Nicolas Gras-Payen est éditeur. Passé par les éditions Tallandier puis Perrin dont il devint en 2012, le directeur littéraire, il fonde en 2019, la maison d’édition Passés composés consacrée à l’histoire. Il est également directeur du « pôle Histoire » de Belin Editeur depuis 2018. Pour Hebdoscope, il revient sur cette aventure éditoriale.
Voilà quatre ans que Passés composés existe. Quel bilan en tirez-vous ?
Je crois que nous pouvons être satisfait du chemin parcouru, tant par la qualité des autrices et auteurs qui nous ont fait confiance que par le soutien des libraires et des médias. Notre proposition éditoriale a rencontré un bel écho et je crois que nous avons su fédérer autour d’une ambition intellectuelle cohérente appuyée sur une logique commerciale efficace.
La maison d’édition a-t-elle trouvé sa place parmi les lecteurs ?
Oui, incontestablement. C’est bien sûr visible par la réception de nos best-sellers, de Barbarossa à l’Infographie de la Rome Antique ou de la Révolution, en passant par les biographies de Louis XIV ou Gengis Khan. Mais, tout aussi important, les lectrices et lecteurs d’histoire nous ont aussi fait confiance pour des livres plus complexes commercialement parlant mais absolument nécessaire à la vitalité de l’histoire.
Vous avez fait le choix de sujets parfois pointus, spécialisés et confiés à des historiens inconnus, en publiant leur sujet de recherche. Passés composés s’est-elle également donnée pour mission de révéler de jeunes talents, les historiens de demain ?
En réalité c’est incontournable selon nous pour deux raisons finalement assez évidentes. D’une part ce sont les jeunes auteurs qui portent la modernité des sujets par les questions qu’ils posent. Ne pas être à leur écoute nous condamnerait à republier en permanence sur les mêmes sujets avec les mêmes approches. D’autre part, il existe de formidables talents parmi la nouvelle génération d’historiennes et d’historiens qui seront les auteurs connus de demain. Mais si personne ne leur fait confiance pour se lancer, comment émergeraient-ils ? Néanmoins nous tentons de garder un équilibre entre les générations, les historiens plus matures ont bien sûr un savoir-faire et une réflexion dont l’histoire ne peut se passer.
Dans le même temps, vous publiez des ouvrages un peu plus « grand public » ou sur des sujets moins convenus comme les impôts ou la pilule…
Tout à fait, c’est la logique que je viens d’évoquer. Elle correspond d’ailleurs aux différents publics de l’histoire, certains lecteurs entrant dans un livre en ayant déjà de larges connaissances quand d’autres sont dans une démarche de découverte. Bien sûr, l’histoire étant un monde, il y a aura toujours des thèmes à découvrir d’où notre attention à l’originalité des sujets.
Si vous ne deviez garder qu’un seul souvenir de ces quatre années…
Un seul me paraît bien difficile, cette aventure étant humaine, intellectuelle et entrepreneuriale, nous avons connu bien des joies depuis 4 ans.
Dans ce siècle de déchirements et de sang que fut le 20e, l’ex Yougoslavie produisit, dans le sillage d’Ivo Andric, quelques grandes voix littéraires
Lorsqu’on évoque les lettres yougoslaves, un nom vient immédiatement à l’esprit : Ivo Andric, le maître, auteur de l’inoubliable Pont sur la Drina, prix Nobel de littérature en 1961 dont paraît ces jours-ci La chronique de Belgrade. En partie inédites, ses huit nouvelles offrent un voyage incroyable dans une Belgrade entre le début du 20e siècle et la fin de la seconde guerre mondiale, entre scènes de guerre et récits cocasses. Tout le génie d’Andric est là : dans cette capacité incroyable à dépeindre une époque et un pays à travers des personnages différents, ces « petites gens » comme il les appelle. Il y a indiscutablement quelque chose des Gens de Dublin de Joyce dans ces nouvelles, en ce sens qu’elles dévoilent, de la longue nouvelle Zeko en passant par Steven Karajan ou les femmes qui jalonnent ces récits, la vision d’une société à travers des personnages aux caractères si différents. Une société qui avance vers la guerre et tente de conserver malgré tout une humanité face à la barbarie. Si La chronique de Belgrade est une ode à ses habitants, la ville, de la Save qui se jette dans le Danube à la place Terazije et ses pendus en passant par la maison de rue Toltojeva, est elle-même un personnage à part entière qui se transforme, se métamorphose, s’enlaidit ou au contraire, se pare de ses plus beaux atours.
