Archives de catégorie : Nouvelle

Portraits JO 3.

De l’or pour les braves (3/3)

JO Séoul 1988 : Pál Szekeres (escrime) 

Lorsqu’il monta sur la troisième place du podium des JO de Séoul 1988 en compagnie de ces compatriotes, l’épéiste hongrois, modeste 24e mondial dut se dire qu’il vivait alors un moment inoubliable dans cette histoire si prestigieuse de l’escrime hongrois.

Le destin devait cependant en décider autrement. Car le jour qui changea sa vie allait intervenir trois ans plus tard dans ce maudit bus qui le paralysa à jamais. Il fit alors de son handicap une force et entra dans l’immortalité en devenant triple champion paralympique et double médaillé de bronze lors de quatre olympiades.

Une magnifique leçon de courage et d’espoir d’un athlète unique, seul médaillé olympique et paralympique. « Peut-être que l’escrime et mon accident firent de moi une meilleure personne » dira-t-il.

Les insoumis (3/3) 

JO Rome 1960 : Wilma Rudolph (athlétisme)

Elle ne se soumit jamais à une fatalité qui tenta, par tous les moyens, de s’emparer de son corps et de son esprit.

Celle de sa poliomyélite qui lui emprisonna sa jambe gauche jusqu’à onze ans.

Celle de ces lois du Tennessee qui lui refusèrent des soins réservés aux Blancs.

Mais il était écrit que Wilma Rudolph briserait tous ces obstacles, autant de haies qui tentèrent d’empêcher sa course vers l’incroyable destin qui fut le sien.

Première femme à descendre sous les 23s sur 200m, elle devint triple championne olympique du 100, 200 et 4 x 100m en compagnie des fameuses Tigerbelles. Forte de ce succès, elle contraignit l’état du Mississippi et son gouverneur raciste à organiser des courses où toutes les filles, quelque soit leur couleur de peau, seraient admises.

Les perdants magnifiques (3/3)

JO Athènes 2004 : Ladji Doucouré (athlétisme)

Ladji, je ne sais pas si tu liras cette chronique mais sache que j’ai pleuré ce 27 août 2004 après ta chute. Des larmes versées sur l’espoir déçu d’une nation prête à se hisser au firmament du sport mais également sur le rêve brisé d’un homme en une fraction de secondes. Un rêve fait de labeur, de sacrifices endurés durant des années qui disparaît subitement et se transforme en un cauchemar qui hante.

Oui, Ladji tu aurais pu devenir champion olympique, j’en suis certain. Toi, le gamin de Viry-Châtillon venu dans le temple de l’olympisme après avoir franchi des haies plus grandes que celle qui a entrainé ta chute.

Il était dit que le métal olympique se refuserait à toi mais pas le monde. Pourtant, ce jour-là, sur l’Olympe athénien, dans mon coeur comme dans celui de tout un pays, tu es devenu ce héros qui n’a pu être un dieu et est demeuré cet homme qui s’inclina devant un destin plus fort que lui.

D’or et de sang (3/3)

JO Helsinki 1952 : Agnes Keleti (gymnastique)

Elle avait vingt-trois ans lorsqu’elle vit son père partir pour Auschwitz pour y être gazé en compagnie de ces 500 000 juifs hongrois déportés en 1944 tandis que sa mère et sa sœur étaient sauvées grâce au diplomate suédois Raoul Wallenberg. Agnes Keleti ne dut, quant à elle, la vie sauve qu’en se faisant passer pour une chrétienne.

Survivante, Agnes Keleti devint conquérante en remportant plusieurs titres olympiques, certainement au nom de tous les siens, de tous ces athlètes juifs à qui on refusa la possibilité non seulement de participer à des Jeux Olympiques, mais simplement de vivre. Cinq médailles d’or qui furent plus que de simples récompenses mais bel et bien des boucliers dans lesquels se reflétera à jamais l’espoir de toute l’humanité.

Tristes tricheurs (3/3)

JO Berlin 1936 : Toni Merkens (cyclisme sur piste)

Le destin est parfois cruel. Ce qu’il vous accorde d’une main, il peut vous le rependre de l’autre. En 1936, à Berlin, Toni Merkens remporta de façon irrégulière la finale de l’épreuve de cyclisme sur piste en battant le néerlandais Arie von Vilet qu’il gêna. Ce dernier déposa bien une plainte mais Merkens n’écopa qu’une amende.

Quelques années plus tard, envoyé sur le front de l’Est ne 1942, Toni Merkens, blessé au cœur par un éclat de grenade, décéda le 20 juin 1944 tandis qu’Ariet von Vliet poursuivit sa carrière et devint champion du monde.

Par Laurent Pfaadt

Portraits JO 2.

De l’or pour les braves (2/3)

JO Stockholm 1912 : George Patton (pentathlon)

Il le fut le seul Américain engagé dans cette compétition et ne remporta que la 5e place, la faute à ces maudits scandinaves qui dominaient alors l’épreuve. On raconte qu’il n’obtint pas la victoire parce qu’il utilisa un calibre 38 dont les balles, laissant des trous trop gros dans les cibles, n’ont pu être comptabilisées, à l’inverse de celles des calibres 22 préférées par ses adversaires.

Mais trente années plus tard, c’est avec un autre pistolet que le général Patton partit sabre au clair à l’assaut d’une Europe en passe d’être libérée depuis le débarquement en Normandie. Le fameux 357 Magnum Smith & Wesson avec sa crosse en ivoire était capable non seulement de faire de gros trous mais également d’arracher la cible entière !

Les insoumis (2/3) 

JO Moscou 1980 :Władysław Kosakiewicz (athlétisme)

Il a suffit d’un bras, solide et puissant pour propulser Władysław Kosakiewicz par dessus une barre placée à 5,78 mètres et remporter ce concours du saut à la perche disputé dans cette ambiance moscovite électrique face à l’idole de tout un peuple, Konstantin Volkov.

Mais il était dit qu’on ne conspue pas impunément la fière et revêche Pologne où couvait cet ardent désir de liberté qui allait se manifester quelques semaines plus tard sur les chantiers navals de Gdansk.  Un bras qui se fit d’honneur pour dire qu’à Varsovie un nouveau pacte venait d’être signé : celui d’un pays avec son destin en marche porté par Solidarnosc. Un bras, de Mexico à Moscou, symbolisant la solidarité des peuples opprimés.

