Le continent africain était à l’honneur de la 20e édition du Cross-Culture Warsaw Festival
Depuis
vingt ans, le Cross-Culture Warsaw Festival pilotée par la Stoleczena Estrada
est devenu le rendez-vous incontournable de la world music dans la capitale
polonaise. Des plus connus comme Youssou N’Dour, Boubacar Traoré ou Femi Kuti
aux plus confidentiels, tous les artistes louent la qualité de ce festival
ainsi que l’attention portée aux artistes. Avec comme moteur la tolérance et
l’ouverture d’esprit, ce festival a ainsi fidélisé un public qui répond, chaque
année, présent, toujours aussi friand de ce choc des esthétiques tant attendu.
A
l’occasion de son vingtième anniversaire, le festival n’a pas failli à sa
réputation et a donné rendez-vous aux spectateurs pour un voyage fortement
teinté de couleurs musicales africaines. Il a cependant échu à Duk-soo Kim et à
l’ensemble Sinawi d’ouvrir cet arc-en-ciel musical avec leurs rythmes
chamaniques et la voix de pythie de sa chanteuse comme pour annoncer l’écho de
cet océan rythmique prêt à déferler dans ce palais de la culture transformé en
navire musical. Et avant d’atteindre les gradins du théâtre, les alizés du
festival ont traversé les îles d’un Cap Vert habitué à faire escale dans ce
port musical, cette fois-ci en compagnie d’Elida Almeida qui, en digne
héritière de la grande Cesaria Evora, séduisit des spectateurs qui n’en
demandaient pas tant. Drapée dans une magnifique robe orange, elle a ainsi
délivré sur des rythmes chaloupés entretenus par une basse et une batterie très
en verve, les titres de ses divers albums que le public a repris avec joie.
Il
était dit que nos marins seraient napolitains, jouant de la mandoline sur le
pont d’un navire dénommé le Suonno d’Ajere, et revisitant la chanson
traditionnelle et populaire de Naples. Et il était également dit que la figure
de proue de ce navire serait une sirène dénommée Irène Scarpato enveloppée dans
sa robe de lumière et battue par des flots de guitare et de mandoline. Avec sa
voix plongeant dans les graves, mélancolique à souhait et capable de chanter
tant la tragédie que la comédie, elle a émerveillé une Varsovie qui, pourtant,
s’y connaît en matière de sirène. « Nous sommes en même temps si
comiques et si dramatiques » s’est-elle plu à rappeler. Tantôt
Nausicaa receuillant son Ulysse, tantôt mégère invectivant le passant depuis
son balcon de la cité parthénopéenne, le Suonno d’Ajere fut un rêve
musical éveillé.
Il
fallut pourtant reprendre ses esprits, sortir de notre rêve car au loin, dans
le crépuscule du samedi, une tempête était sur le point d’éclater. Une tempête
bienveillante qui secoua les passagers de notre navire. Une tempête venue
d’Angola et nommée…Bonga. Mondialement connu notamment pour sa chanson Mona Ki Ngi Xica, Bonga, celui qui a
récemment fêté ses 82 ans et demeure une légende dans son pays – l’ambassadeur
d’Angola en Pologne avait fait pour l’occasion le déplacement – est alors monté sur scène, accompagné de son dikanza, ce bambou strié frotté par une baguette
et a distillé un semba dont il demeure assurément le maître et qu’il a magnifié
sur Homen do Saco ou Recordando Pio. Il n’a fallu que quelques
titres endiablés teintés de rumba congolaise ou de zouk antillais pour
embarquer une salle qui, très vite s’est mise à se mutiner dans des travées
transformées en un pont où régna une joyeuse anarchie. Les révoltés du Bounty
ont ainsi laissé la place aux possédés du Bonga qui, aux cris de Capo Lobo, ont
sonné la charge et n’ont quitté leur navire qu’à regret après avoir épuisé le
capitaine.
Ainsi dévasté par tant d’émotions, il ne restait plus qu’au groupe algérien Lemma et à Cheikh Lo qui suppléa brillamment Oumou Sangaré, de clore cette vingtième édition qui, comme les précédentes, restera longtemps dans toutes les mémoires.
Si
Varsovie a été quasiment détruite à l’issue de la seconde guerre mondiale,
l’histoire y est demeurée omniprésente
Une
ville pareille à un fleuve. Avec sa source souvent teintée de sang et son
estuaire qui regarde fièrement vers l’avenir. Les habitants de Varsovie ont
l’habitude de dire que l’histoire réside sous leurs pieds, dans la terre mêlée
de cendres et de ruines desquelles ont été tirées le béton de ces gratte-ciel
qui se dressent aujourd’hui fièrement tels la Varso tower, qui, du haut de ses
310 mètres, est la plus haute tour d’Europe. Du béton mais également le métal
de ces anciennes usines d’électricité ou de produits de placage et d’argent
reconverties en endroits branchés où se masse la jeunesse polonaise contribuant
ainsi à faire de la ville la destination touristique préférée des Européens en
2023. Sur la Nowy Swiat, la « Voie Royale », l’une des grandes artères
de la ville où les pierogis, les fameux raviolis, côtoient le khachapuri
géorgien, ce pain plat cuit à la poêle et garni d’un mélange de fromages et les
fast food, l’histoire irrigue depuis toujours et en permanence une ville à
nulle autre pareille, à l’image de cette Vistule qui la traverse et la
construit. Des pierres qui hier, édifiaient des usines, sont celles qui pavent
le chemin de ces jeunes Européens.
Une
ville à l’identité juive encore très marquée et symbolisée par le musée Polin,
institution culturelle retraçant brillamment et à grands renforts de pédagogie
l’histoire des juifs de Pologne qui a fêté cette année son dixième anniversaire
et qui se trouvait en plein ghetto. Ici près de 300 000 juifs y furent
regroupés avant d’être déportés depuis la sinistre Umschlagplatz vers le
camp d’extermination de Treblinka situé à une cinquantaine de kilomètres au
nord de la capitale polonaise. Situé en pleine forêt, le site mérite assurément
un détour pour la solennité de ce lieu hérissé de 17 000 pierres tombales où
près de 900 000 juifs périrent entre 1942 et 1943.
