Un an à peine après son retour, Ghostface revient semer la mort, mais quitte le cocon douillet de la petite ville californienne (et fictionnelle) de Woodsboro, pour l’animation perpétuelle de la Big Apple.
Commencée il y a 26 années sous la caméra du regretté Wes Craven, la célèbre franchise revient dans les salles obscures pour la sixième fois, pour le plus grand bonheur des amateurs de whodunit et de meurtres à l’arme blanche. Pour varier les « plaisirs », les scénaristes ont décidé de planter l’histoire dans l’univers foisonnant de la ville qui ne dort jamais. À chaque coin de rue New York offre au récit un cadre idéal, propice à la suspicion et l’angoisse. Véritable fourmilière géante, la ville est ici un personnage à part entière, qui ne laisse aucun répit à ses supposés héros.
L’ouverture du film est tellement classique : la sonnerie d’un téléphone ! Au-delà de la figure imposée, cette première scène démontre la sincérité des réalisateurs. Matt Bettinelli-Olpin et Tyler Gillett sont parfaitement conscients du poids de l’histoire : il y a les éléments incontournables, et ceux dont on peut s’affranchir. Dans la catégorie des premiers, le téléphone (et sa sonnerie, si possible bien stridente) en est un, les gentils héros/survivants des épisodes passés en sont un autre, de même que les nouveaux venus, forcément suspects, même s’ils ont l’air totalement sincères et inoffensifs. Les ingrédients principaux ne changent pas, mais la recette subit à chaque nouvel opus de subtiles variations. Certaines sont heureuses, d’autres non.
Les commentaires méta sur le genre sont bien là, ils ouvrent même le bal, avec le personnage de la prof de fac qui attend patiemment son rendez-vous au bar d’un restaurant banché de la ville. Celle-ci est (évidemment) enseignante de cinéma, avec une spécialisation sur le sous-genre du slasher. Pour sa seconde collaboration avec le duo de metteurs en scène (elle incarnait le personnage principal de leur sympathique comédie d’horreur Wedding Nightmare il y a 3 ans), Samara Weaving apparaît le temps de quelques scènes introductives bien développées, avant de devoir tirer brutalement sa révérence. Le premier meurtre surprendra par son issue. Et la suite plus encore ! Le concept de tueurs multiples, copycat ou non, a déjà été utilisé au cinéma. Il est ici employé avec une grande ironie, qui sera constante tout au long de l’histoire (jusqu’à la scène post-générique). Matt Bettinelli-Olpin et Tyler Gillett ne se contentent pas de faire un film dans le film, ils dépassent à certaines occasions le cadre rigide du sous-genre, sans lui manquer de respect. Certains fans n’ont évidemment pas été d’accord avec l’usage qu’ils font des armes à feu (Ghostface ne peut que se servir d’une arme blanche, selon eux, alors imaginez-le armé d’un fusil à pompe !!!), et certains personnages importants ont parfois l’irritante capacité de ressusciter, et pourtant, ce sixième épisode de la saga est une réussite.
Soumis à un cahier des charges assez strict, Scream VI s’en sort avec les honneurs. Les rebondissements sont nombreux, les mise à morts aussi, et le concept du slasher prend parfois de la hauteur -évidemment pour souffler le chaud et le froid- pour le plus grand bonheur de son public.
Certaines scènes se distinguent, comme celles, anxiogènes, se déroulant dans le métro bondé de New York, ou dans un ancien cinéma de quartier abandonnée, véritable sanctuaire à la mémoire des sanglants événements des films précédents. Le concept de famille est développé de manière intéressante, puisqu’au-delà du duo composé des sœurs Carpenter, Samantha (Melissa Barrera) et Tara (la comédienne Jenna Ortega, la « Mercredi » de la série Netflix du même nom), Mindy (Jasmin Savoy Brown) et Chad (Mason Gooding, fils du comédien Cuba Gooding Jr) sont à nouveau de la partie, formant avec les deux héroïnes une bien étrange famille de survivants, depuis les tragiques événements du précédent film. La psychologie complexe de Samantha est à nouveau scrutée à la loupe, ses liens avec le tueur originel refaisant surface dès les premières scènes.
Petit plus du film, déjà utilisé l’année dernière, Scream VI fait en effet revenir le personnage de Billy Loomis en deux occasions, offrant aux nostalgiques de la première heure de quoi raviver d’agréables souvenirs. C’est donc naturellement lorsque Samantha est mise à rude épreuve que le visage familier de Skeet Ulrich réapparaît, lui permettant de trouver les ressources de se défendre et faire face à son agresseur. Issu du passé, Billy Loomis lui explique que sans lui la jeune femme ne serait peut-être pas celle qu’elle est aujourd’hui. Elle ne peut renier ses origines, pas plus qu’elle n’est responsable des tueries de l’époque. Le personnage de Samatha donne une orientation un peu différente au concept d’héroïne développé dans les quatre premiers films. Elle n’est en effet ici pas uniquement la jeune femme en détresse de l’histoire, elle est aussi la fille d’un homme très perturbé, dont les pulsions meurtrières ont marqué la petite bourgade de Woodsboro il y a un quart de siècle. Une dernière petite précision, ne quittez pas trop vite la salle au moment du générique, un petit clin d’œil vous attend juste après, illustrant parfaitement l’ironie du concept et le recul qu’a le film sur lui-même…
Adam, le précédent film de Maryam Touzani, a remporté une trentaine de prix à travers le monde mais sorti au début du Covid, il n’a pas rencontré le public qu’il méritait. Déjà Lubna Azabal s’y imposait et dans Le Bleu du Caftan, elle irradie par sa présence aux côtés de Saleh Bakri, acteur palestinien au regard plein d’humanité et Ayoub Missioui, un jeune marocain qui devrait connaître un bel avenir. Co-écrit et produit par Nabil Ayouch, Le Bleu du Caftan qui a raflé entre autres le prix du jury au festival du film de Marrakech et le prix FIPRESCI à Cannes, est un film sensible sur la question de l’homosexualité vécue comme un tabou et brise les clichés sur la femme dite opprimée en terre musulmane.
Dans la vieille médina de Salé, ville marocaine sur l’Atlantique, un tailleur perpétue la tradition de la confection du caftan, longue robe brodée de fil d’or portée à l’occasion des fêtes. Halim est un maalem, un maître artisan. Film très sensuel, le tissu entre ses mains prend corps, épouse le corps. Il est dit que l’âme du maalem est dans le caftan qu’il a confectionné, ne comptant pas ses heures. Le film est un hommage à cet artisanat qui se perd et prend son temps pour montrer les gestes, l’aiguille qui travaille le fil d’or qui prend forme en des circonvolutions, boucles et boutons.
Mais les temps sont durs ! Difficile de concurrencer la couture industrielle avec machines quand un caftan nécessite des semaines de travail. La femme de Halim, Mina, tient la boutique et s’occupe de la vente. Youssef, un jeune apprenti, se présente à leur service. Chacun cache un lourd secret dont l’amour aura raison dans cette société de non-dits où les personnages évoluent.
