Archives de catégorie : Exposition

Une princesse au milieu des barbares

Le centre de la Vieille Charité de Marseille consacrait une magnifique exposition à l’artiste algérienne d’art moderne Baya

Rien ne prédisposait cette jeune fille à devenir un peintre renommé enflammant de son art naïf le tout Paris de l’après-guerre. « Son histoire est aussi miraculeuse que les gouaches et les histoires dont elle est l’auteur. Peut-être est-ce aussi chose très naturelle d’écrire des contes lorsqu’on a une destinée sur laquelle semble avoir veillé une fée » écrivait ainsi Edmonde Charles-Roux dans le magazine Vogue en février 1948.


Baya, Conte 1 – La dame dans sa belle maison, 1947
© Archives nationales d’outre-mer, Aix-en-Provence

Baya, de son vrai nom Fatma Haddad, est née en 1931 dans un petit village près d’Alger. Travaillant dans une ferme, elle rencontra là-bas un couple de peintres qui l’accueillit chez lui à Alger et allait décider de son destin. Un patrimoine culturel de l’Algérie façonnant son imaginaire allié à des dons indéniables pour la sculpture et la peinture comme en témoignent ses premiers dessins exposés, libérèrent son immense talent artistique. Elle n’a que treize ans mais ses femmes, ses formes sont déjà là. Révélée à seize ans par le galeriste Aimé Maeght, subjugué par cette jeune artiste, qui lui organisa en novembre 1947 sa première exposition personnelle, Baya suscita immédiatement l’admiration d’un Picasso certainement sensible à sa Femme allongée au vase (1949), de Mirò et de Camus, le futur prix Nobel disant même après l’avoir rencontré que « dans ce Paris noir et apeuré, c’est une joie des yeux et du cœur. J’ai admiré aussi la dignité de son maintien au milieu de la foule des vernissages: c’était la princesse au milieu des barbares. »

Parmi les 150 œuvres présentées, nombreuses sont demeurées jusqu’à aujourd’hui inédites car retrouvées en 2023. L’art de Baya oscille ainsi entre un art brut visible sur la monumentale Grande frise (1949) du musée Reattu d’Arles, un art naïf et une forme de surréalisme. Les gouaches présentées diffusent ainsi ses couleurs chatoyantes et dessinent une incroyable magie notamment dans Deux femmes (1947). Les personnages semblent danser sous nos yeux (Musicienne aux oiseaux, grappe et fleurs, 1998). Les drapés mêlent à la fois une dimension orientale, maghrébine tirée des cultures algériennes tant arabe que berbère mais également une touche picturale comme sortie de la Renaissance italienne. 

Restée fidèle à ses idées et à son intuition malgré sa fascination pour Matisse, son art évolua au fil du temps et des vicissitudes de sa vie et de son pays. La musique pénétra ainsi son art, les instruments devenant les personnages d’une peinture épousant en quelque sorte une mélopée picturale comme dans le très beau Femme aux instruments de musique (après 1966, collection particulière) tandis qu’elle-même épousait le chef d’un orchestre arabo-andalous. Mais c’est au milieu des années 70 que l’art de Baya trouva sa pleine maturité avec des œuvres empruntes d’une harmonie proprement déconcertante qui confinent presque à de l’abstraction avant que ce même art n’accède enfin, au début des années 80, à une reconnaissance internationale amplement méritée.

En la voyant peindre sur le film qui clôt l’exposition, on se dit que le peintre enfant pour reprendre l’expression d’Edmonde Charles-Roux dans son article de 1948 ne partit jamais et nourrit un art qui plongea le visiteur dans une sorte de conte enchanteur, ces mêmes contes qu’elle racontait à sa mère adoptive à la manière d’une Shéhérazade. Pas de doute, Baya fut bel et bien une princesse de l’art.

Par Laurent Pfaadt

Le voleur de feu

Le Musée d’art moderne de la ville de Paris consacre une magnifique rétrospective à Nicolas de Staël

Si vie tant artistique que personnelle fut une celle d’une comète. Mais à en juger par l’affluence aux premiers jours de l’impressionnante rétrospective que lui consacre le musée d’art moderne de la ville de Paris, la queue de cette comète brille encore, quelques soixante-dix ans après sa mort, de ses feux les plus éclatants.


Nicolas de Staël
Marseille, 1954, collection  privée

Des feux qu’il vola tour à tour aux dieux de Sicile et aux reflets d’argent de Normandie et de cuivre de Provence et qui constituèrent une œuvre « curieusement décalée, semblable à l’homme, ombrageuse mais solaire. Sensible et d’une rigueur, ou d’une détermination, qui porte ces quinze ans de travail bloc » assure ainsi Fabrice Hergott, directeur du musée d’art moderne de la ville de Paris dans l’avant-propos du très beau catalogue qui accompagne cette exposition. A travers près de 200 œuvres dont un certain nombre tirées de collections particulières montrées pour la première fois, le visiteur assiste à la lente transformation du peintre en génie. Car le voleur de feu réussit très vite à  domestiquer et à transformer ce dernier au gré de ses voyages pour lui donner des airs de tempête de couleurs avec ses verts éclatants ou ses roses émouvants. Derrière nous, des spectatrices s’émeuvent toujours autant du caractère révolutionnaire de sa peinture qui continue de consumer leurs coeurs. « Il a cassé tous les codes » lance ainsi l’une d’elles.