A
l’image des remous du fleuve, Varsovie peut être capricieuse, rebelle. Elle l’a
démontré à plusieurs reprises : par deux fois contre l’occupant allemand : en
1943 avec la révolte du ghetto puis en août 1944 avec sa fameuse insurrection
qui a fêté son 80e anniversaire mais également face au communisme
avec Solidarnosc et quelques espions tels Ryszard Kuklinski qui a donné
son nom à un nouveau musée de la guerre froide. Ayant rejoint l’Union
Européenne, les cataractes de l’histoire sont alors devenues musées tels celui
de l’insurrection de Varsovie avec, grâce à une scénographie parfaitement
réussie entre mitraillettes Sten et presses clandestines, de magnifiques
reconstitutions de rues ou d’égouts – sans les odeurs on vous rassure – où
circulaient les insurgés.
Ces
musées, à l’image des affluents de l’immense fleuve de histoire, ont fini par
converger vers de nouvelles institutions telles que le musée de l’histoire
polonaise, immense palais futuriste – la troisième saison de la série Fondation
sur Apple TV y a été tournée – regroupant espace muséal, bibliothèque, salles
de conférences, de musique – un auditorium capable d’accueillir 580 personnes
et un orchestre symphonique – et de cinéma et qui ambitionne de devenir, selon
le porte-parole de l’institution, Michal Przeperski, « l’endroit
culturel où il faut être ». Conçu par le WXCA Architectural Design Studio, le
complexe qui abrite également sur son esplanade le musée de l’armée et le futur
musée de Katyn est, avec ses 44 000 m² l’un des plus grands d’Europe. Sa
conception puise dans la métaphore de la pierre pour narrer l’histoire
polonaise. Cela tombe bien puisque l’une des premières expositions temporaires
s’attache à démontrer à travers le cinéma, la littérature ou les rites
funéraires, le pouvoir du storytelling. Un pouvoir que s’évertuera également à
dispenser, à partir de la création contemporaine, le nouveau musée d’art
contemporain dont l’ouverture est prévue à la fin du mois d’octobre. Des
pierres qui désormais ne résident plus sous les pieds des Varsoviens mais se
dressent vers le ciel comme pour écrire une nouvelle histoire.
Si l’histoire se trouve dans les abysses d’un fleuve dictant à la ville son destin et dans ces épreuves qui ont été souvent tragiques, elle résonne également dans ce ciel que Frédéric Chopin et aujourd’hui le Cross-Culture Warsaw Festival illuminent de leurs musiques. Autant dire que les remous d’une ville toujours en effervescence n’ont pas fini de résonner et de séduire tous ceux qui voudraient se plonger dans ce fleuve multiculturel en perpétuel mouvement.
Par Laurent Pfaadt
Où
dormir : Le Motel One Warsaw-Chopin situé en face du Musée
Chopin offre d’excellents services et un excellent Urban Breakfast Bio qui vaut
le détour. Chambre à partir de 73 euros.
Où
manger : Les deux restaurants The Eater propose de
merveilleux plats revisités de la cuisine polonaise notamment des pierogis, la
spécialité nationale, ces succulents raviolis fourrés dans leur sauce au yaourt
ou des panko crusted potatoes, des croquettes de pommes de terre
fourrées au fromage.
Anna Wojtkowiak est la directrice adjointe de Stołeczna Estrada, l’institution culturelle qui organise et gère le Cross-Culture Festival de Varsovie. Pour Hebdoscope, elle revient sur l’histoire de ce festival devenu un rendez-vous incontournable de la world music en Pologne.
Quel
est le but principal de ce festival ?
Vous
savez, Varsovie a beaucoup changé et le festival a, lui aussi, beaucoup évolué.
Mais nous ne nous sommes jamais éloignés de notre but premier qui est de
favoriser la tolérance entre les cultures et une ouverture d’esprit. Les débuts
en 2005 n’ont pas été faciles mais le festival s’est aujourd’hui imposé et
dispose d’un public fidèle et important. En vingt ans, c’est 280 artistes venus
de 77 pays et six continents qui se sont produits durant ce festival.
Un
festival qui ne se résume pas uniquement qu’à la musique…
Oui,
vous avez raison. Des tables rondes sont également organisées pour évoquer les
grandes tendances qui traversent le monde. C’est important pour la ville et ses
habitants d’être associés, via ce festival, à la marche du monde. C’est
pourquoi nous organisons des échanges entre des artistes polonais et étrangers.
Notre festival a contribué à sa façon, je pense, à faire de Varsovie une ville
multiculturelle. Nous avons été, en quelque sorte, l’étincelle.
Un
monde dans lequel Varsovie a toute sa place
Exactement.
Il aide à déconstruire un certain nombre de stéréotypes en mettant l’accent sur
la différence, l’altérité et surtout sur le fait que les autres, par-delà les
continents, vivent et ressentent les mêmes choses que nous. Nous sommes certes
différents mais nous nous rejoignons sur un certain nombre de choses, voilà le
message que nous véhiculons à travers nos actions. Et quelques fois, le
festival peut changer des vies.
Comment
cela ?
Nous
avons vécu une expérience incroyable avec un groupe d’enfants venu du Burkina
Faso, en 2009. C’était leur premier déplacement hors du pays. Il sont venus
ici, au festival et en rentrant, ils ont fondé un groupe de jeunes musiciens.
Six ans plus tard, ils se sont produits lors d’un concert jeune public organisé
par le festival. C’est ici que leur carrière internationale est née et cela
nous rend très fiers.
Durant
ces vingt années d’existence, si vous ne devez conserver qu’un seul souvenir,
lequel choisiriez-vous ?
Quelle question difficile ! Mais je dirais tout de même cet artiste venu de Pakistan. Il s’est dégagé quelque chose, ce soir-là, qui est allé au-delà de la simple musique. Ce fut un moment de grâce absolue. Ce fut si incroyable, si mystique que j’en ai pleuré. Et je n’étais pas la seule ! Voilà ce que je garderai avec moi même s’il y a, chaque année, des moments, des émotions incroyables !
Entre
calanques et football, la ville rayonne sur la Méditerranée
Ici,
les eaux de Poséidon guident le destin des hommes, d’où qu’ils viennent et cela
depuis plus de 2600 ans, depuis que les Phocéens, les habitants de la cité
ionienne de Phocée, fondèrent la colonie de Massalia. De la Méditerranée qui a
dessiné ses côtes amenant à elle des peuples qui ont trouvé refuge dans son
sein et formant aujourd’hui cette ville-monde à nulle autre pareille, à
l’Arménie où ils furent des milliers à prier la Bonne Mère, cette Vierge
dressée sur l’Ararat qui abandonna ses fils et ses filles en 1915 en passant
par un archipel d’îles océaniques se regardant dans ce miroir maritime,
Marseille possède la mer dans son ADN. Elle imprègne les hommes, leurs
paysages, leurs cultures et même leurs voix avec cet accent qui module comme un
chant de sirènes qui se veut à la fois enchanteur et aigre-doux.
