Le Festival America s’est interrogé sur l’importance de la littérature pour redonner une voix aux personnes opprimées
Tous les deux ans à Vincennes, le festival America réunit ce que la littérature anglo-saxonne et notamment américaine fait de mieux. Et pour sa onzième édition, il avait réuni par moins de 80 auteurs dont deux prix Pulitzer avec comme figures de proue Colson Whitehead et James Ellroy. Derrière ces deux vedettes des lettres américaines se tenaient fièrement quelques nouvelles voix comme celles d’Ayana Mathis, S.A. Cosby, Deborah Willis, Nathan Hill, Stephen Markley, grand prix de littérature américaine en 2020 avec Ohio et qui revenait avec son dernier opus, Le Déluge (Albin Michel) et le trop méconnu Hernan Diaz, Prix Pulitzer en 2023 pour Trust (éditions de l’Olivier), incroyable récit d’une mystification dans l’Amérique des années 30 pour ne citer qu’eux. Des écrivains américains venus également dialoguer avec leurs homologues européens comme les Irlandais Michael Magee, Colm Toibin et Donal Ryan, l’Italien Erri di Luca ou l’Allemand Chris Kraus, auteur de Danser sur les débris (Belfond).

© Laurent Pfaadt
Il fut d’ailleurs question de ces autres débris disséminés dans la société américaine par ces injustices qui ne font que s’accroître et peuplent nombre de livres présents au festival. Leurs auteurs ont ainsi montré l’importance de la littérature pour dénoncer mais surtout pour avertir nos sociétés occidentales des dangers qui les guettent, au premier rang desquels, aux Etats-Unis, ce racisme symbolisé par la mort de George Floyd et la statue du général Lee, le chef des armées confédérées à Richmond déboulonnée en septembre 2021. C’est d’ailleurs non loin de l’ancienne capitale du sud esclavagiste qu’est originaire S.A. Cosby. Son dernier livre, Le sang des innocents (Sonatine), couronné par le Grand prix des lectrices Elle raconte l’histoire de Titus Crown, premier shérif noir élu dans le comté de Charon confronté à une fusillade dans une école. Dans ce roman noir, Titus doit à la fois affronter le racisme et les violences policières tout en devant faire respecter une loi qui s’avère bien souvent inique pour les populations afro-américaines.

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Des injustices également au cœur du très beau roman d’Ayana Mathis, Les Egarés, sorte d’épopée afro-américaine contemporaine aux accents morrisoniens qui voit son héroïne, Ava Carson, se battre contre une société qui la méprise et qui piétine sa dignité. « Refuser la dignité aux gens entraîne la honte. Et dans mon livre, il y a beaucoup de honte » affirme ainsi Ayana Mathis. Une dignité que les deux auteurs mettent en exergue dans leurs livres respectifs car comme le rappelle S.A. Cosby : « la fiction est une opportunité de voir le monde comme il devrait être et non comme il est ». Les deux écrivains sont d’ailleurs tombés d’accord sur l’absolue nécessité de préserver la dignité humaine qui génère humiliation et colère.
De l’autre côté de l’Atlantique, comme dans un miroir, cette même dignité semble également avoir été bafouée dans cette Irlande du Nord qui porte dans son cœur et dans sa conscience les stigmates d’une guerre civile qui ravagea le pays et humilia leurs habitants. Des cœurs et des consciences, ceux des héros du fabuleux roman de Michael Magee, Retour à Belfast (Albin Michel), corrodés par le poison des désillusions nées de la trahison d’un Etat. « Les opportunités que nos parents n’ont pas reçu, nous ne les avons pas eu » rappelle l’auteur qui a emprunté de nombreux éléments de sa propre vie familiale pour construire les personnages qui gravitent autour de son héros, Sean MacGuire, enfant de la classe ouvrière de Belfast qui se retrouve enfermé dans sa condition sociale sans aucune autre porte de sortie que la violence. Michael Magee confie ainsi que dans son livre, il a voulu immortalisé les hommes et les femmes de sa communauté – les catholiques d’Ulster – qui ont été privés de leur dignité et en premier lieu sa mère : « je voulais créé un espace dans le livre pour y représenter ma mère » dit-il.
Une façon de rappeler que la littérature, de la Virginie à Belfast en passant par les faubourgs de Philadelphie, est universelle et que, si elle a le pouvoir de voir le monde comme il devrait être, elle peut aussi rendre justice à ceux qui l’habitent.
Par Laurent Pfaadt
Quelques conseils lecture :
Ayana Mathis, Les Egarés, traduit de l’anglais par François Happe,
Gallmeister, 528 p.
S.A. Cosby, Le sang des innocents, traduit de l’anglais par Pierre Szczeciner
Sonatine éditions, 400 p.
Michael Magee, Retour à Belfast, traduit de l’anglais par Paul Mathieu
Albin Michel, 432 p.