Bien décidée à sortir Nicolas de Staël des frontières picturales posthumes dans lesquelles le monde de l’art tenta de l’enfermer alors qu’il les traversa à maintes reprises, l’exposition explore tant la dimension figurative que l’abstraction d’une œuvre conçue avec un identique génie. Il suffit de contempler la série sur le football avec le magnifique Parc des Princes (1952) tiré d’une collection particulière et qui constitue l’un des points d’orgue de l’exposition pour se convaincre de sa perception unique du spectacle du monde.

Dans son atelier rue Gauguet ou devant sa palette, l’exposition offre au visiteur la possibilité d’entrer dans le brasier de la création d’un peintre bâtissant ses tableaux par aplats successifs réalisés au couteau et avec un pinceau à la main devant ces magnifiques encres de Chine.

C’est à Antibes, devant un soleil couchant s’éteignant dans une Méditerranée dont il emprunta l’éclat pour composer ces derniers chefs d’œuvres comme Marine la nuit (1954) ou Marseille (1954) que la comète devint astre, astre qui aujourd’hui encore rayonne sur la peinture contemporaine. Un astre libérant un feu qui, grâce à cette merveilleuse exposition, continue de briller sur le monde et sur nos esprits.

Par Laurent Pfaadt

Nicolas de Staël, la peinture comme un feu, Musée d’art moderne de la ville de Paris
Jusqu’au 21 janvier 2024.

A lire le catalogue de l’exposition, Stéphane Lambert, Nicolas de Staël, la peinture comme un feu
Chez Gallimard, 224 p.

L’orphelinat de la mémoire

Le centre de la porte Grodzka-théâtre NN à Lublin tente de redonner un nom et une identité à tous les juifs exterminés de la ville

Un homme creuse même si on lui a dit qu’ici, il ne subsistait aucune trace. Qu’il n’y avait plus rien. Pourtant il continue. Soudain retentit un bruit sourd comme venu du fond des âges. Comme tiré de l’oubli. Quelque chose était bien là. Des voix, des images issues d’une culture que l’on croyait à jamais perdue. Tomasz Pietrasiewicz s’arrête, regarde autour de lui. La mémoire est revenue.


Ils ont été assassinés à Majdanek, Belzec ou Sobibor par des nazis qui pensaient leur ôter non seulement leur vie mais également leur identité. Jusqu’à leur souvenir. C’était sans compter quelques aventuriers de la mémoire comme Tomasz Pietrasiewicz, directeur du centre de la porte Grodzka – Theatre NN et metteur en scène. Voilà plus de trente ans, depuis le début des années 1990 lorsqu’il a créé à partir de rien le théâtre NN de la porte Grodzka, qu’il recense et ressuscite la mémoire des juifs de Lublin. Pourtant Tomasz Pietrasiewicz ne savait absolument pas se servir de cette pelle historique et ne nourrissait qu’intérêt mineur pour les questions de mémoire, lui le diplômé de physique. « Pendant longtemps, cette  question m’intéressait pas. Puis je me suis rendu compte du lieu où je me trouvais » reconnaît-il aujourd’hui.

Dans cette tombe anonyme, de cette fosse de la mémoire pareille à ces charniers que les nazis ont répandu sur le sol de la région de Lublin et de la Pologne, Tomasz Pietrasiewicz s’active alors pour redonner vie à ces milliers d’histoires en les accueillant dans cet orphelinat de la porte Grodzka située tout près d’un parking qui a recouvert maisons et synagogues du quartier juif. Il y a avait donc urgence.

La quête des disparus de Lublin est ainsi lancée et depuis, Tomsaz Pietrasiewicz œuvre pour collecter les témoignages de cette population juive qui comptait jusqu’à 43 000 individus sur les 120 000 habitants de la ville de Lublin et que l’Aktion Reinhard – l’opération d’extermination des juifs de Pologne – a réduit au silence. « Je veux redonner à ces gens leurs histoires et je prends la responsabilité de ce qui n’existe plus » affirme-t-il. Le chantier fut titanesque et un travail de collecte considérable a été entrepris conduisant à recenser 1300 rues et plus de cinq mille heures de témoignages. Au final, les 43 000 dossiers personnels des juifs de Lublin se trouvent entreposés dans cet orphelinat de la mémoire où l’on vient du monde entier, d’Israël, des Etats-Unis, d’Australie ou d’Europe pour retrouver des parents, des grands-parents, un frère, une sœur ou des proches qui ont péri lors de la Shoah. Les retrouvailles dans ces lieux austères et métalliques sont toujours emprunts d’une intense émotion. « Certains craquent. D’autres fondent en larmes » rappelle Tomasz Pietrasiewicz dont l’action a été saluée par de nombreux intellectuels (Agata Tuszyńska, Julia Hartwig) et lui valut plusieurs prix dont celui d’Irena Sendler, du nom de cette résistante polonaise qui sauva des milliers d’enfants juifs et récompense deux personnes, l’une aux Etats-Unis et l’autre en Pologne, qui enseignent le respect et la tolérance.

