conviction ou les « comtesses » de la Gestapo et de l’Abwehr nous
disent les auteurs qui font le tri dans toutes ces catégories et dessinent une
fascinante galerie de portraits où l’on retrouve ces quelques figures célèbres
comme Coco Chanel, Violette Morris, pilote de course proche du crime organisé
ou Lydie Bastien, la fameuse diabolique de Caluire. Des figures à l’image de
cette dernière ou de la célèbre Chatte (Mathilde Carré) caricaturées en
sorcières ou en animaux.
Passé cette première partie somme toute assez connue, Pierre Brana et Joëlle Dusseau ouvrent alors une deuxième partie, certainement la plus passionnante où la galerie devient typologie. Puisant notamment dans le fameux fichier des 100 000 collabos du 5e bureau du ministère de la guerre, les deux auteurs entrent dans les foyers des Français où la collaboration réside parfois là où on l’attend le moins. Certes 20 000 femmes ont eu des relations sexuelles avec des Allemands mais la collaboration fut également le fait de vengeances professionnelles ou de lutte contre les violences conjugales. Ainsi « certains engagements, notamment dans les partis politiques, peuvent être liés à l’espoir d’un « retour sur investissement » professionnel ou personnel (libération d’un prisonnier, aide ponctuelle pour leur exploitation agricole…) » écrivent nos deux auteurs.
Des situations tirées de toutes ces femmes anonymes qu’analyse également Fabien Lostec, chercheur associé au laboratoire Tempora, enseignant et chargé de cours à l’université Rennes 2 dans son livre tiré de sa thèse de doctorat « les collaboratrices face aux tribunaux de l’épuration ». Prenant en quelque sorte la suite de l’ouvrage de Pierre Brana et Joëlle Dusseau, l’auteur est allé consulter les nombreuses archives des cours de justice et tribunaux de près de 60 dépôts d’archives départementales qui jugèrent et condamnèrent à mort 46 femmes sur 651 condamnations à mort pour peindre les portraits de ces femmes dans ce qu’il appelle « l’archipel épuratoire judiciaire ».
Ici aussi, l’étude frappe par la diversité des parcours essentiellement centrés entre deux types de collaborationnistes : les délatrices et celles qui prêtèrent main-forte à l’ennemi et « dont l’action provoque des tortures, des déportations et des morts ». Des femmes torturant ou tuant de leurs propres mains comme Jeanne Hermann, cette alsacienne de vingt-deux ans qui fut la seule des 46 condamnées à mort à tuer un individu non avec une arme à feu mais avec une arme blanche, en l’occurrence un juif de 72 ans.
L’analyse pertinente de cette justice épuratrice s’engouffre également dans une réflexion qui questionne la place de la femme dans cette période trouble du 20e siècle encore emprunte d’un profond sexisme. L’auteur avance ainsi « l’idée du rétablissement d’un ordre masculin particulièrement répressif à l’égard du sexe féminin » à la fin de la guerre. Pierre Brana et Joëlle Dusseau ne disent pas autre chose lorsqu’ils évoquent les sanctions ayant frappées de nombreuses femmes suspectées de collaboration parfois sur des fondements assez minces pour faire de la place aux hommes dans les administrations à la fin du conflit. Une place de la femme dans cette société que ces condamnées à mort ont remis en question, ont bravé souvent de la plus infâme des manières, en s’engageant par exemple dans des partis politiques collaborationnistes notamment ceux de Jacques Doriot ou de Marcel Déat, devenant ainsi des sujets politiques bien avant l’octroi du droit de vote.
Par Laurent Pfaadt
Pierre Brana et Joëlle Dusseau, Collaboratrices,1940-1945 : Histoire des femmes qui ont soutenu le régime de Vichy et l’occupant nazi Aux éditions Perrin, 384 p.
Fabien Lostec, Condamnées à mort, l’épuration des femmes collaboratrices, 1944-1951 CNRS Editions, 400 p.
Comme
chaque année, Hebdoscope vous propose une sélection d’ouvrages à lire durant
vos vacances
James
Lee Burke, Un autre Eden, traduit de l’anglais (américain) par Christophe
Mercier, éditions Rivages, 272 p.