Avec
son trident, le dieu de la mer a dessiné les côtes et ses fameuses calanques
qui, dit-on, se méritent. Il a morcelé ces falaises de calcaire et de poudingue
qui s’étendent le long des flancs blancs comme de l’albâtre antique de
Marseille notamment au sud de la ville dans un parc national des Calanques aux
allures de paradis. Il a sculpté les merveilleuses îles du Frioul qui servaient
autrefois de quarantaine aux voyageurs suspectés d’apporter la peste avant de
devenir le refuge de Marseillais fuyant l’agitation nerveuse de la ville.
A Marseille, Poséidon a son temple : le MUCEM, le musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée où il a enfermé ses fils qui ont fait de ce lieu à l’architecture résolument contemporaine l’écrin de la culture marseillaise. Sur ces côtes, il a également amené les muses qui ont inspiré ces autres dieux de papier comme Alexandre Dumas qui fit du château d’If le lieu immortel de son Comte de Monte-Cristo et Marcel Pagnol qui inscrivit les collines d’Aubagne dans la mémoire littéraire française. Des muses qui se penchèrent également sur la musique en particulier sur le berceau du rap avec le mythique groupe IAM et plus récemment JUL et SCH mais également Massilia Sound System, Patrick Fiori ou Soprano.
Le cœur du dieu bat indiscutablement à l’Orange Vélodrome où chaque résultat des hommes en bleu et blanc est commenté dans les bars et les rues, à commencer sur la fameuse Canebière, cette artère qui traverse le centre ville et donne le pouls d’une passion divine. Ici, le football n’est pas un sport, c’est une religion et les joueurs sont vénérés tels des demi-dieux grecs. Ils ont d’ailleurs été nombreux, anciens et actuels joueurs du club à rappeler, durant cette semaine olympique, l’Iliade footballistique de la ville où l’arrivée de la flamme ne fut qu’un fleuve traversant la mythique Troie du ballon rond, un Pactole tant touristique dans lequel se sont baignés des générations entières de Marseillais qui ont gravé leurs rêves sur les murs de la ville.
Il n’y a qu’à se rendre au stade pour s’en rendre compte. Dès l’entrée du métro, on ressent la communion d’une armée transgénérationnelle prête à la guerre. A l’occasion du dernier match à domicile d’une saison marquée par une demi-finale de coupe d’Europe, haut lieu de batailles homériques conjuguant Thermopyles – elle est à ce jour la seule équipe française à avoir gagné la coupe d’Europe des clubs champions, exploit qu’elle ne manque pas de rappeler avec son fameux « A jamais les premiers » – et Marathon, l’OM recevait de modestes Bretons condamnés aux enfers de la Ligue 1. Poséidon fut ce soir-là aidé d’un Hadès pourtant bien versatile avec les Olympiens cette saison. Le spectacle fut tout autant sur le terrain que dans les tribunes où les principaux groupes de supporters (South Winners, Dodger’s, Ultras) se répondirent aux cris de « Aux armes, nous sommes les Marseillais. Et nous allons gagner. » Et dans cette arène transformée en chaudron, Poséidon avait cédé, le temps d’un exploit, son trident à ces demi-dieux du ballon rond qui surent, cette fois-ci, en faire bon usage.
Deux ans de guerre. Une invasion. Des violations du droit international. Le retour de la guerre en Europe.
Deux ans d’exils, de morts, d’enfants kidnappés, de crimes de guerre que l’on pensait définitivement oubliés. Quatre-vingt ans plus tard, Kiev a été une nouvelle fois bombardée. A Kharkov, les cendres de la bataille se sont rallumées.
Deux ans de combats, acharnés. Un front stabilisé, une contre-offensive ratée. Des généraux limogés. Des morts par dizaines de milliers. Des pères. Des fils. Mais aussi des mères, des filles qui se battent sur le front et montrent que le combat pour la liberté de l’humanité est l’affaire de tous.
Deux ans de résistance d’un peuple magnifique, au courage incommensurable. Un exemple pour le monde entier. Des noms gravés dans la légende : Marioupol dont le documentaire de Mystyslav Chernov, 20 jours à Marioupol, vient d’obtenir l’oscar du meilleur film documentaire, Kherson ou Hostomel.
Et
puis le 16 février arriva une nouvelle en provenance de ces terres gelés de
l’Arctique où bon nombre d’Ukrainiens hostiles au régime soviétique avaient été
envoyés par le passé : Alexeï Navalny vient de mourir dans son
pénitencier. Le maître du Kremlin est parvenu à ses fins : écraser toute
résistance à son pouvoir qu’il s’agisse d’un puissant seigneur de guerre, d’un
modeste pilote d’hélicoptère ou d’un opposant politique. Mais pour combien de
temps encore ?
Ce
huitième épisode de bibliothèque ukrainienne se place sous le signe de la
résistance. De tous ceux qui, durant l’histoire ont défié et continuent de
défier, au nom de l’Ukraine, ces tsars rouges ou noirs qui ont dirigé depuis
plus d’un siècle la Russie ou ses avatars.
Aujourd’hui,
près de 700 bibliothèques ont été endommagées dans tout le pays. Le 19 mars
2024, l’armée russe a détruit le nouveau bâtiment de la bibliothèque publique
de Velyka Pysarivka au nord-ouest de Kharkiv, à la frontière russe. Trois jours
plus tard, celle de Byjmerivska, dans la région de Soumy, a été pulvérisée. Le
25 mars, l’armée russe a détruit le bâtiment de l’Académie d’État des arts
décoratifs, appliqués et du design de Kiev qui porte le nom de Mykhailo Boichuk
(1882-1937), peintre ukrainien appartenant à la génération de la Renaissance
fusillée.
Malgré
cela, des résistants continuent à œuvrer pour que les bibliothèques, le livre,
le savoir et la culture ukrainiens subsistent. Pour que d’autres puissent
continuer à écrire et trouver leurs places dans ces bibliothèques ukrainiennes
qui, partout, se reconstruisent. Comme dans la bibliothèque publique de
Trostianets dans la région de Soumy où un nouvel espace pour jeunes lecteurs a
été ouvert après la libération de la ville en mars 2022.
