Archives de catégorie : Galerie Valérie Cardi

Un palimpseste de l’exil

Sauveur Pascual à la galerie Valérie Cardi

Le projet s’était noué lors de la dernière édition de St’art (novembre 2021) : une immersion dans l‘œuvre de l’artiste bas-rhinois Sauveur Pascual à la galerie Valérie Cardi (Mulhouse). Ses pièces couvrent une trentaine d’années avec une préférence pour l’acrylique, l’encre et les craies sur papier. De ses toiles souvent carrées, de ses polyptyques avec une attention particulière au cadre et de ses grands formats avec des collages, des phrases écrites (quelquefois à l’envers) émergent l’omniprésence des enfants et une troublante « solarité » : cette dense et éblouissante présence du soleil issue de Van Gogh, avec aussi la figure d’Icare (série de 1993) qui s’y brûle les ailes…


À quinze ans, tandis que ses camarades se retrouvent pour jouer de la guitare, de la batterie et montent des groupes de rock, Sauveur Pascual crée un groupe d’art : sa stratégie pour prolonger l’enfance dans l’âge adulte ?

Car de son Autoportrait (1987) en jeune enfant à ces Paysages d’enfances (2022) en passant par les Enfants d’Izieu (série de 2002), leurs regards nous interpellent. Ils proclament l’évidence d’un monde (en)volé. Même l’oisiveté de ses baigneurs semble contrainte par ces cadres qui les cernent et, non loin, ce transatlantique esquisse le risque de l’exil. Leurs visages perplexes surgissent de scènes quotidiennes avec un vélo, un cheval sur roulette, sous un parasol ou entourés de signes plus ésotériques, étiquetés de mots découpés dans les pages de livres pour enfants…

Son optimisme gourmand d’avenir s’affiche dans la série Bonheurs (2016). Se référant ouvertement à Van Gogh, ses jaunes, ses rouges scandent la si intense lumière d’un été qui ne devrait jamais finir (comme l’enfance…). Ce bonheur est capté dans l’instant, mais l’illusion se dissipe rapidement. La ponctuation des titres en tempère la plénitude. Éden se prolonge d’un « ? » Comme dans la série éponyme, les Cyprès sont couchés…

Dans sa dernière série, Exodes, les activités balnéaires sont récurrentes, mais restent sous la menace du transatlantique (premier vecteur de la globalisation…). Ces polyptyques sont articulés avec le blanc systématique des châssis qui à la fois prolonge et cloisonne celui de l’œuvre : solarisation, bois flotté blanchi par le sel… L’éclat de la corrosion : la beauté du Mal dresse ses cases, compartimente le monde (gestes barrières…). Et rend fou : un ciel griffé de noir comme parcouru en tous sens par un supersonique pris au piège. L’incandescente lumière demeure, renouvelée par ce presque noir et blanc scandé d’aplats céruléens. Avec les paquebots, un parfum de nostalgie traverse ses toiles d’une époque à l’autre plutôt que d’un port à un autre. L’enfermement se prête mieux au voyage dans le temps.

Si le peintre évoque Memling, Goya, Picasso, on songe aussi à la narration poétique d’Hugo Pratt et à Corto Maltese comme si l’artiste questionnait l’époque où s’est élaboré le désastre qui s’annonce.

Au fil de la visite, la peinture de Sauveur Pascual apparaît comme un palimpseste de l’exil et c’est avec une vigoureuse lucidité – la blessure la plus rapprochée du soleil selon la formule de René Char –, qu’il répond sans hésiter à la question de Picasso* : qui est l’ennemi ?
– L’ignorance !

Par Luc Maechel

Galerie Valérie Cardi du 30.04 au 4.06.2022
11 Rue Descartes – 68200 Mulhouse
du mardi au vendredi de 14h à 18h et sur RDV
https://galerie-valeriecardi.com/

*L’art n’est pas fait pour décorer nos appartements. C’est une arme contre l’ennemi.
La question c’est : qui est l’ennemi ?

Pablo Picasso

Retisser l’espace en bataille

Maurice Mata
Entre les lignes !