L’idée de son film date des repérages pour Adam. La rencontre d’un homme, un coiffeur, a été déterminante, ravivant chez la réalisatrice des souvenirs de couples croisés quand elle était petite puis adolescente, comprenant après-coup leur relation tissée de non-dits pour sauver les apparences. Comment ces couples vivaient-ils leur secret ? Comme l’amour inconditionnel scellait-il leur relation de manière indéfectible ? Halim parle peu et cache son homosexualité. Les cabines individuelles du hammam offre un abri à ses désirs. En un seul plan, Maryam Touzani revisite l’image des backrooms. Rien n’est montré, tout est dit. Mina devine l’attirance de Halim pour Youssef. Elle sait depuis toujours l’amour de son homme pour les garçons. Mais Le Bleu du Caftan est plus riche, plus subtil que ce pitch réducteur. L’Amour circule entre les trois personnages au-delà des rapports préétablis et établis. Un moment où ils dansent tous les trois sublime leur relation à la fois amoureuse, fraternelle voire filiale. Mina est la femme de Halim mais elle est aussi la mère qui remplace celle qu’il a perdue quand elle l’a mis au monde, la sœur, l’amie complice. C’est Mina qui l’a demandé en mariage, c’est elle qui initie leurs étreintes. Elle est entrepreneuse, rebelle dans une société où il est mal vu qu’une femme s’attable à un café, révoltée contre l’ordre établi qui est une entrave à la liberté d’aimer en public. En creux se dessine le portrait de cette femme si pleine d’amour pour Halim et qui ne veut que son bonheur et lui dira « Donne-toi le droit d’aimer », comme un Sésame pour l’avenir. Maryam Touzani espère changer les regards sur l’homosexualité qui n’est pas un tabou qu’au Maroc. Elle croit au pouvoir du cinéma, à celui des histoires racontées avec vérité et conviction. On veut le croire avec elle.
Et voilà ! On y est arrivé ! En cette fin janvier 2023, Gérardmer a encore vibré à l’occasion de la célèbre manifestation qui met le film de genre à l’honneur. Cette fois-ci avec un petit plus, le festival fêtant pour l’occasion un cap, le 30ème anniversaire de l’événement.
Avant
d’évoquer les films en compétitions (et les autres) qui, comme
chaque année, ont soulevé de vives discussions, évoquons
rapidement les membres du jury longs métrages , accompagnés
d’invités prestigieux. Michel Hazanavicius (célèbre depuis les
deux OSS 117, The Artist, et plus récemment le féroce Coupez
!) formait avec son épouse et comédienne Bérénice Béjo une
présidence bicéphale, au cœur d’une équipe composée des
comédiens Alex Lutz, Finnegan Oldfield, Pierre Rochefort et Pierre
Deladonchamps, du rappeur Gringe, de la comédienne Anne Le Ny, du
réalisateur Sébastien Marnier, et de la toujours décalée
Catherine Ringer.
Le jury courts métrages était lui présidé par le magicien David Jarre, fils de Charlotte Rampling et de Jean-Michel Jarre. Il animait une équipe composée du réalisateur François Descraques, de la scénariste Frédérique Moreau, des comédiennes Ophélie Bau, Lou Lampros et du comédien Jules Benchetrit. Un plateau de qualité, que la manifestation vosgienne avait eu la bonne idée d’embellir encore en y intégrant la venue d’invités de marque tels les metteurs en scène Jaume Balaguero et Kim Jee-woon. Bien connus du public vosgien, les deux cinéastes faisaient figure de caution de prestige pour l’anniversaire de la manifestation gérômoise. Leur présence avait quelque peu calmé les râleurs habituels, même si ce ne sont jamais les mêmes, ils changent au gré de la programmation ! Et cette année, celle-ci était discutable.
Mais
ils n’étaient pas seuls, loin de là ! Pour fêter
l’événement, Alex de la Iglesia, Jan Kounen, Lucile
Hadzihalilovic, les jumeaux Ludovic
et Zoran Boukherma avaient fait
le déplacement, sans oublier le créateur du festival, Lionel
Chouchan. Lors de la cérémonie d’anniversaire dans la grande
salle de l’Espace Lac, les amateurs eurent le plaisir de croiser
tout ce beau monde, pour ensuite assister à
de sympathiques petits messages
projetés sur le grand écran
avant la projection du dernier film de Jaume Balaguero, l’explosif
Venus.
Ce fut au tour d’Eli Roth, de David et Brandon Cronenberg, Dario et
Asia Argento et de quelques autres d’y aller de leurs
encouragements à la quête sans cesse renouvelée, insatiable, de
Fantastique de la Perle des Vosges.
Blood de Brad Anderson
Cette
année, neuf films étaient présentés en compétition. En
ouverture, Blood
de Brad Anderson donnait le ton, avec une histoire assez classique
qui semblait ancrer le festival dans un contexte familier. On
assistait au drame frappant une petite famille déjà bien abîmée,
suite à la morsure du cadet par son chien possédé. Bien
connu du public qui avait apprécié à l’époque ses films Session
9 (en 2004) et l’Empire
des ombres (en 2011), Brad
Anderson était de retour avec
son nouveau film, on ne peut plus à sa place à Gérardmer. En
ouvrant le festival avec Bloodles organisateurs
semblaient dire aux spectateurs « voilà, vous êtes de retour
en milieu connu après deux
années compliquées,
maintenant
détendez-vous »…C’était
sans compter leur malice, la programmation prenant ensuite un malin
plaisir à brouiller les piste, avec
des films « classiques » et d’autres nettement moins…
La Montagne de Thomas Salvador
Aux
côtés de Blood,
il y avait La Montagne,
du français Thomas Salvador. S’étant fait connaître en 2015 avec
la sortie de son premier long-métrage Vincent
n’a pas d’écailles, le
réalisateur avait une approche du fantastique à part, faite
d’humour, d’imaginaire et de décalage. La
Montagne allait reprendre
tous ces éléments, et y ajouter une bonne dose de poésie. On y
découvrirait Pierre, un ingénieur parisien qui à l’occasion
d’une mission dans les Alpes serait séduit par la beauté des
cimes pour ne plus vouloir en repartir. Lors de ses ballades il
suivrait d’étranges lueurs, qui allaient lui conférer de
nouvelles aptitudes. Le film partirait avec deux prix (à
l’annonce, un étonnement légitime a parcouru une partie de
l’assistance), celui
du Jury et celui de la Critique, avec
un aspect fantastique pourtant très relatif, le
film communiquant surtout une forte envie d’aller à la découverte
de la montagne.
Memory of Water de Saara Saarela
Dans
un genre plus classique, Memory
of Water de
la Finlandaise Saara Saarela, emprunterait la voix de la politique
fiction, avec un mélange dictature-complotisme que n’aurait pas
renié George Orwell. On y suivrait le parcours de la jeune Noria
dans un monde futuriste où la pénurie d’eau aurait forcé un
gouvernement militaire à mettre en place un rationnement strict de
la ressource rare. À
travers son discours alternant fatalisme et espoir, ses décors de
fin du monde, Memory
of Water
laisserait un sympathique souvenir.
The Nocebo Effect de Lorcan Finnegan
The
Nocebo Effect
marquait le retour de Lorcan Finnegan au festival de Gérardmer,
après son intrigant Vivarium
en 2020. Avec une distribution prestigieuse (Eva Green, Mark Strong,
qui font face à la jeune comédienne philippine Chai Fonacier), The
Nocebo Effect
nous invite dans le folklore philippin. Une histoire solide et
réellement fantastique,
à base de traumatisme enfoui et de sorcellerie somme toute
classique, mais
avec un petit plus appréciable, et
un ancrage bien réel et sincère dans la culture philippine.
La pieta d’Eduardo Casanova
Très
attendu, le film espagnol/argentin La
pieta d’Eduardo
Casanovaraviverait
les débats, les uns farouchement pour, les autres férocement
contre. Avec son espèce de huis clos mettant en scène un jeune
homme étouffé par sa mère, et en faisant un parallèle avec la
dictature de la Corée du Nord (si, si!), La
pieta
allait être sur toutes les lèvres, jusqu’à récolter trois prix,
le Grand Prix, le Prix du Public et le Prix du Public Jeunes,
montrant que le jury longs-métrages avait
été séduit par le
côté non conventionnel de l’histoire. A des années lumière du
côté classique qu’offrait Blood,
Memory of Water
ou encore The Nocebo
Effect,
La pieta
allait susciter de vives réactions, mais
ça, ce n’est pas nouveau à Gérardmer.