Ce
nouvel épisode de bibliothèque ukrainienne souhaite également rendre hommage
aux artistes et hommes de lettres tombés au front : Oleh Shemchuk,
journaliste d’investigation et écrivain, auteur de Seven Days in the White
World, le journaliste Volodymyr Petrenko, le poète Maksym Kryvtsov, et de
nombreux professionnels du théâtre, de la télévision ou de la musique comme le
chef de l’orchestre philharmonique de Kherson, Yuri Kerpatenko, abattu à
travers la porte de son appartement le 27 septembre 2022 pour avoir refusé de
diriger un concert organisé par les forces russes d’occupation.
Bienvenue
dans ce nouvel épisode de bibliothèque ukrainienne.
Simon Schuster, Nous vaincrons, le journal de guerre de Volodymyr Zelensky traduit de l’anglais (États-Unis) par Cécile Leclère Harper Collins, 480 p.
Volodymyr
Zelensky est bien évidemment le premier résistant à la puissance russe et à son
tsar, Vladimir Poutine, qui tenta à plusieurs reprises de l’assassiner
notamment le 6 mars dernier alors que le président ukrainien se trouvait en
compagnie du Premier ministre grec, Kyriakos Mitsotakis. Zelensky, l’acteur
d’une série télévisée devenu celui d’une nation en péril et de la marche du
monde. L’acteur d’une paix qui ne tient plus qu’à un fil. Pendant plusieurs
mois, Simon Schuster, journaliste russo-américain à Time Magazine a eu accès au
président ukrainien ainsi qu’à son gouvernement, à l’état-major et l’a suivi
pour en tirer cette biographie aux accents de journal de guerre.
Le
titre en français, Nous vaincrons, pourrait laisser croire à des
mémoires. Il n’en est rien même si Volodymyr Zelensky se confie abondamment.
Son titre en anglais, The Showman est plus explicite car il monte la
lente transformation de cet acteur de télévision, un peu naïf et drôle en chef
de guerre implacable doublé d’un stratège militaire et d’un communiquant hors
pair. Même si lire les évènements de cette guerre à travers les yeux du
président ukrainien est éminemment fascinant, l’attrait majeur du livre est
avant tout dans la transformation de cet homme que rien ne prédestinait à un
tel destin. Comment il a su s’adapter à sa nouvelle fonction mais surtout aux
circonstances en utilisant ses aptitudes pour devenir cet incroyable
communiquant qui a brisé l’invasion russe. Au cours de ses nombreux entretiens
avec Volodymyr Zelensky y compris avant l’élection de ce dernier, Simon
Schuster montre que les héros, tout comme les tyrans d’ailleurs, naissent
souvent chez des gens ordinaires confrontés à des situations extraordinaires.
Elena Kostioutchenko, Russie, mon pays bien aimé, traduit du russe par Anne-Marie Tatsis-Botton, Emma Lavigne Aux éditions Noir sur Blanc, 400 p.
En
Russie, les opposants sont comme les têtes d’une hydre. Sitôt coupées, elles
finissent immanquablement par repousser. C’est juste une question de temps.
Celle de Boris Nemtsov a été remplacée par celle d’Alexeï Navalny qui, sitôt
éliminée, lui a succédé celle de son épouse Ioulia Navalnaïa. Il a fallu
attendre quelques années après son élimination pour voir celle d’Anna
Politkovskaïa, cette journaliste intrépide qui dénonça les manipulations et les
ravages de la guerre en Tchétchénie. Assassinée dans le hall de son immeuble en
octobre 2006, elle a donné naissance à de nouvelles têtes et notamment à celle
de Elena Kostioutchenko, reporter pour Novaïa
Gazeta. Et l’ombre de Politkovskaïa
n’est jamais bien loin, ses mots « surgissent dans n’importe quelle
conversation. Ils changent à mesure qu’ils sont racontés pour atteindre leur
signification maximale » et se retrouvent dans les rêves et les
cauchemars d’une journaliste qui même en fuyant la Russie, a fait l’objet comme
Nalvany, d’une tentative d’empoisonnement en Allemagne.
Autre
guerre mais même combat contre un homme qui mène son pays à la ruine. Notre
journaliste part ainsi, dès mars 2022 pour le front afin de dire aux Russes la
réalité de cette guerre que Poutine mène en leur nom. Russie, mon pays bien
aimé est le résultat de ces enquêtes. C’est un livre fort, puissant. Rien
n’est omis car être journaliste c’est dire la vérité comme le rappelle la
quatrième de couverture. Une vérité tirée de ces rêves de liberté que porta
Anna Politkovskaïa.
Yves Ternon, Makhno, la révolte anarchiste, 1917-1921, le goût de l’histoire Les Belles Lettres, 288 p.
Il y
a plus d’un siècle, entre 1917 et 1921, en Ukraine, Nestor Makhno, un jeune
militant anarchiste aujourd’hui vénéré comme un héros, mena une révolte de
partisans en soulevant une partie de la paysannerie ukrainienne. La
Makhnovitchina fut ainsi « le cri du village ukrainien » qui
se heurta très vite aux désillusions nées après la révolution d’octobre. En
juin 1918, Makhno alla même jusqu’à rencontrer Lénine au Kremlin avant de se
réfugier à Paris en 1926 après la fin de la révolte et la trahison par les
bolcheviks de cet idéal libertaire.
Yves
Ternon évoque cette épopée dans un livre passionnant tiré de la très belle
collection le goût de l’histoire et resté longtemps indisponible. Il nous
emmène dans ces campagnes où le noir de la terre se mêla à celui du drapeau
anarchiste face au blanc tsariste et au rouge bolchevique. Ce livre résonne
d’autant plus fortement aujourd’hui dans une mémoire ukrainienne qui a subi et
subit toujours les assauts d’une Russie qui a tout fait pour diaboliser Makhno
alors que, comme le rappelle Yves Ternon, ce dernier « fut le
révélateur, l’intermédiaire entre un peuple et son entrée dans l’histoire,
l’élément diastasique qui accélère la création.»
Joseph Kessel, Makhno et sa juive Folio, 98 p.