A
chaque vacances son Burke. Et à chaque fois la même interrogation comme avec
les romans de Joyce Carol Oates : comment réussit-il à façonner de tels
bijoux littéraires et à se renouveler ? Alors oui, il y a les thèmes
burkiens : la glorification de la nature qui s’apprécie, se contemple dans
le miroir d’une nature humaine, sombre et détestable. La rédemption de ces
êtres qui peuplent ses romans, ces êtres haïssables qui pourtant nous touchent
en raison de leur volonté de se libérer de cette violence qui les emprisonne.
Un
autre Eden constitue une pierre supplémentaire dans cette cathédrale noire
avec ses vitraux qui représentent les personnages tout en clair-obscur de Burke
et dont les reflets interpellent à chaque fois notre inconscient. Dans cet
édifice, on retrouve une nouvelle fois Aaron Holland Broussard, le héros des Jaloux.
Il a grandi et vit désormais dans le Colorado. Sur sa route se présente une
fois de plus le grand amour avec la belle Joanne McDuffy et sa « gorge
colorée comme un pétale de tulipe brisée » qu’il va falloir défendre,
arracher aux griffes du mal.Dans ce deuxième opus qui relève plus du
roman noir, Aaron Holland Broussard poursuit son apprentissage de la cruauté
des hommes. Et dans les Enfers de Burke, notre Orphée contemporain devra
affronter bien des périls pour sauver son Eurydice.
Hugh
Howey, Une colonie, traduit de l’anglais par Aurélie Tronchet, Le livre de
poche, 336 p.
Mondialement
connu pour sa saga Silo adaptée en série par Apple TV, Hugh Howey nous embarque
dans l’un de ses premiers romans, à l’époque auto-publié et réédité pour
l’occasion, à bord de ce vaisseau regroupant 500 personnes destinées à
coloniser une nouvelle planète. Durant ce voyage qui doit durer trente ans, une
IA est censée leur enseigner tout ce qu’il leur sera nécessaire pour vivre en
société. Mais au bout de quinze ans, une explosion à bord du vaisseau
interrompt le processus et la soixantaine d’adolescents de quinze ans
survivants sont contraints s’installer sur une planète hostile.
Débute
alors l’édification de cette fameuse colonie et l’exploration de ce nouveau
monde. Chacun va apporter ses
compétences et en même temps construit son propre système d’autorité. Mais
cette exploration laisse vite place à celle des méandres de l’âme humaine. Ce
roman qui ravira un public young adult montre en réalité que nos pires ennemis
sont en réalité en nous-mêmes.
Hélène
Coutard, La disparition de Chandra Levy, 10/18, 224 p.
D’emblée,
quand on voit le visage de Chandra Levy, on pense à Monica Lewinsky. Un visage
d’ange aux cheveux noirs, innocent, presque naïf. Cela tombe bien, nous sommes
à la même époque, en 2001 et Chandra Levy travaille au bureau fédéral des
prisons en tant que stagiaire. Elle y fait la rencontre d’un parlementaire
démocrate de Californie, Gary Condit à qui on prête un brillant avenir et avec
qui elle a une liaison. Mais le 1er mai 2001 alors qu’elle fait son
jogging dans le Rock Creek Park de Washington DC, tout près des institutions,
elle disparaît.
Voici
le décor du dernier opus de la collection True Crime en partenariat avec le
magazine Society et raconté par la journaliste Hélène Coutard. Si les premières
pistes se tournent naturellement vers Gary Condit, elles sont vite abandonnées
car personne ne sait où se trouve Chandra Levy. Certes, le parlementaire
entretenait avec elle une relation extra-conjugale et a menti sur sa vie mais
cela n’en fait pas un coupable pour autant. Et lorsque le corps de Chandra Levy
est enfin retrouvé, un an plus tard, dans le parc, la police arrête un immigré
clandestin d’origine salvadorienne qui est condamné à soixante ans de prison
sur la base d’un dossier somme toute assez mince.
Affaire
classée donc. Sauf notre coupable est finalement libéré. Hélène Coutard nous
conduit ainsi dans cette affaire criminelle aux multiples rebondissements,
peut-être l’un des opus des plus passionnants de la série avec sa dimension
politique qui rappelle les romans de John Grisham et cette nuit dans laquelle
s’enfonce le lecteur.