Depuis le 12 mars, la galerie Valérie Cardi accueille le travail de
Maurice Mata que le musée des Beaux-Arts de Mulhouse avait
exposé en 2014. L’artiste a eu plusieurs vies : éditeur, courtier en
art… et bien sûr peintre. S’il a vite déserté les écoles d’art et ne
revendique aucun maître, il reconnaît volontiers des influences :
Soulages et sa série Outrenoir ou la récurrence du bleu Klein (dont
il a élaboré son propre mélange plus stable que l’original selon ses
dires 🙂

photo Luc Maechel

Fervent adepte de l’abstraction, Maurice Mata avance d’emblée son
refus de donner à ses œuvres un titre qui briderait l’imagination du
visiteur. Il en est presque à regretter la trop grande figuration de sa
série inspirée par les masques africains. Une envie de délivrer un
secret tout en l’enfouissant profondément sous la géométrie ?

Si, notamment pour ses travaux récents, Soulages se caractérise par
un geste ample imposant de (très) grands formats, une quasi-
exclusivité de la matière noire et une direction identique des traces,
Maurice Mata articule chaque toile – souvent carrée – en une entité
géométrique diffractée : l’ostinato d’un thème principal affronte en
contrepoint suspendu un motif voisin ou tranché selon la pièce. Un
ordre en apparence nettement établi bousculé par un intrus ou une
trahison, une tentative de perfection contrariée ou rompue par une
saignée incendiaire. Quelquefois de ses jeux de diagonales, de
rectangles, de lignes scrupuleusement alignées surgit la profondeur
de la troisième dimension. Le damier devient labyrinthe, mais discret
comme si, trop enraciné dans la toile, il hésitait à prendre son envol.

Si le peintre superpose les couches, celles-ci s’échappent de
l’oppression de la supérieure imposante, mais parcellaire. Naissent
de subtiles nuances favorisant la vibration de tons proches : si
l’incidence de la lumière fait vivre ses noirs, leurs marges sont
contaminées par l’outremer. La défaite assumée de l’opacité plutôt
que la victoire de la transparence crée ces débordements, ces
frontières fragiles, mais impertinentes.

Cette netteté laisse peu de place aux courbes. Pourtant l’esquisse
d’un paysage se devine parfois, mais une dominante rouge semble
vouloir en désamorcer la tension figurative.

Des rêves géométriques que l’artiste transcrit directement sur la
toile retissant le support en champ de bataille aussi tourmenté que
feutré.

Par Luc Maechel

Galerie Valérie Cardi à voir jusqu’au 16 avril 2022
11 Rue Descartes – 68200 Mulhouse
https://galerie-valeriecardi.com

Horaires : du mardi au vendredi de 14h à 18h. et sur RDV

Bernard Latuner à Freiburg

« Notre société hédoniste verra
se multiplier des activités de loisirs
engendrant, entre autres, de la part
des pays émergents, un flux
touristique grandissant, à travers le
monde.

Les derniers grands espaces
deviendront des boulevards
ludiques et balisés.

Une passions de l’Homme étant de
collectionner et de conserver les
objets et les sites, témoins de sa grandeur, mais aussi de sa
mégalomanie, le dernier et le plus grand des musées sera celui de la «
Nature » dont les prémices sont d’ores et déjà réunis dans notre
langage et dans les faits : « préservation de la biodiversité », « sites
identifiés », « protection maximale des sites », « centre d’initiation à
la nature », « réserves naturelles », « parc nationaux », etc.

L’homme pourra enfin se comporter vis-à-vis de la Nature, non plus
comme un marcheur parcourant un espace, dont jusqu’à présent il
n’était que l’hôte, mais comme un propriétaire gérant son
environnement à sa guise.

De cette tragédie est née l’idée du « Musée de la Nature » qui se
concrétisera par un bâtiment en forme de papallélépipède, où, à
travers une série de volumes comprenant en leur intérieur un extrait
d’espèces naturelles, faune ou flore « muséifiée », qui se reflétera à
l’infini grâce à un jeu de miroirs, réveillant en nous le souvenir des
grands espaces disparus, inscrits dans notre mémoire.

Homme lyrique et romantique aux fleurs, aux prairies et à l’espace
naturel dont la disparition est programmée, ce projet donnera la
vraie dimension de l’Homme c’est-à-dire, petit, petit et encore
petit ».

Bernard Latuner

https://youtu.be/hRB5xwOYmNQ