Archives de catégorie : Exposition

Chang’an, cité ouverte

Le musée Guimet consacre une exposition exceptionnelle à la dynastie des Tang

Bien avant les Ming, il fut une dynastie qui marqua profondément l’histoire millénaire de la Chine. Arrivé au pouvoir à la faveur d’un coup d’État en 618 – au même moment débute l’Hégire (622) tandis qu’en Europe règnent les Francs – Li Yuan devient ainsi Tang Gaozu, le premier empereur de la dynastie Tang qui allait régner depuis sa capitale Chang’an (actuelle Xi’an) pendant près de trois siècles sur la Chine.


Le musée Guimet invite ainsi dans une magnifique exposition immersive à pénétrer dans cette cité ouverte et cosmopolite, point d’orgue de la célébration du 60e anniversaire des relations diplomatiques entre la France et la Chine. Et pour célébrer cet anniversaire, la Chine a, pour la première fois, autorisé la sortie du pays de nombreux objets d’exception. Invité à passer les portes de la capitale, le visiteur découvre quant à lui une cité réputée pour le raffinement tant de son orfèvrerie avec ces merveilleuses épingles à cheveux à décors de grenades et d’oies sauvages et ce sublime coffret avec incrustation de nacre symbole de l’art traditionnel chinois, que de ces banquets garnis de mets fins célébrés par des poèmes offerts aux visiteurs. « La capitale était un lieu de vie collectif, ouvert sur le monde extérieur, où cohabitaient des expériences variées au quotidien » estiment ainsi Arnaud Bertrand et Huei-Chung Tsao, commissaires de l’exposition dans le catalogue, parfait prolongement de l’exposition.

Chang’an est alors, avec ses 110 quartiers et sa population de près d’un million d’habitants, la plus grande ville du monde. Le visiteur déambule tantôt dans ses deux marchés longs d’environ un kilomètre chacun ou dans les deux pagodes de l’Oie sauvage encore visibles de nos jours pour y découvrir la tolérance religieuse qui y régna et symbolisée par ce Guanyin aux onze visages ou cette stèle vantant la foi nestorienne. « Pendant trois siècles, la Chang’an des Tang fut l’une des très rares grandes métropoles de son temps ; elle attira les élites des pays et ethnies de tous les horizons, qui s’y installèrent pour laisser libre cours à leurs talents et profiter d’un certain art de vivre » rappelle Rong Xinjiang, professeur au département d’histoire de l’université de Pékin.

Les Tang favorisèrent également le développement du bouddhisme dans le royaume de Corée et au Japon grâce aux échanges commerciaux notamment celui de la céramique qu’ils développèrent et que l’on retrouve tout au long de l’exposition avec une série d’objets fascinants comme cette vaisselle de grès porcelaineux blanc d’une sobriété à faire palir les designers scandinaves ou ce Musicien sur un chameau venu de Bactriane (actuel Iran). Une dynastie qui intensifia ses échanges commerciaux sur la fameuse route de la soie en développant par la même occasion les interactions diplomatiques et culturelles avec les autres parties du monde connues et symbolisées par ces statues en terre cuite de personnages étrangers découverts en 2001 dans la tombe du général Mu Tai.

Car depuis le palais Daming et la cité impériale où résidaient la cour et une administration impériale centralisée, l’empereur bâtit un empire qui résista aux nombreuses menaces de l’époque. Un empire qui accorda également aux femmes une place prépondérante comme en témoigne ces fabuleuses joueuses de polo juchées sur ces chevaux qui sont, chez les Tang, synonyme de force et de rapidité et illustrés notamment par de magnifiques terres cuites à glaçure comme ce Cheval découvert en 1972. Des femmes qui atteignirent le sommet du pouvoir avec Yang Guifei, la favorite la plus célèbre de l’histoire chinoise, surnommée « Beauté de Jade » et plusieurs fois incarnée au cinéma et surtout Wu Zeitan, seule impératrice de Chine (690-705) qui s’entoura d’un gouvernement de femmes et résida à Luoyang, la seconde capitale de la dynastie.

Après avoir renversé l’impératrice qui tenta de fonder sa propre dynastie, les Tang atteignirent leur apogée avec l’empereur Xuanzong surnommé Minghuang (« Empereur Brillant, Glorieux Monarque ») dont le règne (712-756) est considéré comme l’âge d’or de la dynastie. C’est la grande époque de la poésie chinoise avec Li Bai et Du Fu mais surtout avec le musicien, poète et peintre Wang Wei, figure de proue d’artistes regroupés dans l’académie Hanlin, sorte d’académie française portée par un empereur lui-même poète et musicien. Des arts qui portèrent les Tang au firmament de l’histoire chinoise, magnifiquement restituée dans cette très belle exposition.

Par Laurent Pfaadt

La Chine des Tang, Une dynastie cosmopolite (7-10e siècle), Musée national des arts asiatiques-Guimet
Jusqu’au 3 mars 2025

A lire le catalogue :

La Chine des Tang. Une dynastie cosmopolite / Tang China. A Cosmopolitan Dynasty
Une coédition musée Guimet / GrandPalaisRmn, 304 p.

Dans le trou de la serrure

Une passionnante exposition explore l’évolution de l’intimité

A l’heure des réseaux sociaux et de l’exposition permanente de l’intimité, voire son dévoilement volontaire, existe-t-il encore une intimité ? C’est ce que tente d’explorer la brillante et instructive exposition des arts décoratifs qui emmène ses visiteurs des chambres à coucher aux réseaux sociaux en passant par les cosmétiques et autres sextoys.