François
de Bernard, La Chartreuse de Naples, Editions Héloïse d’Ormesson, 352 p.
Habituellement,
les hommes viennent contempler les toiles de maître. Mais il arrive parfois que
ces dernières, imperturbables témoins de l’histoire de l’Europe, se mettent à
observer les hommes. Le Mariage de la Vierge peint vers 1550 dans
l’atelier du Tintoret est de ceux-là. Acheté par un marquis napolitain,
Alessandro de Paladini, il est le personnage principal du très beau roman de
François de Bernard, lui-même propriétaire du chef d’œuvre qu’il a déjà mis en
scène dans son livre précédent.
Quelques
quatre-vingt ans plus tard dans une Naples qui a vu passer le Caravage, alors
que se construit la chartreuse San Martino, un monastère perché sur les
hauteurs de la ville, une autre vierge de la peinture, bien réelle celle-là,
Artemisia Gentileschi se retrouve menacée. Et lorsqu’elle fait la rencontre du
marquis, notre tableau devient le témoin des dangers qui rôdent autour d’elle
et de l’aide que le marquis lui apporte. Et comme si cela ne suffisait pas,
voilà que Dieu lui-même, peut-être courroucé de ce génie volé à son orgueil,
déclenche irruption volcanique et peste.
Une
histoire enlevée et jamais ennuyeuse narrant de multiples péripéties et qui
combine récits historique, policier et de science-fiction dans un savant
mélange d’aventures tirées d’une très belle palette littéraire.
Marie-Béatrice
Baudet, David Gaillardon, Le salon vert, A l’Elysée au cour du pouvoir,
Grasset, 144 p.
L’époque
littéraire est à faire parler les objets et les lieux. Hôtels, tableaux, ils
sont autant de spectateurs que de nouvelles trames narratives pour aborder
l’Histoire avec un grand H. Voilà que le salon vert de l’Elysée, au premier
étage du célèbre palais de la République, juste à côté du bureau du président
de la République, se met à table. Le salon vert et ses objets singuliers en ont
vu des vertes – c’est le cas de le dire – et des pas mûres. C’est là que
François Hollande a décidé de répondre aux attentats terroristes, qu’Alstom a
été vendu. Il a servi tour à tour de QG, de chambre mortuaire et de salle de
mariages. Lieu de confidence, il fut également celui des traîtrises les plus
infâmes notamment lorsque Patrick Buisson enregistra de nombreuses
conversations avec Nicolas Sarkozy et Carla Bruni.
Pour
nous conter la fantastique histoire de ce lieu fait de bonheurs et de
tragédies, les plûmes combinées de Marie-Béatrice Baudet, grand reporter au
Monde et de David Gaillardon allient magnifiquement petite et grande histoire,
témoins et archives, anecdotes et grandes décisions. Le salon vert invite à un
voyage dans l’histoire de France et dans le temps et en passionnera plus d’un.
Lorina
Balteanu, Cette corde qui m’attache à la terre, traduit du roumain par Marily
Le Nir, éditions des Syrtes, 160 p.
C’est
une merveilleuse petite pépite littéraire venue d’un pays que peu de gens
savent placer sur une carte. Une pépite qui vous ouvre les yeux en même temps
que ceux de cette petite fille d’une
Moldavie qui était, à cette époque, un satellite de l’URSS.
Tandis
que cette petite fille avance, grandit, le récit du premier roman de cette
designer devient plus net, comme un brouillard qui se déchire, emportant avec
lui cette nostalgie faite de ces gâteaux confectionnés, du cochon qu’on tue, du
magasin de papa qui vend des bonbons, pour laisser place à cette vie où il faut
s’imposer, gagner sa place et en même faire la sublime découverte de l’amour.
Derrière
tout cela, avec sa magnifique plume, Lorina Balteanu, magnifiquement traduit
par Marily Le Nir, dessine le décor d’un monde disparu, une sorte de Goodbye
Lenine les yeux ouverts enfermé dans une bulle étanche au monde extérieur,
à l’Ouest avec sa liberté perçue comme un poison tandis qu’à l’intérieur, toute
initiative pour affirmer son identité est sévèrement réprimée. Car il y a une
ombre que cet enfant ne perçoit pas tout de suite et qui, sans le savoir,
recouvre son existence, sa famille, son pays. Une ombre faussement
bienfaitrice.