Le projet financé à 100 % par la ville de Lublin a même donné lieu en 2011 à une exposition baptisée « Lublin Mémoire d’un lieu » où un mur de voix a permis de faire entendre celles qui se sont tues mais également celles des Justes qui ont sauvé les juifs de Lublin. Aujourd’hui, le centre de la porte Grodzka accueille non seulement ce mémorial mais également un théâtre, des projets sur l’apiculture ou les briqueteries de la ville et promeut un important volet éducatif et pédagogique à destination des écoles. Grâce à cela, le personnel du centre combat chaque jour l’oubli. Pour autant, le travail de mémoire entrepris par le Centre et son directeur ne s’arrête jamais car de nombreux dossiers parmi ces 43 000 restent vides par manque d’informations. Tomasz Pietrasiewicz n’a donc pas fini de creuser.

Par Laurent Pfaadt

Pour en savoir plus et visiter le Centre de la Porte Grodzka – théâtre NN rendez-vous sur leur site : https://teatrnn.pl/en/

Les papiers des derniers feux de la monarchie

Une fascinante exposition des archives nationales revient sur le séjour de la famille royale aux Tuileries

Le roi de France, reconnu par un maître de poste à Varennes le 21 juin 1791 vient d’être ramené à Paris, au château des Tuileries où il loge avec la reine Marie-Antoinette, Madame Royale, le Dauphin et une partie de la Cour depuis le 6 octobre 1789. Madame Campan, membre de cette dernière, écrit dans ses mémoires que « lorsque le roi, la reine et les enfants furent convenablement établis aux Tuileries […], la reine reprit ses habitudes ordinaires ». On joue au billard, on prend la température au propre comme au figuré et le Dauphin mange du poulet rôti comme en atteste le menu du 9 août 1792 qui figure parmi la centaine de documents mis à l’honneur dans cette exposition immersive qui nous replonge dans les dernières heures de la monarchie. Pourtant comme l’écrit Marie-Antoinette dans l’une de ses lettres qui, avec toutes ces autres archives, construisent, grâce à une astucieuse scénographie, une tension très vite palpable, « cette tranquillité ne tient qu’à un fil ».


Car au dehors, parmi le peuple de Paris et à l’Assemblée nationale législative, la colère gronde. La guerre est là : le roi communique avec l’empereur Leopold II et n’a pas renoncé à fuir le pays. D’ailleurs, d’autres projets d’évasion, vrais ou faux, sont échafaudés. Dans le même temps, on hésite quant au sort de la famille royale. Mirabeau est certes mort mais Pétion, maire de Paris, entretient une correspondance avec Marie-Antoinette, devenant en quelque sorte son conseiller politique tout en jouant un double jeu. Tout le succès de l’exposition est là. Celle-ci ne se contente pas d’aligner des documents certes prestigieux comme le journal du roi ouvert aux années 1791-1792 ou les lettres de Pétion mais les insèrent dans un décor pédagogique fait de plans (celui des Tuileries ou de Paris avec les principaux lieux de la Révolution française), d’éléments de compréhension (la scène internationale) ou dans une galerie de portraits des acteurs des derniers instants de liberté de la monarchie.

Portrait du comte Axel de Fersen par Pierre Dreuillon de Verneville 
© Photo Jens Mohr, Östergötlands Museum, Sweden

Devant nous, les preuves historiques sont là, enfermées dans leurs vitrines : libelles contre la reine, Manifeste du duc de Brunswick, correspondance de Louis XVI. Ce dernier peut compter sur le baron de Breteuil pour plaider sa cause à l’étranger. La reine, elle, possède un autre atout : le comte de Fersen, son valet de cœur. L’exposition dévoile leurs échanges épistolaires où géopolitique et amour tissent une relation devenue mythique. Axel de Fersen a pris soin de crypter, de caviarder ses lettres pour éviter de compromettre la reine. C’était sans compter le projet REX qui dévoile aux visiteurs par le biais des nouvelles technologies, la teneur des échanges qu’ont entretenu Marie-Antoinette et son soupirant. D’acteur de la tragédie, le visiteur devient détective pour son plus grand plaisir.

Décret de l’Assemblée nationale présenté le 10 août 1792 sur la suspension de Louis XVI

Pourtant, on connaît tous la suite et c’est bien pour cela que l’on est fasciné par cette exposition. Le 10 août 1792, le château des Tuileries est pris d’assaut. Les gardes suisses sont massacrés. Louis XVI, par décret de l’Assemblée nationale, est suspendu. Le document est là, sous nos yeux. Ces derniers viennent alors se poser sur le plan de Paris qui s’étale sur l’un des murs. Instinctivement, on cherche la place de Grève. Evidemment. Janvier 1793 est pour bientôt.

Amoureux de l’histoire de France désireux de lire, comme s’ils venaient d’être écrits, le discours de Robespierre sur la guerre le 2 janvier 1792 ou le manifeste politique de Louis XVI (20 juin 1791), et admirateurs de Marie-Antoinette comme ces nombreux touristes américains se pressant autour des textes et de la figure de la reine martyre, tous, Français comme étrangers prennent conscience à travers ces précieux trésors, du poids de l’histoire d’un pays qui, une fois de plus, a inspiré le monde.