Musée des arts décoratifs
©Sylvain Silleran

La notion d’intimité naît véritablement au XVIIIe siècle mais ce n’est qu’au XIXe qu’elle s’affirme comme un espace de division sociale d’une société qui voit l’émergence d’une classe bourgeoise partagée désormais entre sphères familiale et professionnelle où les femmes sont reléguées dans la première avant qu’elles ne s’en émancipent progressivement. Comme le rappelle Christine Macel, ancienne directrice du musée des arts décoratifs et qui a coordonné le catalogue qui accompagne l’exposition : « si aujourd’hui, les femmes ne sont plus recluses dans l’espace privé (…) l’intime constitue néanmoins  un espace dans lequel elles ont été et sont particulièrement actives : avec la remise en cause du mariage obligatoire, la demande d’égalité au sein du couple, la notion du consentement sexuel, elles ont, plus largement, contribué à la redéfinition de l’intime ».

S’introduisant dans les chambres à coucher, partagées ou non, et se singularisant, mais également dans les cabinets de toilettes, l’exposition convoque Michèle Perrot, le peintre Antoine Watteau ou la photographe Nan Goldin pour expliquer comment s’est formalisée l’appropriation d’un lieu à soi ou l’irruption des préoccupations liées à l’hygiène qui ont été des jalons de la construction d’une intimité jusqu’alors peu formalisée.

Cette intimité nouvellement créée va ainsi servir d’écrin à l’expression d’une beauté féminine et les pièces venues du mobilier national et ces magnifiques rouges à lèvres devant lesquels nombre de visiteuses tombent en pâmoison et parfums qui donnent une dimension olfactive fort agréable à l’exposition sont autant de témoignages d’une intimité qui s’entourent de codes et d’attributs.

D’attributs, il en est donc question, y compris sexuels car l’intimité est aussi liée à une sexualité qui s’expose dans la fameuse toile de Fragonard et la collection de sextoys et va connaître, comme le montre parfaitement l’exposition, nombre de mutations. Une exposition qui tombe finalement à point nommé alors que notre société s’interroge à nouveau sur la question du consentement, de savoir qui a le droit de décider de notre intimité, d’entrer dans cette dernière.

La dernière partie de l’exposition avance d’ailleurs prudemment sur ce terrain où l’intimité est désormais tantôt livrée, tantôt asservie aux nouvelles technologies. Sans apporter de réponses, elle se borne à constater qu’une fois de plus, l’évolution de l’intimité bouleverse le rapport entre les femmes et les hommes. Mais surtout, surfant sur les réseaux sociaux et naviguant à vue dans notre société de surveillance, elle met en garde sur les dangers d’un progrès qui peut se révéler destructeur pour les rapports humains. La société débattant sur les bienfaits de l’eau est bien loin, remplacée par celle des journaux intimes désormais partagés à la terre entière sur Instagram. Une exposition qui constitue une véritable prise de conscience.

Par Laurent Pfaadt

L’intime, de la chambre aux réseaux, Musée des arts décoratifs
Jusqu’au 30 mars 2025

Catalogue de l’exposition : L’intime, de la chambre aux réseaux, sous la direction de Christine Macel, coédition Gallimard/musée des Arts décoratifs, 288 p.

L’Empire du dragon d’or

Les trésors de la dynastie Ming sont à l’honneur au musée Guimet

En évoquant la dynastie Ming (1368-1644), de nombreux visiteurs ne connaissent que sa céramique et elurs fameux vases bleus et blancs quand d’autres se souviennent peut-être que les Ming édifièrent la portion de la grande muraille de Chine figurant sur les cartes postales. Personne en revanche ne sait que la dynastie Ming représenta l’âge d’or de l’orfèvrerie impériale chinoise. D’où l’intérêt de l’exposition du musée Guimet.


Organisée en partenariat avec le musée des beaux-arts de Quijang à Xi’an, l’ancienne Chang’an, capitale de la Chine sous plusieurs dynasties notamment celle des Tang qui fait également l’objet d’une fantastique exposition au musée Guimet, dans une province où fut découverte il y a un demi-siècle, l’armée de terre cuite, l’exposition l’Or des Ming a des allures de chasse aux trésors en même temps qu’elle se veut une formidable histoire économique mondiale des matières premières. Si l’argent servit très vite de moyen de paiement à une dynastie ouverte sur un commerce international symbolisé par les voyages de Zheng He, le Colomb chinois, l’or fut quant à lui « restreint aux désirs de somptuosité » selon Arnaud Bertrand, l’un des deux commissaires de l’exposition, conservateur en charge des collections coréennes et de Chine ancienne au musée Guimet dans le très beau catalogue qui accompagne cette exposition. Les artisans de la dynastie Ming développèrent ainsi une gamme de techniques parfaitement détaillées en ouverture de l’exposition pour créer des bijoux et des vases d’une beauté stupéfiante.