Ce
magnifique roman d’apprentissage et d’une certaine manière géopolitique célèbre
les choses simples mais en même temps, il nous rappelle qu’elles ne sont rien
sans liberté.
Michel
Vaillant, Rédemption, saison 2 tome 13, Denis Lapière, Eilam, Marc Bourgne,
Graton, 56 p.
L’an
passé, Denis Lapière, scénariste de cette nouvelle saison nous l’avait
promis : « le prochain épisode de la nouvelle saison se tiendra à
Indianapolis mais de nos jours ! Alors patience… » Nous y voilà donc.
Après avoir échappé dans le tome précédent à un sniper sur la piste des 24h du
Mans, Steve Warson est rentré chez lui aux Etats-Unis. Mais il n’est pas pour
autant en sécurité car le FBI sait que le sénateur est menacé par ces mêmes suprématismes
et que se profile à l’horizon la mythique course des 500 miles d’Indianapolis
que la team Vaillante et Steve Warson souhaitent bien évidemment gagner. Michel
lui, a pris du recul, pour s’occuper de Françoise qui se bat contre un cancer
et a laissé le volant à la talentueuse Elsa Tainmont. Tandis que se prépare la
célèbre course d’IndyCar, le FBI décide de tendre un piège aux conspirateurs en
utilisant un sosie du sénateur démocrate tandis que le vrai s’installe au
volant de la Vaillante. Une fois de plus, le suspense est à la fois sur la
piste et en dehors.
Les
fans du célèbre pilote de Jean Graton retrouveront avec plaisir ce circuit
qu’il a dompté à de nombreuses reprises dans des albums devenus mythiques
(Suspense à Indianapolis, Le secret de Steve Warson) ou plus récemment dans le
premier tome de la série Légendes. Un circuit que les auteurs sont allés
ausculter notamment en rencontrant Romain Grosjean, ancien pilote de F1 passé
en IndyCar. Cela donne un album qui s’inscrit dans la lignée des grands opus de
la saga de Jean Graton en faisant cohabiter à merveille course automobile et
thriller à l’américaine.
Robert
Pike, Oradour s’est tu. Le destin tragique d’un village français, traduit de
l’anglais par Julie Primon, coll. Au fil de l’histoire, Flammarion, 496 p.
Parmi
les nombreuses publications qui émaillent l’anniversaire du plus important
crime de guerre commis sur le sol français, à Oradour-sur-Glane, le 10 juin
1944, celle de l’historien britannique, Robert Pike, spécialiste de la France
durant la seconde guerre mondiale, mérite d’être signalé. Combinant
intelligemment archives et récits des survivants notamment celui de
l’infatigable Robert Hebras, il donne à lire la préparation, l’exécution et les
enseignements de cet épisode majeur de l’histoire de France au 20e
siècle.
A
travers trois parties qui forment ce livre passionnant et en même temps
émouvant car il laisse en suspens certaines questions renforçant ainsi ce
sentiment d’injustice avec son lot d’incompréhensions, Robert Pike revient sur
ces évènements « aussi inattendus qu’immérités ». Il montre
ainsi avec force que la destruction méthodique de ce village de Haute-Vienne
fut également celui d’un îlot d’humanité « idyllique » avec la
présence à Oradour de juifs et de républicains espagnols dont Ramona Domínguez Gil, reconnue en 2020 comme
la 643e victime du massacre d’Oradour et qui périt ce jour-là aux
côtés de son fils, de sa belle-fille et de ses trois petits enfants dont le
dernier n’avait que vingt-et-un mois. Plus qu’un livre, cet ouvrage est une
voix qu’il est nécessaire d’entendre à nouveau.
Eden,
une gamine de onze ans surdouée, vue pour la dernière fois au moment de prendre
ce bus qu’elle laissa filer, vient de disparaître. Eden qui ressemble à la
fille de l’inspecteur Myers chargé de l’enquête et nouvellement arrivé dans ce
trou perdu ou coin tranquille – c‘est comme on veut – du nord de la Californie.