Les perdants magnifiques (2/3)

JO Atlanta 1996 : Linford Christie (athlétisme)

Il avait ce calme qui est l’apanage des plus grands champions et qui lui avait permis de glaner l’or olympique à Barcelone. Et voilà que notre Zeus, bien décidé à rester quatre ans de plus sur l’Olympe du sprint, se présentait au départ de la finale du 100m face à des millions d’Americains qui ne pensez pas qu’un Anglais puisse, deux siècles après avoir été vaincu à Yorktown, infliger une nouvelle défaite à leurs héros, Dennis Mitchell et Mike Marsh.

Deux coups de feu retentirent dans la nuit d’Atlanta, ceux d’un starter qu’il devança. Terrassé sans avoir mené bataille, il s’en alla comme il était venu, en champion.

D’or et de sang (2/3)

JO Amsterdam 1928 : équipe des Pays-Bas (gymnastique)

Pour la première fois, les femmes avaient le droit de participer aux épreuves de gymnastique. Et les Néerlandaises étaient si fières de représenter leur pays, ici, chez elles. Et lorsqu’elles remportèrent l’or du concours par équipe, c’est une nation toute entière qui remercia ses filles.

Mais quinze ans plus tard, le Troisième Reich contrôlant le pays se mit à traquer les juifs et notamment la jeune Anne Frank. Ces mêmes femmes, jadis célébrées devinrent des ennemis et  furent déportées puis assassinées dans les camps d’extermination de Sobibor et d’Auschwitz-Birkenau.

Elles s’appelaient Juditke Simons, Anna Polak, Helena Nordheim et Estella Agsteribbe.

Tristes tricheurs (2/3)

JO Séoul 1988 : Ben Johnson (athlétisme)

Un poing levé vers le ciel et 9,79, un chiffre longtemps maudit dans l’athlétisme.

Tricheur voué aux gémonies parce qu’il fut le plus éclatant, le premier d’une cohorte à venir. Parce qu’il fut ce Canadien qui humilia les États-Unis et leur légende Carl Lewis. Et surtout le précurseur d’un sport business, d’un entertainment à venir qui aurait besoin du dopage pour prospérer.

Dans les cours d’école, il est devenu un nom commun, celui de tout exploit jugé surprenant, inhabituel, imprévisible, suspect. Mais surtout Ben Johnson demeure aujourd’hui le côté sombre du sport, celui qui personnifie plus qu’aucun autre ce monde au-delà du sport, celui de l’argent et de l’absence de morale et de règles.

Par Laurent Pfaadt

Portraits JO

De l’or pour les braves (1/3)

JO Rio 2016 : Oleksandr Pielieshenko (haltérophilie)

Oleksandr Pielieshenko ne remporta pas de médaille olympique et n’obtint qu’une ingrate 4e place mais il conquit l’or sur un autre champ de bataille : celui de la liberté de son pays attaqué par la Russie.

Deux fois champion d’Europe des 85 kg, en 2016 et 2017 comme pour montrer que ce pays pouvait conquérir cette Europe que lui et les siens aspiraient à rejoindre plus que tout, c’est tout naturellement qu’il s’engagea dans les forces armées de son pays dès les premiers jours de l’invasion russe. Il est mort le 6 mai dernier avec l’or de la liberté autour du cou.

Les insoumis (1/3) 

JO Mexico 1968 :Tommie Smith et John Carlos (athlétisme)

Les Etats-Unis viennent de signer avec Tommie Smith et John Carlos, un magnifique doublé sur 200m. Les deux hommes montent sur le podium et alors que retentit l’hymne américain, deux poings gantés se dressent vers le ciel. Comme animé de cette rage de vaincre d’une course entamée depuis 1865 et l’émancipation des esclaves par le président Abraham Lincoln.

Tommie Smith n’a jamais caché son implication dans la lutte pour les droits civiques et ses critiques envers son pays. Un boycott avait été envisagé mais les deux hommes ont préféré l’or et l’argent. Les chariots feu étaient ce jour-là noirs et lumineux. Expulsés, bannis, il leur faudra attendre près de quarante ans pour qu’un autre héros noir, le président Barack Obama, ne vienne leur rendre une justice méritée. En 1968, Smith et Carlos se sont effacés derrière un symbole. C’est aussi cela l’olympisme. Pierre de Coubertin n’aurait pas dit mieux.

Les perdants magnifiques (1/3)

JO Atlanta 1996 : Merlene Ottey (athlétisme)

Avec cette beauté froide qui irradiait sur ces pistes qu’elle emprunta comme autant de triomphes romains tout au long de ses nombreux titres, la Jamaïcaine aurait pu être la reine du sprint car le monde ne lui suffisait pas.

Reine, elle le fut assurément. Mais reine sans couronne. Reine d’argent et de bronze. Reine d’airain comme un bouclier antique. Mais l’or olympique se refusa à elle, la faute à une alliance franco-américaine. Pour autant, elle demeure à jamais reine de cœur.

D’or et de sang (1/3)

JO Amsterdam 1928 : Attila Petschauer (escrime)

Celui qu’on appelait le « nouveau d’Artagnan » après ses médailles d’or par équipe en sabre aux JO d’Amsterdam (1928) et de Los Angeles (1932) et une médaille d’argent en individuel (1928) connut la gloire et l’infamie. Et comme le rappela Alexandre Dumas, dans les Trois mousquetaires « la fortune est une courtisane : favorable hier, elle peut me trahir demain ». Car les jalousies n’attendent que le balancier de l’histoire pour devenir crimes. Déporté dans un camp de concentration en Ukraine parce que juif, Attila Petschauer subit la jalousie du commandant du camp, un ancien membre de l’équipe olympique hongroise passé du côté des bourreaux. S’il fut assassiné en janvier 1943, ces derniers ne parvinrent en revanche jamais à tuer sa mémoire qui inspira le personnage de Ralph Fiennes dans le film Sunshine d’Istvan Szabo.

Tristes tricheurs (1/3)

JO Montréal 1976 : Boris Onishchenko (pentathlon)

Il fut le Dark Vador de l’olympisme, non seulement parce qu’il fut l’un des seigneurs de cet empire du mal qu’allait dénoncer quelques années plus tard Ronald Reagan mais surtout parce que son épée se transforma en sabre laser. Pourtant, la réputation de ce Sith n’était plus à faire car il avait vaincu nombre de Jedis lors des olympiades de Mexico et de Munich.

Pourtant, il lui en fallait plus car la seule force, si elle n’est pas associée à la ruse, ne fait pas Dark Vador. Mais celle-ci est comme Saturne, elle dévore ceux qui en use. Découvert, il fut banni. « Quand le côté obscur tu regardes, méfie-toi…car le côté obscur te regarde aussi » affirma un jour un certain Yoda.