Il faut bien
reconnaître
que nul côté classique ici, dans cette vision rose bonbon d’un
enfer moderne régenté
par une mère abusive implacable et terrifiante.
Autre
film de la sélection, plus
balisé, La Tour
du Français Guillaume Nicloux (Le
Poulpe, Une affaire privée, Le Concile de Pierre, Les confins du
Monde…) allait
nous enfermer dans une tour de cité isolée du reste du monde par un
épais et vorace brouillard. Les habitants de la tour tenteraient de
s’organiser pour survivre, des groupes antagonistes se formant et
s’affrontant au fil d’une chronologie parfois déroutante.
The Watcher de Chloer Okuno
Avec
The Watcher,
film américain réalisé par Chloe Okuno, le festival resterait dans
le balisé avec cette histoire de voisin voyeur, interprété
par le toujours génial Burn Gorman (toujours aussi dérangeant dans
ses rôles, ceux
qui ont vu la série Forever
se rappellent du glaçant Adam qu’il y incarnait, face
à un autre immortel incarné par Ioan Gruffud).
Dans le rôle de la femme espionnée, Maika Monroe revenait à
Gérardmer, après y être apparue en personnage principal de It
Follows,
Grand Prix et Prix de la Critique en 2015. Film anxiogène assez lent
aux airs de Polanski, The
Watcher
est en quelque sorte un film à l’ancienne mêlant thriller et
fantastique. Le résultat a séduit le jury, qui lui a donné le Prix
du 30ème anniversaire du festival, créé
pour l’occasion.
Piaffe d’Ann Oren
Dans
le genre expérimental et bizarre, le
film allemand Piaffe
d’Ann Oren était, avec La
pieta,
un des deux véritables ovnis de cette sélection en compétition. On
y partageait le quotidien d’une jeune femme spécialisée dans la
synchronisation et les bruitages de films. Déjà
là, après
quelques scènes, on
avait perdu une partie des spectateurs. En la faisant ensuite
rencontrer un botaniste un
brin pervers et
manipulateur, on était pas loin de perdre ce qui restait du public.
Intrigant
par certains aspects, Piaffe a dérouté une partie des spectateurs,
ce qui ne l’a pas empêché de séduire le jury longs métrages,
qui lui a décerné son Prix, ex æquo avec La
Montagne.
Là
encore, étonnement poli de rigueur !
Dernier
film de la compétition, le film d’animation Zeria
de l’acteur et réalisateur belge Harry Cleven. Primé avec le
Grand Prix du festival en 2005 avec Trouble,
qui mettait en scène Benoît Magimel dans un double rôle face à
Natacha Régnier et Olivier Gourmet. A la fois film d’animation et
film de marionnettes, Zeria
pouvait rebuter au premier regard, ou alors piquer la curiosité.
Dans cette histoire raconté par Gaspard, dernier homme a être resté
sur Terre, celui-ci s’adresse à Zeria, son petit-fils, premier
être humain à être né sur Mars. Il lui raconte sa vie, en
espérant que son petit-fils pourra venir le voir, alors que ses
dernières forces sont sur le point de le quitter. Ce faisant, Zeria
serait le premier humain n’ayant jamais connu la Terre à y
remettre les pieds. Il faut reconnaître que le film était de nature
à provoquer une profonde léthargie. Car passé la poésie et le
côté transmission de l’Histoire, il ne s’y passait pas
grand-chose. La courte durée du film (1 heure) n’empêcha pas
certains spectateurs à quitter précipitamment la salle, ce qui
perturba quelque peu la projection.
En
parallèle à cette compétition, le festival proposait aux
spectateurs une sélection parmi laquelle En
Plein Feu
de Quentin Reynaud, un intéressant huis clos, à la fois au cœur
d’une nature embrasée et dans l’esprit d’un père traumatisé
(très bon Alex Lutz, que le réalisateur avait déjà dirigé dans
son précédent long, Cinquième
set).
Domingo et la brume
était un film costaricien, sur un vieil homme qui ne veut pas céder
son terrain à des promoteurs sans scrupules, et entretient une
relation poétique avec la brume. Huesera,
film mexicain, nous faisait partager le trouble et les visions
accablant une future jeune maman à l’occasion de sa première
grossesse. The
Communion Girl
nous transportait dans l’Espagne de la fin des années 80.
Adolescente discrète, Sara tente de s’intégrer dans son nouveau
milieu dans la banlieue de Tarragonne. Elle fréquente Rebe, une
copine nettement plus extravertie et populaire. Les deux vont croiser
une petite en tenue de communiante en rentrant de boite de nuit, et
là leurs ennuis vont commencer…
Venus de Jaume Balaguero
Dernier
film hors compétition vu, le tonitruant Venus
de Jaume Balaguero (La
secte sans nom, Fragile, Darkness, REC, REC 2, Malveillance,
ou une certaine constance dans la qualité…).
Comme à son habitude, le réalisateur espagnol n’y va pas par
quatre chemins, et dispose visiblement des moyens pour le faire.
Débutant comme un thriller explosif où une go go danseuse essaye de
doubler un caïd de la pègre en lui volant un sac rempli de drogues,
Venus
prend ensuite une autre voie, plus à sa place à Gérardmer.
L’occasion
pour le metteur en scène de se faire plaisir, et d’alterner les
scènes chocs, rarement gratuitement. La dernière partie enchaîne
les morceaux de bravoure, le rythme ne laissant jamais de répit au
spectateur, jusqu’à un crescendo tout en outrance. Le
final prend des allures de western, montrant l’héroïne, Lucia, se
rafistoler d’une éventration que l’on pensait définitive (une
nouvelle manière d’utiliser une agrafeuse, associée à du
chatterton),
pour ensuite monter, canon scié à la main, en découdre avec les
vraies méchantes du film. Sélectionné
en compétition, le film aurait certainement glané l’une ou
l’autre récompense, tant
il avait de l’avance dans certains domaines.
Kim Jee-woon au bord du célèbre lac
La
manifestation n’avait pas oublié les à coté, puisque Kim Jee
woon était là pour une masterclass très suivie, que le grimoire
affichait toujours complet, et que René Manzor (oui c’est bien
lui, le réalisateur du mythique Le
Passage
en 1986, et de 36 15
code Père Noël
en 1990) venait parler de son dernier livre, Du
fond des âges.
Sa fascination pour la mort toujours intacte, celui qui est
aujourd’hui devenu écrivain était venu dans la Perle des Vosges
pour évoquer la place de l’imaginaire dans nos vies, et ses
manifestations dans notre quotidien. Des
projections étaient en outre consacrées à la gémellité au
cinéma, et deux nuits, la première Sans
lendemain
et la seconde Décalée,
avaient
été organisées afin de satisfaire les insomniaques.
Après cinq jours bien remplis, le rideau s’est levé sur Gérardmer. Lors de la cérémonie de clôture Pierre Sachot, Président de l’association du festival, pouvait déjà en faire le bilan positif (une affluence record, déjà constatée lors de la mise en vente des Pass digitaux, précieux sésame pour accéder à la réservation en ligne des séances), et nous annoncer les dates de de la prochaine manifestation. Du 24 au 28 janvier 2024, à vos agendas !!!
