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Le wagon manquant

Avec Convoi pour Samarcande, l’écrivaine s’affirme définitivement comme l’une des grandes voix de la littérature russe

Zouleikha ouvre les yeux et Les enfants de la Volga (Noir sur Blanc, 2017 et 2021), célébrés à juste titre par la critique – le second été sacré Meilleur livre étranger en 2021 – et le public (un million d’exemplaires vendus pour le premier) ne furent donc pas des succès sans lendemain, bien au contraire. Ils constituent la matrice d’une œuvre majestueuse appelée à demeurer tant dans la littérature russe que mondiale. Celle d’une Gouzel Iakhina devenue désormais incontournable.


Avec ce troisième roman, Convoi pour Samarcande qui raconte l’expédition vers l’Ouzbékistan soviétique des années 20 de cinq cents enfants fuyant la famine depuis Kazan, Gouzel Iakhina s’établit désormais durablement dans le paysage littéraire européen après avoir conquis les lettres russes. Car Gouzel Iakhina écrit à l’ancienne avec moult détails et descriptions comme cette scène incroyable d’une Blanche nettoyant le sol d’un wagon. Cela donne des livres denses qui mettent du temps à être lus, à contre-courant de ces ouvrages qui sortent par milliers chaque année et qu’il faut consommer en quelques jours, en quelques heures. Quelques jours, c’est justement l’autonomie dont dispose le héros, Deïev, officier de l’armée rouge, en matière de vivres alors le voyage doit durer un mois et demi.

Nous voilà donc prévenu par l’auteur qui nous conseille de prendre notre temps. Pour suivre son héros qui doit trouver des solutions parfois improbables comme réquisitionner mille bottes dans une caserne. Pour s’orienter également dans cette cathédrale littéraire à la solide charpente narrative illuminée par ces vitraux éblouissants qui filtrent ou colorent une lumière qui change selon qu’elle éclaire des personnages tantôt attachants, tantôt détestables. Et en premier lieu Deïev. Un homme qui rappelle l’Ignatov de Zouleikha ouvre les yeux. Un homme du système qui a tué mais qui, désormais, doit sauver. Un homme à la recherche d’une rédemption. On a hâte de voir ce que Iakhina, dans un prochain roman, fera d’un sbire de Nikolaï Iejov sous la Grande terreur stalinienne.

Maîtrisant parfaitement les codes du roman, l’autrice nous emmène alors, après la magie des Enfants de la Volga dans ce roman d’aventures qui en rappelle d’autres car comment ne pas voir l’ombre d’un Kessel dans ces paysages traversés ou dans ces rencontres improbables. Appuyé sur une solide documentation qui relate cette fameuse famine, Gouzel Iakhina se pose littérairement et historiquement comme le chaînon manquant, le wagon entre un Tolstoï et un Grossman, en digne héritière de la grande tradition littéraire russe avec ces descriptions enlevées et ces personnages ambigus touchés par la grâce d’une humanité retrouvée au contact d’enfants.

Magnifiquement traduit une fois de plus par Maud Mabillard, Convoi pour Samarcande est ce nouveau diamant venu de l’Est tiré du trésor inépuisable des éditions Noir sur Blanc. Les jurés du prix Médicis étranger ne s’y sont d’ailleurs pas trompés en sélectionnant Convoi pour Samarcande dans leur première liste tandis que les libraires plébiscitent déjà le livre. Car quelque chose nous dit que ce voyage-là risque bel et bien d’être couronné de succès.

Par Laurent Pfaadt

Gouzel Iakhina, Convoi pour Samarcande, traduit du russe par Maud Mabillard
Aux éditions Noir sur Blanc, 480 p.

Dans la cour des grands

Le célèbre guitariste de blues Greg Koch était, avec son trio, de passage dans le nord de l’Alsace

Pour ceux qui aiment le blues, le nom de Greg Koch n’est pas inconnu. L’un des guitaristes les plus talentueux du blues-rock qui fut invité à jouer aux cent ans du célèbre Les Paul et accompagna notamment Joe Bonamassa, fit escale en cette fin septembre dans le nord de l’Alsace à l’occasion de la tournée européenne du Koch Marshall trio, sa formation qui comprend son fils aîné Dylan à la batterie et l’incroyable Toby Lee Marshall à l’orgue Hammond. Et pour tous ceux qui se demandèrent où se trouvait la basse, Greg Koch répondit qu’elle était dans la main gauche de Marshall, comme un shérif armé de deux pistolets et prêt à dégainer…