Epingle à cheveux

Exposant des pièces sorties exceptionnellement de Chine comme on dévoile un trésor offert pour célébrer le 60e anniversaire de l’établissement des relations diplomatiques entre la République populaire de Chine et la France du général de Gaulle, le musée Guimet rayonne ainsi de l’éclat de ces merveilleuses parures et de ces vases ouvragés qui traduisent un raffinement et un sens du détail éblouissants avec par exemple cette aiguière à décor de dragon et de lion jouant avec une balle ou ces boucles d’oreilles serties d’ambre. Le point d’orgue est atteint avec une magnifique collection d’épingles à cheveux en or serti de jade, de rubis ou d’émeraudes et figurant des animaux fantastiques ou des symboles qui servent, à travers ces coiffes et autres ornements, à installer socialement celles qui les portent.

Car dans cette cité interdite que vient d’achever Yongle (1402-1424) l’un des empereurs Ming, il faut voir et être vu. Et l’épingle insérée dans un chignon dont il existe mille et un modèles pose chaque personnage à la cour. « Il s’agissait avant tout d’objets d’apparat, dont l’une des fonctions essentielles consistait à révéler le statut, la richesse et le goût de leur propriétaire » complète Hélène Gascuel, l’autre commissaire, par ailleurs conservatrice en charge des collections textiles et du mobilier chinois au musée Guimet dans un chapitre fascinant du catalogue consacré aux codes et à la symbolique des bijoux. Ainsi, le dragon et le phénix étaient réservés aux membres de la famille impériale et de leurs proches parents.

Un tel luxe nécessitait bien évidemment des matières premières en abondance notamment cet or et cet argent venu du Nouveau Monde. On estimait ainsi que la Chine, au début du 17e siècle importait un tiers de l’argent en provenance du Mexique et du Pérou. Face à cette inflation, le roi d’Espagne Philippe IV fit alors adopter des lois restreignant le commerce de l’argent avec la Chine. Les jours de la dynastie Ming étaient comptés. Renversés en 1644, les Ming furent remplacés par les Qing. Mais à l’image de cet or qui ne s’oxyde jamais, l’éclat de leur civilisation ne s’est jamais terni comme en témoigne cette merveilleuse exposition.

Par Laurent Pfaadt

L’Or des Ming, Fastes et beautés de la Chine impériale (14e-17e siècles), Musée des arts asiatiques-  Guimet,
jusqu’au 13 janvier 2025

A lire le catalogue :

L’Or des Ming, Fastes et beautés de la Chine impériale (14e-17e siècles) sous la direction d’Hélène Gascuel , Coédition Musée national des arts asiatiques-Guimet, Paris / In Fine éditions d’art, 216 p.

Soeurs de marbre

Le musée du Louvre célèbre les chefs-d’œuvre de la collection Torlonia

Une exposition en forme de voyage dans le temps et plus particulièrement sous la Rome antique. Voilà ce que l’on ressent immédiatement en pénétrant dans la très belle exposition que le musée du Louvre consacre au chefs d’œuvre de la collection Torlonia. Une collection élaborée au gré des acquisitions des collections de la noblesse romaine et plus particulièrement celle des familles Albani et Giustiniani pour la montrer ensuite à de petits groupes de visiteurs dans une institution appelée à un brillant avenir : un musée. Et il fallait bien un écrin royal avec ces appartements d’été d’Anne d’Autriche enfin restaurés pour accueillir ces empereurs qui vous contemplent, vous dévisagent, et semblent comme Hadrien, vous toiser. On pourrait citer Napoléon et ces quarante siècles qui vous contemple tant l’exceptionnelle qualité de ces portraits frappe par leur incroyable réalisme comme ce Septime Sévère aux traits marqués par l’âge ou les rides profondément incisées du vieillard d’Otricoli. Le visiteur regarde à deux fois les annotations et reste fasciné, subjugué. Oui, ces quelques portraits parmi les 109 de la collection ont bien été réalisés il y a près de mille huit cent ans.  


Lucius Verus 
© Fondazione Torlonia

Bien évidemment, nous n’avons pas été le seuls à subir le charme voire l’ensorcellement de ces sculptures. D’autres avant nous, et non des moindres notamment Le Bernin n’ont pu rester de marbre devant elles puisque le maître a restauré le fameux Caprone datant du IIe siècle après J-C. Surprenante est également l’irruption de la couleur avec ces marbres colorés, ce bigio morato noir et le porphyre du Dace captif qui donnent ainsi une puissance insoupçonnée à cette statuaire en la rendant plus vivante que jamais.

« Cette exposition s’attache donc à écrire une histoire de la sculpture romaine, qui procède à la fois d’un temps historique de réception et d’une rédaction contemporaine appuyée sur la science archéologique » estiment Carlo Gasparri, Salvatore Settis et Martin Szewczyk dans le très beau catalogue accompagnant l’exposition. Les diverses œuvres présentées permettent ainsi de mesurer les diverses influences qui traversèrent la sculpture romaine et notamment cette modernité hellénistique très populaire, véritable « révolution esthétique » selon Fabien Queyrel, directeur d’études à l’Ecole pratique des hautes études, contributeur lui-aussi du catalogue. Une modernité hellénistique qui suscita d’abord des réactions hostiles avant d’être adoptée dans les hautes sphères militaires, politiques et culturelles de l’Empire et que l’on retrouve notamment dans les très beaux bas reliefs ornant les sarcophages présentés tels celui du centurion Lucius Pullius Peregrinus. Une modernité grecque qui attira à Rome les meilleurs sculpteurs grecs venus se mettre au service d’une intelligentsia romaine symbolisée par le sénateur Hérode Atticus (101-177). Professeur de rhétorique ayant eu notamment comme élève le futur empereur Marc-Aurèle devenu un homme politique influent et riche, Hérode Atticus favorisa dans ses diverses demeures et en particulier dans celle de la via Appia, une politique artistique emprunte d’influences hellénistiques et egyptisantes à l’image de cette incroyable statue de divinité assise : Hygie.