Par Laurent Pfaadt

Louis XVI, Marie-Antoinette & La Révolution, la famille royale aux Tuileries (1789-1792), Archives nationales, Hôtel de Soubise, Paris, jusqu’au 6 novembre 2023
entrée gratuite

A lire le très beau catalogue de l’exposition, Louis XVI, Marie-Antoinette et la Révolution : la famille royale aux Tuileries, Gallimard, 192 p.

A lire également 10 août 1792 : la défaite de la monarchie de Clément Weiss (Passés composés) paru ces jours-ci où l’auteur propose à partir d’archives inédites une nouvelle version de l’évènement débarrassée de toutes considérations mythologiques.

encontre avec le Conseil d’Administration (monde) Urban Sketchers

Événement rare, les 8 membres du Conseil d’administration (monde) Urban Sketchers se réunissent en France, à Strasbourg
du 8 au 13 septembre 2023.

À cette occasion nous organisons une rencontre ouverte à tous du 
8 au 10 septembre à Strasbourg

Vous vous demandez comment fonctionne l’association Urban Sketchers ?
Comment, créer, dynamiser un chapitre Urban Sketcher dans votre Ville ?
Vous voulez savoir quels sont les prérequis pour candidater à un Symposium USK ?
Vous êtes intéressé par un atelier ?
Vous souhaiter simplement venir dessiner et nous rencontrer ?

Rejoignez-nous !

Vendredi 8 septembre

Drink&Draw

À partir de 18h, Café Atlantico 9A Quai des Pêcheurs

Samedi 9 septembre :

Échanges avec le conseil d’Administration

Au caveau de l’AFGES 1 quai du Maire Dietrich (arrêt de tram Gallia)
9h00 à 10h30 : Tour d’horizon de l’organisation et des différents rôles au sein du Conseil d’Administration Urban Sketchers
10h30 à 12h00 : Comment candidater et accueillir un Symposium Urban Sketchers ?
14h00 à 15h00 : Comment créer et dynamiser un chapitre Urban Sketchers ?
15h00 à 16h00 : À propos d’Urban Sketchers France
16h00 : moment de rencontre entre administrateurs des chapitres Urban Sketchers

Sketchwalks

9h00 à 12h00 : quartier Petite France
14h00 à 18h00 : quartier Cathédrale

Drink&Draw

À partir de 18h, Café Atlantico 9A Quai des Pêcheurs

Dimanche 10 septembre :

Ateliers de 9h00 à 12h00:

1 Sélectionner et simplifier ce que vous dessinez, par Rita Sabler (USA) – Objectifs: capacité à simplifier des scènes complexes, à simplifier la végétation et l’architecture, à capturer l’essence d’un lieu

2 Choisir et fêter la couleur ! par Annette Morris (UK/FR) – Objectifs : capacité à faire des choix de couleurs compatibles en fonction d’une scène spécifique, en équilibrant les valeurs de couleur dans une composition, travailler avec l’espace blanc et l’aquarelle

3 Raconter votre histoire d’un lieu par, Genine Carvalheira (Colombie) – Objectifs : Apprendre à combiner les croquis en utilisant votre manière de dessiner, vos mises en page et textes pour restituer l’essence d’un lieu, enrichir vos souvenirs de voyage et raconter votre propre expérience.

Sketchwalks

9h00 à 12h00 : quartier Neustadt
14h00 à 18h00 : Place Saint-Étienne, desssiner en compagnie du Conseil d’Administration

Drink&Draw

À partir de 18h, Café Atlantico 9A Quai des Pêcheurs

• du 11 au 13 la réunion du Conseil d’administration (non ouvert au public)

Informations et inscriptions aux ateliers : https://france.urbansketchers.org

Un dîner de génies

Le musée du Louvre a invité son homologue napolitain. Une occasion unique de contempler quelques grands chefs d’œuvre de la peinture européenne.

« A force de palais et de souverains installés dans le golfe, la ville est plutôt monarchiste que républicaine. Elle a besoin d’une reine ou d’un roi, mais seulement le dimanche. Les jours ouvrables, elle se gouverne toute seule, intolérante aux hiérarchies » note ainsi le célèbre écrivain italien Erri de Luca, dans son portrait de Naples qui figure en ouverture du magnifique catalogue qui accompagne l’exposition et tient lieu de véritable voyage pictural dans cette cité italienne à nulle autre pareille.


Raphael, Moïse devant le buisson ardent
© Luciano Romano Real Museo e Real Bosco di Capodimonte

De portraits, il en est d’ailleurs question dans la très belle exposition que consacre le musée du Louvre à son éminent invité transalpin, le musée de Capodimonte, venu avec quelques-unes des plus belles toiles de l’art européen. Car à la grande table que l’institution parisienne lui a dressé dans la Grande Galerie, comme un souverain invité dans celle des glaces de sa royale cadette, quelques places de choix ont été réservées aux grands maîtres que sont Léonard de Vinci ou Raphaël et leurs merveilleux cartons tirés des fresques des palais de Mantoue et du Vatican notamment ce Moïse devant le buisson ardent de toute beauté. Le pape, celui du Titien avec son fameux Portrait de Paul III avec ses petits-fils a même fait le déplacement et n’est pas venu seul puisqu’il est accompagné du Clément VII d’un Sebastiano del Piombo relégué cependant au milieu de l’auguste galerie. Eh oui, n’est pas Titien qui veut même si on sent chez ce dernier une petite pointe de jalousie de ne pas être l’objet de toutes les attentions de ces agapes touristiques, les visiteurs préférant La Flagellation du Christ d’un Caravage offrant d’émouvantes retrouvailles entre le fils et sa mère avec La Mort de la Vierge, l’une des fiertés du Louvre.