Greg Koch
© Sanaa Rachiq

Avant de retrouver New York et le Texas, le trio assura le show. Greg Koch convia ainsi un public enthousiaste à un incroyable voyage dans les racines du blues et du rock où il fut question, entre autres, de ce Jimmy Hendrix qu’il affectionne tant, de Muddy Waters ou de Led Zeppelin avec son très beau Since I’ve Been Loving You. Entre ces hommages appuyés, le trio livra quelques morceaux tirés de ses différents albums et notamment de son dernier opus, Orange Roominations, album composé de nombreux live streams très suivis pendant le confinement comme Thurst Bucket, qui complétèrent une setlist où figuraient également Welchz Grape et Daddy Long Legs. Les riffs rugissants tirés de sa Reverend ainsi que la transe d’un Toby Marshall très en forme et une batterie passionnée, enflammèrent une salle qui n’en demandait pas tant et qui apprécia cette proximité avec un artiste qui, le temps d’un concert, donna l’impression de se trouver à Nashville ou à Memphis.

Par Laurent Pfaadt

A écouter : Koch Marshall Trio, Orange Roominations,
Mascot Label

ZeitGenuss

ZeitGenuss – le festival de musique de notre temps a été créé par 2013 par la ville et la Haute école de musique de Karlsruhe. Le
festival se concentre sur la musique du XXe et XXIème siècle, la
recherche de formes de mondes sonores expressifs et inédits.


La dixième version du festival se déroulera du 12 au 15 octobre 2023 et se déroulera sur les scènes de la ville. Il est organisé par le quatuor de guitares ALEPH, qui fête cette année ses trente ans d’existence.

A l’occasion de cet anniversaire, il invite des musiciens et des compositeurs appréciés à Karlsruhe pour un concert.

© Sabine Haymann

Andrés Hernández Alba et Wolfgang Sehringer ont fondé pendant leurs études le quatuor de guitares ALEPH et ont été rejoint en 2009 par Tillmann Reinbeck et Christian Wernicke

En échange intensif avec des compositeurs, ingénieurs du son et acousticiens, ils travaillent le langage musical et les techniques de jeu du 20e et 21e siècles. Ce quatuor de guitares créé plus de 65 œuvres de compositeurs contemporains.

Le concert anniversaire sera l’occasion d’entendre des miniatures très particulières pour ALEPH – des messages d’anniversaire musicaux, composés pour l’occasion écrites pour cette occasion par des compositeurs avec lesquels le quatuor a eu collaboration artistique. Les œuvres de ces compositeurs constituent en quelque sorte le noyau créatif des concerts du festival au ZKM.

Le quatuor de guitares ALEPH a invité pour ces concerts des musiciens de renommée internationale qui se consacrent à la musique de chambre avec un dévouement total :

  • la soprano Daisy Press de New York City,
  • Pony Says de Stuttgart et
  • le trio hambourgeois Catch.

De Karlsruhe même, seront présents :

  •  LAB51 (composé de la chanteuse Johanna Vargas et de la pianiste Magdalena Cerezo Falces),
  • Le CoroPiccolo Karlsruhe et son chef d’orchestre Christian-Markus Raiser,
  • L’ensemble TEMA, associé au festival depuis le début,
  • L’Ensemble für Neue Musik de l’École supérieure de musique dirigé par Manuel Nawri et
  • La Badische Staatskapelle dirigée par Ulrich Wagner et ses NachtKlänge.

ZeitGenuss 2023 prend possession de plusieurs endroits de la ville. Comme le quatuor ALEPH coopère depuis 2007 avec ZKM|Hertz-Labor, la plupart des représentations se dérouleront au Zentrum für Kunst und Medien (ZKM). Les autres salles de concert sont le Wolfgang-Rihm-Forum de la Haute école de musique de Karlsruhe, l’église la ville sur la place du marché, le Studio du Badisches Staatstheater et le tout nouveau Jazzclub dans le Kaiserpassage.

INFOS

Du 12 au 15 octobre, Karlsruhe
www.karlsruhe.de/zeitgenuss
www.hfm.eu

saison du maillon 2023-2024

Comme à l’accoutumée elle sera extra riche en propositions diverses et variées toutes tournées vers une solide qualité artistique.


Signalons deux spectacles de théâtre participatif mis en scène par Olivier Letellier des « Tréteaux de France » à voir en famille ou en séances scolaires : « les règles du jeu » et « La mare aux sorcières »

Un petit tour au Moyen-âge avec « Péplum médiéval »

Un regard sur les enfants avec « J’ai une épée « de Léa Drouet

Une dénonciation des violences sexuelles par la brésilienne Carolina Bianchi et sa Cie Cara de Cavalo : « La mariée » et « Bonne nuit Cendrillon ».

Des échanges de lettres entre femmes emprisonnées par Markus et Markus theaterkollektiv, des témoignages sur des vies bousculées dans « Die Brieffreundschaft »

La mise en scène de Marion Siéfert pour « Daddy « est innovante puisqu’elle propose de représenter une sorte de jeu en ligne pour dénoncer la marchandisation des corps.