A sa mort en 1975, Andric laissa un certain nombre d’héritiers littéraires. Son nom devint un prix récompensant un auteur de langue serbe qui fut attribué à Danilo Kis en 1983, traçant ainsi une sorte de filiation entre non seulement ce dernier et Andric mais également avec James Joyce. Pourtant, Danilo Kis demeure aujourd’hui oublié. Dans Extrait de naissance, titre de la biographie que lui consacre Mark Thompson, journaliste britannique qui a couvert les guerres d’ex-Yougoslavie, l’auteur du Sablier reprend vie. Évoquant sa vie notamment en France où il arriva dès 1962, d’abord à Strasbourg puis à Paris ainsi que son œuvre, Mark Thompson a construit un objet littéraire unique, récompensé par le prix suisse Jan Michalski de littérature (2015) et échappant aux cadres de la biographie pour décrire un écrivain tout aussi unique qui « aimait dire qu’il s’était entraîné à être écrivain bien avant d’en devenir un » et pour qui Le pont sur la Drina était le livre absolu.
Cette première vision littéraire de l’écrivain serbe offre également à travers la lecture de son œuvre une profonde réflexion sur les deux grands totalitarismes qui secouèrent le 20e siècle. Le nazisme notamment pour celui qui allait immortaliser la Shoah dans cet inoubliable roman qui, longtemps, fut inédit, Psaume 44, l’un de ses premiers écrits avec ce bébé de deux mois dont les pleurs, au moment de passer les barbelés avec sa mère et de gagner la liberté signent à la fois un cri d’espoir et une condamnation à mort. Le 22 février dernier, Kis aurait célébré ses 88 ans. Avec le slovène Boris Pahor, longtemps doyen des écrivains et disparu l’an dernier et Claudio Magris, son cadet de quelques années, Kis fut certainement l’un des plus illustres représentants d’une Mitteleuropa désormais bien lointaine, admiré de nombreux écrivains parmi lesquels Milan Kundera ou Susan Sontag et dont le nom fut évoqué pour le Nobel.
De la tragédie au rire, il n’y a qu’un pas que franchit allègrement l’écrivain croate Ante Tomic dans Qu’est-ce qu’un homme sans moustache ? comédie absolument savoureuse qui s’attarde sur la vie de Don Stipan, curé alcoolique repenti, personnage comme échappé des rues du Belgrade d’Andric ou de l’univers d’un Emil Kusturica. Après Kresimir Aspic dans Miracle à la combe aux aspics (éditions Noir sur Blanc, 2021), Ante Tomic s’attache une nouvelle fois à un personnage excentrique, ce curé pas comme les autres autour duquel gravitent d’autres personnages tout aussi loufoques, ces hommes et ces femmes de ces contrées balkaniques qu’il décrit avec une langue aussi délicieuse qu’un agneau rôti. Ici le rire constitue autant un ravissement littéraire qu’une arme pour conjurer les souvenirs toujours vivaces d’une autre guerre.
Les frontières du rire ne furent malheureusement pas, en ex-Yougoslavie, les seules à être franchies. Et les braises de ce nationalisme encore ardent qui vint à bout de ce pays crée en 1918, ne permettent toujours pas aux plaies de la guerre d’être cicatrisées. Il faut pour cela le baume de ces nouvelles voix de papier, comme celle de Faruk Serhic, jeune auteur bosniaque qui a décidé d’entrer avec son livre, Le livre de l’Una, prix de littérature européenne, dans ces mêmes variations funestes de la Bosnie que peignit en son temps Ivo Andric. Le héros de Serhic, un vétéran bosniaque de la guerre d’ex Yougoslavie qu’aurait pu rencontrer Mark Thompson dans ce livre absolument magnifique, choisit l’hypnose pour combattre les fantômes de la guerre et exorciser ses traumatismes. A la manière de l’Una, cette rivière qui s’écoule et au bord de laquelle il aimait, enfant, pêcher, notre héros remonte le courant de sa vie. L’Una de Serhic comme la Save d’Andric sont ces rivières d’ex-Yougoslavie qui charrient les corps, les souvenirs et les destins. Elles sont aussi ces chemins de mémoire faits de sédiments sanglants et de bulles de rire avec leurs cours paisibles et leurs furieuses cataractes.
« Une grande tendresse unit Ivo Andric aux hommes, mais il ne recule pas devant la description de l’horreur et de la violence, ni devant ce qui, à ses yeux, apporte surtout la preuve de la réalité du mal dans la vie. Il ouvre, en quelque sorte, la chronique du monde à une page inconnue et s’adresse à nous du plus profond de l’âme tourmentée des peuples slaves du sud » avait dit Anders Osterling en remettant le prix Nobel à Ivo Andric. C’est ce que l’on ressent assurément à la lecture du Livre de l’Una.
Par Laurent Pfaddt
Ivo Andric, La chronique de Belgrade, traduit du serbe par Alain Cappon, éditions des Syrtes, 192 p. Mark Thompson, Extrait de naissance, l’histoire de Danilo Kis, traduit de l’anglais (Royaume-Uni) par Pascale Delpech, éditions Noir sur Blanc, 608 p.
Ante Tomić, Qu’est-ce qu’un homme sans moustache ? traduit du croate par Marko Despot, éditions Noir sur Blanc, éditions Noir sur Blanc, 208 p.