Caravage, La Flagellation du Christ
© Luciano Romano Real Museo e Real Bosco di Capodimonte

Ceux de moindre renommée mais non de qualité inférieure, qui ont pris place en bout de table, ont trouvé des homologues avec qui converser. L’exposition ainsi disséminée dans la Grande Galerie justifie sa pertinence : celle d’offrir un dialogue entre des Ribera, des Preti ou des Apollon et Marsyas notamment d’un Luca Giordano, artiste en vogue de cet été pictural qu’il fallait avoir à sa table. Le visiteur a ainsi le sentiment de revenir dans quelques ateliers napolitains pour découvrir des similitudes, des techniques avant que ces chefs d’œuvre ne s’envolent, à travers les vicissitudes de l’Histoire, de part et d’autre des Alpes. Le Saint Jérôme et l’ange du jugement d’un Ribera figurant un saint au corps vieillissant ou le Saint Nicolas en extase d’un Preti avec ses variations de blancs et de gris méritent assurément le détour. Nous reprendrons bien volontiers un peu de poissons de Giuseppe Recco ou de Parmesan surtout quand celui-ci vous est donné par la magnifique Antea.

Pour autant, il était à prévoir que même les strapontins de ce dîner pictural seraient convoités. Y viendraient s’assoir rois et maréchaux français et notamment le plus napolitain d’entre eux, Joachim Murat dont le portrait équestre d’Antoine Gros, rappelle, après les Farnèse et des Bourbons peints par l’espagnol Anton Raphael Mengs, que Naples fut une cité européenne en même temps qu’une ville monde, tant artistique que politique.

Vient alors le dessert forcément éruptif aux couleurs éclatantes et pimentées à faire rougir Lucrèce ou à draper la Judith d’Artemisia Gentileschi lorsque cette dernière s’apprête à découper ce dernier et non la tête d’Holopherne pour régaler nos yeux et nos papilles. Une magnifique exposition donc à voir et à revoir pour apprécier telle œuvre, tel détail, croiser le regard de Giulio Claro du Greco ou celui, apeuré de l’Abel de Spada. Une exposition pareille à un dîner où la curiosité comme l’appétit s’avèreront forcément insatiables.

Par Laurent Pfaadt

Naples à Paris.
Le Louvre invite le musée de Capodimonte, Musée du Louvre,
jusqu’au 8 janvier 2024

A lire le merveilleux catalogue de l’exposition :

Naples à Paris. Le Louvre invite le musée de Capodimonte, Louvre éditions, Gallimard, 320 p.

Ainsi que les romans d’Erri di Luca regroupés dans Itinéraires, le volume de la collection Quarto de Gallimard

Réunion de famille napolitaine

La magnifique collection De Vito s’expose au musée Granet

On pensait le sujet de la peinture italienne du XVIIe siècle épuisé, sans nouveauté. Et voilà qu’arrive pour la première fois en France les chefs d’œuvre de la collection De Vito, du nom de ce magnat italien des télécommunications, Giuseppe De Vito (1924-2015) qui accumula des toiles de maîtres napolitains avant de formaliser cette collection dans une fondation créée en 2011 et qui, aujourd’hui, s’expose au musée Granet.


Battistello Caracciolo (1578-1635), Saint Jean-Baptiste, vers 1622,
Fondazione Giuseppe Margaret De Vito

Poursuivant ainsi son cycle d’expositions consacrées à l’Italie avec Via Roma et Italia discreta en 2022, le musée Granet a invité ces Giordano, ces Stanzione ou ces Vaccaro à une véritable réunion de famille picturale en compagnie de ses propres chefs d’œuvre napolitains tels que sa Sainte Madeleine pénitente (vers 1660) d’un Mattia Preti qui trône en majesté dans l’exposition ou Les Noces de Jacob et de Rachel (vers 1640) du Maître de l’annonce aux bergers.

A l’origine, comme le rappelle une section de l’exposition consacrée à Giuseppe de Vito, il y a un ingénieur, adepte des sciences dures qui se passionna pour la peinture napolitaine du XVIIe siècle. « Il y fut poussé par ses racines culturelles et son amour pour Naples, mais aussi par sa rencontre avec Raffalleo Causa, le surintendant du musée Capodimonte de Naples » rappelle Nadia Bastogi, directrice scientifique de la Fondation De Vito. Cette rencontre signa ainsi le début d’une aventure artistique incroyable qui conduisit à la formalisation d’une collection unique aujourd’hui visible par tous. 

A travers ces quarante tableaux répartis en neuf sections et traduisant un cheminement intellectuel et pictural parfaitement cohérent, cette collection montre le caractère précurseur de Giuseppe De Vito, attaché à la redécouverte de peintres oubliés et écrasés par la figure du Caravage notamment Massimo Stanzio ou Andrea Vaccaro. L’exposition s’attarde ainsi sur l’œuvre lumineuse de ce dernier avec notamment sa magnifique Sainte Agathe (vers 1640) et son bleu canard éclatant ou sur cette Judith tenant la tête d’Holopherne (vers 1645) d’un Massimo Stanzio dont le travail sur les étoffes à l’élégance raffinée rappelle le grand Zurbaran. 