Statue Hygie
© Laurent Pfaadt

Les fouilles archéologique menées sur le site de la villa d’Hérode Atticus au XVIe siècle ont ainsi révélé des trésors qui ont ensuite rejoint la collection Borghèse qui elle-même, durant l’Empire, a été incorporée à celle du Louvre. Celle-ci s’est ensuite enrichie d’autres pièces par exemple le buste d’Hérode Atticus, découvert en 1819 par Louis-Ferdinand-Sébastien Fauvel et ayant appartenu à la collection du comte de Choiseul-Gouffier. Une villa qui, sous la pyramide du Louvre, abrite les retrouvailles de ces deux collections sœurs, permettant enfin de rattraper un temps perdu figé dans le marbre.

Par Laurent Pfaadt

Les chefs-d’œuvre de la collection Torlonia, Musée du Louvre jusqu’au 11 novembre 2024

Catalogue de l’exposition :
Chefs-d’oeuvre de la collection Torlonia, sous la direction de Martin Szewczyk, Carlo Gasparri et Salvatore Settis
Louvre éditions/Le Seuil, 340 p.

Peinture sans frontières

Le Musée Granet met à l’honneur le peintre baroque Jean Daret

Aujourd’hui quasiment oublié, le peintre bruxellois Jean Daret (1614-1668) attendait sa résurrection  depuis longtemps. Quatre siècles plus tard et malgré une réapparition partielle en 1978, la voici enfin arrivée grâce à cette première monographie magnifique que lui consacre le musée Granet d’Aix-en-Provence, cette ville qu’il plaça sur la carte de la peinture européenne du XVIIe siècle, une ville qui, à cette époque, concentrait un certain nombre de centres de pouvoir propres à attirer  des artistes importants comme Nicolas Pinson et Louis-Abraham van Loo.


Escalier hôtel Chateaurenard
© Ville d’Aix

Né bruxellois dans ces Pays-Bas espagnols dont il tira sa formation et dans ce siècle qui donna quelques génies immortels tels Philippe de Champaigne, bruxellois comme lui et qui eut sur Daret une influence majeure et Le Caravage qu’il vit lors d’un voyage à Rome, Jean Daret s’imposa très vite comme l’artiste majeur de ce Grand Siècle en Provence. L’exposition qui réunit une centaine d’œuvres du peintre sur les 195 répertoriées parfois issues de collections particulières ou de la Horvitz collection, du nom du collectionneur américain, Jeffrey Horvitz qui possède notamment la plus importante collection privée de dessins français en dehors de l’Europe mais également de communes plus ou moins grandes ayant confié au musée leurs trésors, réussit ainsi à offrir aux visiteurs une vision globale et exhaustive de l’art de Jean Daret.

Jean Daret, Lamentation, Musée des Beaux Arts Marseille
©Ville de Marseille

La richesse ainsi que la variété des œuvres présentées permettent donc de tracer un panorama pictural, une palette qui se décline à l’échelle européenne, à l’aise aussi bien dans les scènes religieuses, ce qui valut d’ailleurs à Jean Daret de nombreuses commandes d’édifices religieux, que dans l’art du portrait où il montra un talent reconnu de tous notamment de Pierre Maurel de Pontevès, intendant général des finances en la généralité d’Aix qui lui passa un certain nombre de commandes. Ainsi La Crucifixion avec la Vierge des sept douleurs (1640) ou L’Assomption témoignent d’une utilisation éclatante des couleurs, en particulier de ces rouges et bleus qu’il affectionna tant et que l’on retrouve notamment dans ses drapés de la vierge qui témoignent d’une admiration pour Rubens et Carrache. Et lorsqu’il finit par mêler les deux, ses portraits de saints notamment ceux réalisés pour la chapelle Notre-Dame-de-Consolation d’Aix-en-Provence en particulier Saint Sidoine et Saint Zacharie avec leurs alliances d’ocre et d’or, confinent au sublime.

Pourtant, le talent de Daret fut également son talon d’Achille, celui de ne pouvoir être rangé dans une école, dans un courant artistique. La multitude d’influences que son art absorba – clair-obscur, baroque, classicisme, peinture italienne, hollandaise – le laissa finalement aux marges et devint selon Jane MacAvock, historienne de l’art et coordinatrice du très beau catalogue qui tient lieu de monographie de référence, ce « peintre insaisissable ».

Pour autant et l’exposition le montrant brillamment, Daret cultiva un style qui lui fut propre  symbolisé par sa Mort de saint Joseph (1649) qui, installé à côté de toiles similaires de ses contemporains (Nicolas Mignard, Reynaud Levieux) frappe par son énergie, par ce mouvement qui lui donne une vivacité stupéfiante. Un côté vivant presque avant-gardiste à l’image de ce Portrait de Robert de Pille en chasseur (1661), premier portrait connu de chasseur de la peinture française et qui rappelle assurément les grands maîtres hollandais. Une peinture qui devait ravir jusqu’au roi Soleil lors de la venue de ce dernier à Aix-en-Provence en 1660 où le monarque put ainsi admirer l’exceptionnel escalier en trompe l’œil de l’hôtel de Châteaurenard, point d’orgue d’une exposition qui se déploie hors les murs. Comme pour rappeler que ce peintre n’eut pas de frontières.