Faruk Serhic, Le Livre de l’Una, traduit du bosnien par Olivier Lannuzel, Agullo Editions, 256 p.
Dimanche 2 avril 2023 se tiendra une nouvelle édition du Grand Prix d’Australie, étape désormais incontournable et régulière du championnat du monde de Formule 1, au même titre que Monza, Spa Francorchamps ou Suzuka. Des millions de spectateurs et téléspectateurs verront s’affronter les Ferrari, McLaren ou Williams et sitôt la course achevée ou pour se préparer à ce nouveau choc de bolides, plongeront dans l’album Paddock de Philippe et Jean Graton, nouvelle aventure de Michel Vaillant ayant pour décor le Grand Prix d’Australie qui se tenait alors encore dans la ville d’Adelaïde.
Nous sommes donc le 13 novembre 1994. Le titre doit se jouer entre Damon Hill, Michael Schumacher et un certain…Michel Vaillant bien évidemment. Le décès d’Ayrton Senna quelques mois plutôt et dont Jean Graton rend hommage à la fin de son album, remplacé par Nigel Mansell qui reprend du service à 41 ans a rebattu les cartes y compris au sein de l’équipe Williams Renault. Mais cette dernière est secouée par un nouveau drame : le carburant destiné à ses F1 a été déversé tandis que des parieurs spéculent sur la participation de leur champion. Dans le même temps, la Benetton de Schumacher est victime d’un sabotage à la glue. Les regards se tournent alors vers l’écurie Vaillante Elf qui semble profiter de la situation. D’ailleurs, Tim, le jeune apprenti de Michel Vaillant est très vite accusé. Il n’en faut pas moins pour mettre la pression sur notre héros à quelques heures du départ tandis que Françoise, l’épouse de Michel, mène l’enquête et affronte tous les dangers et les serpents qui règnent dans le paddock.
Comme à chaque fois, Jean Graton aidé de son fils Philippe qui s’est immergé dans l’écurie Williams pour écrire ce 58e album de la série paru en 1995, n’a pas son pareil pour mêler suspense criminel et tension sur la piste. Car bientôt arrive ce 35e tour qui allait rester dans toutes les mémoires, celui de l’accrochage entre la Williams de Damon Hill et la Benetton de Michael Schumacher et allait valoir à ce dernier son premier titre de champion du monde.
Le lecteur côtoie ainsi pour son plus grand bonheur personnages de fiction et grands noms de la F1. Ensemble, ils construisent une magnifique aventure dans ce qui reste l’un des meilleurs albums de la série consacré à la F1 et que vous n’êtes pas près d’oublier.
Par Laurent Pfaadt
Philippe et Jean Graton, Paddock, Michel Vaillant, Graton, 48 p. 1995
« Le succès des séries Netflix nous fait dire qu’il y a une vraie appétence du public pour le genre »
Elsa Delachair est éditrice chez 10/18, responsable de cette nouvelle collection imaginée avec le magazine Society.
1. Comment est née l’idée de cette nouvelle collection ?
Les éditions 10/18 et Society travaillaient déjà ensemble sur un podcast, appelé « Histoires d’Amérique » consacré au catalogue de la maison : des émissions sur nos grands auteurs (Toni Morrison, Jim Harrison, Richard Price etc). Et quand, à l’été 2020, Society a rencontré un immense succès avec le double numéro sur Xavier Dupont de Ligonnès, nous avons commencé à réfléchir ensemble à cette collection. L’idée était de conserver les Etats-Unis comme territoire d’exploration, mais non plus à travers ses grands auteurs mais plutôt à travers ses faits divers.
2. Les grandes affaires criminelles en livre de poche sont une tradition éditoriale de longue date…
Oui, mais plutôt sous l’angle de la fiction j’imagine. Ou du moins de la reprise en poche de livres qui ont eu un succès en grand format d’abord. Là, la dimension originale du projet tient à l’association d’une maison d’édition à un journal, pour sortir des histoires inédites au prix et au format poche.
3. Les succès de Mindhunter ou de Dahmer sur Netflix plus récemment vous ont-ils convaincu qu’il y avait un regain d’intérêt pour les tueurs en série ?
Notre collection n’est pas une collection consacrée aux serial killers, c’est une collection consacrée aux faits divers, ce qui recouvre beaucoup de type de criminalités. Les serial killers en sont bien sûr un des aspects. Mais sur les 2 premiers livres qui sortent, seul un des deux est consacré à un tueur en série. Le 2e est une histoire d’enlèvement d’enfants et de son traitement judiciaire dans une Amérique patriarcale.
Sur les 4 livres qui paraîtront cette année, seul un est consacré à un tueur. Mais bien entendu, le succès des séries Netflix nous fait dire qu’il y a une vraie appétence du public pour le genre.