Avec sa
mise en scène très réussie, façon thriller avec Morgan Freeman ou Woody
Harrelson, Christophe Penalan, journaliste sportif breton qui signe là son
premier roman, embarque immédiatement son lecteur.
On
imagine Myers, 33 ans, beau gosse cabossé façon Mark Wahlberg, Megan Bailey, la
journaliste qui lui prête main-forte en Eva Mendes avec ses cheveux châtains et
sa peau hâlée. Des flash-backs de disparitions d’autres enfants insérés donnent
un petit côté Mindhunter. Et puis l’astuce de Penalan est de ne rien
révéler jusqu’au bout. Donc on avale les pages en attendant la confrontation
finale.
On pense s’attendre à tout. Les jours passent, l’espoir se
réduit, d’autres meurtres interviennent, des pistes se refroidissent, des
parents suspectés, des interrogatoires avec des glaces sans teint. Et Eden qui
s’est volatilisée tandis que Myers commence à vaciller. Au milieu de la nuit
vient alors l’épilogue, inattendue. Eh oui, c’est toujours pareil avec les bons
polars. On pense être plus malin et puis non. Alors préparez-vous à passer de
l’autre côté du miroir de la réalité. Il y a des criminels qui ne vieillissent
jamais…
Fabrice
Drouelle, Cahier de vacances, Affaires sensibles, Hors Collection, 80 p.
Plonger
dans la crise des missiles de Cuba ou dans les arcanes du Vatican, traquer
Dupont de Ligones ou Adolf Eichmann, revivre la séparation des Beatles et
l’exploit de Nadia Comaneci avec Fabrice Drouelle et ses Affaires sensibles.
Voilà ce que propose ce cahier de vacances passionnant qui sera votre compagnon
idéal sur les plages de vos vacances ou sur les terrasses de vos maisons
principales ou secondaires.
Un
cahier qui associe culture générale et activités ludiques, parfait pour les
grands et les moins grands. Des QCM pour vous plonger dans l’histoire des JO ou
dans les scandales politiques de ces quinze dernières années, des jeux de piste
qui vous feront revivre à merveille cette émission désormais culte de France
Inter et permettront aux lecteurs de briller face à leurs profs ou à la machine
à café dès la rentrée.
Alors
le temps d’une double page, transformez-vous en espion du Mossad ou en
enquêteur de la brigade criminelle tout en sirotant votre boisson préférée ou
un cornet de frites à la main pour résoudre ces quelques affaires sensibles.
Lunettes noires et stylos indispensables. Et attention aux empreintes !
Plusieurs
ouvrages reviennent sur la dynastie des Saoud
Une
terre recouverte de sable et qui regorge d’une substance nécessaire au monde
entier. Un peuple de nomades du désert ayant pris le contrôle de cette terre et
noué un pacte avec la puissance impériale régissant ce monde.
Le président américain Joe Biden et le prince héritier saoudien Mohammed Ben Salmane, le 15 juillet 2022 à Jeddah (Arabie saoudite) Saudi Royal Palace/AFP / Bandar AL-JALOUD
Vous
n’êtes pas dans Dune mais en Arabie Saoudite. L’histoire récente de ce
pays aux 20e et 21e
siècles, ce pays passé à la vitesse de la lumière du désert à la
démesure, de la pauvreté à l’organisation de l’évènement le plus médiatique du
monde, la coupe du monde football en 2034, a quelque chose de profondément
cinématographique. Une histoire qui se résume à une famille, les Saoud qui,
depuis son fondateur jusqu’à son lointain héritier, personnifie l’évolution de
ce pays à qui – chose unique – elle a donné son nom.