On y sera, car le festival de Gérardmer est unique…
« Je suis fabriqué par le cinéma » dit-il. Touche à tout avant de passer à la réalisation, Rachid Hami s’est emparé de l’histoire tragique de son frère Jallal et l’a transformée pour en faire un vrai projet de cinéma, une œuvre romanesque qui se déploie entre présent, passé, d’Algérie en France en passant par Taïwan.
C’était il y a dix ans, en 2012, le 29 octobre vers minuit, les médias en ont parlé mais une actualité chasse l’autre et l’on a oublié la tragédie de ce bizutage qui a mal tourné. Il s’agissait d’une mise en scène du débarquement de Provence du 15 août 1944 organisée par les élèves de l’école militaire de Saint-Cyr chargés de la « transmission de tradition » et visant à accueillir les nouvelles recrues. Sous le feu de projecteurs, au son des Walkyries de Wagner comme dans Apocalypse Now, vêtus de leur uniforme et lourdement équipés, voilà qu’ils doivent traverser un étang à 9 degrés où ils finissent par ne plus avoir pied. Si d’autres soldats ont échappé à la noyade, c’est le drame pour le jeune Aïssa, 24 ans. Face à ses manquements et coupable d’homicide involontaire, l’armée doit organiser les funérailles à hauteur de la disparition de Aïssa et fait des promesses qu’elle ne tiendra pas. Quant aux sept militaires liés à la mort du jeune homme et qui comparaitront au tribunal, ils auront des peines de prison avec sursis.
Copyright 2022 Gophoto/Mizar Films
Pour la France n’est pas un film à charge et ne parle pas que de la mort de Aïssa. Il ouvre d’autres voies sous le regard d’Ismaël, son frère en quête de vérité sur cette affaire mais aussi sur leur cheminement personnel, depuis que lui, son frère et sa mère ont quitté l’Algérie en proie à la guerre civile, échappant aux assassinats perpétrés par le FIS. Rachid Hami raconte en deux-trois séquences les deux petits frères, leur mère courage (immense Lubna Azabal), le père qui préfère Aïssa, préférence qui marquera durablement la construction des deux garçons, Ismaël à qui il manque la confiance de l’amour paternel, Aïssa qui va vouloir s’engager dans l’armée française pour défendre son pays d’adoption comme il pensait que son père voulait défendre l’Algérie en refusant de quitter son pays. Aïssa est un étudiant brillant – Science-Po, un Master à Taipei puis l’ambition d’intégrer Saint-Cyr au risque de devoir combattre en Syrie : « Si je peux sauver une vie, ça en vaut la peine. Je serai le 1er chef d’État-major arabe de l’armée française. » Et Ismaël de demander : « Tu te sens capable de tuer quelqu’un ? » – « Pour la France, Oui ! ».
Shaïn Boumedine repéré chez Kechiche (Mektoub my love) et Karim Leklou (décidément grand acteur) campent ces frères aux ambitions opposées et difficile de reconnaître la part autobiographique. Brouiller les pistes, mettre à distance son histoire familiale pour éviter tout sentimentalisme sont les fers de lance de ce film qui n’est jamais binaire et qui propose un regard neuf salutaire : « À l’heure où nous voyons le nationalisme gagner la France, il est nécessaire de raconter des histoires comme celle de Jallal. Elle ferme la porte à nombre de clichés qui gangrènent le débat public. Il est aussi important de briser le cycle des films racontant l’immigration et la banlieue comme des histoires violentes, misérabilistes et exotiques. Je voulais raconter cette histoire vraie de l’intérieur, avec mon outil : le cinéma. » Précisément, les séquences taïwanaises remarquables, et notamment la fin du film, sont des moments très inspirés qui répondent au désir de Rachid Hami de rendre sensible la réalité émotionnelle. Le bonheur des deux frères et leur soif de vivre sont contagieux. Avec ce film, Rachid Hami est entré dans la cour des grands.
L’Islande est une terre de littérature. Pays des sagas, il est aussi celui des romans policiers avec des auteurs qui ont assis leur réputation au niveau international. Est-ce le climat et les paysages particuliers de cette île du bout du monde qui invitent à laisser vagabonder l’imagination ? Nourri de littérature et carnets de voyages, Hlynur Palmason sait ce qu’il doit aux livres mais c’est le cinéma son moyen d’expression de prédilection, art dont il apprécie la capacité à s’adresser aux spectateurs en lui permettant de picorer les éléments de manière à faire sa propre interprétation. Son film fait voyager dans l’espace et dans le temps et offre une expérience cinématographique qui vaut le détour sur grand écran absolument.
D’emblée, le titre s’affiche dans les deux langues, le danois et l’islandais. Il est sorti à l’international sous son titre anglais mais l’enjeu est bien de faire dialoguer ou plutôt dire l’impossibilité de dialoguer entre les Danois et les Islandais, les premiers ayant colonisé les seconds à partir de 1536 et imposé la religion protestante – définitivement – après des siècles de combat contre les païens.
Aussi, lorsque Lucas, ministre du culte luthérien est missionné à la fin du XIXème siècle par l’église du Danemark pour bâtir une église dans une contrée reculée d’Islande et qu’il est accompagné d’un guide qui ne parle pas danois, le périple s’avère plein d’embuches. Heureusement, Lucas est accompagné d’un traducteur mais le passage d’une rivière en crue aura raison de ce compagnon – sa mort est un choc sentimental pour le jeune curé qui ne s’en remettra pas et il en voudra à Ragnar, cette force de la nature qui comprend la nature, cette figure de démiurge qui sait autant faire preuve de sa force physique que chanter des poèmes. Ragnar est incarné par Ingvar Sigurosson, déjà présent dans le précédent film de Hlynur Palmason (Un jour si blanc 2019), tout comme Elliott Crosset Hove qui joue Lucas. Le réalisateur aime tourner en famille et avec sa famille d’adoption cinématographique, sur les lieux mêmes où il habite. Face à ces paysages qui renvoient à des temps immémoriaux, au monde tel qu’il était aux origines peut-être, on se dit qu’il est bien inspirant son terrain de jeu et de tournage !
Il porte ce projet de longue date, ayant anticipé des plans sur deux-trois ans, et après avoir découvert la technique des 1ères photographies et inventé son personnage de curé amateur de photos qui transporte sur son dos son matériel de prise de vue et de développement. Très belle idée qui sous-tend l’esprit du film et sa forme – le format carré. Le voyage du prêtre à travers la nature sauvage où glace et feu coexistent, avec sur son dos l’encombrante caisse de bois renfermant plaques de verre et appareil photo a un côté films démesurés à la Herzog et Campion. On pensera aussi à Joseph Conrad et aux westerns, références assumées par le réalisateur dont le film parle du combat de l’homme contre la nature et contre lui-même. Hlynur Palmason a fait des recherches pour documenter son film, sur la façon dont on voyageait par exemple, et qu’il situe exactement en 1875, année de l’éruption du volcan Askja qui entraîna avec des conditions climatiques extrêmes une crise économique majeure. Cet ancrage précis et documenté lui a permis une liberté sur des détails et éléments qui ouvrent sur une dimension très actuelle. L’éclairage des visages du prêtre et de son amoureuse à la lumière rouge de la chambre de développement des photos produit un effet très contemporain inattendu et induit un rapport de familiarité entre les personnages et nous. Une séance de pose d’une fillette, Ida (la fille du réalisateur), sur un cheval, fait souffler un vent d’espièglerie et de légèreté qui contraste avec l’austérité ambiante qui règne. Le film s’ouvre sur un postulat : il s’inspire de photos retrouvées dans un coffret. Pure invention qui nourrit le récit et trouve un aboutissement en marge du film. Des photos ont été prises à « l’ancienne » avec du collodion et elles feront l’objet d’affiches pour la sortie du film – une matière de mise en abyme de l’objet filmique – objet de pur cinéma qu’il ne saurait être question d’apprécier ailleurs que dans une salle de cinéma !