Par Laurent Pfaadt

Jean Daret, Peintre du roi en Provence, Musée Granet,
Aix-en-Provence
Jusqu’au 29 septembre 2024.

A lire le catalogue : Jean Daret (1614-1668) : Peintre du Roi en Provence, Lienart, 272 p.

La République, c’est moi !

Derniers jours de l’exposition Sacrilège ! aux archives nationales

En ces temps de dissolution et de remise en question de l’autorité de l’État, une petite visite dans la très belle exposition des archives nationales s’imposait. Près d’une centaine d’œuvres et d’archives inédites viennent ainsi questionner 2500 ans d’histoire du blasphème, du sacrilège et du rapport de ce dernier avec l’État. Elles dessinent une magnifique fresque historique du suicide de Socrate à l’assassinat de Samuel Paty en passant par le concordat de 1801 et la loi de séparation de l’Église et de l’État (1905). Et pour illustrer ce propos, les archives ont dévoilé quelques-uns de leurs innombrables trésors, des parchemins médiévaux au testament olographe de Louis XVI daté du 25 décembre 1792.


Le visiteur constate ainsi la lente mutation de ces concepts et notamment celui de blasphème sous les rois de France. S’appuyant sur cette note de Guillaume Nogaret, conseiller du roi Philippe le Bel, présentant les charges pesant sur Bernard Saisset, évêque de Pamiers, les commissaires de l’exposition rappellent ainsi qu’« offenser Dieu, c’est offenser le roi, protecteur de la foi et de l’Eglise ».

L’expulsion des jésuites va pourtant progressivement infléchir le rapport de force en faveur des philosophes des Lumières et désacraliser le roi. Après la révolution française et la mort du roi, le blasphème se maintint dans la République avec notamment la loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881 affirmant dans son article 26, le délit d’offense du président de la République qui remplaçait un délit d’outrage lié à la morale publique et religieuse. « Ce texte constitue encore de nos jours une des pierres angulaires de l’esprit des lois de la République » écrit ainsi Jacques de Saint Victor, professeur des universités en histoire du droit et des institutions et commissaire de l’exposition dans le très beau catalogue qui accompagne cette exposition et tient véritablement lieu de livre d’histoire sur le rapport entre pouvoir et religions, et sur la laïcité.

Cette dernière traverse bien évidemment l’exposition notamment dans sa dernière partie où, à partir des années 1980, on constate un retour en force dans le débat médiatique français, de la question du blasphème portée par des associations religieuses intégristes. Et nos commissaires de se demander s’il est encore possible, aujourd’hui, de trouver un « sacré commun ».

L’avenir post 7 juillet nous le dira…

Par Laurent Pfaadt

Sacrilège ! L’État, les religions et le sacré, archives nationales jusqu’au 1er juillet 2024

A lire le catalogue de l’exposition par Amable Sablon du Corail, Jacques de Saint Victor, Nathalie Droin et Olivier Hanne publié aux éditions Gallimard, 192 p. 2024

Femmes en clair-obscur

Au Kunstmuseum de Bâle, une exposition met en lumière quelques femmes peintres tout en demeurant incomplète

Alors même qu’il n’était pas interdit de s’adonner à la peinture, nombre de femmes dotées d’un talent certain vécurent dans l’ombre d’un père, d’un mari ou d’un maître et il fallut attendre près  d’un demi-millénaire pour qu’enfin, justice leur soit rendue.


Marietta Robusti, La Tintoretta, Auportrait avec Jacopo Strada, Gemäldegalerie Alte Mesiter, Staatliche Kunstsammlungen Dresden
Copyright: bpk / Staatliche Kunstsammlungen Dresden / Hans-Peter Klut

Aujourd’hui l’exposition du Kunstmuseum de Bâle permet de redécouvrir, de l’Italie à la Suisse et de la France aux Provinces Unies, ces femmes de génie qui égalèrent parfois leurs proches et maîtres jusqu’à ne plus savoir à qui attribuer la paternité ou la maternité d’un tableau comme ce magnifique Vieil homme et un garçon (1565) dont on ne sait s’il provient de Jacopo Robusti dit le Tintoret ou de sa fille la Tintoretta, Marietta Robusti de son vrai nom (1554/55-1614). Cette dernière est ainsi, en l’absence d’Artemisia Gentileschi, la figure de proue de cette exposition qui traverse les époques, du baroque au XIXe siècle en passant par le maniérisme, à la rencontre de celles qui rivalisèrent avec les grands peintres de leur temps. L’exposition présente trois tableaux de la Tintoretta dont son Autoportrait avec Jacopo Strada figurant l’antiquaire de l’empereur Maximilien. Le Habsbourg fit d’ailleurs venir la Tintoretta à la cour, lui conférant une relative notoriété que son père étouffa, reléguant sa fille dans un rôle de peintre subalterne.