Un conte moderne de Métilde Weyergans et Samuel Hercule 4’7/00 de liberté qui raconte comment  un nouvel arrivant  peut bousculer la vie la mieux réglée.

Le groupe « Berlin » présente sur le mode théâtre filmique une sorte d’enquête sur un régisseur d’orchestre durant la Seconde guerre mondiale

De très belles propositions de danse viennent enrichir cette programmation. Elles sont signées Martin Zimmermann pour une
« Danse macabre » dans laquelle se mêlent danse, cirque et théâtre.

Tabea Martin  qui met en scène et en danse le problème majeur de l’exclusion dans « Geh nicht in den wald,im wald ist der wald ».

Gisèle Vienne, une grande habituée du Maillon qui se positionne aussi sur le registre de la danse et du théâtre dans « Extra life » pour évoquer les retrouvailles d’un frère et d’une sœur après une longue séparation.

 Avec « Les Chercheurs » toutes propices à nous conduire vers un approfondissement de notre réflexion sur le monde et à faire voyager notre imaginaire.

Nous retrouverons des artistes déjà présents au Maillon, comme la polonaise Marta Gornicka et son chant choral, Phlippe Quesne, Martin Zimmermann, Tabea Martin, Gisèle Vienne, Jonathan Capdevielle, Camille Dagen et le groupe Animal Architecte, Boris Charmatz, Marion Siéfert, le groupe « Berlin », François Gremaud  se rappeler son excellent « Giselle », Alexander Vantournhout.

Ainsi se succéderont spectacles de théâtre, de danse, de musique de cirque et pour les donner à connaître par genre nous commencerons par la musique puisque la saison s’ouvre en collaboration avec le Festival Musica qui se déroule du 15 septembre au 1er octobre dans différents lieux avec trois spectacles :

  • « Queen of Hearts » qui évoque, la Princesse de Galles, Lady Di, son interview à la BBC dans une pièce musicale signée Jannick Giger avec instrumentistes et la voix de la soprano Sarah Maria Sun.
  • « Place » de Ted Hearn qui est un oratorio engagé venu des Etats-Unis.
  • « Dompter les Rivières» une création coproduite par Le Maillon de l’autrice Lucie Taieb qui évoque le quartier du Wacken, ses mutations et entre autres un épisode au moment de l’exposition coloniale de 1924

Puis nous retrouverons dans « Mothers a song for wartime » la vigueur et l’engagement de la polonaise Martha Gornicka dans ce chant choral qui s’insurge contre la guerre.

A inscrire dans les spectacles proprement musicaux « Carmen » de François Gremaud qui nous avait enchanté avec « Giselle ».

En abordant les pièces théâtrales, remarquons qu’elles sont nombreuses, avec pour certaines le nom connu de leur concepteur.

Philippe Quesne pour « Le jardin des délices » (se rappeler « La nuit des taupes ») s’inspire de l’œuvre de Jérôme Bosch pour nous entraîner dans un monde où l’imaginaire et la réflexion collaborent étroitement.

Jonathan Capdevielle après « Rémi » en 2022 présente « Caligula » d’après Albert Camus, une lecture de l’œuvre en deux versions accompagnées de musique et de danse.

Krystian Lupa, le célèbre metteur en scène polonais revient avec « Les émigrants » une mise en scène exceptionnelle d’une durée de 4 heures d’un texte de W. G.Sebald,un auteur de la fin du XXième siècle qui montre les  conséquences dramatiques des persécutions nazies sur ceux qu’elles ont contraints à l’exil.

Camille Dagen, après « Bandes » en 2020 présente avec  le groupe  Animal Architecte « Les forces vives » d’après « Les mémoires d’une jeune fille rangée », « La force de l’âge », « La force des choses » de Simone de Beauvoir.

Notons la présence de la jeune scène européenne avec « Sauvez Bâtard », première mise en scène de Thymios Fountas sur des figures d’anti-héros.

Reprise du spectacle « La taïga court, première cérémonie » mise en scène par Antoine Hespel dont c’était le travail de sortie de l’Ecole du TNS sur un texte de Sonia Chambretto, un regard sur l’avenir incertain du monde.

« Mi vida en transito » met en scène la correspondance de deux jeunes artistes, l’un Elvio a dû rejoindre l’Argentine pendant que son ami Savino qu’il a connu en Suisse demeure encore dans ce pays.

Du collectif « La fleur » nous découvrons sept danseur-euses venus d’Afrique qui montrent avec virtuosité leur façon de surmonter les obstacles qui apparaissent dans leur nouvel environnement.