Par Laurent Pfaadt

Marseille, fille de Poséidon

Entre calanques et football, la ville rayonne sur la Méditerranée

Ici, les eaux de Poséidon guident le destin des hommes, d’où qu’ils viennent et cela depuis plus de 2600 ans, depuis que les Phocéens, les habitants de la cité ionienne de Phocée, fondèrent la colonie de Massalia. De la Méditerranée qui a dessiné ses côtes amenant à elle des peuples qui ont trouvé refuge dans son sein et formant aujourd’hui cette ville-monde à nulle autre pareille, à l’Arménie où ils furent des milliers à prier la Bonne Mère, cette Vierge dressée sur l’Ararat qui abandonna ses fils et ses filles en 1915 en passant par un archipel d’îles océaniques se regardant dans ce miroir maritime, Marseille possède la mer dans son ADN. Elle imprègne les hommes, leurs paysages, leurs cultures et même leurs voix avec cet accent qui module comme un chant de sirènes qui se veut à la fois enchanteur et aigre-doux.


Iles du Frioul (copyright Laurent Pfaadt)

Avec son trident, le dieu de la mer a dessiné les côtes et ses fameuses calanques qui, dit-on, se méritent. Il a morcelé ces falaises de calcaire et de poudingue qui s’étendent le long des flancs blancs comme de l’albâtre antique de Marseille notamment au sud de la ville dans un parc national des Calanques aux allures de paradis. Il a sculpté les merveilleuses îles du Frioul qui servaient autrefois de quarantaine aux voyageurs suspectés d’apporter la peste avant de devenir le refuge de Marseillais fuyant l’agitation nerveuse de la ville.

A Marseille, Poséidon a son temple : le MUCEM, le musée des civilisations de l’Europe et de la  Méditerranée où il a enfermé ses fils qui ont fait de ce lieu à l’architecture résolument contemporaine l’écrin de la culture marseillaise. Sur ces côtes, il a également amené les muses qui ont inspiré ces autres dieux de papier comme Alexandre Dumas qui fit du château d’If le lieu immortel de son Comte de Monte-Cristo et Marcel Pagnol qui inscrivit les collines d’Aubagne dans la mémoire littéraire française. Des muses qui se penchèrent également sur la musique en particulier sur le berceau du rap avec le mythique groupe IAM et plus récemment JUL et SCH mais également Massilia Sound System, Patrick Fiori ou Soprano.

Le cœur du dieu bat indiscutablement à l’Orange Vélodrome où chaque résultat des hommes en bleu et blanc est commenté dans les bars et les rues, à commencer sur la fameuse Canebière, cette artère qui traverse le centre ville et donne le pouls d’une passion divine. Ici, le football n’est pas un sport, c’est une religion et les joueurs sont vénérés tels des demi-dieux grecs. Ils ont d’ailleurs été nombreux, anciens et actuels joueurs du club à rappeler, durant cette semaine olympique, l’Iliade footballistique de la ville où l’arrivée de la flamme ne fut qu’un fleuve traversant la mythique Troie du ballon rond, un Pactole tant touristique dans lequel se sont baignés des générations entières de Marseillais qui ont gravé leurs rêves sur les murs de la ville.

Victoire de l’OM contre Lorient (copyright OM)

Il n’y a qu’à se rendre au stade pour s’en rendre compte. Dès l’entrée du métro, on ressent la communion d’une armée transgénérationnelle prête à la guerre. A l’occasion du dernier match à domicile d’une saison marquée par une demi-finale de coupe d’Europe, haut lieu de batailles homériques conjuguant Thermopyles – elle est à ce jour la seule équipe française à avoir gagné la coupe d’Europe des clubs champions, exploit qu’elle ne manque pas de rappeler avec son fameux « A jamais les premiers » – et Marathon, l’OM recevait de modestes Bretons condamnés aux enfers de la Ligue 1. Poséidon fut ce soir-là aidé d’un Hadès pourtant bien versatile avec les Olympiens cette saison. Le spectacle fut tout autant sur le terrain que dans les tribunes où les principaux groupes de supporters (South Winners, Dodger’s, Ultras) se répondirent aux cris de « Aux armes, nous sommes les Marseillais. Et nous allons gagner. » Et dans cette arène transformée en chaudron, Poséidon avait cédé, le temps d’un exploit, son trident à ces demi-dieux du ballon rond qui surent, cette fois-ci, en faire bon usage.

Par Laurent Pfaadt

Pour retrouver toutes les infos sur Marseille : https://www.marseille-tourisme.com/

Pour voir un match de l’OM à l’Orange Vélodrome : https://www.om.fr

« À même pas 60 ans, Dune a encore de belles années devant lui »

Ancien responsable éditorial chez Robert Laffont, Fabien Le Roy a
participé à la nouvelle réédition de Dune en tant qu’éditeur réviseur.
Pour Hebdoscope, il revient sur cette œuvre hors du commun. .

Pourquoi selon vous, Dune continue à susciter tant d’engouement
auprès de générations successives alors que d’autres sagas parfois
très célèbres ont tendance à s’épuiser ?

La saga Dune fait partie des rares œuvres-univers de la littérature
mondiale – à l’instar de celles de J.R.R. Tolkien, de H.P. Lovecraft ou,
dans la sphère francophone et à une plus humble échelle spatio-
temporelle, de La Comédie Humaine de Balzac et des Rougon-
Macquart de Zola – : les thématiques sont extrêmement variées ; on
y retrouve des archétypes (Herbert connaissait bien les travaux de
Jung) que chaque nouvelle génération peut assimiler selon sa
sensibilité et ses repères ; et la distribution des personnages est
aussi riche que diverse. L’effet multiplicateur du cinéma a également
beaucoup joué. À même pas 60 ans, Dune a encore de belles années
devant lui.


En quoi Dune est-il d’abord un grand livre au sens littéraire ?

Dune est une œuvre de maturité que Frank Herbert a débutée à 40
ans environ (et qu’il a poursuivie jusqu’à sa mort en 1986). Cet
autodidacte curieux et touche-à-tout qui fréquentait romanciers,
politiques et psychologues, a agencé toutes ces connaissances en
une weltanschauung – une conception du monde – unique, qui
s’étend sur plus de 34 000 ans et les milliards de planètes que
comptent notre galaxie. C’est un grand livre au sens littéraire parce
que chaque nouvelle lecture réserve des découvertes, parce qu’on
se pose des questions en le lisant et qu’on y trouve des réponses.
Frank Herbert fait également montre au cours des six tomes de la
saga de sa maîtrise des différents genres littéraires, jouant de la tragédie et du sacré avec une grande profondeur de champ.