Mattia Preti (1613-1699), Sainte Madeleine pénitente, vers 1660,
Musée Granet

Malgré deux passages très brefs, Le Caravage marqua profondément de son empreinte la peinture napolitaine. La présence dans la collection De Vito de plusieurs œuvres dont le Saint Jean Baptiste enfant d’un Battistello (vers 1622) ou le Saint Jean Baptiste dans le désert (vers 1630) de Stanzione évoquent cette filiation picturale dominée à Naples par la figure tutélaire d’un Jusepe de Ribera dont le Saint Antoine abbé (1638) semble interpeller le visiteur. Car cette peinture napolitaine du Seicento qui traverse l’exposition dans toutes ses dimensions esthétiques se divisa en deux périodes : celle du ténébrisme des héritiers du Caravage et celle du baroque de la deuxième moitié du XVIIe siècle avec deux grandes figures, Luca Giordano et Mattia Preti. A ce titre, le visiteur restera très certainement pantois devant le regard terrifié et les yeux écarquillés du Saint Jean de la puissante Déposition du Christ d’il Cavaliere Calabrese(vers 1675). Ici la scène semble encore en mouvement tant la charge émotionnelle accentuée par la vue da sotto in su (de dessous vers le haut) est forte avec ce ciel d’orage qui semble contenir une colère divine prête à éclater et un Joseph d’Arimathie ployant sous le poids du Christ. 

Parfois, l’exposition se mue en une enquête policière dans la salle du fameux Maître de l’annonce aux bergers qui constitua la grande passion de Giuseppe De Vito et dont l’identité reste encore sujette à discussions : s’agit-il d’une seule personne, d’un épigone de Ribera ou de plusieurs mains ? Reste l’incroyable puissance de ses tableaux et notamment ce Rebecca et Eliézer aux puits (vers 1635-1640) montré seulement pour la deuxième fois. Emporté dans cette course effrénée à l’abîme pictural, le visiteur semble submergé devant tant de beautés. Il croyait tout connaître. Il n’a encore rien vu.

Par Laurent Pfaadt

Naples pour passion, chefs d’œuvre de la collection De Vito, Musée Granet, Aix-en-Provence jusqu’au 29 octobre 2023.

A lire le catalogue accompagnant l’exposition : 

Naples pour passion, chefs d’œuvre de la collection De Vito, Réunion des musées nationaux – Grand Palais, 160 p.

Un taxi pour Bollywood

Le Louvre Abu Dhabi rendait hommage au cinéma indien et à ses sources d’inspiration

Dans le taxi qui nous emmène dans le quartier Al-Saddyiat où se concentrent les musées de la capitale émiratie, le chauffeur indien – l’une des nationalités les plus représentées parmi la population immigrée – nous interroge sur notre pays d’origine. Quand on lui répond France, il s’exclame « Mbappé ! ». Or pour trouver une personnalité indienne drainant autant de fans, il faut se tourner vers le cinéma, le célèbre Bollywood et il faut bien dire que là nous séchons un peu.


Cela tombe bien puisque le taxi vient de s’arrêter devant l’affiche de l’exposition du Louvre Abu Dhabi consacrée à Bollywood. En partant de ces films chantant, l’exposition, passionnante, montra à la fois la longue tradition cinématographique de ce pays, presque aussi vieille que le cinéma lui-même mais également qu’elle est l’aboutissement d’une histoire millénaire faîte de récits qui séquencent les différentes époques de l’Inde.

Au commencement, il y a les légendes tirées des textes sacrés de l’hindouisme, le Mahabharata et le Ramayana et l’exposition présentait à ce titre de magnifiques exemplaires de la période Gupta (IV-VIe siècle). Les textes étaient ainsi racontés par des bardes, sortes d’Homère indiens, à travers notamment ces autels portatifs avec panneaux historiés qui se déploient au fur et à mesure du récit.

Ces 80 œuvres (photographies, tissus, art graphique, costumes avec ces magnifiques robes de femmes et extraits de films) provenant des collections du Louvre Abu Dhabi, du musée du quai Branly – Jacques Chirac, du musée de l’Armée, du musée national des arts asiatiques – Guimet, de la collection al-Sabah, de la Raja Ravi Varma Heritage Foundation et de la collection Priya Paul ont ainsi permis une extraordinaire immersion, riche en couleurs et en musique, dans l’histoire de l’Inde et dans la formalisation de son récit national. Des temps les plus reculés aux derniers films de Bollywood en passant par l’époque moghole qui constitua un âge d’or de l’épanouissement des arts et la révolution picturale introduite par Ravi Varmâ (1848-1906) dans l’iconographie religieuse, l’exposition voyagea ainsi dans l’histoire fluctuante de la représentation du sacré dans la culture indienne.