En
complément de l’ouvrage d’Yves Ternon, il faut relire le Makhno et sa juive
de Joseph Kessel qui peut être vu à travers ce miroir déformant des mémoires
ukrainiennes et russes. Tout commence dans un café parisien. Un Russe blanc,
ancien officier du tsar raconte l’histoire d’un homme, Nestor Makhno qui se
rebella contre le pouvoir bolchevique. Qualifié de bandit cruel et assoiffé de
sang par ses ennemis, il perpétra massacres et autres exactions à la tête d’une
jacquerie paysanne avant d’être ensorcelé par une jeune fille juive qui le
sauva de la barbarie.
Une
sorte de belle et la bête dans le tumulte de la révolution d’octobre. Une
histoire magnifiée par la plume d’un Joseph Kessel, lui-même russe blanc, mais
teinté d’un antisémitisme problématique. «Makhno n’aimait pas les juifs. Si
tuer des orthodoxes lui était un simple plaisir, massacrer les juifs lui
apparaissait comme un véritable devoir. Il l’accomplissait avec zèle »
écrivit ainsi Kessel.
Pour
démêler le vrai du faux, il faut revenir à l’ouvrage d’Yves Ternon qui estime
que « l’antisémitisme était si profondément gravé dans la structure
mentale du paysan ukrainien qu’il paraît difficile d’imaginer le mouvement
makhnoviste épargné par cette gangrène » avant de poser la
question : Makhno fut-il ou non un antisémite ? » Et
l’auteur de nous rappeler que les juifs jouèrent un rôle important dans les
mouvements makhnovistes et que certains révolutionnaires juifs y occupèrent de
hautes fonctions. Et si le paysan et le juif vivaient côte-à-côte en Ukraine « sans
se comprendre », les pogroms que Makhno dénonça furent essentiellement
le fait de véritables bandits paysans associés à tort au mouvement makhnoviste
et mais également de cosaques.
Un
livre à lire d’abord pour ce qu’il est : un magnifique roman d’aventures.
Sébastien Gobert, L’Ukraine, la République et les oligarques, comprendre le système ukrainien Aux éditions Tallandier, 352 p.
La
formidable résistance des Ukrainiens s’exerce également à l’intérieur de leur
pays qui, on l’a peut-être un peu oublié, reste l’autre contrée des oligarques.
C’est d’ailleurs ce qui expliqua la frilosité de l’Union européenne à vouloir
précipiter l’entrée du pays dans l’UE malgré une accélération du calendrier. « Les
Ukrainiens résistent contre la guerre que leur mène la Russie depuis 2014. Ils
sont en conflit contre leur propre corruption depuis plus de trente ans. C’est
dans la lutte qu’ils se sont formés ; c’est dans la lutte qu’ils entendent
préserver leurs acquis et défendre leur droit à l’avenir » écrit ainsi
Sébastien Gobert.
A
travers une galerie politique fascinante d’une Ukraine qui a donné six
présidents et seize premiers ministres depuis la fin de l’URSS, de Leonid
Koutchma, ancien apparatchik devenu Président entre 1994 et 2005 et instigateur
du système des oligarques à Volodymyr Zelenski en passant par Viktor
Ioutchenko, Petro Porochenko, le « réformateur en chocolat » et le
pro-russe Victor Ianoukovitch surnommé le « kleptocrate » et dont le
palais présidentiel symbolisant l’outrance de ses prévarications, devint un
musée de la corruption, l’auteur analyse avec brio ce système, cette
« république » des oligarques, les différences de cette dernière par
rapport à son homologue russe avec qui elle entretint, selon les protagonistes,
des liens forts, mais également la confiscation de l’espace public et des
richesses du pays. Un système donné pour mort notamment depuis Maïdan qui a
pourtant montré toute sa résilience et sa capacité d’adaptation mais qui doit
faire face à des évolutions économiques et sociales portées par une société
civile avide de justice. Nourri d’une douzaine d’années de reportages et de
rencontres, son enquête passionnante plonge ainsi au cœur d’un système né au
milieu des années 1990 et qui fait face aujourd’hui à un désir d’Europe
accéléré par la guerre et qui a conduit le peuple à mener plusieurs
révolutions.
Volodymyr Zelensky, lui-même porté au pouvoir par un oligarque, a promis de mener cette autre guerre. « Nous vaincrons » a-t-il dit. Nous verrons.
Parmi les 4240 candidatures émanant de 74 pays dont 19 venues du monde arabe, soit une hausse de 34 % par rapport à l’an passé ce qui traduit incontestablement un regain de notoriété mais également comme le rappelle le Dr Ali Bin Tamim, secrétaire général du Sheikh Zayed Book Award « la richesse culturelle et la vitalité intellectuelle du paysage littéraire arabe d’aujourd’hui », ce dernier a communiqué ses finalistes dans les différentes catégories du prix.
Parmi
ces derniers figurent quelques écrivains à surveiller. Et en premier lieu, dans
la catégorie reine, celle de la littérature, l’auteure égyptienne Reem
Bassiouney, victorieuse du prestigieux prix Naguib Mahfouz en 2020 pour son
livre The Mamluk Trilogy et qui fait figure de favorite avec son nouvel
ouvrage Al Halawani: The Fatimid Trilogy (The Sicilian, the Armenian, the
Kurd) qui raconte à travers les figures de Jawhar Al-Siqilli (Le Sicilien)
général fatimide de la fin du Xe siècle qui fonda la ville du Caire
(al-Qahirah) et la grande mosquée al-Azhar, Badr Al-Djamali (L’Armenien), cet
ancien esclave arménien devenu général et Youssef Ibn Ayoub, plus connu sous le
nom de Saladin (Le Kurde), général victorieux des croisés à Hattin en 1187, l’
histoire de cette dynastie descendante du prophète qui régna sur l’Egypte. Son
livre est intitulé Al Halawani « le confiseur », surnom donné
à Jawhar Al-Siqilli qui fut un confiseur avant d’embrasser une carrière
militaire.
Non traduite pour l’instant en français, cette incroyable histoire délicieuse comme une boîte de katayef, ces pâtisseries farcies de crème de lait ou de pistaches, séduira à n’en point douter les lecteurs français dans un proche avenir. Reem Bassiouney aura face elle l’écrivain jordanien Jalal Barjas, lauréat de l’International Prize for Arabic Fiction en 2020, avec son nouveau livre The Duduk’s Whimper et l’écrivain et journaliste libanais Hassan Daoud dont les livres notamment Cent quatre-vingt crépuscules (2010) ont été publiés en France chez Actes Sud.