Frank Herbert n’a t il pas eu l’intuition que notre planète courait à
sa perte lorsqu’il évoque les questions de l’eau et de l’épuisement
des ressources naturelles car l’épice est une sorte de métaphore du
pétrole ?

Dune reste d’une interprétation très ouverte : certains lisent dans
l’épice une métaphore du pétrole, mais d’autres celle du LSD. Mais il
est certain qu’il avait conscience qu’une ressource finie – épice, eau
ou pétrole – se retrouve cause de monopoles et de conflits à grande
échelle. Qui plus est, l’énorme documentation que Frank Herbert a
ingérée lors de ses travaux préalables à l’écriture – 600 ouvrages
tant d’histoire, de religion, de philosophie que de biologie et de
géologie – l’a sans doute aidé à obtenir une perspective
exceptionnelle sur les défis qui attendaient l’humanité. Mais Dune
reste néanmoins un space opera où la Terre n’est plus qu’un lointain
souvenir. En tout cas, Herbert a toujours refusé d’endosser
l’uniforme de prophète, sachant à quels extrémismes les prophètes
pouvaient mener.

En lisant entre les lignes, le jihad ainsi que les Fremen rappellent en
un sens l’Islam. Est-ce à dire, en plus de son côté prophétique –
propre à de nombreuses sagas de SF – que Dune est empreint d’une
profonde dimension théologique ?

Frank Herbert emploie le terme jihad à de nombreuses reprises dans
Dune. Il se serait inspiré du siège de Khartoum en 1885 par les
troupes coloniales britanniques : pour sa planète des sables, endroit
propice où faire naître un prophète, il a en effet modelé ses Fremen
en empruntant aux bédouins du Soudan et à la spiritualité
musulmane, ayant recours à de nombreux mots d’arabe pour ajouter
de la couleur locale et un certain exotisme au texte, mais en y
ajoutant une bonne dose de références au bouddhisme, au
catholicisme avec la Bible Orange Catholique et même au judaïsme
dans un tome ultérieur. Oui, Dune est emprunt d’une profonde
dimension théologique (avec notamment les redoutables Sœurs du
Bene Gesserit !) et je ne saurais que conseiller aux lecteurs friands
de telles considérations de poursuivre au moins jusqu’au tome 4,
L’Empereur-Dieu de Dune, où Herbert réussit le tour de force de nous
faire partager les pensées d’un dieu.

Interview de Laurent Pfaadt

A lire : Dune, 6 tomes, nouvelle traduction, coll. Ailleurs et demain, Robert Laffont.

Le Roi est mort. Vive le Roi 

25 juin 2005. Mahyar Monshipour, champion du monde WBA des poids super-coqs, défend au Futuroscope de Poitiers son titre face au mexicain Julio Zarate. Pour Hebdoscope, il revient sur ce combat qui fait désormais parti des annales de la boxe française.


6 … 7 … 8 … Boxe

Cela faisait exactement 40 mois que je n’avais plus entendu ce décompte, si tenté que lors du dernier décompte, un 18 mars, je l’aie réellement écouté, entendu !!! 

Mahyar Monshipour 29 April 2005 in Marseille
Photo Boris Horvat – AFP original

On était au quatrième round de la cinquième défense de mon titre. On était au Futuroscope, à onze kilomètres de mon domicile, devant le postier, le cafetier, le restaurateur, le pharmacien et tous ceux qui constituaient mon monde de tous les jours. Mon quotidien. 

C’était un 25 juin, un samedi, de ceux propices aux joutes sportives. J’avais déjà effectué une longue préparation pour affronter un rugueux japonais, Shigeru Nakazato, le 29 avril précédent à Marseille. J’étais sorti vainqueur d’un véritable bras de fer en six reprises et après un court repos de trois-quatre jours, mes pas m’avaient à nouveau ramené à la salle et sur la piste. 

Les deux combats n’étaient séparés que de huit semaines. Un trop court temps pour récupérer et recommencer. Mais de concert avec Mohamed Benama, « Ben », nous avions fait un mixte de deux préparations combinées. Il ne s’agissait pas là de préparer un combat, le gagner, se reposer et en préparer un nouveau. Il s’agissait de repartir aussitôt et repréparer une guerre.  Parce que c’est bien de cela qu’il s’agit sur un ring, ce cercle mal nommé. 

Une alarme était apparue la semaine précèdent le combat. Une alerte, un appel à la prudence. J’étais assis dans le petit jardin de notre pavillon de la cité américaine toute proche du Centre hospitalier universitaire (C.H.U) Jacques Coeur. Il faisait beau et j’avais envie de voir la beauté de l’horizon formé de l’union du ciel et de la mer, de voir la beauté de cette moitié de l’humanité habillée de petits morceaux de tissus dès que la mer et le soleil apparaissent. 

J’avais envie de flânerie et d’inconscience.  J’avais envie d’ailleurs. 

Et là, après une seconde préparation faite de sueur, de coups et de courses à en perdre le souffle, il fallait que je me batte à nouveau, encore et encore. Car je n’étais ni bagarreur, ni agressif. Je voulais bien revêtir l’habit de lumière du destructeur que je donnais à voir, il ne fallait pas pousser, pas si tôt. Aussi, affable avec les autres, je m’enfermais pourtant sur moi au dernier moment, juste avant la mise à mort.

Mise à mort. 

Le lac, celui de l’amphithéâtre du Futuroscope était rempli de milliers de passionnés, de poitevins, de connaissances, de copains et d’amis. Ils étaient venus me voir triompher. Les autres, ceux qui viennent te voir lécher le sol, ramper, rouler, rompre, mourir…il fallait les décevoir. 

Recevoir l’ovation à mon entrée sur le ring. Mes yeux humides, d’abord par l’émotion de cet accueil, ensuite par ma dévotion pour l’hymne de mon pays. Comme d’habitude, je l’ai chanté. J’ai chanté la marseillaise. Elle était jouée pour moi donc je l’ai chantée. 

Julio était déjà là entouré de son équipe, une équipe de « pros » venue de Mexique. Il était là à m’attendre parce que le champion rentre en dernier sur le ring. Il n’a pas à attendre. Deux années avant, exactement vingt-quatre mois avant, c’était moi qui avais dû attendre en challenger le champion. Aujourd’hui, c’était moi le champ.

Puis le face à face, moi les yeux rivés et Julio, avec un buste mobile qui me fixait avec des yeux qui traçaient une arabesque au rythme des mouvements de son buste.