Deux
hommes qui, pour reprendre le titre du livre du Rudyard Kipling, voulurent être
rois et le devinrent ou pour le second, est en passe de le devenir. Et pour
comprendre ces deux hommes, il faut se pénétrer de ce commentaire qu’Ibn Saoud
fit à Harold Dickson, colonel britannique et futur représentant de l’Iraq
Petroleum à propos de la question palestinienne : « Nous autres
Arabes, de par notre nature, pouvons céder corps et âme devant un acte de
bonté, mais devenons les ennemis implacables et pour toujours de ceux qui nous
traitent durement ou injustement »
Instruit
de cette maxime, le lecteur peut donc entrer dans ces deux livres passionnants
et en premier lieu celui que Christian Destremau, auteur désormais expert de
cette péninsule arabique qu’il connaît bien, consacre à Abdelaziz Ibn Saoud, le
fondateur de l’Arabie Saoudite. Un homme descendant de la dynastie
régnante du premier État saoudien et véritable personnage de roman qui
d’ailleurs suscita les éloges de bon nombre d’écrivains à commencer par Joseph
Kessel qui voyait en lui un « géant invincible, souverain de génie qui
a forgé son empire et sa gloire par le fer, le feu et la foi ».
Car
il faut bien reconnaître qu’il y a une part de vérité dans les mots de l’auteur
des Cavaliers et Christian Destremau s’emploie dans une langue pleine de
rythme qui colle d’ailleurs parfaitement à la destinée d’Ibn Saoud de nous
raconter la jeunesse de ce dernier, la conquête de la péninsule arabique et la
proclamation du royaume d’Arabie Saoudite en 1932 tout en débarrassant le
monarque des mythes qu’il s’est plu à entretenir avec cette capacité reconnue
de tous de subjuguer ses auditoires grâce à sa maîtrise incomparable du verbe.
Franklin Delano Roosevelt et le Roi Ibn Saoud sur l’USS Quincy, 14 février 1945 Photograph from the Army Signal Corps Collection in the U.S. National Archives.
Un
livre qui est également, à travers la figure du roi, une magnifique histoire de
la péninsule arabique durant la première moitié d’un 20e siècle
arabe qui s’est trop souvent résumé, dans l’historiographie occidentale, à
celle des Hachémites et de Lawrence d’Arabie. L’auteur met ainsi en lumière
d’autres figures telles que celle de Harry St. John Philby, le père du futur
espion soviétique et conseiller d’Ibn Saoud ou de William Eddy, représentant
américain qui noua lui-aussi une relation très proche avec le roi pour
expliciter la perte progressive de l’influence des Britanniques dont Ibn Saoud
fut « l’ami des jours sombres » au profit des Américains. Car
sous les pieds du roi d’Arabie Saoudite dormait un trésor : le pétrole. Et
en homme d’État avisé, Ibn Saoud eut l’intuition, pendant le second conflit
mondial, que les Etats-Unis allaient être la puissance dominante à même de lui
garantir cette stabilité qu’il poursuivit toute sa vie pour son pays quitte à
transiger sur la question palestinienne. Une alliance symbolisée par la
rencontre avec Roosevelt sur l’USS Quincy dont l’auteur nous rappelle cependant
que le « pacte du Quincy qui aurait une alliance à long terme entre les
deux pays, et qui aurait été renouvelé quelques décennies plus tard n’a jamais
existé ». Il s’agissait plutôt d’une relation personnelle qui allait
déboucher sur l’intensification des relations entre les deux pays.
Un
siècle après les premiers exploits d’Ibn Saoud, d’autres connaisseurs de cet
Orient compliqué, les journalistes Christian Chesnot et Georges Malbrunot,
auteurs d’enquêtes journalistiques sur le Qatar ou Ben Laden tentent dans leur
dernier ouvrage de percer le mystère MBS, initiales de Mohamed Ben Salmane, le
prince héritier d’Arabie Saoudite et fils du roi Salmane, lui-même fils d’Ibn
Saoud. Un prince-héritier qui souhaite faire entrer l’Arabie Saoudite dans le
21e siècle. Celui que les deux auteurs qualifient de « Janus » du
Moyen-Orient est l’homme de tous les paradoxes et de tous les changements.
Terminé l’alliance du sabre et du Coran, place à celle du sabre pour abattre
ennemis, journalistes impies, princes rebelles ou Etats rivaux et du carnet de
chèques pour construire The Line, cette ville futuriste ou bâtir un soft power
à base de sport et de culture, s’inspirant en cela du voisin émirati dont le
cheikh Mohammed Ben Zayed Al Nayhane fut le mentor du jeune prince avant que ce
dernier ne s’en affranchisse.