4. Votre collection se veut un voyage dans l’Amérique mais également dit quelque chose socialement de ce pays, de sa violence notamment
Cette collection a pour point de départ de cartographier les affaires criminelles d’un pays, immense, complexe et hétérogène. Nous choisissons un fait divers par état, et nous l’explorons grâce à la voix du journaliste qui retranscrits à la fois les faits criminels mais aussi l’ambiance, la géographie, l’histoire des lieux. Il est évident que les faits divers racontent bien plus que le simple crime dont ils sont l’objet : les faits divers sont de véritables reflets sociologiques, politiques, historiques.
5. Vous avez choisi un format assez court, deux cents pages max qui rappellent un peu les romans dits de gare…
C’est une volonté de départ : des livres courts, pas chers, qui se lisent comme des polars. Ils sont construits comme des polars, se lisent rapidement, les chapitres sont calibrés pour être lus en une séquence de lecture minimum. Nous voulions faire une collection grand public et de qualité. Le travail des journalistes est profondément documenté (par des recherches bibliographiques, d’archives, et de terrain également) : c’est une véritable démarche, ils ont d’abord effectué une partie des recherches depuis la France puis sont partis plusieurs semaines enquêter sur les lieux des affaires. C’est donc une approche très sourcée du simple fait que les auteurs soient journalistes. Cela aussi, c’était l’un des points de départ du projet.
6. Pouvez-vous nous dire quels serial killers les lecteurs seront-ils être amenés à croiser dans les prochains numéros ?
Alors, comme décrit plus haut, ce ne seront pas des serial killers à proprement parler. L’Inconnu de Cleveland, qui paraîtra en juin, s’intéresse à un personnage très énigmatique qui s’est suicidé au début des années 2000 et dont l’identité très trouble et le fait qu’il ait cherché systématiquement à disparaître des radars a conduit les enquêteurs à s’interroger sur le profil de cet homme : que cherchait-il à cacher ? Son histoire, qui se passe en Ohio, nous conduira bien sûr sur les pas d’un tueur très célèbre.
Et la 4e affaire, qui paraîtra en octobre, s’intéressera à un avocat au-dessus de tout soupçon, accusé du double meurtre de sa femme et de son fils et au procès-fleuve qui vient de se dérouler en Caroline du Sud.
En utilisant le polar, Philippe Godoc sensibilise de la plus belle des manières l’opinion au scandale du Chlordécone
C’est un scandale de santé publique, presque une affaire d’Etat qui, pendant longtemps, a été ignoré. Le chlordécone est ainsi le nom de ce pesticide utilisé dans les Antilles notamment dans le traitement des bananeraies contre le charançon. Interdit aux Etats-Unis depuis 1976, il a fallu attendre 1993 pour qu’une mesure similaire soit prise en France. Ce décalage de dix-sept années fut surtout le fruit d’un intense lobbying qui a conduit à une pollution des sols et de la faune, entraînant chez l’homme une recrudescence de cancers. Révélée ces dernières années, l’affaire du chlordécone, commercialisé sous les noms Kepone et Curlone, a fait l’effet d’une bombe dont les explosions continuent de résonner surtout depuis l’ordonnance de non-lieu rendue le 2 janvier dernier. Une bombe qui, comme à chaque fois, donne naissance à des œuvres littéraires.
La première d’entre elle est signée Philippe Godoc, responsable associatif dans la protection des milieux marins, et dont l’amour pour la Guadeloupe, son île d’adoption depuis quarante ans, l’a conduit à écrire ce manifeste en forme de polar.
Et il faut dire que celui-ci marche assez bien. On y entre très facilement en suivant Marc Montroy, journaliste pour un journal écologique qui enquête sur le Kepone. Car, de Richmond aux Etats-Unis à la métropole en passant bien évidemment par les Békés, les descendants des colons blancs des Antilles, nombreux sont ceux qui ont intérêt à ce que l’affaire ne s’ébruite pas, surtout ceux qui commanditent les meurtres qui suivent et se rapprochent de Montroy. Philippe Godoc tire ainsi plusieurs fils – les meurtres, l’enquête journalistique sur le Kepone et l’histoire personnelle du héros, tragique, qui se confond avec celle de la Guadeloupe – lui permettant de tenir en haleine assez efficacement son lecteur.
Une petite dose américaine subitement tirée de la chaleur moite d’un sud façon John Grisham combinée à quelques scènes dignes d’un film d’action viennent ainsi donner du piment antillais à ce thriller écologique entre lanceurs d’alerte et tueurs à gages haïtiens où l’on ne s’ennuie jamais. Une belle découverte à la fois instructive et pleine de rythme.
Depuis plusieurs années maintenant, la mode du true crime, ces affaires criminelles racontées comme des polars, séduit de plus en plus de lecteurs. En voici un qui devrait assurément ravir les amateurs du genre.