Autel portatif racontant le Mahabharataé

Et des dieux aux stars, il n’y a qu’un pas que le Louvre Abu Dhabi franchit allègrement en offrant une véritable plongée dans ce cinéma indien appelé Bollywood dont le terme est issu de la contraction de Bombay (Mumbai) et d’Hollywood. Puisant toujours dans la tradition religieuse, le cinéma indien, d’abord itinérant se transforma en une industrie florissante et révolutionna certaines techniques cinématographiques. Il consacra également de nouvelles icônes de l’Inde moderne, de Shashi Kapoor à Aamir Khan et de Aishwaraya Rai à Priyanka Chopra, deux anciennes miss monde devenues des stars de cinéma, Priyanka Chopra jouant dans l’un des derniers succès de la plateforme Netflix, Le Tigre blanc. Pour autant, cette exposition si vivante ne pouvait laisser le visiteur de l’autre côté de la caméra. En l’invitant sur un fond vert à intégrer un film et à effectuer quelques pas de danse, le Louvre Abu Dhabi prit ainsi des airs de studio de cinéma. Quittant l’exposition et le musée, le visiteur reprend difficilement contact avec la réalité. Au loin, une musique indienne se fait entendre. Elle émane non pas du Louvre mais du taxi qui nous attend. Va falloir qu’Mbappé lui parle du Tigre blanc.  

Par Laurent Pfaadt

Pour retrouver toute la programmation du Louvre Abu Dhabi : https://www.louvreabudhabi.ae/

Une histoire allemande

Entrer dans le musée Porsche, c’est voir bien plus que des voitures

Dès le parking souterrain le visiteur a l’impression d’être dans le musée tant les Porsche des visiteurs s’y alignent, modèles et couleurs variés. De l’une d’elle, une 911 GT3 RS verte pomme sortent Christian et Marco, deux frères suisses. « Je suis un amoureux de Porsche depuis toujours et je suis venu ici plusieurs fois. Mon frère Marco ne connaissait pas le musée. Alors je l’ai accompagné » dit-il en souriant, visiblement heureux de revenir.


Porsche
©Porschemuseum

Qui n’a jamais voulu tourner la clé de contact d’une Panamera ou entendre rugir sous son pied une 911 ? Ici dans ce temple monumental de modernité Porsche se vit, se touche. On y croise toutes les générations, petits comme grands et tout type de visiteurs. Ici un prêtre en soutane se renseignant sur Porsche pendant la seconde guerre mondiale. Là un touriste indien se faisant photographier dans la 718 Boxter. Dans le musée, l’histoire de la saga est bien évidemment relatée, de sa fondation par Ferdinand Porsche en 1931 jusqu’à aujourd’hui, mais le visiteur côtoie aussi des modèles qui changent au gré des envies alliant ainsi pédagogie et plaisir.

Ce dernier est comme un enfant. Il peut toucher les carrosseries comme s’il s’agissait de reliques, les pneus des F1, le volant qu’à dû tenir James Dean dans sa 550 ou s’assoir dans les nouveaux modèles. Les enfants se prennent en photo devant la Sally Carrera de Cars. La 911 trône bien évidemment en majesté avec ses modèles de course ou de tourisme et toise un peu sa petite sœur 928 qui suscita tant de controverses avant de rappeler avec les autres membres de la famille, de la mythique 914 S de 1969 à la fière 718 Cayman T 2019 et sa couleur rouge – petit pied de nez à sa rivale italienne – que Porsche c’est en 2023, une histoire faîte de 75 ans de rêves et de passion.

Cette passion, la marque la brandit dans les plus grandes courses du monde, notamment aux 24h du Mans, de la 917 de Steve McQueen barrée du logo orange Gulf en 1971 à la 919 hybride, victorieuse en 2015 avec ses airs de vaisseau spatial en passant bien évidemment par la mythique 962C qui réalisa un doublé en 1986-1987. Pénétrant dans la salle des trophées, le visiteur a le choix, via un écran tactile, de revivre ces grandes courses.

En Formule 1, la McLaren d’Alain Prost est là pour nous rappeler que Porsche en tant que motoriste remporta deux titres de champion du monde avec TAG. D’ailleurs, le visiteur aguerri peut ausculter la mythique mécanique. Chacun y va de son commentaire sur tel cylindre ou sur le système de freins. Ou tout simplement s’imprégner de l’esprit Porsche. « J’ai voulu voir ce musée parce que j’adore les voitures et je préfère les musées spécifiques que les grands musées. Pour m’imprégner du style Porsche » confie Iouri, un réfugié ukrainien qui se prend en photo devant la Carrera GT de 2006.

Car Porsche raconte cela. Cet esprit qu’il a insufflé, dans la course, au cinéma et dans la société occidentale moderne. Au terme d’une balade de plusieurs heures, le temps est venu de redescendre sur et sous terre pour retrouver sa voiture dans le parking souterrain. Et en tournant la clé de contact, le visiteur, encore imprégné d’un rêve qui tarde à se dissiper, s’attend toujours à entendre le moteur d’une 911.