Boxe

L’arbitre, Monsieur Guillermo Perez Pineda, a commencé à se mouvoir autour de nous, discret, comme un papillon autour de deux flammes, deux flammes qu’il toise sans jamais toucher au risque de se brûler. Il tournait autour de nous, ponctuant ses pas de quelques gestes pour nous inviter à boxer, pour nous séparer, pour enlever des bras entremêlés. Des pas de danse qui ne durent que trois minutes et se succèdent jusqu’à la mort …

D’habitude, je sautais au cou de mes prétendants dès les premières secondes pour, à l’image du tigre qui agrippe sa proie, lui broyer les vertèbres, l’étouffer et l’amener vers une lente mais certaine agonie, longue de six à huit rounds. C’était toujours ainsi. N’étant pas un puncheur, mais un destructeur, j’harcelais mes adversaires jusqu’à les faire rompre après la mi-combat.

Mais là, j’avais peut-être encore la tête au soleil. Comme grillé par la chaleur de l’astre. J’étais étourdi, sans avoir mon objectif en tête. Je me suis contenté du minimum : dominer sans écraser. Tout allait bien, mais j’ai oublié que j’avais en face de moi un Mexicain, un dur à cuire, un serpent, un rude descendant des aztèques.

Au quatrième round, alors que depuis le début du combat, Julio s’arrêtait toujours net après de vaines tentatives de touche au foie, tentatives effectuées par un uppercut isolé. Il avait habitué mon corps à bloquer ce coup puis à me relâcher sans suite dans les idées. Mais il enchaîna avec un uppercut au menton et une droite. L’uppercut me toucha de plein fouet me déformant le visage, me faisant tourner le crâne sur son axe, me faisant chuter en arrière et me sauvant d’un knock-out certain. Je tombe en arrière et, en même temps, m’effondre sur moi-même. Sans cette chute, sa droite aurait atteint sa cible – ma mâchoire – et il aurait certainement fallu m’évacuer sur une civière. Au revoir le titre, salut la gloire. Or tombant en arrière et sur moi-même comme un bâtiment en destruction, dynamité, j’étais sauvé.

« Mahyar, ce n’est pas ici, au Futuroscope que tu vas perdre ??? Non, relève-toi et fais-lui la guerre » me suis-je dit

Lucide parce que fort et très bien entraîné, un regard vers Ben et un hochement de tête voulant dire « ça va Ben », je me relève et je lui cours dessus à l’annonce « Boxe » de l’arbitre. Tel un diable je me jette sur lui et je lui montre que je suis aussi le descendant de guerriers, de chevaliers ayant parcouru et conquis le monde, de la Grèce à l’Inde, de la Sibérie à l’Egypte. Si tu descends des aztèques, je suis un descendant des conquérants perses.

Quatre rounds où je me suis contenté du minimum. Quatre autres pour le faire rompre. Je lui ai couru tout ce temps dessus, pendant douze minutes d’un cauchemar pour lui, douze de rédemption pour moi. Il partait à gauche, j’étais déjà à sa droite. Il partait à droite, j’étais déjà à sa gauche. Et il ne pouvait reculer, adossé dos aux cordes. Les quatre cordes entourant le carré du ring étaient désormais les frontières de sa geôle. Il ne pouvait plus m’échapper.

« Mais que diable allait-il faire à cette galère. Il est vrai ; mais quoi ! on ne prévoyait pas les choses … » Comme lui aurait demandé Géronte et comme lui aurait répondu Julio. 

Quatre rounds à me taper et quatre autres à me fuir. A la fin du huitième round, après exactement trente et une minutes de ce bras de fer, il rompit, s’avoua vaincu et me laissa encore Roi. Le Roi est mort, vive le Roi

Par Laurent Pfaadt

Dolce vita littéraire à Paris

Du 18 au 23 avril, les lettres italiennes seront à l’honneur à l’occasion de Livre Paris et du festival Italissimo


Pour sa huitième année, le festival ITALISSIMO revient au printemps en collaboration avec le Festival du Livre de Paris, dont l’Italie sera le pays invité d’honneur. Grâce à une programmation commune intitulée « PASSIONS ITALIENNES », ITALISSIMO et le Festival du Livre de Paris présenteront du mardi 18 au dimanche 23 avril 2023 le meilleur de la littérature et de la créativité italienne contemporaine dans les lieux traditionnels du festival et au Grand Palais Éphémère, avec des rencontres, des débats, des lectures, des ateliers et des spectacles auxquels participeront une quarantaine d’auteurs.

Comme tous les ans, le public aura l’occasion de rencontrer les écrivains emblématiques du paysage éditorial italien dont plusieurs prix Strega, le « Goncourt » italien, ainsi que d’en découvrir les nouvelles plumes, récemment traduites en français. Des rencontres avec de nombreux écrivains raviront les amoureux de la littérature italienne, parmi lesquelles celle consacrée à la littérature face à l’histoire en compagnie de Giulano Di Empoli, Grand prix de l’Académie française 2022 pour Le Mage du Kremlin (Galimard), le 19 avril au théâtre des échangeurs ou en compagnie de Silvia Avallone au théâtre de l’Odéon, le samedi 22 avril pour ne citer que ces exemples.

2023 marque également le centenaire de la naissance d’Italo Calvino. ITALISSIMO et le Festival du Livre Paris dédieront des lectures et des rencontres spéciales à l’auteur du Baron perché et de Si par une nuit d’hiver un voyageur. Au théâtre des déchargeurs, Paul Fournel et Martin Rueff évoqueront, le 20 avril à 12h30, la figure de l’écrivain et au pavillon italien du Grand Palais éphémère durant le weekend du 21 au 23 avril, un voyage photographique partira sur les traces du grand auteur transalpin.

Et comme la littérature ne vit pas isolée, cette dense programmation se démarquera par un échange fructueux entre l’écriture, l’image, la pensée et la performance dans le but de créer des résonances entre la création artistique et le monde qui l’entoure. Le tout dans une perspective de dialogue et d’échange entre la culture italienne et française.

ITALISSIMO et le Festival du Livre Paris proposeront ainsi une grande semaine consacrée à la littérature italienne, en favorisant l’interaction avec les autres domaines artistiques et en célébrant les échanges avec la culture française.