Ainsi, parallèlement à la nouvelle collection de 10/18 consacrée à certaines affaires criminelles américaines (voir l’interview de son éditrice), les amateurs de sensations fortes plongeront avec effroi dans American Predator de Maureen Callahan, Grand prix étranger de littérature policière 2022, qui raconte l’histoire d’un tueur en série qui commit onze meurtres sur l’ensemble du territoire américain, de l’Alaska à la Floride en passant par New York et le Vermont. Le 2 février 2012, une jeune serveuse, Samantha Koenig disparaît à Anchorage en Alaska. Les caméras de surveillance captent le tueur, Israël Keyes, un homme ordinaire, père de famille qui part en vacances avec cette dernière entre deux meurtres comme si de rien n’était et qui, à cet instant est déjà actif depuis près de quinze ans. Mais à cet instant, personne ne le sait et Israël Keyes, lui, se joue de la police en donnant une fausse preuve de vie de sa victime en lui cousant, ouvertes, les paupières…
En suivant plusieurs chemins narratifs, la journaliste Maureen Callahan s’introduit dans la tête du tueur pour l’analyser, chapitre après chapitre, strate après strate comme devant un microscope et nous révèle sa psychologie tout en la confrontant à celles des autres personnages du livre. Celui-ci se veut également une plongée fascinante dans les méandres du système policier américain qui profita à ce tueur machiavélique qui changea son modus operandi pour éviter d’être repéré et se joue des frontières des différents Etats du pays.
Maureen Callahan fait ainsi de cette affaire un thriller angoissant et impossible à lâcher avant la fin. Nuits blanches garanties
Les historiens Franck Favier
et Vincent Haegele nous proposent à travers une magnifique galerie de
portraits, une réflexion sur la trahison
Il y a 200 ans exactement, le 14
mars 1823, disparaissait à Londres, Charles François Dumouriez, ministre des
affaires étrangères sous la Révolution et vainqueur de Valmy. Après avoir tenté
un coup d’Etat visant à rétablir une monarchie constitutionnelle, il fut obligé
de quitter la France. Selon Patrice Gueniffey, auteur du chapitre sur les
généraux et la Révolution, « Charles François Dumouriez est
certainement l’un des personnages les plus insaisissables de la Révolution »
avant de conclure qu’il fut « l’incarnation du traître ».
Ce général félon qui connut
gloire et infamie est l’un des personnages qui peuplent cette incroyable
galerie de traîtres traversant différentes époques à travers l’Europe et le
monde. Du Grand Condé au colonel Redl en passant par le chevalier de Rohan et
Vidkun Quisling, homme politique norvégien rallié au Troisième Reich, quelques
grandes plumes historiques telles que Didier Le Fur, Thierry Sarmant ou Eric
Anceau pour ne citer qu’eux nous offrent leur peinture du traître. Délaissant certaines
grandes figures comme Talleyrand ou Fouché, les contributeurs focalisent leur
attention sur des hommes moins connus afin d’étayer une réflexion sur la
traîtrise.
Le lecteur, lui, chemine dans
cette galerie avec, il faut bien le dire, une certaine jubilation. Car le
traître intrigue autant qu’il fascine. Il s’arrête devant chaque portrait et le
soumet à son sens moral, à son patriotisme, à ses valeurs pour s’ériger en
juge. Parvenu au dernier portrait, il s’interroge : mais pourquoi
trahissent-ils ? Franck Favier et Vincent Haegele qui ont coordonné
l’ouvrage, expliquent ainsi que « les traîtres fascinent, autant par
leur infamie que par leur courage d’aller contre une raison impérieuse plus
puissante, celle de la morale, s’étant forgé, souvent par autopersuasion, une
morale personnelle ».
Mais trahir qui ? Son
roi ? Son pays ? Certes, la codification juridique de la trahison
tirée du droit romain et appliquée aux guerres de religion, jette les bases
avec la grande ordonnance de Blois en 1579 du traître à la patrie mais à y
réfléchir de plus près, il y a mille et une raisons de trahir. Trahir pour sauver
son roi comme les princes de la Fronde afin de se débarrasser de ces
conseillers néfastes que furent les cardinaux Richelieu et Mazarin. « Ma
pensée entière, la pensée de l’homme juste, se dévoilera aux regards du roi
même s’il l’interroge, dût-elle me coûter la tête » affirma ainsi sous
la plume d’Alfred de Vigny, un Cinq-Mars qui traverse brièvement l’ouvrage. Trahir
en pensant que le temps jouera en sa faveur, nous donnera raison. Trahir car
guidé par la main de Dieu. Les différents auteurs avancent ainsi sur les
nombreux chemins de la trahison tout en les inscrivant dans la construction de
l’Etat moderne.
On ne naît pas traître, on le
devient. Par devoir. Par ambition. Par corruption morale ou financière. Mais
également parce que les autres le souhaitent. Et le XIXe nous rappelle Eric
Anceau fut le siècle, avec le développement de l’étatisation et des moyens de
renseignement et d’information, des complots et de la fabrique des traîtres.