Présenté avec Pôle-Sud, le Maillon invite l’illustre chorégraphe Boris Charmatz qui a conçu pour 22 danseurs et danseuses le spectacle
« 10000 gestes », une performance qui se déploie sur les notes du
« Requiem » de Mozart.

Egalement avec Pôle-Sud Trajal Harrell du Shaauspielhaus de Zurich offre dans « The Köln concert », une prestation originale sur une musique de Keith Jarrett.

Moment particulier, celui qui évoque avec 10 interprètes sous la direction de Nolween Peterschmitt la fièvre de danse qui s’empara de la ville de Strasbourg en 1518.

Quant au cirque que la programmation n’oublie pas, nous retiendrons « Pli » de Viktor Cernicky qui est la rencontre surprenante entre un homme et 22 chaises.

« 23 fragments de ces derniers jours » de la brésilienne Maroussia Diaz Verbèke avec  trois  interprètes brésiliens de collectif « Instrumento de ver » » et trois français de la Cie « Le Troisème cirque », tous faisant preuve de multiples talents.

En fin de saison, Alexander Vanthorhout qui sait déjouer les codes avec humour et virtuosité amènera une programmation faisant la part belle  à la danse et au cirque. Ce sera  « Through the grapevine »,
« Vanthorhout » et « Foreshadow ».

Nous avons devant nous les promesses de grands moments de découvertes et s’ouvrent ainsi de multiples chemins à parcourir pour enrichir notre réflexion et y prendre plaisir.

Marie-Françoise Grislin pour Hebdoscope

Festival européen du film fantastique de Strasbourg

Le FEFFS est de retour pour sa 16ème édition du 22 septembre au 1er octobre. C’est peu dire que ce festival met l’ambiance ! Rare moment dans l’année où les spectateurs font la queue de plusieurs centaines de mètres, devant les salles de cinéma. Toutes participent à l’évènement, les cinémas Star, le Vox, l’UGC et le Cosmos, anciennement Odyssée. Drôle de public que l’on voit alors dans la ville, avec leur look de vampires sortis exprès pour la fête ! Sans doute regrettent-ils que la zombie walk n’ait plus lieu. Et pour leur plaisir, ils pourront approcher Terry Gilliam, l’invité de cette édition.  


Vincent doit mourir

Un coup de chapeau aux organisateurs du festival de faire venir des monstres du cinéma comme le regretté William Friedkin, père de l’Exorciste, en 2017, ou Christophe Gans en 2022, carte blanche est donnée cette fois-ci à Terry Gilliam ainsi qu’une rétrospective de ses films dont son fameux Brazil (1985). Il animera une Master class en préambule à la projection de L’Armée des 12 singes. Un prix d’honneur lui sera remis. Autre événement en marge des différentes compétitions, la toujours très courue et festive projection en plein air, place du château, avec à l’honneur cette année Indiana Jones et le temple maudit. Très prisée par les spectateurs noctambules, la Nuit excentrique commence à minuit avec la projection jusqu’au petit matin de trois films confiés par la cinémathèque française (en 35 mm – grâce à la bonne idée du Star d’avoir conservé le projecteur idoine !) avec un petit déjeuner servi avant le 3ème film. Spectacle assuré tant sur l’écran que dans la salle ! Comme c’est la cas aux Midnight Movies, le must du festival pour de nombreux spectateurs fans de films extrêmes et décalés.

#Manhole Main

Le FEFFS c’est la découverte de films rares – 45 longs métrages et 40 courts sur 175 séances. Les deux films d’ouverture et de clôture sont signés par les réalisateurs coréens, Kim Jee-woon pour Ça tourne à Séoul  et Um Tae-hwa avec Concrete Utopia. Le premier se passe dans les années 70 dans les coulisses d’un tournage de film et le second est un film d’anticipation climatique. Trois compétitions internationales (souvent avec la présence des équipes de films), seront l’occasion de découvrir des films en avant-première et des films qui ne connaîtront pas forcément de sortie en salle, faute de distributeur. Le film d’animation n’est pas en reste ni les courts-métrages. Honneur aussi à Edgar Allan Poe dans une rétrospective de films adaptés de son univers, en avant-première de l’événement « Strasbourg Capitale mondiale du livre – Unesco ». Quant à la section « Connexions » à l’UGC, elle est dédiée au numérique avec 8 œuvres internationales et françaises en réalité virtuelle et accès libre au public (interdit aux moins de 13 ans). Pour les lycéens, une Master Class sur l’importance des décors au cinéma se tiendra au Vox ainsi que pour les professionnels, des tables rondes et lectures de scénarii faisant de ce festival un évènement majeur pour la promotion et le développement des films de genre, le fantastique offrant une palette d’histoires et de traitements différents qui font rentrer ces films souvent classés série B au rang de films du patrimoine cinéphilique.