Hebdoscope vous conseille quelques auteurs à ne pas rater :

© : ROBERTA ROBERTO

Paolo Cognetti, auteur du formidable Les huit montagnes (Stock, 2017), magnifique roman d’apprentissage dans le Val d’Aoste, Prix Strega 2017 et Prix Médicis étranger 2017 et de La félicité du loup (Stock, 2021). L’adaptation des Huit montagnes sera visible au cinéma du Panthéon, le samedi 22/04 à 11h. L’auteur dialoguera avec Jean-Christophe Rufin à la Maison de la Poésie le 22 avril à 17h

Emmanuel Trevi, auteur de Deux vies, une ode à l’amitié et à la littérature, Prix Strega 2021 (Philippe Rey, 2023). L’auteur évoquera ces deux thèmes au pavillon italien, le 22 avril et à la Maison de la poésie, le 23 avril à 17h

SCURATI Antonio – Date : 20110324 ©Philippe Matsas/Opale/Leemage

Antonio Scurati, prix Strega 2019 pour M. L’enfant du siècle (Les Arènes) consacré à Mussolini et dont le dernier tome de sa trilogie est attendu à la rentrée 2023 rencontrera ses lecteurs à la Maison de la poésie, le 20 avril à 19h. Son dialogue avec Mario Desiati, prix Strega 2022 pour Spartiati à la Maison de la poésie, le vendredi 21 avril, devrait être l’un des temps forts de cette semaine.

Paolo Rumiz qui, dans ses livres, notamment le formidable Appia (Arthaud, 2019) ou plus récemment Le Fil sans fin, voyage jusqu’aux racines de l’Europe (Arthaud, 2022) n’a eu de cesse d’explorer le patrimoine européen, devrait réserver à son public quelques moments littéraires et humains inoubliables. Sa conversation avec Paolo Cognetti sur la scène Bourdonnais du Grand Palais éphémère, le 22 avril à 14h promet d’être passionnante.

Les amateurs de sensations fortes viendront également à la rencontre de Donato Carrisi, l’un des maîtres du polar qui s’est très vite imposé sur la scène internationale depuis Le Chuchoteur en 2010 (Calmann-Levy) viendra présenter à ses fans, le dernier-né de ses créations, La Maison sans souvenirs (Calmann-Levy, 2022) au pavillon italien du Grand Palais éphémère, le 22 avril à 11h. Frissons garantis !

Sans oublier Milena Agus conduisant la légion transalpine de Liana Levi, Erri de Luca, Alessandro Piperno, Alessandro Baricco, Giosuè Calaciura et tant d’autres….. Toutes les infos sont à retrouver sur http://www.italissimofestival.com/

Par Laurent Pfaadt

Festival Raccord(s)

Né à l’initiative des Éditeurs associés et organisé en partenariat avec une quinzaine d’éditeurs indépendants, Le Festival Raccord(s) fête le livre et la lecture chaque année, crée des espaces de dialogue avec d’autres formes d’art et de savoir et invite le public à découvrir les ouvrages sous une forme originale : lecture théâtrale, performance, exposition, atelier, spectacle jeunesse, balade ou dégustation qui se doublent d’un salon pour rencontrer et découvrir la production des éditeurs indépendants participants.

Cette année, les éditeurs associés au festival sont les Editions Asphalte, Le Chemin de Fer, Cheyne, La Contre Allée, Esperluète, Jasmin, Nada, L’œil d’Or, Papier machine, Solo ma non troppo, Les Venterniers, Ypsilon et Zinc.

Pour la première fois, Raccord(s) prend ses quartiers dans un lieu unique, vivant et chargé d’histoire au cœur de Paris : le magnifique Couvent des Récollets, qui abrite la Maison de l’architecture Ile de France, lieu culturel de mise en débat de la fabrication de la ville. A cette occasion, une partie de la programmation s’articulera autour de l’urbanisme, l’architecture, la vie en ville, en lien avec le lieu qui nous accueille, avec notamment une randonnée-lecture guidée dans le quartier des Récollets.

Par Laurent Pfaadt

L’entrée est libre et gratuite à toutes et tous, enfants comme adultes. Retrouvez Raccord(s) ici :
https://www.festival-raccords.com https://www.facebook.com/festivalraccords https://www.instagram.com/festivalraccords/?hl=fr

Festival Raccord(s) 1er au 3 juillet 2022
Couvent des Récollets, Maison de l’Architecture, Paris

Bibliothèque ukrainienne, épisode 2

Plus de 50 jours après le début de la guerre, nous poursuivons notre série visant à promouvoir des ouvrages traitant de l’Ukraine ainsi que des auteurs ukrainiens afin de sensibiliser l’opinion et d’éclairer les lecteurs sur ces enjeux qui traversent le pays alors que pleuvent sur Kiev, Kharkiv, Marioupol ou Mykolaïv, les bombes russes. Rétablir la vérité historique, redire l’attachement de l’Ukraine à l’Europe, et promouvoir les lettres et la culture ukrainiennes à travers leurs écrivains, leurs artistes, tels sont les enjeux de cette bibliothèque ukrainienne.

L’autre enjeu, affirmé d’emblée dans le premier épisode de notre série, est de mobiliser un maximum de lecteurs et d’acteurs sur les dangers que courent les bibliothèques du pays, toutes les bibliothèques, qu’elles soient historiques ou non. Alerter sur la disparition d’un savoir national et sur la fin de l’accès aux livres, à la lecture mais également à la mémoire pour toute une population, tel est également l’autre enjeu de cette chronique. Continuons donc à nous mobiliser pour sauver les bibliothèques ukrainiennes avec #Saveukrainianlibrary. Ainsi, dans cet épisode, vous trouverez les photos de la destruction de la bibliothèque de Tchernihiv, près de la frontière avec le Belarus.

Ceci étant dit, promenons-nous dans cette nouvelle bibliothèque ukrainienne

Pierre Lorrain, L’Ukraine, une histoire entre deux destins, Bartillat, 670 p.

Comprendre l’Ukraine, sa résistance, son désir d’indépendance, sa vocation européenne, c’est d’abord comprendre son histoire. Grâce au livre de Pierre Lorrain, spécialiste reconnu de la Russie, cet ouvrage permet assurément d’y voir plus clair.

Complété par les premières années de la présidence Zelensky, l’ouvrage de Pierre Lorrain entre ainsi dans la complexité de ce pays, entre Europe et Russie, entre aspirations européennes et berceau de l’histoire russe. Couvrant ainsi plus de mille ans d’histoire, le livre de Pierre Lorrain témoigne d’une exceptionnelle objectivité qui permet de cerner les grands enjeux et les forces à l’œuvre dans ce conflit. Assurément une lecture salutaire en ces temps de guerre.

Jean Lopez, Kharkov 1942, Perrin, 316 p.