Ces différents exemples témoignent enfin d’une forme d’ego, de ce sentiment unique qui a quelque chose d’inconscient, allié à une démarche à chaque fois personnelle au détriment du collectif et qui parfois, peut-être dans le cas de Dumouriez, préside à toute trahison. Inexpliqué et inexplicable, ce geste reste ainsi entouré d’une fascination demeurée intacte que vient entretenir de la plus belle des manières ce livre passionnant.
Par Laurent Pfaadt
Traîtres, nouvelle histoire de l’infamie, sous la direction de Franck Favier et Vincent Haegele Passés composés, 272 p.
Du 18 au 23 avril, les lettres
italiennes seront à l’honneur à l’occasion de Livre Paris et du festival
Italissimo
Pour sa huitième année, le
festival ITALISSIMO revient au printemps en collaboration avec le Festival du
Livre de Paris, dont l’Italie sera le pays invité d’honneur. Grâce à une
programmation commune intitulée « PASSIONS ITALIENNES », ITALISSIMO et le
Festival du Livre de Paris présenteront du mardi 18 au dimanche 23 avril 2023
le meilleur de la littérature et de la créativité italienne contemporaine dans
les lieux traditionnels du festival et au Grand Palais Éphémère, avec des
rencontres, des débats, des lectures, des ateliers et des spectacles auxquels
participeront une quarantaine d’auteurs.
Comme tous les ans, le public
aura l’occasion de rencontrer les écrivains emblématiques du paysage éditorial
italien dont plusieurs prix Strega, le « Goncourt » italien, ainsi
que d’en découvrir les nouvelles plumes, récemment traduites en français. Des
rencontres avec de nombreux écrivains raviront les amoureux de la littérature
italienne, parmi lesquelles celle consacrée à la littérature face à l’histoire
en compagnie de Giulano Di Empoli, Grand prix de l’Académie française 2022 pour
Le Mage du Kremlin (Galimard), le 19 avril au théâtre des échangeurs ou
en compagnie de Silvia Avallone au théâtre de l’Odéon, le samedi 22 avril pour
ne citer que ces exemples.
2023 marque également le
centenaire de la naissance d’Italo Calvino. ITALISSIMO et le Festival du Livre
Paris dédieront des lectures et des rencontres spéciales à l’auteur du Baron
perché et de Si par une nuit d’hiver un voyageur. Au théâtre des
déchargeurs, Paul Fournel et Martin Rueff évoqueront, le 20 avril à 12h30, la
figure de l’écrivain et au pavillon italien du Grand Palais éphémère durant le
weekend du 21 au 23 avril, un voyage photographique partira sur les traces du
grand auteur transalpin.
Et comme la littérature ne vit
pas isolée, cette dense programmation se démarquera par un échange fructueux
entre l’écriture, l’image, la pensée et la performance dans le but de créer des
résonances entre la création artistique et le monde qui l’entoure. Le tout dans
une perspective de dialogue et d’échange entre la culture italienne et
française.
ITALISSIMO et le Festival du
Livre Paris proposeront ainsi une grande semaine consacrée à la littérature
italienne, en favorisant l’interaction avec les autres domaines artistiques et
en célébrant les échanges avec la culture française.
Hebdoscope vous conseille quelques auteurs à ne pas rater :
Paolo Cognetti, auteur du
formidable Les huit montagnes (Stock, 2017), magnifique roman
d’apprentissage dans le Val d’Aoste, Prix Strega 2017 et Prix Médicis étranger
2017 et de La félicité du loup (Stock, 2021). L’adaptation des Huit
montagnes sera visible au cinéma du Panthéon, le samedi 22/04 à 11h.
L’auteur dialoguera avec Jean-Christophe Rufin à la Maison de la Poésie le 22
avril à 17h
Emmanuel Trevi, auteur de Deux
vies, une ode à l’amitié et à la littérature, Prix Strega 2021 (Philippe
Rey, 2023). L’auteur évoquera ces deux thèmes au pavillon italien, le 22 avril et
à la Maison de la poésie, le 23 avril à 17h
Antonio Scurati, prix
Strega 2019 pour M. L’enfant du siècle (Les Arènes) consacré à Mussolini
et dont le dernier tome de sa trilogie est attendu à la rentrée 2023 rencontrera
ses lecteurs à la Maison de la poésie, le 20 avril à 19h. Son dialogue avec
Mario Desiati, prix Strega 2022 pour Spartiati à la Maison de la poésie,
le vendredi 21 avril, devrait être l’un des temps forts de cette semaine.
Paolo Rumiz qui, dans ses
livres, notamment le formidable Appia (Arthaud, 2019) ou plus récemment Le
Fil sans fin, voyage jusqu’aux racines de l’Europe (Arthaud, 2022)
n’a eu de cesse d’explorer le patrimoine européen, devrait réserver à son
public quelques moments littéraires et humains inoubliables. Sa conversation
avec Paolo Cognetti sur la scène Bourdonnais du Grand Palais éphémère, le 22
avril à 14h promet d’être passionnante.