Programme complet disponible à l’accueil des salles de cinéma ou sur www.strasbourgfestival.com

Elsa Nagel

Premier concert de la saison OPS

Beau programme lors de l’ouverture de la saison de l’OPS : outre l’amitié profonde et les liens de parenté qui les unissaient, Franz Liszt et Richard Wagner se seront, l’un et l’autre, présentés, dans la seconde moitié du 19e siècle, comme les promoteurs de la musique de l’avenir. Le jeudi 7 septembre, nous pûmes entendre le second concerto pour piano de Liszt donné par le pianiste russo-américain Kirill Gerstein et le Ring sans paroles de Richard Wagner, l’orchestre étant, pour les deux œuvres, dirigé par son chef Aziz Shokhakimov.


Ring sans paroles
© Grégory Massat

Écrit d’un seul tenant, le second concerto de Liszt offre ainsi l’allure d’un poème symphonique pour piano et orchestre. Quant au Ring sans paroles, il s’agit d’un arrangement dû au  chef d’orchestre et compositeur Lorin Maazel qui, en 1987, puisa dans le matériau sonore des quatre opéras de l’ Anneau du Nibelung de Richard Wagner, de quoi composer, là aussi, un grand poème symphonique d’une durée de quatre vingt minutes. La tétralogie de Wagner, sous sa forme opératique, dure quant à elle au moins quinze heures. Maazel la connaissait, c’est le cas de le dire, sur le bout des doigts puisqu’il lui arriva de la diriger par cœur (!) au festival de Bayreuth, où les opéras de Wagner sont, chaque été, donnés de manière rituelle dans le théâtre que lui construisit le jeune roi Louis II de Bavière. Rédigé par le compositeur lui-même, le livret du Ring est inspiré de la mythologie germanique et nordique. Il raconte les réactions en chaîne résultant du vol de l’or des filles du Rhin par le gnome Alberich. Véritable allégorie sur l’effondrement de la société et du  pouvoir, il peut se lire comme une critique de la civilisation marchande d’inspiration socialisante, matinée au demeurant de quelques touches d’un antisémitisme, courant à l’époque. De ce gigantesque ouvrage, Maazel a tiré une belle partition où les voix sont, le cas échéant, remplacées par des solos de bois ou de cuivres. C’est notamment le cas lors de l’entrée des dieux au Vahlalla, fort réussie, quand le trombone solo remplace la voix de Loge, nouant un très beau dialogue avec les cors. La première moitié de l’œuvre, puisant dans les deux premiers opéras, L’Or du Rhin et La Walkyrie, est particulièrement prenante, faisant preuve d’imagination et d’imprévu dans l’enchainement des fragments. Une fois passés les murmures de la forêt, tirés du troisième opéra Siegfried, toute la partie extraite du dernier volet Le Crépuscule des dieux sonne en revanche de manière bien plus conventionnelle, se contentant d’enchainer les parties symphoniques bien connues que sont le voyage de Siegfried sur le Rhin, la marche funèbre et l’incendie du Vahlalla. On regrette notamment que les belles parties méditatives du second acte du Crépuscule ou de la scène finale du troisième acte n’aient pas été retenues par Maazel : elles auraient constitué une salutaire accalmie sonore dans une dernière demi-heure où l’on joue forte presque tout le temps.

Toujours est-il que cette partition, souvent exigeante pour l’orchestre, aura montré celui-ci en très bonne forme : le bref mais difficile fragment de la chevauchée des walkyries témoigne, à lui tout seul, du niveau de l’orchestre que nous avons la chance d’avoir. L’interprétation d’Aziz Shokhakimov mit l’accent sur le dramatisme puissant de l’œuvre, de façon judicieuse même si on eût parfois aimé un peu plus de fluidité, comme au début de L’Or du Rhin, ou de lyrisme, lors des adieux  de Brünhilde et de Wotan.

Le concert avait donc débuté avec le second concerto pour piano et orchestre de Liszt, sûrement une de ses meilleures œuvres. La partie médiane est d’une grande beauté contemplative. Mais ce furent surtout les aspects tourmentés du début et ceux, combatifs et héroïques, de la fin qui ressortirent sous les doigts de Kirill Gerstein. Chef et orchestre se sont accordés avec le piano. Abordé ainsi, il émane de ce concerto un climat anticipant quelque peu ceux de Prokoviev.