Des femmes qui excellèrent tant dans la peinture religieuse que dans le portrait ou la nature morte. L’art de Lavinia Fontana (1552-1614) témoigne ainsi d’une extraordinaire maîtrise des scènes religieuses particulièrement explicite dans ces œuvres venues du Palazzo communale d’Imola notamment cette Nativité du Christ de toute beauté. Pour autant, il manque son Portrait du pape Grégoire XIII et son Autoportrait resté au musée des Offices de Florence. L’exposition permet malgré tout assez judicieusement de comparer les apports et les influences de l’art de ces femmes avec celui de leurs parents ou maîtres. Ainsi dans la technique de Sofonisba Anguissola (vers 1532-1625), professeur et peintre d’Elisabeth de France, reine d’Espagne, se distingue le trait et le style maniériste d’un Bernardino Campi.

A l’autre bout de l’Europe, d’autres femmes transcendèrent leur art. Il n’y a qu’à admirer la technique et les couleurs d’une Michaelina Wautier (1604-1689), sœur de Charles Wautier avec qui elle partagea un studio à Bruxelles, qui n’eurent rien à envier à ses contemporains. Sa renommée était pourtant bien réelle, le gouverneur des Pays-Bas espagnols, Léopold-Guillaume de Habsbourg achetant même quelques-unes des toiles de l’artiste pour sa galerie personnelle. Les œuvres de Michaelina Wautier constituent assurément les plus belles pièces de cette exposition notamment son Portrait du duc d’Albuquerque. La France ne fut pas en reste avec la présence dans l’exposition de Louise Moillon (1610-1696) et ses très belles natures mortes venues du musée des Beaux-arts de Strasbourg, une peintre hexagonale annonçant une Elisabeth Vigée-Lebrun également absente.

Parfois, ces femmes éduquées durent composer avec leur vie de famille, en mettant comme Anna Dorothea Therbusch (1721-1782), femme d’Ernst Friedrich Therbusch, leur vie d’artistes entre parenthèses avant d’y revenir plusieurs années plus tard. Il fallut, en revanche, plusieurs siècles pour prendre pleinement en considération leurs existences. C’est désormais chose faîte avec cette exposition.

Par Laurent Pfaadt

Femmes de génie, les artistes et leur entourage, Kunstmuseum Basel, jusqu’au 30 juin 2024

A lire également le catalogue accompagnant l’exposition : Geniale Frauen – Künstlerinnen und ihre Weggefährten (allemand), D, Bucerius Kunst Forum, Kunstmuseum Basel, Hirmer, 288 p. 2023

L’Alexandre Dumas de la peinture

Horace Vernet était à l’honneur d’une importante rétrospective au château de Versailles et d’une monographie passionnante

Nous l’ignorons mais Horace Vernet est en permanence avec nous. Dans les musées. Dans nos livres scolaires. Sur les couvertures de romans. Mais surtout dans nos têtes, parfois même sans le savoir, sans que l’on connaisse son nom. Tous les Français qu’ils soient de naissance, d’adoption ou de coeur ont grandi et vivent avec ses tableaux devenus des images familières qui ont fait de nous des citoyens.


Plus qu’aucun autre peintre, Horace Vernet représenta l’histoire de France. Peintre des batailles pour reprendre le titre d’un roman d’un célèbre écrivain espagnol, il est celui de Fontenoy, de Bouvines, du pont d’Arcole, de Valmy, de Iéna. Placé devant elles, le visiteur ne peut que s’émouvoir, se sentir, devant ces grands formats, écrasé par le poids de l’histoire.

Né en 1789, quinze jours avant la prise de la Bastille, comme un présage, Horace Vernet trouva vite en Théodore Géricault un mentor dont il réalisa le portrait et avec qui il partagea la passion des chevaux comme ceux, magnifiques de la Chasse au lion au Sahara (1836) de la Wallace collection. Du cheval au cavalier et au roi, il n’y eut qu’un pas ou un saut que Vernet effectua allègrement. Et pour célébrer ce roi de la peinture historique, Versailles convoqua, le temps d’une exposition, à la cour, nobles venus de provinces avec leurs plus beaux présents picturaux, diplomates étrangers arrivés des Etats-Unis, d’Allemagne, d’Italie ou de Lettonie et illustres inconnus avec ces tableaux issus de collections particulières à l’instar de La mort du prince Poniatowski à la bataille de Leipzig (1816). Tous ces visiteurs venant rejoindre ces Princes du sang et de la peinture installés dans la galerie des batailles.

La parade picturale pouvait donc commencer avec ces tableaux qui se regardent en cinémascope. Sur grand écran. Le spectateur est immédiatement happé et plongé dans le décor. Il devient, consciemment ou à son insu, un personnage à part entière de l’œuvre. Comme dans L’Enlèvement d’Angélique (1820) où il semble impuissant à pouvoir empêcher le rapt.

La scénographie versaillaise amène tout naturellement le visiteur vers les salles d’Afrique aménagée par le roi Louis-Philippe pour célébrer les victoires de l’armée française. Horace Vernet s’y déploie en majesté pour y célébrer cette autre majesté, le duc d’Aumale, 4e fils de Louis-Philippe dont il fut proche notamment dans la monumentale Prise de la smalah d’Abd-el-Kader par le Duc d’Aumale à Taguin (1843-1845). Avant cela, la toile inachevée de La prise de Tanger (1847) commandée par Louis-Philippe pour la salle du Maroc permet d’appréhender la technique de l’artiste : peindre en coin ou sur un côté. Comme une bataille qui se gagne par les flancs.