Les amateurs de sensations fortes
viendront également à la rencontre de Donato Carrisi, l’un des maîtres du polar
qui s’est très vite imposé sur la scène internationale depuis Le Chuchoteur
en 2010 (Calmann-Levy) viendra présenter à ses fans, le dernier-né de ses
créations, La Maison sans souvenirs (Calmann-Levy, 2022) au pavillon
italien du Grand Palais éphémère, le 22 avril à 11h. Frissons garantis !
Sans oublier Milena Agus conduisant la légion transalpine de Liana Levi, Erri de Luca, Alessandro Piperno, Alessandro Baricco, Giosuè Calaciura et tant d’autres….. Toutes les infos sont à retrouver sur http://www.italissimofestival.com/
A l’occasion du 80e anniversaire du
début de la bataille de Stalingrad, Benoit Rondeau,
biographe de Rommel et de Patton
nous propose de côtoyer non pas
les grands chefs mais tous ceux qui
furent mobilisés pour défendre le
Reich de mille ans du Führer. Du
désert libyen au front russe, des U-
Boot à la bataille d’Angleterre,
l’ouvrage aborde avec intelligence
la grande diversité de ces
Allemands qui ont servi dans la Wehrmacht et la SS. Des rations
alimentaires à la vie quotidienne en passant par l’endoctrinement,
Benoît Rondeau déconstruit le mythe d’une armée de nazis
fanatiques sans pour autant omettre leurs crimes – dans un
chapitre fort intéressant au demeurant – et propose une variété
de portraits, allant des braves types venus des campagnes de Saxe
ou de Thuringe aux SS fanatisés en passant par les témoignages de
chefs restés célèbres comme Heinz Guderian, théoricien du
Blitzkrieg ou Erwin van Manstein dont la légende est écornée à
juste titre d’ailleurs.
Il y a dans ces pages des témoignages touchants d’hommes
ordinaires plongés dans des situations extraordinaires, broyés par
une guerre trop grande pour eux, qui les dépassa et dans laquelle
ils furent des milliers à y laisser leurs vies après y avoir enduré
mille souffrances. Mais il y a aussi ces mots terribles de soldats
engagés notamment sur le front russe. Fourmillant d’informations
édifiantes comme l’utilisation de méthamphétamine, cette drogue
servant à stimuler l’ardeur au combat des soldats ou de ces chiens
écorchés à Stalingrad pour en faire des gants, l’auteur nous
montre que l’histoire des hommes s’écrit rarement en noir et en
blanc.
Par Laurent Pfaadt
Benoit Rondeau, Etre soldat de Hitler,
Chez Tempus/Perrin – poche
Écrivain,
éditeur, critique, ancien rédacteur en chef du Magazine littéraire, Laurent
Nunez a préfacé l’édition collector des Hérétiques de Dune, qui vient de
paraître aux Éditions Robert Laffont. Pour Hebdoscope, il nous en dit plus.
Quelle place occupe Les Hérétiques de
Dune dans la saga ?
Les Hérétiques de
Dune représente le cinquième et avant-dernier tome
de la série Dune. Il en constitue donc quasiment l’épilogue, mais il a été
écrit à partir d’un coup de génie qui a été mal compris par nombre de fans :
l’intrigue de ce roman se déroule en effet 1500 ans après le tome 4, L’Empereur
Dieu de Dune. Dès lors, tous les personnages que les fans avaient appris à
connaître et à apprécier (Leto II, Siona, Alia, Paul, Jessica) disparaissent de
l’histoire ! Quelle hérésie ! En ce sens, le titre du livre est déjà un indice
des intentions littéraires de Herbert : il a écrit ce qu’il a voulu, et
tant pis si certains ont boudé ce roman formidable, rempli d’énergie et de
péripéties auxquelles on ne s’attendait absolument pas.
S’agit-il
d’une forme de retour à l’équilibre naturel qui préexistait avant le règne de
Leto II ?
Herbert détestait la
répétition – et le retour à un équilibre n’est au final qu’une répétition
heureuse… Souvenez-vous : dans Les enfants de Dune, Leto II
avait vu le pire qui s’annonçait : la fin de l’humanité, si elle
s’enfermait dans ses schémas, et si les humains demeuraient dans leurs petites
habitudes, dans leurs petites vies. Le fils de Paul avait donc entrepris
d’aller là où son père avait reculé : il s’était transformé en monstre des
sables, en dieu vivant, pour comploter des siècles et des siècles, et pour
offrir à l’humanité 35 siècles de quiétude insupportable. « Des milliers
d’années paisibles, dit Leto. Voilà ce que je vais leur donner. » C’est cette
paix horrible et artificielle que Leto II et Herbert appelaient le Sentier
d’or : un chemin qui mène à l’explosion des désirs, et à l’exploration des
mondes.