                                                                                   Michel Le Gris

La culture à Abu Dhabi, une histoire sans fin

Création littéraire, quartier des musées, musique, la capitale des Emirats Arabes Unis a investi tous les fronts culturels

La réalité a fini par se confondre avec la fiction. Si la récente foire internationale du livre d’Abu Dhabi a pris comme slogan le titre du célèbre film de Wolfgang Petersen, celui-ci n’a jamais été aussi actuel qu’à Abu Dhabi tant la capitale des Emirats Arabes Unis a fait de la culture son soft power sur la scène internationale. Plusieurs raisons ont présidé à ce choix : la volonté originelle du père fondateur du pays, le Sheikh Zayed Bin Sultan Al Nahyan (1918-2004) qui a très tôt compris que savoir et éducation constitueraient les moteurs du développement de son jeune pays – les UAE sont officiellement nés en 1971 – mais également la position stratégique de ce dernier, entre Occident et Asie, et placé au carrefour des religions et des cultures. Comme le rappelle le Dr Ali bin Tamim, Secrétaire Général du Sheikh Zayed Book Award et président de l’Arabic Center Language « ce soft power est une bonne chose tant qu’il amène les gens et les cultures à dialoguer, tant qu’il ouvre la voie au rapprochement entre les gens. Les Emirats Arabes Unis constituent l’exemple même de cette vision. Regardez tous ces monuments comme la Grande mosquée Sheikh Zayed, la Maison abrahamique, le Louvre Abu Dhabi, les universités de la Sorbonne et de New York qui ont ainsi construit des ponts culturels ».


Le livre constitue bien évidemment l’un des axes forts de ce développement. L’Abu Dhabi International Book Fair a ainsi réunit pendant près d’une semaine en mai dernier tout ce que le monde arabe compte d’éditeurs, du Maroc à l’Irak en passant par l’Arabie Saoudite et l’Egypte. C’est d’ailleurs une maison d’édition égyptienne, El Aïn, qui édita entre autres plusieurs vainqueurs de International Prize for Arabic Fiction qui fut sacrée cette année par le Sheikh Zayed Book Award devenu au fil de ses dix-sept éditions, à la fois la consécration littéraire de tout intellectuel du monde arabe et un formidable vecteur de diffusion de la langue arabe. Saïd Khatibi, vainqueur du prix dans la catégorie jeune auteur abonde dans ce sens : « je suis très fier d’obtenir ce prix et d’inscrire mon nom à côté de celui d’Amin Maalouf et d’écrivains arabes renommés. Mais ce prix n’est pas que pour moi mais également pour la jeune génération d’écrivains algériens ».

Si ce prix traduit une volonté de défendre la langue arabe face à l’anglais, il souhaite également « encourager les jeunes auteurs, notamment les femmes » assure de son côté Jürgen Boss, président de la foire internationale de Francfort où tout se décide dans l’industrie mondiale du livre et dont la présence à Abu Dhabi et au sein du comité scientifique du Zayed Book Award, légitime à la fois la place prise par une foire qui, chaque année, prend de l’ampleur mais également vient conforter la capitale des Emirats Arabes Unis comme l’un des hauts lieux du livre sur la scène internationale et plus particulièrement dans cette partie du monde.

Pour se convaincre définitivement de l’importance accordée à la culture, il suffit de prendre un taxi et de se rendre dans le quartier des musées dans le district d’Al Saadiyat traversé par une avenue…Jacques Chirac. Ici, à côté de l’extraordinaire réussite du Louvre Abu Dhabi qui a comptabilisé fin 2022, 3,7 millions de visiteurs en cinq ans, se dressent d’innombrables grues qui bâtissent les institutions culturelles de demain : le musée d’histoire naturelle, le Zayed National Museum épousant les ailes d’un faucon et doté d’un système de ventilation révolutionnaire – les Emirats arabes Unis qui accueilleront la COP 28 fin novembre 2023 ont très tôt inscrits leurs actions créatrices dans le développement durable – ou le Guggenheim Museum signés par les plus grands noms de l’architecture comme Norman Foster ou Frank Gehry. Et à l’image de cette salle du Louvre réunissant les textes sacrés des trois religions monothéistes, les Emirats Arabes Unis, signataires des accords d’Abraham avec Israël en 2020, ont inauguré en février 2023 la Maison abrahamique, lieu syncrétique qui voit se côtoyer église, synagogue et mosquée.

Les Emirats Arabes Unis n’en oublient pas pour autant les autres champs de la culture et notamment la musique. Lieu d’un festival de musique renommé et présidée par Huda Alkhamis-Kanoo qui accueillit cet année Juan Diego Florez ou le compositeur Tan Dun et d’une salle de concert, l’Etihad Arena, désormais passage obligé des tournées internationales d’artistes du monde entier comme les Guns and Roses ou la star égyptienne Amr Diab, Abu Dhabi voit ainsi se croiser sur son sol les cultures et les esthétiques de l’Ouest et du monde arabe. La célébration, cette année, du compositeur et pianiste égyptien Omar Khairat en tant que personnalité culturelle de l’année du Zayed Book Award est ainsi emblématique de cette volonté de construire des ponts culturels entre Occident et monde arabe. L’artiste égyptien élabora ainsi une œuvre où se mêlent musique orchestrale classique et mélodies orientales composant ainsi la bande originale d’une histoire qui non seulement n’est pas prête de s’arrêter mais est en marche.