Par Laurent Pfaadt

Pour obtenir toutes les informations sur le musée : https://www.porsche.com/international/aboutporsche/porschemuseum/

A noter que la nouvelle application du musée sera disponible dès
le 9 juin 2023

A lire :

Pour tous ceux qui souhaiteraient se replonger dans l’univers Porsche et découvrir leur modèle favori, on ne saurait trop leur conseiller le livre de Brian Laban Quintessence Porsche (Glénat)

L’appel de Naples

Le Musée Magnin de Dijon consacre une magnifique exposition à la collection De Vito

On pensait le sujet de la peinture italienne du XVIIe siècle épuisé, sans nouveauté. Et voilà qu’arrive pour la première fois en France les chefs d’œuvre de la collection De Vito, du nom de ce magnat italien des télécommunications, Giuseppe De Vito (1924-2015) qui accumula des toiles de maîtres napolitains avant de formaliser cette collection dans une fondation créée en 2011 et qui a aujourd’hui traversé la péninsule et les Alpes pour venir s’installer en Bourgogne.


Jusepe de Ribera – Saint Antoine abbé
© Fondazione De Vito, Vaglia (Firenze)
Photo Claudio Giusti

Et dire que le COVID faillit empêcher les amoureux du Seicento napolitain de contempler ce Ribera, ces Giordano, ces Stanzione ou ces Vaccaro. Il a fallu pour cela toute la passion et l’opiniâtreté de Nadia Bastogi, directrice scientifique de la Fondazione De Vito et de Sophie Harent, conservateur en chef du musée Magnin qui non seulement ont permis l’aboutissement de ce projet inédit tant au niveau des peintres exposés que de la nature de leurs oeuvres avec ces grands formats sortis pour la première fois de leurs écrins italiens.

A l’origine, comme le rappelle une section de l’exposition consacrée à Giuseppe de Vito, il y a un ingénieur, adepte des sciences dures qui se passionna pour la peinture napolitaine du XVIIe siècle. « Ce qui intéressa De Vito, c’est comprendre l’évolution de l’art napolitain » relate ainsi Sophie Parent. Sa rencontre avec le surintendant de Naples, Raffalleo Causa, signa le début de cette aventure artistique et conduisit à la formalisation d’une collection unique aujourd’hui visible par tous. 

A travers ces quarante tableaux répartis en neuf sections et traduisant un cheminement intellectuel et pictural parfaitement cohérent, cette collection montre le caractère précurseur de Giuseppe De Vito, attaché à la redécouverte de peintres oubliés et écrasés par la figure du Caravage notamment Massimo Stanzio ou Andrea Vaccaro. L’exposition s’attarde ainsi sur l’œuvre lumineuse de ce dernier avec notamment sa magnifique Sainte Agathe (vers 1640) et son bleu canard éclatant ou sur cette Judith tenant la tête d’Holopherne (vers 1645) d’un Massimo Stanzio dont le travail sur les étoffes à l’élégance raffinée rappelle le grand Zurbaran. 

Mattia Preti – La Déposition du Christ
© Fondazione De Vito, Vaglia (Firenze)
Photo Claudio Giusti

Malgré deux passages très brefs, Le Caravage marqua profondément de son empreinte la peinture napolitaine. La présence dans la collection De Vito de plusieurs œuvres dont le Saint Jean Baptiste enfant d’un Battistello (vers 1622) ou le Saint Jean Baptiste dans le désert (vers 1630) de Stanzione évoquent cette filiation picturale dominée à Naples par la figure tutélaire d’un Jusepe de Ribera dont le Saint Antoine abbé (1638) semble interpeller le visiteur. Car cette peinture napolitaine du Seicento qui traverse l’exposition dans toutes ses dimensions esthétiques se divisa en deux périodes : celle du ténébrisme des héritiers du Caravage et celle du baroque de la deuxième moitié du XVIIe siècle avec deux grandes figures, Luca Giordano et Mattia Preti. A ce titre, le visiteur restera très certainement pantois devant le regard terrifié et les yeux écarquillés du Saint Jean de la puissante Déposition du Christ d’il Cavaliere Calabrese(vers 1675). Ici la scène semble encore en mouvement tant la charge émotionnelle accentuée par la vue da sotto in su (de dessous vers le haut) est forte avec ce ciel d’orage qui semble contenir une colère divine prête à éclater et un Joseph d’Arimathie ployant sous le poids du Christ. Cette oeuvre « montre la capacité de Preti à mêler précision du mouvement, intensité émotionnelle, sens de la composition et virtuosité décorative » nous rappelle Sophie Harent dans le magnifique catalogue qui accompagne cette exposition à propos d’un tableau qui mérite presque, à lui seul, la visite.

Parfois, l’exposition se mue en une enquête policière dans la salle du fameux Maître de l’annonce aux bergers qui constitua la grande passion de Giuseppe De Vito et dont l’identité reste encore sujette à discussions : s’agit-il d’une seule personne, d’un épigone de Ribera ou de plusieurs mains ? Reste l’incroyable puissance de ses tableaux et notamment ce Rebecca et Eliézer aux puits (vers 1635-1640) montré seulement pour la deuxième fois. Emporté dans cette course effrénée à l’abîme pictural, le visiteur semble submergé devant tant de beautés. Il croyait tout connaître. Il n’a encore rien vu.

Naples pour passion, chefs d’œuvre de la collection De Vito, Musée Magnin, Dijon, jusqu’au 25 juin 2023 puis au musée Granet à Aix-en-Provence à partir du 15 juillet 2023.

Par Laurent Pfaadt

A lire le catalogue accompagnant l’exposition : 

Naples pour passion, chefs d’œuvre de la collection De Vito, Réunion des musées nationaux – Grand Palais, 160 p.