Les deux journalistes tracent ainsi le portrait de celui qui a brisé la tradition adelphique instauré par son aïeul, Ibn Saoud dont il demeure un grand admirateur, qui fut ministre de la Défense et président du conseil suprême d’Aramco, le géant pétrolier. Un homme complexe, réservé, travailleur formé par un père qui « lui inculqua les valeurs de l’autorité et de l’effort » et qui se prépare depuis longtemps à un destin qui n’était pas forcément évident mais qu’il a su forcer. « Dans le royaume, MBS cultive l’image d’un prince combattant qui n’a pas froid aux yeux et que personne n’impressionne, pas même la république islamique » d’Iran. Un pays qu’il n’hésita d’ailleurs pas à affronter indirectement au Yemen dans cette volonté de remodeler les rapports de force au Moyen-Orient quitte à rééquilibrer ses relations avec les États Unis, se permettant même le luxe d’humilier ces derniers en octobre 2022 en décidant de réduire à l’OPEP la production de pétrole. Façon de réaffirmer, d’une certaine manière, que Dune appartient aux Fremen.
Par Laurent Pfaadt
Christian Destremau, Ibn Saoud, Seigneur du désert, roi d’Arabie Chez Perrin, 384 p.
Christian Chesnot, Georges Malbrunot, MBS, enquête sur le nouveau maître du Moyen-Orient Chez Michel Lafon, 272 p.
Derniers jours de l’exposition Sacrilège ! aux
archives nationales
En
ces temps de dissolution et de remise en question de l’autorité de l’État, une
petite visite dans la très belle exposition des archives nationales s’imposait.
Près d’une centaine d’œuvres et d’archives inédites viennent ainsi questionner
2500 ans d’histoire du blasphème, du sacrilège et du rapport de ce dernier avec
l’État. Elles dessinent une magnifique fresque historique du suicide de Socrate
à l’assassinat de Samuel Paty en passant par le concordat de 1801 et la loi de
séparation de l’Église et de l’État (1905). Et pour illustrer ce propos, les
archives ont dévoilé quelques-uns de leurs innombrables trésors, des parchemins
médiévaux au testament olographe de Louis XVI daté du 25 décembre 1792.
Le
visiteur constate ainsi la lente mutation de ces concepts et notamment celui de
blasphème sous les rois de France. S’appuyant sur cette note de Guillaume
Nogaret, conseiller du roi Philippe le Bel, présentant les charges pesant sur
Bernard Saisset, évêque de Pamiers, les commissaires de l’exposition rappellent
ainsi qu’« offenser Dieu, c’est offenser le roi, protecteur de la foi
et de l’Eglise ».
L’expulsion
des jésuites va pourtant progressivement infléchir le rapport de force en
faveur des philosophes des Lumières et désacraliser le roi. Après la révolution
française et la mort du roi, le blasphème se maintint dans la République avec
notamment la loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881 affirmant dans
son article 26, le délit d’offense du président de la République qui remplaçait
un délit d’outrage lié à la morale publique et religieuse. « Ce texte
constitue encore de nos jours une des pierres angulaires de l’esprit des lois
de la République » écrit ainsi Jacques de Saint Victor, professeur des
universités en histoire du droit et des institutions et commissaire de
l’exposition dans le très beau catalogue qui accompagne cette exposition et
tient véritablement lieu de livre d’histoire sur le rapport entre pouvoir et
religions, et sur la laïcité.
Cette
dernière traverse bien évidemment l’exposition notamment dans sa dernière
partie où, à partir des années 1980, on constate un retour en force dans le
débat médiatique français, de la question du blasphème portée par des
associations religieuses intégristes. Et nos commissaires de se demander s’il
est encore possible, aujourd’hui, de trouver un « sacré commun ».
L’avenir post 7 juillet nous le dira…
Par Laurent Pfaadt
Sacrilège ! L’État, les religions et le sacré, archives nationales jusqu’au 1er juillet 2024
A lire le catalogue de l’exposition par Amable Sablon du Corail, Jacques de Saint Victor, Nathalie Droin et Olivier Hanne publié aux éditions Gallimard, 192 p. 2024