L’histoire de l’Ukraine contemporaine s’est édifiée dans le sang. Et Kharkov devenue aujourd’hui Kharkiiv, a malheureusement renoué avec son tragique passé. Haut-lieu de la guerre à l’Est entre Wehrmacht et Armée rouge, elle a été le théâtre de trois batailles sanglantes. Après avoir pris la ville en septembre 1941, les Allemands affrontèrent ainsi au printemps 1942, des Soviétiques bien décidés à infléchir le cours de la guerre après avoir stoppé la Wehrmacht devant Moscou, quelques mois plus tôt. Premier opus de la nouvelle collection Champ Bataille des éditions Perrin, ce récit haletant de la bataille par un Jean Lopez toujours aussi passionnant, nous fait entrer dans ce combat titanesque. Agrémenté de cartes et de témoignages de premier plan, le lecteur suit au jour le jour, dans les états-majors et sur le front, le récit de cette bataille majeure.

Niels Ackermann & Sébastien Gobert, New York, Ukraine, guide d’une ville inattendue, éditions Noir sur Blanc, 204 p.

Et si on vous disait que les Etats-Unis sont déjà présents en Ukraine, est-ce que vous nous croirez ? C’est pourtant bien le cas comme le rappelle le très beau livre de Niels Ackermann et Sébastien Gobert sur la ville de New York en Ukraine dont voici notre chronique :http://www.hebdoscope.fr/wp/blog/new-york-ukraine-guide-dune-ville-inattendue/

Maria Galina, Autochtones, traduit du russe par Raphaëlle Prache, Agullo éditions, 2020

Ecrivain de science-fiction, Maria Galina nous emmène avec ce récit inquiétant dans une ex-république soviétique que l’on identifie très vite à l’ouest de l’Ukraine, à la recherche d’un obscur groupe d’artistes des années 20 qui aurait créé un opéra mythique « La mort de Pétrone » ne donnant lieu qu’à une seule représentation. Un enquêteur bien décidé à retrouver la trace de ces hommes et ces femmes commence alors à recueillir des témoignages et s’enfonce dans un abîme aux frontières du réel. Et très vite, il est confronté à d’étranges phénomènes.

D’autant plus que les autochtones, dont on ne sait s’ils sont humains ou non, semblent fortement intéressés par son enquête. D’indices en contre-vérités, le lecteur, ensorcelé par le subtil talent de conteuse de Maria Galina, avance alors dans un labyrinthe fait de détours historiques et policiers. Entre loups-garous et le Maître et Marguerite de Boulgakov, enfoncez-vous dans le blizzard littéraire fascinant de Maria Galina. Sans certitude de retour…

Interview de Maria Galina (entretien réalisé le 1er avril)

Comment allez-vous aujourd’hui ? Pouvez-vous nous décrire la situation à Odessa ?

Plus d’un mois s’est écoulé depuis le début de la guerre et, dans une certaine mesure, une routine s’est installée avec les bombardements et les sirènes annonçant les raids aériens. Odessa reste relativement calme par rapport à ce qui se passe dans l’est de l’Ukraine et dans certaines petites villes non loin de Kiev. Il y a une certaine activité marchande à Odessa – même les animaleries sont ouvertes – et il n’y a pas de pénurie alimentaire jusqu’à présent. Même le célèbre marché alimentaire Privoz est actif. Bien sûr, il y a des restrictions militaires, telles que des couvre-feux et des postes de blocage, des barricades et des contrôles…

Vous aviez prévu de venir au Festival Intergalactiques à Lyon fin avril. Est-ce toujours le cas ?

Non. Aujourd’hui, il est très difficile de quitter l’Ukraine. Tous les vols ont été bien évidemment reportés. De toute façon, je ne quitterai l’Ukraine qu’en dernier recours, s’il n’y a pas d’autre issue. J’aime la France. Elle est, à bien des égards, similaire à l’Ukraine – multiculturelle et diversifiée – mais en même temps d’un seul tenant, avec une histoire ancienne, complexe et unique.

Avez-vous des contacts avec des auteurs russes ? Comment vivent-ils la situation ?

Beaucoup de mes amis et collègues ont quitté à la hâte la Russie afin d’éviter d’être complices de ce crime. Beaucoup d’autres sont restés et vivent aujourd’hui sous la menace de poursuites s’ils protestent ouvertement contre la guerre. Mais de nombreux écrivains de science-fiction soutiennent également activement cette agression, et il m’est très difficile de comprendre quel mécanisme psychologique les habite. C’est un phénomène assez étrange, car en théorie, ceux qui imaginent le futur devraient s’appuyer sur des idéaux humanistes. Ils ont été fortement influencés par la propagande et sont eux-mêmes devenus les instruments de cette dernière. Je suis fier de ces membres de Russian Fandom qui sont restés quant à eux, inébranlables. Mais il y en a très peu hélas.

Pensez-vous que cette guerre va entraîner le développement de la littérature et de la langue ukrainienne ?

Les guerres et les cataclysmes sociaux en général, aussi cynique que cela puisse paraître, servent généralement de puissants stimulants créatifs. L’Ukraine, au cours des vingt dernières années, a fortement développé sa propre littérature y compris de science-fiction. Aujourd’hui, elle essaie de rompre avec l’héritage impérial, ce qui aurait pour conséquence de favoriser des découvertes créatives très intéressantes et inattendues. En règle générale, en tant de crise, la réponse littéraire la plus immédiate est celle de la poésie et de l’essai. Après seulement vient la prose et la fiction. L’Ukraine a aujourd’hui besoin de forger son propre mythe culturel sans lequel aucun pays ne peut exister. Et maintenant que ce mythe est créé – dans lequel les écrivains de science-fiction ukrainiens ont d’ailleurs leur propre rôle à jouer – tout est réuni pour construire un nouveau récit national.

Quant à la langue, le russe était très répandu ici avant la guerre même s’il régresse aujourd’hui. Tous les Ukrainiens sont bilingues et jusqu’à présent la langue que vous parliez n’avait pas d’importance. Certaines personnes ne réalisaient même pas quelle langue ils utilisaient pour communiquer ou pour écouter les informations. Les choses ont changé aujourd’hui.

Comment pouvons-nousaider les auteurs ukrainiens ?

Tout d’abord, il est important de réaliser que l’Ukraine se bat non seulement pour son indépendance mais également pour sa propre survie. Deuxièmement, il faut savoir que la Russie utilise tous les agents de propagande y compris les auteurs russes pour s’imposer. Il faut proposer aux auteurs ukrainiens toutes les plates-formes culturelles disponibles afin qu’ils puissent s’exprimer. Car jusqu’à présent, la culture ukrainienne est restée, pour ainsi dire, dans l’ombre. Mais c’est une culture européenne vibrante et vivante. Et j’aimerais que cette culture soit reconnue à sa juste valeur dans le monde entier.

Par Laurent Pfaadt

Prix Sheikh Zayed Book Award 2022 : Les finalistes

Qui succédera à Iman Mersal, lauréate 2021 pour Sur les traces d’Ennayat Zayat (Actes Sud) ?