Grand
amateur de films de genre, Ti West n’a cessé de clamer son amour
pour la grande époque du film d’horreur des années 70 et 80.
Révélé par le film d’horreur The Roost (une soirée
d’Halloween pas comme les autres…), sorti en 2005, il a ensuite
confirmé son penchant pour l’horreur avec Cabin fever 2,
The House of The Devil et surtout The Innkeepers, où
son histoire sur les derniers jours d’un vieil hôtel hanté avait
ravi les amateurs.
Avec
X, il regarde du côté d’un illustre cinéaste récemment disparu,
le pape de l’horreur rurale Tobe Hooper (Massacre à la
tronçonneuse 1 et 2, Le Crocodile de la mort, Poltergeist, The
Mangler, l’Invasion vient de Mars…). Les premières images
donnent immédiatement le ton. Le décors, une vieille maison qui
ne paye pas de mine, perdue au milieu de la campagne. Une voiture de
police s’approche. Les protagonistes, un shériff et son adjoint.
Sur le sol, les restes sanglants de ce que l’on devine être un
corps humain, sous un drap imbibé. L’histoire commence par la fin,
pour rapidement reprendre au tout début.
La
musique se fait enjouée, douce, légère. On fait la connaissance
d’une bande de jeunes quittant la banlieue industrielle de Houston,
en 1979. La folle équipe part tourner un long-métrage à la
campagne. La petite amie du producteur aspire à devenir une star,
elle n’entend pas accepter autre chose que la célébrité et
refuse une vie médiocre. Sur ses lèvres, une des stars de l’époque,
la divine Linda Carter, qui sortait tout droit de 60 épisodes de
Wonder Woman, la série qui lui avait valu la célébrité. On
comprend que ce petit monde veut aller vite et loin, très loin…
Des
images s’échappent d’une vieille télévision en noir et blanc.
Un prédicateur blanc s’enflamme, exhorte la foule de ses fidèles
à suivre le Seigneur, et à pourchasser le Mal sous toutes ses
formes. L’intolérance est élevée au rang de vertu, et la
tentation est à bannir. Car c’est de cela qu’il s’agit, de
tentation. Et là nous revenons à notre petite équipe, qui est là
pour tourner un film adulte à l’abri des regards, dans une vieille
bicoque louée pour une bouchée de pain.
Arrivés
à bon port, ils rencontrent le vieux propriétaire de la ferme et
s’installent. Ti West prend son temps, construit méthodiquement
son histoire, nous fait découvrir les lieux, méticuleusement. Puis
il développe chacun de ses personnages, aborde leur psychologie. Il
fait le portrait d’une jeunesse insouciante, qui n’aspire qu’à
profiter de tout le bon temps qu’elle peut avoir. C’est aussi
simple que cela. Ce faisant, il créé un lien avec le public, afin
de renforcer ce qui va suivre. L’horreur viendra plus tard.
Le
metteur en scène suit une trame balisée. Certaines scènes sont
certes prévisibles, mais Ti West y apporte un soin particulier,
jusque dans la musique qui les accompagne. Cumulant les casquettes de
réalisateur, scénariste, monteur et producteur, Ti West s’est
assuré la maîtrise de son long-métrage. Son approche de l’horreur
a d’autant plus d’impact qu’il a articulé son film en deux
parties. Dans la seconde il laisse la violence éclater, sans aller
dans la surenchère. Il n’y a pas de scènes de trop, pas de
fioritures, la durée du film (1H45) est parfaite pour trouver un
équilibre entre les deux parties. L’hommage rendu ici au sous
genre du slasher fonctionne parfaitement, la sincérité du cinéaste
s’exprimant d’abord par l’histoire racontée, puis par de
nombreuses scènes qui nous rappellent les classiques du genre.
Dans
la paysage cinématographique actuel, en particulier celui de
l’horreur, X est une bonne surprise. Le long-métrage fait
revivre aux spectateurs les grands frissons partagés à l’époque
par d’autres générations. Des frissons qui n’ont rien perdu de
leur force, et qu’on ne se lasse pas de ressentir, dans le noir…
Grand Prix au dernier Festival de Cannes, Close confirme le talent de Lukas Dhont après Girl. Sorti en 2018, ce film racontaitl’histoire de Lara qui rêve de devenir danseuse étoile alors qu’elle est née dans un corps de garçon. Avec Close, Lukas Dhont creuse le sillon de la question de l’identité en conflit avec le regard des autres, d’un groupe. « Je voulais essayer de parler des choses qui m’ont perturbé pendant l’enfance ou ma jeune adolescence. Je tenais surtout à parler d’un sujet extrêmement intime. »
La tendresse et la douceur ne sont pas acceptables de la part d’un garçon. Dans la cour de récré du collège, Remi et Léo ne passent pas inaperçus. Léo pose la tête sur l’épaule de son ami. Ils sont assis en classe l’un à côté de l’autre, arrivent et repartent en même temps. Une élève leur demande s’ils « sont ensemble » et c’est un cataclysme qui s’abat sur Léo. L’idée que l’on pense que leur amitié ait quelque chose de sexuel lui est insupportable. Sa vie bascule et celle de Rémi. Plus rien ne sera comme avant : leurs jeux encore enfantins, les nuits passées ensemble quand ils dorment l’un chez l’autre, Léo plein d’admiration, qui dit à Rémi qu’il sera son manager car Rémi joue de la musique. Léo va s’éloigner de Rémi, se dérober lorsque celui-ci veut poser sa tête sur lui, allongés dans l’herbe, ne plus emprunter au même moment le chemin qu’ils parcourent ensemble à vélo entre chez eux et le collège et choisir de faire du hockey sur glace, un sport bien viril. Puis le drame survient. Malgré tout, Close échappe au sensationnel, à la sensiblerie. Film juste, tout de finesse, délicat dans l’expression des sentiments, il impressionne par la manière de traiter un sujet des plus difficiles.
Magnifique duo d’interprètes pour incarner les deux jeunes garçons à la lisière de l’enfance et de l’adolescence ! Lukas Dhont en a casté des centaines et l’alchimie a été évidente entre ces deux-là qui ne se connaissaient pas. La belle idée du film est d’être situé à quelques kilomètres de Gand, dans la campagne, une région que connaît bien le réalisateur. Les parents de Léo exploitent une ferme floricole et le film s’ouvre sur la course des garçons dans des champs de fleurs, faisant la part belle aux corps en mouvement et à ce décor édénique au sens propre qui sera détruit en même temps que la relation des deux garçons. C’est la fin de la récolte avec une machine qui broie tout sur son passage, les couleurs de l’automne puis de l’hiver vont succéder aux couleurs vives et joyeuses de l’été et la glace du terrain de hockey, dure et froide, va remplacer les hautes herbes accueillantes. Le corps en mouvement sera corseté, emprisonné dans la tenue de hockeyeur si pesante sur les frêles épaules du garçon, le visage derrière la grille du casque évoquant à la fois la prison dans laquelle s’est enfermé Léo et une protection contre ses propres sentiments et son émotion, sa tristesse à fleur de peau prête de jaillir. La brutalité l’emporte sur la fragilité.