Par Laurent Pfaadt

A la poursuite du diamant sonore

Le label The Lost Recordings retrouve et édite des enregistrements inédits

Amsterdam, sous-sol d’un bâtiment ultra-moderne ressemblant à une banque. Mais ici les diamants qu’elle contient sont d’une autre nature. Soudain, une musique retentit. Non pas celle de l’alarme mais d’un violoncelle. Les deux hommes venus de France se regardent, interloqués. « Incroyable » dit l’un tandis que l’autre, la gorge nouée, ne peut répliquer. Le fils du violoncelliste André Navarra accompagné du pianiste Frédéric d’Oria-Nicolas viennent d’écouter des enregistrements inédits du père de ce dernier. Ils ne le savent pas encore mais ils sont sur le point de s’engager dans une aventure musicale hors du commun qui va les conduire à l’autre bout du monde.


The Lost Recordings
Copyright Sanaa Rachiq

The Lost Recordings est né. Après cette expérience, les deux hommes se muent en véritables archéologues de la musique, engageant une course contre la montre afin de retrouver des enregistrements avant leur destruction par le temps. De Londres à Paris en passant par Berlin ou Prague, The Lost Recordings impulse ainsi, à partir de bribes d’informations, un immense travail de référencement. « Notre mission est de sécuriser un patrimoine musical avant qu’il ne tombe dans l’oubli et qui se désagrège » Et Frédéric d’Oria-Nicolas de plaider pour une initiative européenne en ce sens.

Piet Tullenar
Le chercheur et ami Piet Tullenar, archives Amsterdam

Leurs expéditions ont ainsi permis de ressusciter des concerts méconnus de Sarah Vaughan, Duke Ellington, Thelonius Monk, Dexter Gordon, Johanna Martzy et d’autres. De retrouver les bandes originales et de restaurer des œuvres connues comme ce Lucia Di Lammermoor de 1955 avec Maria Callas et Karajan que les amoureux de l’opéra ne connaissaient qu’à travers une copie pirate d’un obscur label italien et dont la version de The Lost Recordings a tiré des larmes aux meilleures sopranos. Parfois, nos aventuriers s’engagent sur une fausse piste mais leurs échecs les conduisent à de futures découvertes. Partis à Berlin sur les traces d’inédits d’Emile Gilels, le célèbre pianiste soviétique, suivant en cela les conseils du petit-fils de ce dernier, ils obtiennent des indices qui les ramènent à Amsterdam et une discussion avec leur compère des débuts, Piet Tullenar, sorte de Sallah Faisel el-Kahir du célèbre aventurier de Spielberg, et les voilà avec entre les mains l’un des plus grands enregistrements du génie du piano lors d’une tournée dans la capitale néerlandaise en 1976, devenu depuis l’un des plus grands succès du label.

Désormais identifié par près de 13 000 clients majoritairement à l’étranger, le label voit affluer du monde entier des informations sur des enregistrements oubliés avec parfois de petites histoires comme tirées d’un film d’aventures comme cette lettre d’un passionné qui arrive un jour dans leur studio en provenance de…Buenos Aires. Ce qui ne devait être qu’un morceau de papier va se transformer en miracle car suit alors un autre courrier avec des photos de bandes enregistrés au Teatro Colon et dans un club de jazz. Le début d’une nouvelle aventure que les passionnés découvriront très bientôt non pas sur grand écran mais sur leur platine.

Simon Garcia
Copyright Sanaa Rachiq

Et comme une évidence, c’est dans l’un des temples du jazz, à Marciac, lieu du plus grand festival français que The Lost Recordings a trouvé l’écrin de ses diamants sonores. « En Europe, personne ne fait des vinyles comme lui » lance sans hésitation Fréderic d’Oria-Nicolas. Lui c’est Simon Garcia, petit artisan du vinyle qui a monté son usine de production, Garcia & Co, après avoir sillonné le monde, convaincu l’un des grands patrons de l’industrie musicale, résisté aux mécènes qui voulaient dénaturer son idée et terrassé machines-outils allemandes. Et le qualificatif de diamants sonores pour ces disques de Sarah Vaughan, Chet Baker ou Erroll Garner n’est pas galvaudé puisque comme le rappelle Simon Garcia, « le pressage, c’est de la véritable horlogerie ».