D’une maîtrise assez impressionnante – on raconte qu’il était capable de réaliser un portrait en une seule séance de pose, d’un seul jet de pinceau – Vernet allait ainsi faire des merveilles en racontant l’histoire de France. Son portrait de Laurent, Marquis de Gouvion-Saint-Cyr, maréchal de France (1764-1830) en1824 est emprunt d’un clair-obscur tout à fait remarquable avec ses reflets sur les broderies de l’uniforme du militaire. Et qu’il s’agisse de ses tableaux monumentaux ou de petits formats, Horace Vernet reste fascinant dans le soin apporté aux détails. Chaque visage de la multitude de soldats de ses batailles titanesques apparaît différent, avec, à chaque fois, une expression unique.

Ce souci du détail se combine à une peinture vivante, toujours en mouvement. Les épaulettes brillantes du militaire dans le Siège de Saragosse (1819) semble sortir de la toile. L’habit blanc du combattant à cheval dans Le combat de la forêt de l’Habra, le 3 décembre 1835 (1840) semble virevolter dans les airs.

C’est ce qui a permis une immédiate identification avec l’histoire de France, cette façon qu’il a eu de la rendre vivante et le permettre à tous de se l’approprier. « Pour Vernet, le récit était essentiel : tout était sujet à tableau » estime Valérie Bajou, conservatrice générale au musée national des châteaux de Versailles et de Trianon dans le magnifique catalogue qui accompagne l’exposition et tient lieu de monographie de référence. Margot Renard, post-doctorante en histoire de l’art à l’université de Gand, explique d’ailleurs cette alchimie par la rencontre d’un peintre et de son époque allant même jusqu’à dire au sujet de son rapport à Napoléon que « le rôle de Vernet dans l’élaboration de la postérité napoléonienne est majeur, au point de pouvoir l’envisager comme le créateur de Napoléon Bonaparte ». Louis-Philippe dont Horace Vernet fut proche, demeura l’artisan politique de la réhabilitation et de l’intégration de l’empereur et l’Empire au récit national avec notamment le retour des cendres de Napoléon en 1840. Les tableaux des batailles de Iéna, de Friedland, de Wagram peintes en 1836 et son célèbre Napoléon sur son lit de mort (1826) participèrent également de cette réhabilitation.

Cette proximité du pouvoir lui permit d’accéder à des fonctions importantes : colonel de la garde nationale, il combattit les insurgés de 1848 pour défendre son roi. Directeur de l’académie française à Rome, il fut ensuite élu à l’académie des beaux-arts, le 24 juin 1876, devenant ainsi immortel et entrant définitivement dans nos récits nationaux.

Par Laurent Pfaadt

Horace Vernet (1789-1863), sous la direction de Valérie Bajou,
château de Versailles/éditions Faton, 448 p.

La Jérusalem des Balkans

Une très belle exposition du musée d’art et d’histoire du judaïsme complétée d’un livre de photos nous font revivre l’atmosphère unique et à jamais perdue de la cité grecque

Il est des villes qui portent en elles la promesse d’un voyage, d’un fantasme. Des villes-monde. Odessa, Trieste, Salonique. Cité à la croisée des chemins entre Mitteleuropa et Méditerranée, elle a vu naître les grands saints de l’Église slave, Cyrille et Méthode, Mustapha Kemal, futur Atatürk ou le grand-père de Nicolas Sarkozy.


Paul Zepdji @mahj

Elle personnifia jusqu’à sa destruction par les nazis en 1943 une utopie multiethnique de communautés vivant en harmonie, les unes à côté des autres, les unes avec les autres. On s’entendait pour fermer le samedi et lors des fêtes juives. C’est ce que montre à merveille l’exposition du musée d’art et d’histoire du judaïsme de Paris. S’appuyant sur la donation photographique de Pierre de Gigord, collectionneur passionné de l’Empire Ottoman, dont elle a tiré cent cinquante clichés des photographes de la ville, Paul Zepdji à la fin du XIXe siècle puis Ali Eniss, drogman au consulat d’Allemagne de la ville, l’exposition retrace ainsi merveilleusement un demi-siècle de la vie de cette communauté juive venue s’installer ici après avoir fui les persécutions espagnoles du XVe siècle.

Entre ces murs bâtis par les Romains et où demeure toujours l’arc de Galère, cet empereur du début du IVe siècle tombé sous le charme de la cité, photographié par Zepdji et devenu la porte de ces civilisations qui construisirent avec leurs fils et leurs filles notamment juifs la légende de la ville, le visiteur est invité à entrer dans cette dernière. A l’aide de plans fort précieux, l’exposition montre ainsi la division de Salonique en trois quartiers (chrétien, juif et musulman avec une forte proportion de sabbatéens, ces juifs convertis à l’Islam). Ces derniers prennent ensuite vie sur ces tirages effectués d’après les négatifs sur verre qui emmènent les visiteurs dans ces rues nimbées de la mémoire des civilisations passées, celle des Byzantins, des Sarrasins, des Croisés, des Ottomans, des Juifs et qui maquillèrent leur architecture byzantine-ottomane de cet art déco arrivé au début du 20e siècle. Ces clichés prennent des airs de voyage dans le temps. On a l’impression de capter les odeurs de poisson du port, d’entendre les rires des enfants place de l’Olympe ou de croiser des clients sortant du Splendid Palace ou des cafés.