Dans la catégorie jeune auteur, plusieurs romanciers et essayistes figurent parmi les finalistes. Parmi eux, Mustapha Rajouane, déjà sélectionné en 2021 et qui revient avec Vivre pour raconter : l’imagination éloquente dans Kalīla wa-Dimna (Na’eesh li-Nahki: Balaghat al-Takhyeel fi Kalila wa Dimna, Publishing and Distribution House, 2023). Il disputera le prix à deux universitaires, le yéménite Dr Alawi Ahmed Al Malgam pour La sémiotique de la lecture : une étude de l’interprétation du Diwand’Al-Mutanabbi au septième siècle (Simya’iyat al-Qira’a: Dirasa fi Shurooh Diwan al-Mutanabbi fi al-Qarn al-Sabe’ Hijri (Kunouz Al-Ma’refa Publishing and Distribution House, 2023) et le tunisien Dr Houssem Eddine Chachia pour Le paysage morisque : récits d’expulsion dans la pensée espagnole moderne (Al Mashhad al-Moriski: Sardiyat al-Tard fi al-Fikr al-Espani, Centre for Research and Knowledge, Intercommunication, 2023)
La France sera à nouveau représentée dans la catégorie culture arabe dans une autre langue où Florence Ollivry, autrice d’un Louis Massignon et la mystique musulmane : analyse d’une contribution à l’islamologie (Brill, 2023), tentera avec cet ouvrage consacré au grand islamologue français de succéder à Mathieu Tillier, couronné l’an passé. Elle aura pour concurrents deux universitaires allemands (Thomas Bauer et Frank Griffel), l’italienne Antonella Ghersetti et l’américain Eric Calderwood, auteur du remarqué On earth or in Poems : Many Lives of al-Andalus (Harvard University Press, 2023). Côté traduction, Italo Calvino dont on a fêté le centenaire de la naissance en 2023, Arthur Schopenhauer et Giambattista Vico seront à l’honneur.
Tous les finalistes du Sheikh Zayed Book Award seront une fois de plus placés sous le patronage du département de la culture et du tourisme d’Abu Dhabi et de son centre de langue arabe présidé par le docteur Ali Bin Tamim. Chaque lauréat se verra remettre un chèque de près de 187 000 euros lors de la Foire Internationale du livre d’Abu Dhabi qui se tiendra du 29 avril au 5 mai 2024.
De récentes découvertes archéologiques aux Emirats Arabes Unis et une volonté politique en Arabie Saoudite viennent confirmer que la péninsule arabique constitua un carrefour culturel et marchand de premier plan. Aux Emirats Arabes Unis, l’importance accordée à l’archéologie pré-islamique ne date pas d’hier, bien au contraire. Si les première fouilles datent des années 1950 notamment celles de l’île de Sas Al Nakhl, la nouvelle campagne de fouilles a ainsi révélé que l’île fut un important port de la culture Umm an-Nar de l’âge du Bronze (2700-2000 avant J-C).
Le
père fondateur du royaume, le Cheikh Zayed Al-Nahyane comprit très vite que la
connaissance par le peuple de l’histoire de sa nation constituerait un puissant
ciment de cohésion nationale du nouvel état ainsi qu’un important levier de
développement « Notre père fondateur, le cheikh Zayed a joué un rôle
déterminant dans la compréhension de l’histoire d’Abu Dhabi grâce à sa passion
pour la terre et le peuple des Émirats arabes unis. L’ambitieux programme
archéologique du DCT Abu Dhabi est un engagement à perpétuer cet héritage pour
découvrir, préserver et éduquer sur notre passé » a ainsi déclaré S.E.
Mohamed Khalifa Al Mubarak, président du DCT Abu Dhabi, l’instance
gouvernementale chargée de la promotion et du développement du tourisme
national et international.
Les
nouvelles fouilles menées ont ainsi confirmé que l’île de Sas Al Nakhl fut un
important carrefour du commerce de métaux, de perles bien évidemment mis en
valeur par le nouveau musée de l’île de Derma et d’un bien jusqu’alors
inconnu : le bitume importé de Mésopotamie et qui servait essentiellement
à l’étanchéité des bâteaux. Plusieurs dizaines de milliers d’ossements ont
également mis en lumière les habitudes alimentaires des habitants de l’île
composées principalement de poissons, d’oiseaux de mer et de mammifères
notamment le dugong, un mammifère marin très répandu dans l’Océan indien et en
Mer rouge.
Ces
découvertes viennent ainsi enrichir un peu plus un patrimoine archéologique
pré-islamique important qui comporte notamment les sites d’Al Ain, classés au
patrimoine mondial de l’UNESCO ou le monastère chrétien de l’île de
Siniyah (VIe siècle) dans l’émirat d’Omm al Quaïwaïn. Un patrimoine
archéologique qui trouvera toute sa place dans le nouvel écrin muséal du
quartier Al Saadiyat d’Abu Dhabi, le musée national Sheikh Zayed à
l’architecture originale qui doit, en principe, ouvrir ses portes en 2025.
En
Arabie Saoudite, l’évolution et la connaissance du passé pré-islamique ont
longtemps été minorées. Pendant des décennies, les sables du désert et de
l’Islam avaient, dans ce pays où se trouvent les deux principaux lieux saints
de l’Islam, recouverts un passé archéologique pourtant d’une beauté
stupéfiante. Aujourd’hui, sous l’impulsion du prince Mohammed Ben Salmane, les
trésors et vestiges pré-islamiques s’affichent dans les plus grands quotidiens
et des spots publicitaires lors des mi-temps de matchs de football invitent les
touristes du monde entier à venir les visiter. Parmi ces trésors figurent
incontestablement le site de Madâin Sâlih situé à une vingtaine de kilomètres
d’Al-Ula, un lieu magique entre la nabatéenne Petra en Jordanie et le film
Dune. D’ailleurs, la comparaison avec le joyau jordanien n’est pas fortuite
puisque Madâin Sâlih abrite les vestiges de la cité de Hegra édifiée par ces
mêmes nabatéens, premier site saoudien à avoir été inscrit sur la liste de
l’UNESCO (2008) et surnommé la « seconde Petra ».
Le
site d’Al-Ula devrait faire l’objet d’un projet faramineux de la taille de la
Belgique porté par une société française et combinant parc naturel, touristique
et archéologique. Signe de cette nouvelle promotion touristique, l’exposition
« Al-Ula, Merveille d’Arabie » au musée du palais de la cité
interdite de Pékin qui fait suite à celle qui s’est tenue à l’Institut du monde
arabe à Paris entre octobre 2019 et mars 2020, et résultante d’une coopération
entre l’Arabie Saoudite, la France et la Chine invite les visiteurs chinois à
prendre conscience de la magnificence du patrimoine archéologique saoudien.