Lukas Dhont a été inspiré par le livre de la psychologue Niobe Way, Deep Secrets, dans lequel elle suit 100 garçons entre 13 et 18 ans. À mesure des années, les adolescents qui grandissent ont du mal à parler de leur amitié quand d’aucuns disaient quelques années plus tôt que leur ami était la personne qu’ils aimaient le plus au monde. C’est encore ce livre qui a donné l’idée du titre du film : « l’expression revenait souvent : « close friendship ». C’est un mot incontournable pour évoquer l’amitié très proche entre ces deux garçons. C’est cette proximité questionnée qui déclenche le drame du film. Quand on perd quelqu’un, on cherche à retrouver une proximité avec l’être perdu. On est plongé dans une dimension philosophique. Ce mot illustre tout aussi bien l’idée d’être enfermé, de porter un masque et de ne pas pouvoir être soi-même. » Très émouvant et très fort, Close répond au souhait de Lukas Dhont qui était decréer avec son film du cœur et du corps.
Après avoir remporté en 2020 le César du meilleur court-métrage avec Pile poil, le tandem Lauriane Escaffre / Yvonnick Muller réalise son premier long-métrage avec Maria rêve. Une bouffé d’air frais dans un quotidien parfois morose.
Dès le « lever de rideau », la bande-son met le spectateur dans l’ambiance. La voix inimitable d’Elvis Presley berce chaudement les premières scènes, on devine que le ton du film sera résolument optimiste, sans donner dans la béatitude naïve. Bien sûr, cela ne suffit pas pour faire un bon film, mais c’est déjà un bon début… Nous faisons connaissance de Maria, une femme de ménage qui se retrouve sur son lieu de travail pour la dernière fois. La vieille dame qui l’employait dans son grand appartement est effet décédée, les héritiers n’ont plus besoin de ses services. Discrète, effacée, Maria va vite rebondir. Elle va postuler pour rejoindre l’équipe de femmes de ménage de l’École Nationale des Beaux-Arts de Paris, pour être aussitôt embauchée, à sa grande surprise.
Maria à la cinquantaine, elle est mariée depuis 25 ans à Oratio, actuellement à la recherche d’un emploi. D’un naturel aimable, Maria est une personne simple en apparence, mais très curieuse. Dans son nouvel environnement elle s’ouvrira à des choses auxquelles elle n’avait jamais été confrontée jusqu’ici, et s’émerveillera d’un monde dans lequel la chose la plus banale peut avoir un sens totalement inédit. Maria a traversé jusqu’ici l’existence sans trop d’anicroche, mais aussi sans grande joie. Une vie sans histoire, en somme, mais un peu terne. Aux Beaux-Arts, elle entamera un renaissance, aidée par un environnement qui stimule l’imagination.
A peine engagée, Maria s’intègre vite à l’équipe chargée du ménage du vénérable établissement. Les autres femmes qui la composent sont sans fard, généralement de bonne humeur, et plus expressives que Maria. Mais celle-ci va évoluer, peu à peu. Chaque journée de travail la fera découvrir de nouvelles choses, qu’elle accueillera à bras ouverts. Même si, parfois, elle ne comprendra pas tout ce qu’elle a sous les yeux. Les rapports entre élèves fantasques et enseignants farfelus la désarçonnent à l’occasion, mais cela ne lui fait pas peur. Maria a beau s’être emprisonnée au cœur d’une inexorable routine au fil des années, sa curiosité naturelle est toujours là, comme endormie par le quotidien. Tout ce temps elle est restée une grande rêveuse. Elle fera la connaissance d’une personne étonnante à plus d’un titre, Hubert le concierge. Et peu à peu tombera sous son charme.
Lauriane Escaffre et Yvonnick Muller réalisent avec Maria rêve une comédie douce amère (plus douce qu’amère, heureusement). Leur mise en scène fait preuve d’une très grande sensibilité. Leur scénario, leur manière de filmer et leur compréhension des personnages est d’une grande délicatesse. Le tandem fait preuve de finesse, et on sent une connexion évidente et profonde avec les deux personnages principaux, Maria et Hubert. Pour autant, le film ne tombe jamais dans la mièvrerie. Maria rêve est un film drôle (notamment lorsque Lauriane Escaffre et Yvonnick Muller se mettent eux-mêmes en scène), mais qui sait être triste par moment. Sans jamais tomber dans les excès ou la caricature. Le long-métrage évite en effet les facilités et les scènes trop prévisibles (car attendues dans le genre de la comédie dramatique), grandement aidé par une excellente distribution.
Dans le rôle de Maria, la comédienne Karin Viard nous rappelle sa large palette d’interprétation. S’il est vrai qu’elle incarne d’ordinaire des femmes plutôt exubérantes, elle est ici toute autre. Dans un rôle qu’elle reconnaît elle-même comme étant à l’opposé de sa propre personnalité, elle parvient à incarner la douce et sensible Maria, un être toujours en retrait, discret et arrangeant. Face à elle il fallait le comédien apte à exprimer un savant mélange de sensibilité et virilité. Un petit côté lunaire, fantaisiste, dans un être à l’existence pourtant très concrète et à l’apparence de grand nounours.
Dans la peau d’Hubert, ce concierge des Beaux-Arts qui semble avoir toujours été là, Grégory Gadebois fait des merveilles. Il faut le voir pour le croire ! Le comédien parvient à traduire les nombreuses facettes de son personnage avec une apparente facilité et un naturel déconcertants. Tantôt timide, passionné, hésitant, débrouillard, Hubert va petit à petit cristalliser en lui toutes les rêveries de Maria, lui faire imaginer que, peut-être, un monde différent est là à sa portée. Un monde loin de son train train quotidien, plus exaltant que ce qu’elle a toujours connu. Beaucoup de choses passent par le regard de Grégory Gadebois. Celui-ci est tellement expressif qu’il en devient presque un personnage à part.
Quand Maria rêve s’achève, c’est sur une note optimiste, un nouveau départ. Maria peut désormais vivre ses rêves…
Depuis plus de quarante années le génial metteur en scène australien nous embarque dans des voyages improbables. Révélé en 1979 avec le tonitruant et culte Mad Max, George Miller n’a cessé de balader les spectateurs dans des univers à part.
Parmi la dizaine de longs-métrages qu’il a mis en scène, presque tous sont restés gravés dans la mémoire des cinéphiles. De la saga Mad Max à celle de Babe, le cochon dans la ville, on a ensuite partagé celle de Happy Feet, croisant sur la route de singulières sorcières (cf. Les sorcières d’Eastwick). Aujourd’hui il nous invite à partager le destin d’une âme solitaire, alors qu’elle croise le chemin d’un génie libéré de sa bouteille. Voilà pour le synopsis, un peu sec, mais qui a le mérite d’éveiller la curiosité. Alithea Binnie est une universitaire britannique un peu cynique, désabusée, pour qui l’existence ressemble à un gigantesque cirque aux illusions. Elle en a fait son quotidien, l’accepte, et porte un regard critique sur le genre humain. Mais ce qu’elle apprécie le plus, ce sont les récits que les hommes se sont racontés au cours des siècles, et comment ils ont façonné les générations futures. Elle sera la narratrice de l’histoire, et entend nous conter une formidable histoire.
Alithea nous fait partager un moment clef de son existence. se définissant comme une personne heureuse et solitaire, elle est absorbé par son travail sur les contes, mythes et autres histoires à travers les âges et les continents. Elle a de bons rapports avec ses pairs, qu’elle retrouve chaque année à l’occasion de la grand-messe les rassemblant pour des conférences en un lieu différent. Cette année là, c’est à Istanbul qu’elle se rend. Son imagination débordante, que son travail de recherche nourrit pleinement, lui joue parfois des tours. Elle est confrontée à des hallucinations, de plus en plus fréquentes. Elle fera l’acquisition d’un petit flacon dans une des nombreuses échoppes de la capitale, sans se douter que ce geste changera à jamais sa vie. Alors qu’elle tentera de nettoyer le flacon, un génie s’en échappera.