Les juifs majoritairement séfarades, représentèrent jusqu’à 50 % de la population. Ils sont là sur ces clichés, tantôt en costumes traditionnels, tantôt représentés en portefaix mais l’œil du visiteur qui s’attarde avec nostalgie devant ces photographies se remplit de quelques larmes devant ce monde qu’il sait disparu, d’abord dans les flammes de l’incendie de 1917 qui défigurèrent définitivement cette ville à nulle autre pareille et où près de la moitié des trente-trois synagogues furent réduites en cendres. Puis dans cet autre incendie qui allait, un quart de siècle plus tard, consumer l’Europe entière.

Par Laurent Pfaadt

Salonique, la Jérusalem des Balkans,
jusqu’au 21 avril 2024,
Musée d’art et d’histoire du judaïsme, 1870-1920, Paris 3
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A lire le très beau catalogue signé Catherine Pinguet, Salonique, 1870-1920
CNRS éditions, 172 p.

Charles VII reconquiert le royaume des arts

Le Musée de Cluny rend hommage aux arts français sous le roi Charles VII

Coincés entre les primitifs flamands et une peinture italienne d’un Fra Angelico prête à basculer du Moyen-Age à la Renaissance, les arts sous Charles VII peinèrent à exister à l’image de son royaume  divisé luttant contre un Etat bourguignon allié à une Angleterre revendiquant le trône de France durant la fameuse guerre de Cent ans. Organisée avec la collaboration exceptionnelle de la Bibliothèque Nationale de France et plusieurs fondations, l’exposition du musée de Cluny pose tout d’abord le décor politique et artistique de l’époque. Car, si l’histoire de France, notamment sous la plume du grand Michelet, a retenu Charles VII comme le souverain qui dut sa couronne à la Pucelle d’Orléans, elle n’a pas fait grand cas de son goût pour les arts et notamment pour les livres. Pourtant, le sacre du roi à Reims, le 17 juillet 1429, puis le traité de paix d’Arras (21 septembre 1435) sorti pour l’occasion des archives nationales vinrent stabiliser le royaume de France et permirent également, comme le rappelle Mathieu Deldicque, directeur du musée Condé et commissaire de l’exposition, « de s’adonner davantage à la commande publique ».


Panneau gauche du triptyque de Dreux-Budé (Vers 1450)
Musée du Louvre © RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Stéphane Maréchalle

Il faut reconnaître que l’époque était à la célébration de génies. L’Ars Nova propagé par les Bourguignons et emmené par Jan Van Eyck, Roger von der Weyden et Barthélémy d’Eyck dont le fabuleux Triptyque de l’Annonciation de l’église de la Madeleine d’Aix-en-Provence magnifiquement décrypté et qui vaut à lui seul le détour, venait de révolutionner la peinture rompant avec l’art gothique tandis que de l’autre côté des Alpes, Fra Angelico jetait les bases d’une Renaissance qui allait tout emporter.

Détail du Triptyque de l’Annonciation, Barthélémy d’Eyck, église de la Madeleine Aix-en-Provence

La France de Charles VII  élabora alors une synthèse de ces différents courants artistiques et définit une voie picturale propre déclinée nationalement et régionalement, et qui trouva dans la figure de Jean Fouquet son plus éminent représentant. Et si l’exposition présente le fameux Portrait de Charles VII du Louvre, elle s’attarde également sur son travail moins connu d’enlumineur en particulier celui opéré dans Les Grandes Chroniques de France.

Jean Fouquet fut ainsi la Jeanne d’Arc artistique du roi et occupa dans le paysage artistique, selon les commissaires de l’exposition dans le magnifique catalogue qui accompagne l’exposition, « une place singulière » en tant que « portraitiste virtuose maîtrisant la perspective sous toutes ses formes et incluant dans son répertoire des motifs directement empruntés à l’Italie ». Jean Fouquet jeta ainsi les bases du style français. Sa figure est omniprésente dans l’exposition même si on regrettera l’absence du Diptyque de Melun que le catalogue convoque malgré tout. Le visiteur se contentera de l’observer à travers la radiographie du Portrait de Charles VII qui laisse ainsi apparaître que Fouquet commença à peindre une vierge identique à celle du Diptyque de Melun avant de changer d’avis. Il pourra en revanche s’émerveiller devant le Triptyque de Dreux Budé d’André d’Ypres reconstitué pour la première fois et qui constitue le point d’orgue de cette exposition.

Convoquant des trésors de parchemins tirés de la BNF, véritables pièces maîtresses de l’exposition, celle-ci montre avec ces bréviaires, chroniques et autres livres d’heures comme les Grandes Heures de Rohan ou le Bréviaire de Bedford d’Haincelin de Haguenau, l’incroyable finesse de l’enluminure à la française, art majeur de l’époque, avec la puissance expressive de ses pastels et ses rouges et bleus tonitruants qui concoururent avec ces monumentales tapisseries ainsi que le très beau dais royal à la mise en valeur de la représentation de la personne royale. Un reconquête artistique qui en appelait une autre. 

Par Laurent Pfaadt

Les arts en France sous Charles VII (1422-1461)
jusqu’au 16 juin 2024
Musée de Cluny, Paris 5
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A lire le catalogue de l’exposition : Les arts en France sous Charles VII, 1422-1461, RMN, 320 p.

A lire également :

Christian Heck, Le retable de l’annonciation d’Aix, récit, prophétie et accomplissement dans l’art de la fin du Moyen Age, Faton, 208 p.

Jean-Christophe Rufin, le grand Coeur, Folio, 592 p.