Plusieurs millénaires après l’âge du bronze, cette exposition inscrit ainsi un peu plus la péninsule arabique au centre des échanges entre Asie et Europe. Un carrefour qui n’a certainement pas fini de révéler tous ses secrets et ses merveilles.
Le festival Italissimo consacré aux littératures
italiennes est de retour du 2 au 7 avril 2024
Après
une édition 2023 marquée par une programmation conjointe avec le festival du
Livre de Paris, ITALISSIMO revient pour sa neuvième édition du 2
au 7 avril 2024 avec quelque trente-cinq écrivains.
Comme
tous les ans, le public aura l’occasion de rencontrer les écrivains
emblématiques du paysage éditorial italien, ainsi que d’en découvrir les
nouvelles plumes, récemment traduites en français. Lectures, rencontres,
projections, ateliers de traduction, d’écriture, jeunes publics, spectacles,
rencontres scolaires, vont rythmer ces jours de festival.
Cette
année Paolo Giordano sera la tête d’affiche de cette nouvelle édition. L’auteur
du désormais cultissime La solitude des nombres premiers, prix Strega, le
Goncourt italien, en 2008 et paru au Seuil en 2009 conduira une délégation
d’écrivains transalpins désormais connus du grand public et composée des prix
Strega Mario Desiati (2019) et Nicola Lagioia (2015) mais également de Lisa
Ginzburg, autrice du remarqué Sous ma carapace (Verdier, 2023) ou
d’Alessandro Barbaglia et son remarquable coup du fou (Liana Levi,
2022), un roman encensé par Daniel Pennac « qui l’offre à tout le
monde » et que nous avions chroniqué : http://www.hebdoscope.fr/wp/blog/la-guerre-des-echecs-aura-lieu/
L’auteur
de la saga Malaussène sera lui-aussi présent puisqu’il lira à la Maison de la
Poésie Le Lynx (Liana Levi, 2012) de Silvia Avallone. D’autres
auteurs comme Marco Missiroli (Chaque fidélité, Calmann-Lévy, 2019)
et Rosella Postorino, autrice il y a
quelques années de La goûteuse d’Hitler (Albin Michel, 2019), prix Jean
Monnet complèteront cette pléiade d’héritiers de Dante et d’Alberto Moravia.
La
Maison de la Poésie comme l’Institut Culturel italien, la Maison de l’Italie,
la Sorbonne ou Science Po seront à nouveau les repaires de nos héros
littéraires transalpins. C’est d’ailleurs dans la prestigieuse institution de
la rue Saint Guillaume que tout débutera avec Karine Tuil et Paolo Giordano.
Tous ces auteurs évoqueront à coup sûr la mémoire de Goliarda Sapienza, la géniale autrice de L’art de la joie (Viviane Hamy) dont 2024 marquera le centenaire de la naissance. Pour l’occasion, un documentaire sera projeté. Côté cinéma, le réalisateur Edoardo de Angelisprésentera Commandant, son nouveau film écrit avec Sandro Veronesi tandis qu’une rencontre professionnelle sur l’édition en France et en Italie se tiendra à l’Institut Culturel italien. Enfin, cette fête de la littérature italienne ne serait pas totale sans la présence du plus italien des auteurs français, Jean-Baptiste Andrea, récent prix Goncourt pour Veiller sur elle (L’Iconoclaste), magnifique saga italienne, qui dialoguera avec Giuseppe Catozzella, auteur de Brigantessa (Buchet-Chastel, 2022), prix des lecteurs aux littératures européennes de Cognac en 2023. Ainsi, quelques mois avant les JO, Paris deviendra l’Olympe des dieux…littéraires italiens.
Plusieurs publications mettent en valeur la civilisation japonaise
Le Japon fascine toujours autant. Pourtant, il reste encore, aux yeux de l’Occident, méconnu. Pour s’immerger dans la culture japonaise et y voir un peu plus clair, rien de tel que d’entrer dans le dictionnaire amoureux du Japon de Richard Collasse. L’ouvrage de la collection des dictionnaires amoureux de Plon évoque aussi bien le réalisateur Akira Kurosawa que le Sakura qui « de tous les fantasmes que suscite le Japon, celui du cerisier en fleur, est sans doute le plus ancré dans l’esprit du commun des mortels » en passant par les Shotengai, ces allées commerçantes formant des agoras sociales et le Kyotographie, le premier festival international de photographie au Japon, permet ainsi de découvrir une société complexe, fascinante et parfois déconcertante.
A l’origine, le Japon fut une île de chasseurs-cueilleurs. C’est ce que montre parfaitement le nouveau volume fascinant de la collection des Mondes anciens de Belin. Se fondant sur les dernières découvertes archéologiques, leurs auteurs, Laurent Nespoulous et Pierre François Souyri estiment que les premiers signes d’une activité humaine dans l’archipel remonteraient à 38 000 ans avant J-C. Ces premiers chasseurs-cueilleurs nomades se regroupèrent ensuite dans ce qui constitua les prémisses de structures communautaires organisées en anneaux.
Les troisième et quatrième siècles de notre ère virent ensuite l’émergence d’un pouvoir politique qui, au fil des siècles, se structura. Comme à chaque fois, dans cette magnifique collection richement illustrée, cartes, plans et photos viennent illustrer un propos fort pertinent. Des focus servent également à illustrer des moments-clés ou des bascules de l’histoire comme celui, par exemple, autour du temple bouddhique du Horyu-ji qui est peut-être le plus vieux bâtiment en bois du monde mais montre surtout le poids pris d’une religion devenue en 645, religion d’État. Cette époque – l’ouvrage réserve également des découvertes surprenantes – fut également celle du règne de monarques féminins (VIIe et VIIIe) symbolisé notamment par la mythique Himiko.
Si l’ouvrage prend également soin d’explorer les différentes parties de l’archipel – la partie consacrée à l’île septentrionale d’Hokkaido et aux relations avec les Aïnous est fort intéressant – Laurent Nespoulous et Pierre François Souyri se focalisent sur l’ère d’Heian-Kyo, l’ancien nom de Kyoto, fondée en 794 et qui va structurer le Japon pendant plus de mille ans. A ce titre les deux auteurs estiment que « Heian incarne souvent dans l’imaginaire japonais le premier Japon, celui que l’on a tendance à projeter sur les époques antérieures tant il apparaît comme une évidence ».