Celui-ci lui demandera de faire trois vœux. Mais devant sa réticence (Alithea est une grande sceptique…), il entreprendra de lui raconter trois histoires, qui auront toutes la même issue, celle de le voir se retrouvé emprisonné dans un flacon. George Miller construit son film autour de fresques incroyables, mais n’oublie pas de tisser un lien avec les simples mortels que nous sommes. Au contact du djinn, Alithea prend conscience de sa propre solitude, avec laquelle elle cohabitait pourtant parfaitement jusque là. Trois mille ans à t‘attendre promène le spectateur au cœur d’époques plus grandes que nature, avec toujours la petite interrogation concernant la volonté du génie. N’y aurait-il pas un petit détail caché quelque part, quelque roublardise comme Alithea semble le suspecter ?
Le réalisateur reste dans son genre de prédilection, le fantastique, en prenant soin de bien l’ancrer dans le réel. Car même s’il est question d’anciens empires et de leurs fastes, les récits hauts en couleurs du génie s’articulent toujours autour des caprices des hommes. Avec leurs forces, leurs faiblesses, et une bonne dose de fourberie aussi. Et pour conter cela, George Miller n’a pas son pareil.
Dans le rôle du djinn, le comédien britannique Idris Elba (révélé en 2002 avec la série The Wire, les cinéphiles se rappellent plus récemment de ses rôles dans Thor, Pacific Rim, Star Trek : Sans Limites, La Tour Sombre, The Suicide Squad), incarne un être qui, bien que théoriquement immortel, n’en est pas moins traversé par les mêmes doutes que les simples mortels. Un être surnaturel qui reste émerveillé des prouesses dont le genre humain est capable, sans pour autant le comprendre tout à fait. Face à lui, la comédienne Tilda Swinton (dont la carrière, toujours parfaite, a débuté au milieu des années 80, ses prestations, souvent hallucinantes, dans Snowpiercer: Le Transperceneige, Only Lovers Left Alive, The Grand Budapest Hotel, Crazy Amy, le Suspiria de Luca Guadagnino, The French Dispatch nous le rappellent) se glisse dans la peau d’un être sensible, moins serein qu’elle veut bien le laisser croire, et va évoluer au contact du djinn.
Le jeu du chat et de la souris auquel se livrent les deux comédiens est sympathique, et ramène un peu de poésie à une époque qui en a bien besoin, à l’heure du pessimisme et du cynisme ambiants…
L’année dernière, le festival s’était trouvé confronté à un adversaire de taille, le COVID. La pandémie s’était installée durablement dans nos vies, et avait failli priver les amateurs de films de genre de leur frisson annuel. C’était sans compter sur la volonté des organisateurs, qui avaient réussi à maintenir la manifestation en la proposant en format dématérialisé. Un festival intégralement en ligne, histoire de montrer que Gérardmer n’avait pas dit son dernier mot et qu’il en faudrait plus pour annuler l’événement.
En cette fin de mois de janvier 2022 le festival a réinvesti les salles, un soulagement pour les habitués. Car le spectre de la pandémie n’était jamais loin, et jusqu’au bout l’incertitude quant au maintien de l’événement a plané dans l’esprit du public. La fréquentation était bonne, identique à 2020, ce qui était surprenant vu les contraintes de pass vaccinal + gestes barrières imposés aux spectateurs (masque obligatoire dans les salles de projection, restaurants, bars, lieux fermés….). Mais les amateurs étaient présents, avec toujours cette capacité inimitable à chauffer les salles. Avec 10 films en compétition le festival avait vu grand, et les membres des jurys avaient tous répondu à l’appel. Julie Gayet était présidente du Jury Compétition longs-métrages. Elle était assistée de Grégory Montel, Alexandre Aja (un habitué du festival), Suliane Brahim, Valérie Donzelli, Mélanie Doutey, Bertrand Mandico et Pascal-Alex Vincent.
Pour la compétition courts-métrages, c’étaient les jumeaux Ludovic et Zoran Boukherma (ils nous avaient donné l’excellent Teddy l’année dernière à Gérardmer) qui se chargeaient de la présidence. Ils étaient assistés de Shirine Boutella, Saïda Jawad et Antonin Peretjatko. Le millésime était bon, nous allons évoquer certaines péloches sortant du lot.
On a commencé notre voyage avec She Will, film du Royaume-Uni mis en scène par Charlotte Colbert et sélectionné dans le cadre de la compétition officielle. Lors de sa première projection à l’Espace Lac, la comédienne principale, Alice Krige, est montée sur la scène pour présenter le film, dans lequel elle interprète une ancienne star vieillissante. Très habile dans le sous-entendu, She Will nous permet de croiser cette vieille trogne de Malcolm McDowell et de partager la psyché ô combien perturbée de son personnage principal.
Saloum, production franco-sénégalaise, était un film de genre bien sympathique. Le producteur Alexis Perrin et le comédien principal Yann Gaël avaient expliqué la genèse du film à un public toujours accueillant. Le long-métrage s’articulait autour de la cavale sanguinaire d’une équipe de mercenaires à travers la Guinée Bissau, la Gambie et le Sénégal. Saloum propose un étonnant mélange des genres qui fonctionne bien. Un film fantastique en langue française que l’on aimerait bien voir distribué.
Le film taïwanais The Sadness, était présenté en compétition du festival. Alors là même les plus fatigués des spectateurs ne risquaient pas de s’assoupir, tant le long-métrage proposait un cocktail survitaminé à base de gore (beaucoup) et de sexe (un peu). Dans cette histoire de virus qui se propage dans les rues de Taïwan, nous suivons la course effrénée de Jim et Kat. Le metteur en scène Rob Jabbaz n’y va pas par quatre chemins. Il parvient à choquer, ce qui est un des impératifs du sous-genre des « films d’infectés » tout en débordant sur des terrains plus sensibles. Le film nous fait partager une forme de poésie dans la tragédie, même si celui-ci est devenu plus célèbre pour son horreur décomplexée.
Puis Paco Plaza faisait son entrée, 14 années après son passage fracassant à Gérardmer avec le premier REC (récompensé par 3 Prix à l’époque, celui du Jury, du Jury Jeunes, et du Public), coréalisé avec Jaume Balaguero. Le réalisateur est monté sur la scène du Lac afin de présenter La abuela, présenté en compétition. Son film nous a embarqué dans un cauchemar éveillé aux côtés de son personnage principal, Susana, appelée au chevet de sa grand-mère (la abuela en question) qui a fait un avc. Le film se clôt sur une conclusion glaçante, comme on les aime à Gérardmer. Le film fut récompensé par le Prix du Jury (ex-aequo avec SHAMAIN de Kate Dolan).
Mona Lisa and the Bood Moon est réalisé par la réalisatrice américaine d’origine iranienne Ana Lily Amirpour (qui nous avait donné il y a déjà 8 ans l’étonnant A Girl Walks Home Alone at Night, film de vampire en noir et blanc dans un enfer iranien). Le spectateur y suivait les errances d’une jeune fille au coeur de la Nouvelle-Orléans. Échappée lors d’une nuit de pleine lune d’un hôpital psychiatrique où elle était enfermée depuis plus de dix ans, Mona Lisa Lee est une jeune fille dotée de pouvoirs paranormaux. Elle va découvrir un monde qu’elle ne connaît pas. Emmenée par une bande-son phénoménale (le film a été récompensé par le Prix de la Meilleure Musique), la cavale de Mona invite le spectateur à une vision finalement optimiste du monde. Ana Lily Amirpour fait un portrait de l’innocence, confrontée à l’inconnu, mais sous l’angle de la bienveillance. Avec ses personnages bien écrits (et un contre-emploi de Kate Hudson, ici à des années-lumière de ses rôles habituels) et ses éléments de comédie habilement mêlés au fantastique, Mona Lisa and the Blood Moon est une pellicule inclassable. Le film aurait bien mérité un prix supplémentaire.