Assurément, les auteurs retenus dans les catégories littérature, jeune auteur et auteur jeunesse gagnent à être connus et ce prix, l’un des plus importants consacrés à la littérature et à la culture arabes et d’un montant de 170 000 euros, les aidera assurément. A cela s’ajoute également un prix récompensant un éditeur qui a œuvré pour les lettres et la culture arabes. Et surprise plus que méritée de trouver la si belle collection Sindbad d’Actes Sud à qui l’on doit les découvertes de Naguib Mahfouz, Mahmoud Darwich, Waciny Laredj ou plus récemment le très beau Monsieur N de Najwa Barakat qui figura dans la première sélection du Fémina étranger. Enfin, deux prix récompenseront les ouvrages de Culture arabe dans une autre langue et les traductions.

Après examen de 3000 candidatures venues de 55 pays dont la France, les finalistes sont donc :

Catégorie littérature :

  • Ghorbat Al Manazil (Etrangers à la maison) du romancier et journaliste égyptien Ezzat Elkamhawy, publiée par Al Dar Al Masriah Al Lubnaniah en 2021
  • Wa Tahmelany Hayraty  Wa  Dh’anony.  Seerat  Altakween  (Ma  confusion  et  mes pensées  m’emportent  :  Biographie  de  la  formation)  du  critique  et  universitaire marocain Said Bengrad, publié par Le Centre culturel du livre en 2021
  • Maq’ha Reesh, Ain Ala Massr (Regard sur l’Égypte : Le Café Riche) de la poétesse et romancière émiratie Maisoon Saqer, publié par Nahdet Misr Publishing en 2021

Catégorie jeune auteur :

  • Al Kaa’in al Balaghi al Lugha wal Aaql wal Istita’a fi Kitab ‘Al Bayan wal Tabyeen (L’être rhétorique : langage, raison et capacité dans le livre Al-Bayan wal-Tabyeen) de l’écrivain marocain Mustafa Rajwan, publié par Dar Kunouz Al Maarifa en 2021
  • Al Badawa fi  al  She’er  al  Arabi  al  Qadeem  (Le  bédouinisme  dans  la  poésie  arabe ancienne)  du  Docteur  Mohamed  Al-Maztouri  (Tunisie)  publié  par  the  Faculty  of Literature, Arts and Humanities at Manouba University and the GLD Foundation (Al-Atrash Complex for Specialised Books) en 2021
  • Al Hikaya al Shaabiya al Saudia al Maktooba bil Fus’ha : Dirasa fi al Muta’aliyat al Nasiya (Contes  populaires  saoudiens  écrits  en  Fus’ha  :  étude  de  la  transcendance textuelle) de l’écrivaine saoudienne Manal Salem Al-Qathami , publié par the Arab Diffusion Foundation en 2021

Catégorie littérature jeunesse :

  • Shams Tadhak (Un soleil souriant) de l’auteur syrien Bayan Al-Safadi, publié par Dar Al Banan en 2020
  • Loghz al Kora al Zujajiya (Le mystère de la boule de verre) de l’autrice syrienne Maria Daadoush, publié par Dar Al-Saqi en 2021
  • Maw’idi maa al Noor (Mon rendez-vous avec la lumière) de l’autrice marocaine Raja Mellah publié par Al Mu’allif en 2021

Catégorie éditeur :

  • Les Editions SINBAD (France)
  • Bibliotheca Alexandrina (Egypte)
  • Internationale Jugendbibliothek (Munich – Allemagne)

Catégorie Culture arabe dans une autre langue :

  • Avicenne – Prophétie et gouvernement du monde, de l’historienne franco-marocaine Meryem Sebti, publié par les Editions du Cerf en 2021. (France)
  • L’Alhambra: à la croisée des histoires, de l’historien turc Edhem Eldem, publié par Les Belles Lettres en 2021. (France)
  • Revealed Sciences : The Natural Sciences in Islam in Seventeenth-Century Morocco de l’universitaire américain  Justin    Stearns, publié Cambridge University  Press  en 2021.(Etats-Unis)
  • The Arabian Nights  in  Contemporary  World  Cultures:  Global  Commodification, Translation, and the Culture Industry du Dr. Iraquien- américain Muhsin J. Al-Musawi, publié par Cambridge University Press en 2021. (Etats-Unis)
  • Die Deutschen und  der    Faszination,  Verachtung  und  die  Widersprüche  der Aufklärung, de l’historien allemand Joseph Croitoru, publié par Carl Hanser Verlag en 2018. (Allemagne)
  • El perfume de la existencia : Sufismo y no-dualidad en Ibn Arabi de Murcia, de l’écrivain espagnol Fernando Mora, publié par Almuzara en 2019. (Espagne)
  • Surrealismi Arabi 1938-1970 : Il Surrealismo e la letteratura araba in Egitto, Siria e Libano, de l’écrivain italien Arturo Monaco publié par Istituto per l’Oriente C. A. Nallino en 2020. (Italie)
  • Etymologic Dictionary of Ancient Arabic (Based on the Material of Selected Texts of Pre-Islamic Poetry). Issue III, de Dr en philologie russe Anna Belova, publié par Institute of Oriental Studies of the Russian Academy of Sciences en 2016. (Russie)

Catégorie Traduction :

  • ‘Ratha’il al Maarifa: Bahth fi al Ahkaam al Akhlaqiya al Fikriya’ (Les Vices du savoir: Essai d’éthique intellectuelle) du philosophe français Pascal Engel, traduit du français vers l’arabe  par  Dr  Kassem  Almekdad  et  publié  par  Ninawa  Studies  Publishing  & Distribution en 2021.
  • ‘Fadaalat al Ikhwan fi Tayibat al Ta’aam wal  Alwan’ (Best  of  Delectable Foods  and Dishes from Al-Andalus and Al-Maghrib: A Cookbook by 13th Century Andalusi Scholar Ibn Razin Al-Tujibi, 1227–1293), écrit par Ibn Razin Al-Tajibi, traduit de l’arabe vers l’anglais par Nawal Nasrallah, et publié par Brill Publishing en 2021.
  • ‘Nash’at al  Insaniyat  Einda  al  Muslimeen  wa  fi  al  Gharb  al  Maseehi’  (The  Rise  of Humanism in Classical Islam and the Christian West) écrit par George Makdisi, traduit de l’anglais vers l’arabe par le Dr. Ahmed Aladawi, publié par Madarat for Research and Publishing in 2021.

Réponse donc le 24 mai prochain au Louvre Abu Dhabi pour connaître les lauréats.

Pour hebdoscope Laurent Pfaadt