Déambulant littérairement dans les rues de Kyoto, le lecteur suit Pierre François Souyri dans son autre ouvrage, sa nouvelle histoire du Japon actualisée, à travers les ateliers de luxe fabriquant les plus beaux kimonos en soie et à la rencontre des shoguns, des daimyô et bien évidemment des samouraïs, ces barbares devenus fréquentables et qui vont au cours des siècles suivants, occuper des quartiers entiers de la capitale et se hisser jusqu’aux sommets d’un pouvoir qui, notamment durant l’ère Tokugawa se caractérisa par une stabilité institutionnelle ainsi qu’un essor économique durable.
Tout en s’affranchissant de poncifs, Pierre François Souyri insère le Japon dans une histoire globale où quelque soit les civilisations, les mêmes causes produisent souvent les mêmes effets. Ainsi, à la suite de l’ouverture de l’ère Meiji marqué par le transfert de la capitale à Tokyo (1869) et la marginalisation des samouraïs, la dérive d’un empire durant ce qu’il appelle les « années noires » marquées par la corruption et la peur du communisme, conduisit à la catastrophe de la seconde guerre mondiale. « Le coût et l’entretien d’un empire et d’une armée considérable pèse trop sur les finances au moment où la croissance tend à faiblir » écrit ainsi l’auteur.
Une armée perçue par les Japonais comme un moyen d’ascension sociale et qui, idéologisée et fanatisée, précipita ses enfants dans l’abîme de batailles terribles comme à Okinawa en 1945 (voir interview d’Ivan Cadeau). Mais à la différence de l’Empire romain, l’institution impériale subsista, permettant la sauvegarde et la cohésion d’une civilisation qui, aujourd’hui encore, conserve une forme d’éternité y compris dans notre imaginaire collectif.
Par Laurent Pfaadt
A lire :
Richard Collasse, Dictionnaire amoureux du Japon Chez Plon, 1312 p.
Laurent Nespoulous, Pierre François Souyri, Le Japon : Des chasseurs-cueilleurs à Heian (-36 000 à l’an mille) Coll. Mondes anciens, Belin, 538 p.
Pierre François Souyri, Nouvelle histoire du Japon Aux éditions Perrin, 640 p.
Pour
sa septième édition, le congrès international sur l’héritage culturel de
l’Ouzbékistan se tenait à Samarcande
Au
début du XVe siècle, le sultan Ulugh Beg, poursuivant en cela l’œuvre de son
père Tamerlan, engageait la première Renaissance de ce qui ne s’appelait pas
encore l’Ouzbékistan en chargeant notamment le mathématicien et astronome Qadi-Zadeh
Roumi de constituer ici, à Samarcande, une bibliothèque qui allait regrouper
entre ces murs les plus grands savants du monde connu. Quelques six siècles
plus tard, de nombreux intellectuels venant du monde entier étaient invités à
discourir sur cet exceptionnel héritage culturel.« La promotion de
notre héritage culturel constitue une priorité. Beaucoup de choses ont été
réalisées mais beaucoup restent à faire. Nous n’en sommes qu’au début » estime ainsi Firdavs Abdulkhalidov,
président du conseil d’administration du World Society for the Preservation,
Study and Popularization of the Cultural Legacy of Uzbekistan (WOSCU)
Et
comme cadre de sa réunion, le WOCSU avait choisi le joyau de l’Asie centrale, à
savoir la ville de Samarcande, inscrite au patrimoine mondial de l’UNESCO
depuis 2001. Parmi les innombrables richesses qu’Occidentaux, Russes et
éminents spécialistes de l’Asie centrale et de la Turquie vinrent évoquer
durant trois jours et cinq conférences internationales figuraient des
manuscrits islamiques, arabes, perses ou moghols de grande valeur. Traités de
médecine, d’astronomie, de géographie, lettres et versions inestimables du
Coran, ce septième congrès a ainsi mis en lumière l’exceptionnel patrimoine de
ces savants venus à la cour des Timourides. Les grandes institutions du monde
entier, du palais Topkapi à Istanbul à la bibliothèque de Cambridge en passant
par le musée d’État du palais Tsarskoe Selo qui possède près de 600 pièces ou
la bibliothèque de Berlin et son Jahângîr’s album réalisé pour
l’empereur moghol Nūr-ud-dīn Muhammad Salīm, présentèrent ainsi leurs trésors
qui ont fait, ici, l’objet d’un impressionnant travail de recensement. Le WOCSU
a ainsi édité près de soixante-dix publications formant une base de données
conséquente de l’héritage et du patrimoine de l’Ouzbékistan où figurent non
seulement ces précieux manuscrits mais également le cinéma, les tapis, la
céramique, l’art du 20e siècle ou des artefacts.
Cette
nouvelle Renaissance voulue et souhaitée par le pouvoir n’en est cependant qu’à
ses débuts notamment en archéologie et les chantiers restent nombreux et
colossaux. D’ailleurs comme le rappela à juste titre Frederick Starr, expert
américain de l’Asie centrale, « l’Ouzbékistan a l’opportunité de
changer l’Asie centrale et le monde. Le pays se trouve à l’aube de nouvelles
avancées grâce aux découvertes en cours en matière d’archéologie ». Et
l’expert de plaider pour le développement de la recherche et de la formation de
futurs archéologues qui s’inscriront dans la lignée d’un Edvard Rtveladze,
découvreur en 2019 du site de Kampir Tepe et que le congrès a honoré cette
année, un an après sa disparition.
Le congrès a également évoqué l’apport des nouvelles technologies qui offrent des possibilités illimitées comme la numérisation de chefs d’œuvres et la création d’un musée virtuel « pour rendre vie à un passé prestigieux qui dépassera les frontières de l’Ouzbékistan » toujours selon Frederic Starr. Toutes ces initiatives doivent ainsi permettre de développer et de renforcer une politique éducative considérée par les autorités du pays comme un puissant levier de développement. Des initiatives visant à démocratiser ces chefs d’œuvre sont ainsi à l’œuvre dans le pays et en dehors comme celle menée par la maison d’édition Faksimile Verlag qui, selon son directeur, Alexander Wilhelm, souhaite « rendre nos contenus édités accessibles au public ». De quoi nourrir une Renaissance qui n’a certainement pas fini de nous surprendre…