Avec la passion qui bouillonne en lui tel un feu sacré, Simon Garcia et la société qu’il a créé en 2021 mettent un point d’honneur à réaliser des vinyles quasi parfaits et au son unique. Ainsi les mille vinyles qu’il sort chaque jour possèdent un temps de pressage de 33 secondes quand la majorité des disques sont réalisés en 18 secondes. « J’écoute les silences. Si le silence est bon, la musique est bonne » avoue Simone Garcia à propos de ses disques, « les Aston Martin du vinyle » selon Frederic d’Oria-Nicolas. Même si Simon Garcia reconnaît qu’il lui faut sortir de son modèle artisanal, son travail paie. Près de 80% de sa production part à l’étranger, essentiellement aux Etats-Unis pour le jazz et en Asie pour la musique classique. Et grâce à lui et à The Lost Recordings, ces diamants sont désormais éternels.

Par Laurent Pfaadt

Pour consulter le formidable catalogue de The Lost Recordings :

https://thelostrecordings.store

On ne saura trop vous conseiller en vinyle et Cds les enregistrements suivants :

SARAH VAUGHAN – LIVE AT THE BERLIN PHILHARMONIE 1969

DONALD BYRD & DEXTER GORDON – THE BERLIN STUDIO SESSION 1963

ERROLL GARNER – THE UNRELEASED BERLIN STUDIO RECORDING 1967

Vive le Québec livre !

La maison d’édition montréalaise Héliotrope s’implante en France et en Europe francophone

En 2006, Florence Noyer et Olga Duhamel-Noyer fondaient une maison d’édition littéraire à Montréal sous le signe du soleil. Héliotrope se proposait de réunir des titres d’autrices et d’auteurs, sans chercher à embrigader les textes dans une ligne éditoriale stricte, sans forcer l’unité – solaire, mais pas grégaire. La seule constante : l’exigence littéraire, la force du style.


Florence Noyer et Olga Duhamel-Noyer
Ccopyright Les Marois

Dix-huit ans plus tard, consolidé autour d’un noyau de romancier et de romancières pour le moins singulier, le catalogue de la maison s’est déployé principalement autour du roman, dans l’acception la plus composite de ce genre. Des romans à haute énergie narrative comme ceux de Kevin Lambert et Catherine Mavrikakis. De l’autofiction avec Marie-Pier Lafontaine ou de la non-fiction romancée comme celle de Martine Delvaux. Depuis quelques années, Héliotrope publie aussi des romans noirs qui s’appliquent à cartographier le territoire avec le crime. Ceux d’André Marois et de Maureen Martineau. Après des années de dialogues nourris avec des maisons d’édition françaises, plusieurs succès en France et à l’international, Héliotrope a décidé de se déployer en France et plus largement en Europe francophone. Déjà présente sur le territoire via la Librairie du Québec à Paris, la maison a choisi de confier à Harmonia Mundi Livre, dès janvier 2024, le soin de l’accompagner dans la diffusion-distribution d’une portion de son catalogue. Ce dernier compte aujourd’hui près de 150 titres et s’enrichit à raison de 10 à 12 livres par an.

En 2024, Héliotrope lancera ainsi un programme maîtrisé de huit titres, articulé autour du roman et du polar avec des écrivain.es phares de la maison comme Catherine Mavrikakis, Martine Delvaux, Vincent Brault et André Marois. Ça promet !

Par Laurent Pfaadt

Sigi, T1 opération Brünnhilde

Eric Arnoux, David Morancho, Sigi, T1 opération Brünnhilde
Chez Glénat, 64 p.

S’inspirant de Clärenore Stinnes (1901-1990), cette pilote automobile allemande qui réalisa un tour du monde en 1927 et dont on a aujourd’hui quelque peu oublié les exploits, Erik Arnoux qui travailla notamment sur les Aigles décapités et David Morancho nous content les aventures de Sigi, cette brune aux yeux bleus qui nous a immédiatement séduit. Empruntant à Stinnes son assistant suédois et jusqu’à sa Adler, ils composent une sorte de Phileas Fogg au féminin dont les aventures ne font que commencer.

Ce premier tome nous emmène ainsi aux Etats-Unis où après avoir réussi à vendre son projet, Sigi s’embarque pour New York. Mais si elle est parfaitement rôdée aux dangers de la conduite, ceux de la géopolitique lui sont inconnus et sans le savoir, elle devient le jouet d’une propagande nazie menée par un machiavélique Rosenberg bien décidé à démontrer la supériorité allemande. Les deux auteurs réussissent à allier grâce notamment aux espions et à l’atmosphère complotiste parfaitement distillée, aventures et thriller et à tenir en haleine le lecteur.

Centré autour des Etats-Unis post-western, le duo joue habilement des codes de ce dernier avec ses outsiders, ses pendaisons et ses bisons qui donnent un petit côté 1923 à l’album. Au final, un premier tome extrêmement prometteur dont on attend impatiemment la suite.

Par Laurent Pfaadt