L’Empereur-Dieu avait
contraint les êtres humains à rester immobiles, prisonniers de leurs proches,
de leurs habitudes et de leur habitus. Il avait imposé l’inactivité à
tout le monde, contenant les possibilités de l’Humanité comme dans une
cocotte-minute, ou comme en un immense ressort que l’on comprime, et que l’on a
hâte de relâcher. À la mort du Tyran, cette fausse paix vola bien sûr en
éclats, provoquant la Grande Dispersion, projetant toute l’Humanité sur des
chemins périlleux mais nouveaux. Herbert propulsa de même son intrigue, et son lecteur,
dans ce nouveau monde des Hérétiques : et c’est ce monde qui
s’ouvre à nous lorsque nous ouvrons ce volume. À nous l’ailleurs qui vient vers
nous, et les Honorés Matriarches, les Belluaires, les Futars, tous ces êtres
que nous découvrons ! À nous la chance d’éviter la répétition, l’ennui, le
psittacisme d’un univers romanesque que nous adorions, mais qui aurait pu
tourner encore et toujours sur lui-même !
Après
Muad’Dib et Leto II, c’est aussi l’apparition d’un autre personnage
central de la saga, Darwi Odrade…
Darwi
Odrade — qu’on appelle plutôt Dar dans le livre — est en effet un personnage
important des Hérétiques, et de la Maison des Mères, le tout dernier
volume de Dune. Cette révérende mère est avant tout une Atréides, et en ce sens
elle poursuit la quête de Paul, de Leto II, de
Siona : trouver une tierce voie dans un monde trop polarisé. Sa mission,
quand elle sera à la tête du Bene Gesserit, sera tout simplement d’éviter la
dissolution de ce groupe de femmes, de le faire évoluer sans que son ADN
philosophique, éthique, ne change radicalement. C’est un personnage qui
fascine, car Odrade est dans le doute constant ; et pourtant elle agit. Elle ne
se laisse pas avoir, comme Alia, comme Paul, ou comme son fils, Leto, par les
pouvoirs de l’épice, qui lui permettraient peut-être de se rassurer et de voir
l’avenir. Au fil des pages, elle tâtonne, essaie, recule, rate souvent, réussit
parfois. Elle craint tout et ne craint rien. Elle tient sans doute le rôle le
plus humain, le plus pathétique, de ce cycle : c’est une héroïne
anti-héroïque.
On
sait qu’Herbert écrivit Les Hérétiques de Dune alors que sa femme
mourait du cancer. Cela se traduit-il dans cet opus ?
Il est difficile
de savoir exactement dans quelle mesure cela a influencé le contenu du livre,
mais certains critiques ont fait des observations sur la tonalité plus sombre
et introspective de ce livre par rapport aux autres de la série. Les
Hérétiques de Dune aborde, en effet, les thèmes de la perte, du deuil, du
sacrifice et de la transformation personnelle, qui reflètent évidemment le
drame personnel de Herbert à l’époque. Mais si la tonalité de ce livre est plus
noire que d’ordinaire, Herbert nous laisse tout de même un message optimiste à
travers cet autre message que Leto II, le terrible Empereur, a laissé dans
une des salles délabrées du Sietch Tabr, et qu’Odrade déchiffre avec angoisse
dans LesHérétiques :
« JE
VOUS LÈGUE MA PEUR ET MA SOLITUDE. À VOUS JE DONNE LA CERTITUDE QUE LE CORPS ET
L’ÂME DU BENE GESSERIT CONNAÎTRONT LE MÊME SORT QUE TOUS LES AUTRES CORPS ET
QUE TOUTES LES AUTRES ÂMES.
QU’EST-CE
QUE LA SURVIE SI L’ON NE SURVIT PAS ENTIER ? DEMANDEZ-LE DONC AU BENE TLEILAX !
QU’EST-ELLE SI L’ON N’ENTEND PLUS LA MUSIQUE DE L’EXISTENCE ? LES MÉMOIRES NE
SUFFISENT PAS SI ELLES N’ONT PAS LE POUVOIR D’INSPIRER DE NOBLES FINS ! »
La musique de
l’existence : celle qui, toujours, va de l’avant.
Celle qui fait danser, et non pas celle qui fait marcher au pas. Il existe une
sagesse pratique chez Frank Herbert, que l’on n’a pas assez retenue et qui
consiste à s’efforcer de penser davantage au futur qu’au passé. Cela va de pair
avec les nobles fins… Leto II semble insinuer cela dans la dernière
phrase de son message, que j’aime beaucoup : l’expérience, le savoir, la
mémoire seconde, tout qui nous vient des autres, du passé, et qui nous nourrit
démesurément, n’est pas d’une si grande valeur si l’on ne s’en sert pour se
diriger dans le monde et pour le transformer, pour trouver un but à la fois
personnel et collectif. Une raison d’agir propre à soi, mais utile à tous. Une
raison d’agir, et de vivre, qui tienne face à la mort. Et la raison d’agir et
de vivre de Herbert ? C’était, malgré la perte de sa femme, d’écrire cette
saga, qui continue de fasciner et d’influencer des millions de lecteurs dans le
monde.