Dans le film d’animation japonais de Takahide Hori intitulé Junk Head il est question de la survie de l’espèce humaine dans un futur lointain. Les hommes sont devenus éternels, mais ne peuvent plus se reproduire. Un humanoïde est envoyé au plus profond de la Terre, afin de comprendre ce que sont devenus les madrigans, ces créatures créées par l’homme pour les servir. Les personnages animés en stop-motion sont étonnants (la créature d’Alien fait plusieurs apparitions remarquées), et s’expriment via un mélange de borborygmes incompréhensibles, onomatopées et sons étouffé. Le film questionne sur la vie, la mort avec des personnages qui deviennent attachants.
After Blue (Paradis sale), le délire (sans connotation négative) proposé par Bertrand Mandico ne laisse par insensible. Dans ce film de science-fiction présenté hors compétition, Bertrand Mandico nous invitait à rejoindre Roxy, fille de Zora, sur la planète After Blue. Sur cette planète uniquement peuplée de femmes, Zora, jeune fille un peu fantasque, aurait commis l’irréparable, libérer une meurtrière, Kate Bush (!!!). Elle devra partir à sa poursuite pour l’éliminer. Le long-métrage de Bertrand Mandico se dévoile très vite. L’histoire nous offre des tableaux visuels inédits, somptueux, et des dialogues surréalistes. Tout à fait à sa place à Gérardmer, After Blue a laissé une impression étrange à l’issue de sa projection. Au point de se demander si on avait réellement assisté à certaines scènes, ou plutôt rêvé…
Le Hongrois Post Mortem, en compétition, met en scène un jeune rescapé de la Grande Guerre, Tomas, qui revient à la vie civile comme photographe des défunts. Il met en scène ceux-ci dans des décors propres à leur entourage, les clichés prenant place ensuite dans les albums de famille. Revenu d’entre les morts, Tomas croit au paranormal, et éprouve une réelle empathie envers les morts. Dans le village où il a été invité les fantômes des défunts se manifestent. Avec son histoire originale et ses moyens limités, le réalisateur hongrois Péter Bergendy a réussi un subtil mélange entre surnaturel et poésie (voir les scènes où Tomas est aux côtés des familles ayant retrouvé la paix). Post Mortem relâche le spectateur sur une impression étrange, entre légèreté et exaltation.
Censor de la galloise Prano Bailey-Bond, était présenté hors compétition. Nous y suivons le quotidien d’Enid Baines, fonctionnaire travaillant pour le bureau de la classification des films en Angleterre. Son rôle à la commission de censure est de s’assurer que les films proposés au public ne sont pas de nature à le traumatiser ou le pousser à la violence. Les nasties mettaient en scène une ultra-violence et un gore assumé et constituaient une défiance criante pour l’establishment d’alors. Avec son petit côté « Peter Strickland », pour le travail sur les sens et la perception, Censor devient de plus en plus oppressant au fil des scènes, pour se conclure par un final tout en fureur.
Autre bonne surprise, Ogre d’Arnaud Malherbe. Présenté en compétition, le film fut projeté à la séance de 20H00 à l’Espace Lac, et fut précédé par la cérémonie-hommage au cinéaste britannique Edgar Wright qui était présent. Celui-ci fut présenté par Alexandre Aja, avant de prendre la parole devant un public conquis. Edgar Wright laissa ensuite la place au réalisateur Arnaud Malherbe. Ogre raconte le nouveau départ que prend une mère et son fils, Chloé et Jules, partis loin d’un époux/père abusif et violent pour s’installer dans un petit village du Morvan. Chloé est accueillie chaleureusement, elle sera la nouvelle institutrice d’une école rouverte pour l’occasion. Dans le village le sujet sur toutes les lèvres est celui de la bête sauvage qui rôde, et s’attaque au bétail des agriculteurs. Pour Jules, qui souffre de surdité, un ogre erre dans la forêt voisine, c’est lui qui s’en prend aux bêtes et a enlevé le disparu. Pour brouiller un peu plus les pistes, il introduit le personnage du médecin du village, interprété avec une (trop ?) grande ambiguïté par le comédien Samuel Jouy. La surdité de Jules est l’occasion de pure frayeur, le gamin enlevant ses prothèses auditives aux moments-clefs. Le film se laisse regarder avec plaisir, avec une fin très ambigüe.
Dans The Innocents du Norvégien Eskil Vogt le spectateur suit un groupe de jeunes enfants habitants dans une banlieue nordique. Les nouveaux venus vont se mêler aux résidents, et découvrir qu’ils partagent certains pouvoirs paranormaux. Dès les premières scènes on ressent le trouble lié à la cruauté si particulière dont seuls les enfants sont capables. The Innocents ne s’embarrasse pas de spectaculaire inutile. Eskil Vogt s’appuie avant tout sur l’émotion et la suggestion. Mention spéciale à la comédienne norvégienne Alva Brynsmo Ramstad qui crève l’écran dans le rôle d’Anna, la grande sœur handicapée de l’héroïne, et à Rakel Lenora Flottum qui incarne le rôle principal, Ida. Celle-ci alterne le côté inexpressif et la spontanéité naturelle des enfants avec une facilité déconcertante. Le film fut doublement récompensé à Gérardmer, avec le Prix de la Critique et celui du Public.
Avec le délirant Crabs, projeté lors de la Nuit Décalée, il s’agissait de fournir un délire digne des pires soirées vidéo de notre adolescence. Et force est de reconnaître que le film remplit parfaitement sa mission. Dans cette histoire de crabes modifiés suite à des radiations, les comédiens en font des tonnes, les crabes improbables le disputent à la monstrueuse créature finale, la musique tonitruante côtoie des dialogues stupides à souhait sans le moindre complexe. Peirce M Berolzheimer assume le côté délire sans queue ni tête de Crabs, et finalement son film s’avère une petite bouffée d’oxygène au coeur de projections plus anxiogènes qui font le quotidien du festival.
Eight for Silver du britannique Sean Ellis, qui nous avait déjà présenté The Broken lors de l’édition 2008 du festival. Nous y suivons John McBride, pathologiste appelé à la rescousse au coeur d’un village de la France rurale à la fin du 19ème siècle. Des événements surnaturels mettent le village à feu et à sang. Les légendes tziganes auraient ressuscité un monstre carnassier proche du loup-garou. Tant mieux, à Gérardmer on adore les loups-garous ! La photographie est réussie, en particulier par temps obscur, dans les brumes qui envahissent la forêt et les marécages au petit matin. Un récit que les amateurs ont apprécié, entre bestiaire imaginaire, poésie et malédiction.
Voilà, c’en est fini de ce tour d’horizon de la 29ᵉ édition du Festival International du Film Fantastique de Gérardmer. En renouant avec son public, la manifestation a prouvé qu’elle n’a rien perdu de son pouvoir d’attraction. Avec 40 000 spectateurs, le festival a retrouvé les chiffres de l’année 2020, et confirme sa place au coeur du genre. Les spectateurs ont progressivement quitté la Perle des Vosges, et pensent déjà à la prochaine édition. La 30ᵉ, qui devrait nous réserver bien des surprises…